Le débat était terminé, et l’Héritier n’avait pu attester du retentissement que ce dernier avait pu avoir sur la population de Yuki no Kuni. Plus que Yamada Kioshi, une poignée d’hommes et de femmes s’étaient plus ou moins fièrement levés en entendant les paroles du Suzurane. Et cette quinzaine de personnes suivaient désormais le Borgne sur le côté de Dhartsedo. Chez ceux qu’il avait motivés, Hakyô reconnaissait certains visages familiers. Mais il ne fallait pas se leurrer : ce n’était pas avec un tel groupe – même si l’ancien chef de guerre pouvait compter sur un ancien Kage – qu’ils pourraient espérer renverser le Triumvirat nouvellement mis en place.

Deux petites barques, c’étaient là les seuls moyens de locomotion que le Suzurane avait pu ramener. A peine de quoi déplacer quatre personnes… Le Fils de la Montagne se tourna vers son compagnon d’armes, le Yamada.

─ Je t’ai vu t’approcher de l’Empereur, dit-il en pointant son seul œil vers l’ancienne Ombre. Cela m’a fait penser qu’en tant qu’ancien chef de Suna, tu as sans doute eu à faire à lui, par le passé…

Son regard se détourna de Kioshi, pour contempler l’eau froide qui s’étendait à perte de vue. Au loin, un bateau approchait. De sa main tranquille, le Suzurane caressa le pommeau de son épée.

─ J’ai un voyage à faire, tu peux disposer mais n’oublie pas ton pacte. Reviens-moi vite, Kioshi.

Sa main lâcha le manche de son arme pour venir se reposer un instant sur l’épaule de l’ancien Kazekage. Il arrêta alors de le regarder, le laissant libre de ses actions. Avait-il réellement eu un contact avec Samui Kakeshuou ? En tout cas une chose était sûre : Kioshi ne pouvait pas avoir oublié son pacte. Alors, Hakyô préférait croire en son compagnon de route qu’il avait aidé depuis plus d’une année.

Laissant certes derrière lui l’ancien dirigeant du village caché du Sable, l’Héritier faisait désormais face à la poignée d’hommes et de femmes qui avaient cru en son discours. Certains avaient reconnu leur ancien chef de guerre à l’époque où Kiri n’avait pas encore conquis le pays, d’autres haïssaient l’Empire du Shûkai… Qu’importe leurs raisons, c’étaient là les premiers combattants qu’Hakyô avaient « recrutés ».

Pourtant, c’est tout sauf un combattant que ce dernier pointa du doigt. En effet, le Borgne avait allongé l’index vers une petite fille, plantée au milieu de ses parents. Le père avait servi la Montagne en même temps qu’Hakyô. Il lui esquissa alors un sourire, avant que ce dernier ne soit effacé pour laisser place à un discours rapide.

─ Mes frères et mes sœurs, mes amis : c’est pour elle que nous nous battons. La petite Liza venait de naître lorsque Kiri a assiégé notre pays. Et aujourd’hui, la voilà aussi belle que sa mère, et aussi forte que son père, à devoir supporter la barbarie de ces dernières années.

S’il ne le trahissait pas, Hakyô était réellement ému de reconnaître un ancien frère d’armes dans ses maigres rangs, et qui plus est toujours entouré de sa famille. Un bonheur qui ne pouvait que servir de motivation.

─ Ceux qui m’ont connus à mon plus jeune âge pourront témoigner de mon irresponsabilité et de mon arrogance ! A cette époque-là, je n’avais pour moi que le fait d’être le fils de la Montagne ; mais les années passant, j’ai appris à aimer les miens, je me suis rendu compte de ma place. Je ne suis pas seulement né Héritier, je le suis devenu ! Et c’est pour nos enfants que je suis prêt à me battre ! L’Empire n’a rien voulu entendre, préférant s’appuyer sur leurs mensonges barbares ! Soit, nous aurons eu l’honneur d’user de ce qu’ils ne connaissent même pas : la diplomatie !

Derrière le Suzurane, le bateau s’était grandement rapproché. Plus grand que les deux autres, il semblait se désintéresser du port de Dhartsedo pour venir dans la direction du groupe. Le guerrier du Nord dégaina son épée.

