La prise d'Enrai

Après la défaite du général du Clan Seki, la bataille de la plage avait rapidement évolué en faveur des troupes de l'Empire menées par Asuka. Celle-ci n'avait pas eu d'ordre supplémentaire à donner, après avoir passé le dénommé Hasaki au fil de sa lance : face au moral fluctuant des troupes ennemies, qui venaient de perdre leur leader, les soldats et shinobis en provenance de l'Archipel de Mizu et de Yuki no Kuni étaient parvenues à forcer l'avantage, forçant les troupes de Kaminari à livrer bataille sur un terrain non préparé et sans aucun relief pour leur donner un quelconque couvert qui leur aurait acheté un peu de répit. La Jisetsu, constatant cela, s'était repliée dans ses rangs pour récupérer en observant la foultitude de cadavres alliés comme ennemis qui tapissaient littéralement le littoral et teintaient le sable du rouge vital. C'était une boucherie, il n'y avait pas d'autre mot, et l'on pouvait mettre toutes les justifications du monde derrière ce spectacle, tous les prétextes et les mises en contexte, que cela n'en changerait pas la nature. La valkyrie était une duelliste, à l'image de son mentor, et si elle avait bien du apprendre à survivre sur les champs de bataille, ce genre de déploiement meurtrier n'en restait pas moins pour elle d'une grossièreté affligeante.

Plus tard, il fallut donner l'assaut sur Enrai pour la seconde charge. Les troupes survivantes de la plage s'étaient retranchées au prix d'une course effrénée au sein de la cité somme toute modeste, et les effectifs de l'Empire avaient suivi les directives en les laissant faire pour se réorganiser de leur côté. Rejaillissant à la tête de l'armée impériale, Asuka afficha un regard dur à ses troupes. Elles devaient se rappeler, du fantassin le plus faible au shinobi le plus aguerri, que rien n'était encore joué, d'une part, et qu'elle ne tolérerait d'autre part aucun manquement à ses ordres concernant la vie des civils et le traitement de leurs adversaires. La charge fut sonnée, et une nouvelle bataille s'engagea sous les nuées de projectiles envoyés depuis les fortifications de fortune de la cité. En tête de peloton, Asuka usa de tout son savoir faire avec le métal pour protéger ceux qui la suivaient en enfonça rapidement les premières lignes intérieures, envoyant des myriades d'épées Kinton sur un régiment adverse pour créer un premier couloir d'entrée entre les bâtiments. Sa lance et son bouclier firent ensuite le reste, et ce des heures durant, tandis que la marée impériale se déversait dans toutes les rues d'Enrai. Ne pensant à rien d'autre que la survie et la victoire, pour elle, pour les hommes et femmes qu'elle menait, la valkyrie de lilas se força à ignorer les vies qu'elle prenait et ne s'arrêta que lorsque tout fut fini. Point de place à la réflexion et au recul au cœur d'une guerre si l'on voulait rester en vie, malheureusement, et ce fut avec grand peine que la Jisetsu ressentit le contre-coup de toutes ces morts causées de sa main, lorsque son ballet sanglant se termina enfin.

Après des heures de chaos indescriptible, un calme édifiant se fit à Enrai. Quelques pleurs et cris éparses résonnaient parfois, mais une quiétude mortelle s'était désormais abattue sur la ville. Traversant ses rues, badigeonnée du sang de ses innombrables victimes, Asuka arborait un regard absent, presque perdu, au delà de la simple fatigue. Tout autours d'elle, tout s'organisait selon le plan sans qu'elle ait à bouger le petit doigt. Une belle petite armée bien organisée. Arrivant sur la grande place centrale de la ville, où commençaient à être rassemblés les régiments capturés, la jeune femme détailla le visage de tout ces gens. De ses propres soldats, d'une part, mais aussi ceux des vaincus regroupés et forcés à s'agenouiller. Autant de vies, autant de volontés, réduites au niveau le plus grossier. C'en était presque insupportable pour elle. Mais alors qu'Asuka s'apprêtait à quitter la place après l'avoir traversée de part en part, une agitation localisée sous des colonnades sur le côté attira son attention. Deux femmes, une brune et une rousse, étaient en train d'être traînées de force, agrippées par les cheveux, pas un groupe de soldats impériaux. Tout le monde pouvait voir cette scène, apparemment insignifiante, se dérouler en marge, et personne ne bougea le petit doigt. Personne, sauf Asuka.

Toujours pleinement équipée, elle intercepta la petite procession en dévisageant femmes et soldats.

« Vous comptez faire quoi, là ?

- ...Mêlez-vos d'vos miches vous menez vot' guerre, on récolte les butins, c'comme ça qu'ça marche

- Pas sous mon commandement. » dit-elle sèchement en faisant pointer sa lance en diagonale vers le groupe.

