« … »

Silencieux, taciturne presque – cela ne lui ressemblait guère. D’un geste presque las, Rin faisait couler son doigt le long des parchemins, prenant soigneusement en note les points importants abordés lors de cette entrevue avec l’art de ses sceaux. Ce n’était pas de la fainéantise, qu’on se le dise – son écriture naturelle était, tout au mieux, illisible. Parfois, certains le provoquaient pour dire que même ses sceaux chiffrés étaient plus simples à comprendre que sa calligraphie naturelle, mais il ne leur répondait que par un vague sourire. De la fumée. Telle une brume ignoble s’abattant en nuage autour de lui, Rin vivait dans la fumée. Un voile fin, imperceptible presque, qui pourtant l’isolait du monde. Il n’était pas comme les autres. Il n’était pas comme ces surdoués. Parfois, il en revenait même à douter de la pertinence de sa place aux côtés de Dame Miko, mais se reprenait rapidement. L’heure n’était pas à la dépression mais aux efforts. Toujours plus d’efforts. C’était son adage, sa façon de vivre même – il ne comptait guère décevoir la plus haute autorité du pays en se reposant sur des lauriers qui n’avaient aucune raison d’être…

Il soupira délicatement, s’attirant un regard de travers de la part de son voisin, alors que les salutations s’achevaient calmement. Libre. Si ce n’est pour longtemps, il était libre. Et que faire d’un temps libre, lorsqu’on est un Akimichi, sinon manger ? Un léger sourire fendit ses lèvres à cette idée, loin de la désinvolture innocente que trop faisaient passer pour un zèle excessif. Se précipitant presque dans les cuisines, il y salua respectueusement le cuisinier avant de prendre une assiette ou deux. Le geste noble, il commença dans l’ordre des traditions, complimentant la moindre bouchée de ses talents de cuisine. Oh, qu’il était loin de ce que savait faire n’importe quel membre de son clan – mais on ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Après tout… Ce n’était que Rin. Le ventre repus et le sourire aux lèvres… Il s’arrêta un instant, sortant un petit carnet et y scellant quelques mots : « Note à soi-même, les effets de l’alimentation sur les troubles thymiques, à explorer », sous le regard amusé de son Alma Mater. En parlant de cette dernière, d’ailleurs, il serait coutume de lui écrire une lettre pour s’enquérir de sa santé et la rassurer sur la sienne. Une sage pensée de plus qu’il garda quelque part dans son esprit.

La pluie. Il y a pour lui quelque chose de rafraîchissant à entendre le battement des gouttes contre les fenêtres, à sentir les moindres petites vies chercher à se protéger de cette dernière. N’était-elle pas un paradoxe sublime ? Vivifiante pour la flore et mortelle pour la faune. Il soupira une fois de plus, son sourire impeccable aux lèvres, avant de sortir dehors. L’eau cessait ses pleurs et prouvait le moment opportun pour une cigarette – sans compter qu’il avait entendu dire que Kimimaro était… « parti ». Son chaton préféré à lui. Il tira une légère bouffée sur son tabac, avant de souffler paisiblement. C’était toujours enivrant de plaisir que de voir ce dernier user de ses capacités félines. Il y avait ce quelque chose de… D’inhumain presque – bien qu’il ne s’agisse en rien d’une insulte envers son ami. C’était décidé, et ce depuis le départ, même si l’ensemble de ses pensées le long de sa cigarette ne furent qu’entériner cette décision. Il irait trouver son ami pour s’occuper quelque peu sur ce temps libre. Et quoi de plus simple pour trouver un chasseur-né que d’attirer l’attention de ce dernier ?

L’Akimichi se permit un petit rire sous le nez, avant d’assembler ses deux mains et augmenter légèrement sa masse corporelle – il ne voulait pas être trop grand, trop délabrant. C’était… Contraire à sa nature. Contraire à sa candeur naturelle. Il ne fallut que quelques pas de petit géant pour se faire remarquer, bien que Rin n’avait guère moyen de le savoir. Continuant presque aveuglément son trajet, cherchant à tout prix à ne pas abimer son entourage de trop, il rapetissa presque aussitôt à une taille normale, sa silhouette arrondie s’opposant à l’élancement gracile de son compagnon de jeu. Compagnon auquel il adressa un sourire sincère.