─ Vous, qui êtes quinze à m’avoir suivi suite à mes mots, je vous promets…

Il planta sans hésitation son épée devant lui. Sa force, à cet instant précis, fut suffisante pour passer outre la terre glacée à ses pieds. Les mains libres, il écarta théâtralement les bras face à son auditoire. Derrière lui, le bateau touchait la côte. Il pouvait facilement accueillir une quarantaine de passagers.

─ … qu’ils seront dix milles à marcher derrière moi suite à mes actes !

Et non loin de Dhartsedo, on put entendre un « hourra » puissant. Une quinzaine de voix qui parurent en valoir des milliers…

***

Le bateau principal avait quitté Yuki no Kuni. A chaque flanc, les deux petites barques avaient été attachées à l’aide d’épaisses cordes. A bord, Suzurane Hakyô passa en revue ses effectifs. Chaque personne pu lui parler pendant au moins dix minutes. C’était l’occasion de faire connaissance, ou alors d’évoquer des souvenirs pour ceux qui le connaissaient déjà. Après un dernier clin d’œil à la petite Liza, il grimpa et alla rejoindre le capitaine.

─ Tu as tenu parole, mon ami.
─ Bien sûr, répondit avec un rictus le vieux Joraga. C’est toujours un plaisir d’voir qu’ma réputation de pêcheur me permet toujours d’avoir un bateau facilement.

C’était bien ça qu’Hakyô avait demandé à son vieil ami. Trouver un navire, et l’amener le jour de la rencontre avec l’Empereur... Si le bateau n’était pas celui d’une flotte d’un ninja caché comme Kumo ou Kiri, il restait un atout pour le Suzurane, qui pouvait amener avec lui ses hommes. Et si jamais il avait réussi à obtenir gain de cause auprès du Shûkai, alors ce bateau n’aurait été qu’un de plus pour la flotte de Yuki no Kuni. Mais au fond, aucun des deux hommes n’avaient placé de grands espoirs dans cette première entreprise.

─ La parlote a pas marché, c’est ça ? Qu’est-ce qu’tu vas faire maintenant ?
─ Ils sont prévenus, ils savent que je vais revenir. Et ça ne me dérange pas qu’ils le soient, leur défaite n’en sera que plus cuisante. Mais il faut se rendre à l’évidence, ce n’est pas à vingt qu’on reprendra nos terres, surtout face à une partie d’un Empire.

Le vieux pêcheur ne plus qu’acquiescer. Non seulement les compagnons d’Hakyô étaient inférieurs en nombre, ils ne gagnaient pas non plus sur le plan de la qualité des combattants. En effet, l’Empire comptait également sur le soutien de nombreux Suzurane. Qui ressortait du lot chez son ami, l’ancien Kazekage et Hakyô lui-même ? Mais après, c’était tout. En face, il y aurait probablement l’Empereur, les Samui, et des Suzurane…

Extirpé de ses pensées par la voix de l’Héritier, le vieil homme reprit ses esprits et se concentra sur sa navigation.

─ Sais-tu comment mon père, la Montagne, a réussi à gouverner si longtemps à tel point que la Daimyô elle-même le considérait comme le véritable chef de Yuki no Kuni ? C’est parce qu’il avait réuni les différents clans du pays, et qu’il était aussi respecté que craint. Jamais il ne perdit un duel.
─ Ouais j’ai d’jà entendu parlé de lui, un grand guerrier le bonhomme !
─ Le bonhomme… il disait ça aussi, s’amusa l’Héritier. Quoiqu’il en soit, c’est par sa seule force et son seul honneur qu’il en est arrivé à gouverner longtemps. Mais moi, je suis condamné à voir mon peuple faire une guerre qui n’est pas la sienne, à moins de m’asseoir sur mon honneur et d’aller quérir l’aide d’un autre pays.

Le Suzurane sentit soudain une main sur son épaule. Celle du pêcheur, qu’il trouva inhabituellement forte. Sans doute que ce qu’il avait à dire lui était important.

─ Votre père n’avait pas un Empire à combattre, mon ami.

Hakyô esquissa un sourire, puis ferma un court instant son œil fatigué.

─ Vous avez raison…

Lorsqu’il le rouvrit, sa décision avait été prise.

─ Cap sur le Pays de la Foudre !