Les soldats parurent comme interdits pendant un instant, les deux femmes écarquillant leurs yeux dans l'expectative de ce qui allait se passer. La plupart des hommes bloqués par la Jisetsu affichèrent un regard de chien battu, prêts à renoncer, mais le premier interlocuteur de cette dernière, trop fou ou trop aveuglé par la pression exercée par la bataille, n'entendait pas se laisser interdire quoi que ce soit. Beuglant en brandissant son arme, il fut accueilli par un coup du manche de la lance d'Asuka en plein visage, qui l'envoya valdinguer davantage vers la place. Les autres soldats se contentèrent de relâcher les deux femmes dont l'avenir proche semblait s'éclaircir un peu, mais la scène n'allait pas s'arrêter là. Meurtrie de colère, Asuka marcha d'un pas lourd vers celui qui avait oser insister pour faire valoir son droit au viol. Il rampait, vexé et blessé, sous les yeux de tous ses camarades en poste aux environs et des régiments de soldats capturés. Dans ses yeux ne se lut d'abord que la frustration et l'agacement. Une expression qui changea brusquement lorsque la pointe de la lance de la Jisetsu lui perfora le cœur d'un coup sec et précis. Le même mouvement qu'elle avait utilisé plus tôt dans la journée pour achever le général Seki. Les yeux du soldat s'écarquillèrent sous le coup de la surprise... et la mort vint étreindre ses yeux tandis que son sang rejoignait celui d'innombrables autres sur le pavé.

Retirant sa lance, Asuka dévisagea l'assemblée mixte devant elle. Elle allait continuer à patrouiller dans les rues, se dit-elle alors. La grande majorité des soldats et shinobis de son bord, elle le savait, n'étaient pas comme ceux-là. Mais si la fin de la bataille devait se livrer contre ses propres troupes à la morale déficiente, alors... ainsi soit-il.

La première phase de l'invasion, pour ce qu'elle en savait, se déroulait sans réel accroc. Cette guerre, comme toutes les guerres, comptait déjà son lot de morts en masse, mais pas plus qu'une autre. Ce constat, aussi simple et inévitable qu'il était, laissait Asuka songeuse. Elle, qui avait eut la chance, le talent, pour s'en sortir aujourd'hui encore, qu'est-ce qui la différenciait au fond de ces innombrables personnes tuées dès les premiers jours de la bataille ? Tenait-elle davantage à la vie ? Sans doute que bien des hommes et des femmes devaient avoir bien plus de raisons qu'elle pour s'y accrocher. Ses capacités au combat ? Un argument indéniable, qui restait toutefois noyé dans la possibilité qu'avait tout un chacun de s'entraîner et de se préparer tout au long de sa vie aux combats qu'il ou elle devrait mener. Car c'était là l'une des principales leçons que la valkyrie de lilas avait apprise de son mentor il y avait de ça des années : il était totalement futile de chercher à éviter la confrontation et la souffrance en pensant réussir. Et plutôt que de s'octroyer un quelconque répit, on ne faisait en général que se rendre faible et vulnérable en agissant de la sorte. Mais alors, tous ces morts, leur tord... aura-t-il été simplement de vouloir vivre en paix en pensant pouvoir se contenter de ce désir ?

La vérité était qu'il devait y avoir des morts. Une nécessité impérieuse, dictée par la simple loi du plus fort, portée à plus grande échelle. Quoi de plus normal, après tout, dans un monde naturel régit par cette règle universelle : la chaîne alimentaire, dans le milieu sauvage, donnait par défaut le grand détenteur des meilleurs droits sur la nourriture, sur le territoire, sur le confort. Lorsque vous insériez dans cette équation en apparence toute simple les émotions propres à l'Homme, vous obteniez toutefois un mélange bien plus complexe et retord à démêler, du moins en apparence. Toute combattante qu'elle était, Asuka tentait elle aussi de démêler une partie de cet imbroglio sanglant, sans toutefois y parvenir. Il n'y avait pas, pour l'heure, de réponse à formuler, d'excuses à faire ni de bilan à tirer.