« J’étais sûr que tu finirais par me trouver, chaton. La chasse est-elle bonne aujourd’hui ? »

Oui. Il y a quelque chose de presque attentionné et paternel dans le regard du Médecin. Ce quelque chose qui hurle à l’amitié et au soutient. Ce quelque chose qui veut dire « tu peux tout me dire, tout me faire, je serais là pour toi ». Ce quelque chose de familial. Une déformation professionnelle ? Non. Il ne connaissait que… Trop de médecins qui n’avaient aucun scrupule. Plus une sorte de gentillesse naturelle, envers et contre tout. Dans un geste presque désinvolte, Rin s’approcha calmement, cherchant à caresser l’angle mandibulaire gauche de son ami, remontant de ses doigts délicats jusqu’aux arrières du lobe de son oreille. Il n’y avait… Rien. Aucun préjugé. Aucune virulence. Rien qui ne puisse ternir cette espèce de relation dysmorphe qu’ils entretenaient.

« C’est les autres qui m’ont dit que tu étais parti, alors je me suis dit qu’on pourrait tout aussi bien se rejoindre. J’ai ma soirée de libre si tu as des envies particulières. »

Il rigola doucement devant le ronronnement de son ami félin, avant de rigoler de plus belle – toujours dans le stoïcisme de son corps, devant l’escalade rocambolesque de Kimimaro sur son corps. C’était comme s’ils étaient tellement proche qu’au final, leurs corps n’étaient devenus qu’un élément du décor pour la communion de leur amitié. Une chose, comme une autre, que l’on pouvait exploiter librement afin de s’amuser ou se distraire, en sachant pertinemment que le second n’aura que faire de nos gestes et ne les considérera jamais comme déplacés. C’était… Serein comme attitude. Tellement différent de la clinique pure et dure où il s’agissait de toucher pour sentir les réactions du corps, recherche les moindres signes sémiologiques en faveur de telle ou telle atteinte. Il y avait une sorte d’allégresse dans leurs contacts. Cet on-ne-sait-quoi qui permettait de dire que oui, ils étaient proches. Enormément même – une relation qui ne s’est pas bâtie en l’espace d’un jour. Une relation basée sur un respect et une compréhension mutuelle.

Entraîné par le ton enjoué de son chaton, Rin se dirigea dans la direction indiquée sans la moindre hésitation. Il faisait confiance aux capacités de senseur du Gekei – le contraire s’opposerait à toute logique. La pluie ? Un léger sourire traversa son visage : il fallait bien plus au félin pour être perdu dans ses chasses, et il ne le savait que trop bien. Ils avaient essayé de chasser ensemble un jour, Kimimaro au corps et Rin à l’arc. Une chasse déplorablement mémorable, mais un excellent moment entre amis et des anecdotes à raconter pendant quelques temps encore. Discrètement, le Médecin regarda son ami tout en suivant religieusement les instructions qui lui étaient données. La modification oculaire était certainement, d’après les observations innocente du grisâtre, la chose qu’il était le plus compliqué de contrôler. Cela pouvait s’expliquer par de nombreuses hypothèses, comme la vascularisation plus importante des globes retrouvée chez les membres de ce clan, ou encore le développement presque inouï des canaux et récepteurs au Chakra dans cette partie précise du corps. Enfin, l’explication simpliste restait tout simplement qu’on ne pouvait voir ses yeux sans miroirs, donc ils échappaient aux développements cognitifs d’inhibition frontale du comportement volontaire.

« Hmmm. Rien de particulier je pense. Il y avait une réunion interminable sur la prévention des risques liés à l’eau dans les villages limitrophes d’Ame. Si le sujet méritait d’être soulevé… Disons qu’il y a eu beaucoup de discussions pour peu de résultats. Et après je suis allé grignoter quelque chose ! Si tu veux, je dois avoir un peu de nourriture scellée encore. Et toi ? J’imagine que ça a dû être plus palpitant. »

Il y avait une candeur enfantine à leurs discussions, tellement vides et dénuées de sens – pourtant la raison était simple, ils toléraient tous les deux le silence. Rien de gênant. Rien de crispant. La présence de l’un suffisait à l’autre – du moins, c’est comme ça qu’interprétait leur relation le scientifique. Suivant une fois de plus les indications du félin, Rin se baissa, fixant attentivement le spectacle que déballait son ami devant lui et… Pendant quelques instants, minutes même, l’Akimichi n’était plus là. Sourire béat sur le visage, il était perdu dans la contemplation de la petite famille se dressant devant lui, insensible au reste du monde. Il avait en lui cette délicatesse aigre qui appelait à la nature en permanence, et il ne pouvait s’obliger à décoller ses yeux des petits renards présents devant lui. C’était l’un de ces moments si particuliers dans la vie où tout s’arrêtait et n’existait que la beauté de la nature à l’état brut. L’un de ces moments précieux où personne n’était Shinobi. Non – tous les hommes étaient égaux face aux lois sévères de la nature, et il était de leur devoir de rendre leurs hommages par de telles contemplation.

Ce n’est que quelques minutes après, quand un bruit difficilement identifiable perturba la mère protectrice, que Rin se tourna vers son ami.

« Chaton… Merci de m’avoir amené ici pour observer, c’était… »

Aucun mot ne pouvait décrire ce qu’avait ressenti le Médecin. Aucun n’avait la force. Aucun n’avait la portée. C’était un abysse de sensation qu’il était nécessaire d’éprouver pour comprendre.

« Tu es passé ici avant pour savoir qu’ils étaient là ? »

Rapidement, le pragmatisme scientifique avait hélas repris le dessus sur notre homme, à son propre grand damne. D’un geste serein, il attrapa le carnet dans sa poche et commença à relire rapidement les quelques notes qu’il avait prise sur son ami, sous le consentement de ce dernier.

« Compte tenu de la distance, des conditions atmosphériques et topologiques, nous devrions être en dehors de la zone que tes sens couvrent en règle générale. Je dirais environ vingt pourcents d’amélioration de tête. »
Machinalement, Rin porta son pouce droit à sa bouche, opposant sa phalange distale à ses lèvres. Les hypothèses fusaient dans son esprit les unes après les autres, et la Médecine appelait en lui à découvrir laquelle était la vraie.

« Est-ce que tu pourrais t’asseoir calmement et essayer de ressentir ce qu’il y a autour de toi, tout en me le décrivant ? J’ai besoin de vérifier quelque chose avec mes observations précédentes. »

Le ton enjoué de Kimimaro avait quelque chose de rassurant pour l’Akimichi qui, tout compte fait, avait l’impression d’être un charognard – silencieux et presque immobile, observant sa proie avec les yeux luisants de curiosité. Il n’y avait rien de dégradant à ses yeux à étudier quelqu’un ou quelque chose – cela faisait avancer ses connaissances et lui permettait d’être plus efficace. Pourtant, il y a toujours eu quelque chose qui le dérangeait dans l’observation simple – l’inactivité. De son doigt, il glissait sur son carnet à prendre de nouvelles notes tandis que les aspects félins du Gekei reprenaient le dessus progressivement alors que ce dernier s’adonnait à l’exercice. Les hypothèses, constatations et conclusions se battaient presque, à travers les petits sceaux, pour arriver sur le papier tant il y en avait – son ami était un être exceptionnel après tout, même dans le monde des Ninjas. La frontière du respect était fine, et il était primordial pour Rin de considérer son chaton comme un ami qui accepte d’être observé et non pas un sujet d’étude. Il y avait une notion déshumanisante et presque perverse – dans le mauvais sens – à considérer un autre être humain comme un simple moyen pour faire avancer la science. Certainement la raison pour laquelle Rin utilisait son propre corps de prime abord.

« Un cercle de quarante mètres… »

Rapidement, l’Akimichi se releva, quelque peu pensif. L’évolution serait-elle moindre que ce qu’il avait calculé à l’instant ? C’était douteux comme résultat, et il s’empressa de noter, rayer, rajouter quelques flèches. Relevant la tête quelque peu, il adressa un grand sourire à son ami, de plus en plus félin. C’était quelque chose qui l’a toujours étonné, cette capacité du clan Gekei à devenir animal – pourtant, lui-même possédait un pouvoir qui jouait sur le corps et son apparence, mais de façon bien différente. Sur la comparaison qu’il avait déjà eu l’occasion de faire, les mécanismes physiologiques des deux pouvoirs gardaient une similitude – il y avait certainement un point commun lié au Chakra. C’est la génétique qui jouait entre eux, l’un héritant de gènes animaux s’exprimant plus ou moins à l’alimentation en énergie, l’autre la possibilité de manipuler son métabolisme dans des proportions excessives. Et s’il ne se trompait pas sur son approche, il était possible de…

« La précision de ce que tu ressens augmente progressivement, mais il y a deux grandes hypothèses actuellement. »

Il montra le signe avec sa main, comme pour étayer à l’oral ce qu’il avait déjà noté au niveau de son carnet.