Cela faisait plusieurs jours que Enrai était sous occupation impériale. Aucune contre-attaque n'était en vue, la faute bien sûr aux troupes que devaient également mobiliser Kaminari pour contrer l'offensive sur les Plaines de Fer à l'ouest, et Asuka rongeait son frein. Sans nouvelles, justement, des troupes de l'ouest, impossible pour l'armée stationnée ici, ni pour celle de Senun, de faire le moindre mouvement pertinent. Si Kumo devait être assiégé, ce ne serait en effet que via une attaque générale lancée de tous les points cardinaux à la fois, et après avoir sécurisé l'arrière. Accoudé à une table dans l'une des cantines improvisées dédiée à l'armée impériale, au milieu d'un grand restaurant, Asuka tapotait négligemment la table de son autre main en observant autours d'elle. La tension était palpable, même si un certain enthousiasme avait fini par s'installer chez tous ces hommes et femmes qui avaient survécu à la première bataille. Le pire, et la Jisetsu ignorait encore à quel point, était toutefois encore à venir. Car à son ceinturon, un parchemin finit par vibrer légèrement sous l'afflux de chakra à l'intérieur. C'était justement de ce parchemin qu'elle attendait des nouvelles. Mais pas ce genre de nouvelles. Car sitôt après avoir saisi et ouvert le petit parchemin en question pour en lire le contenu, qui commençait déjà à se ternir, Asuka dut se relever en repoussant violemment son tabouret en arrière pour reprendre le contrôle de ses émotions.

Rapidement, les hypothèses les plus invraisemblables germèrent dans sa tête. Le parchemin de communication aurait-il pu être confisqué par l'ennemi, trafiqué, détourné ? Elle savait cela impossible, grâce aux gardes-fou installés par Yanosa sur chacun de ces parchemins Fuuinjutsu, mais croire à ce dysfonctionnement parut à cet instant plus crédible que le message qu'elle venait de lire. A l'en croire... Kakeshuou Samui était mort, sur le champ de bataille. Et, fatalement, l'armée qu'il menait était désormais en déroute totale. Les yeux écarquillés, Asuka serra fort le parchemin entre ses doigts musculeux, manquant de peu de le broyer.

« … Fais chier. » dit-elle simplement, assez fort pour qu'une partie de l'assistance commence à la regarder avec insistance.

Elle rendit leur regard à ces hommes et femmes qui l'observaient comme un messie, dure, surprise, résignée. Toutes les conséquences de la disparition du Kamui ne tarderaient certainement pas à poindre, mais pour l'heure, une urgence. Celle d'un choix, qui n'en était pas vraiment un, et face auquel elle n'en doutait pas Yanosa agirait exactement de la même façon de son côté du front.

« Le front des Plaines du Fer et perdu, annonça-t-elle. La campagne... s'arrête ici. Finissez vite de manger, et regagnez rapidement vos postes pour préparer la retraite.

- ..Qu- Quoi ??! La retraite !? Mais nous avons gagné ! Il faut foncer vers Kumo et le frapper pendant qu'il en est encore temps !

- Oui !! Peu importe le front des Plaines ! Nous frapperons la Foudre tout aussi fort ! On ne laissera pas la mort de nos camarades déjà tombés perdre tout son sens comme ça !! »

Les plaintes se multiplièrent dans la cantine improvisée, sous le regard inchangé d'Asuka. Elle les comprenait, en un sens, mais leurs émotions leur dictaient des actes totalement suicidaires et dénués de bon sens. Il n'y aurait pas de victoire. Pas sans en l'absence de la moitié de l'armée... et de Kakeshuou.

« FERMEZ VOS GUEULES !! cria-t-elle fermement d'un seul coup pour faire taire l'assistance.

Vous voulez quoi, mourir ? C'est ça, le super plan ? Y a plus de victoire à prendre, c'est terminé ! Le Kamui est tombé au combat. On se replie, un point c'est tout. »

Sur ces mots, Asuka sortit en trombe de l'établissement tout en faisant un signe de la main à l'un des Capitaines, demeuré calme jusque là contrairement à la majorité des soldats. Elle savait ce gaillard là doué de sang froid, ce dont beaucoup manquaient cruellement. L'invitant à le suivre à l'extérieur, elle lui parla ensuite entre quatre yeux.

« Passe le mot aux autres Capitaines. On doit se mettre en route pour la plage dès ce soir. Décourage « fortement » les pillages. Si on veut que les navires tiennent le coup et que tout le monde rembarque on a pas que ça à faire de trimballer des bibelots. Je m'occuperai de laisser les clés des cages de prisonniers en évidence. Pas de massacres. Si on a le temps... on arrangera la disposition des corps sur les places. Ok ?

- Compris Commandant. »

Ainsi débuta la retraite d'Enrai. Et avant le départ final plusieurs heures plus tard, alors que la nuit pointait le bout de son nez, Asuka se rendit sur la place principale où avaient été agencés de nombreux corps emmaillotés dans des linceuls mortuaires, les morts de Kaminari. Et là, au milieu de cette sinistre fresque, la valkyrie déposa un parchemin sur la tranche, à même le sol. Un dernier salut, avant un départ qui sonnait comme une double peine.

» [C] Prise d'otage.
» Prise de conscience [Ao Rin]
» Décision prise [Solo]
» Prise de contact [Kurei]
» Prise de choix (pv Tsumei)

La prise d'Enrai

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