« Premièrement, tu laisses plus libre court à tes capacités claniques et c’est un effet direct. Deuxièmement, la pénétrance génétique de ton patrimoine félin est plus importante avec l’âge, ce qui te rend plus félin de façon… Naturelle je dirais. De toute façon, je dirais à priori qu’il y a une meilleure synchronisation Chakra-Cellule dans ton corps, ce qui potentiellement… »

Il soupira calmement, son sourire toujours plaqué au visage. Lorsqu’il parlait de félinisation, de gènes, de toutes ces choses tellement cliniques et froides… Il n’y avait rien de la froideur qu’on pouvait deviner. Rien du jugement qu’il serait si simple de proférer à d’autres. Non – ce n’était que cette attention presque paternelle, une fois de plus, envers son ami. Il pensait pouvoir aider. Pensait pouvoir l’améliorer. Et il y avait une façon simple de savoir jusqu’à quel point pouvait aller cette synchronisation, et il savait exactement lequel.

« Nous sommes loin du palais de Dame Miko chaton, mais je pense que c’est réalisable. Il faudrait que tu essayes de me dire ce qu’il y aura au diner. Enfin, que tu le retrouves à distance – je le sais donc je pourrais te dire si tu as raison. »

Certaines études menées par d’autres, dont Rin avait eu notion durant son voyage, prouvaient de façon plus ou moins cohérente que plus l’on focalisait nos capacités sensorielles sur un objectif précis, plus ces dernières s’affutaient jusqu’à gagner la possibilité d’ignorer le reste des stimuli qui arrivaient. C’était certainement un dépistage des progrès plus spécifique, et peut-être plus sensible également – car après tout, la remarque avait été faite sur Kimimaro suivant une piste sur une longue distance.

« Si tu n’y arrives pas – la distance est peut-être un peu trop grande – nous n’avons qu’a nous rapprocher progressivement jusqu’à ce que tu y arrives. Qu’en dis-tu ? »

Le sourire, presque enfantin, du Médecin, ne faisait en rien voir l’expérience clinique se situant derrière la chose. C’était plus un jeu. Plus une exploration innocente – comme lorsqu’ils en étaient à voir jusqu’à combien de mètres il pouvait agrandir l’un de ses bras ou son corps entier. Apprendre en s’amusant. Une contamination par sa passion qu’il pensait innocente.

Le regard amicalement amusé, Rin observa son ami s’afférer, enjoué à son habitude, afin de remplir les conditions du jeu. Il y avait quelque chose de presque indécent à l’agilité excessive du félin, bien loin des mouvements parfois embourbés de l’Akimichi. Oh, bien sûr, lorsqu’il s’agissait d’une lutte acharnée au corps à corps, ne serait-ce qu’en entraînement, ils n’avaient chacun rien à envier à l’autre. Là où Kimimaro esquivait et jouait qu’une vitesse perturbante, Rin possédait une résistance et une force brute bien ancrées dans la tradition de son clan. Telle la montagne, il ne cédait à aucun coup. Le médecin soupira délicatement, luttant contre l’envie de fumer à ce moment précis. Rajouter une odeur confondante dans l’effort que devait certainement fournir le haut-perché n’était pas correct, et il se doutait bien que les sens félins n’appréciaient guère le tabac. Lui-même, à vraie dire, commençait à se rendre compte des effets néfastes d’une consommation excessive – motivant une diminution progressive et modérée de la distraction. Le geste. C’était le geste qui le maintenait prisonnier.

Lorsque son chaton revint enfin, Rin s’arrêta un moment avant de lui adresser un grand sourire de plus, le regard désolé.

« Désolé chaton, mais tu t’es trompé. Ensuite, je ne dirais pas non à du Kare raisu… Mais ce n’est pas la question. »

Non, il ne s’en rappelait que trop bien – la nourriture était sacrée pour lui et les membres de sa famille après tout. C’était du Okonomiyaki qu’il y avait au menu aujourd’hui. Un Okonomiyaki riche en gingembre et lardons, relevé exactement comme il le faut dans un plaisir gustatif digne des plus grands cuisiniers du pays, qui se trouvaient être là. Oui, rien qu’y pensé redonnait faim au gourmet. D’un geste serein, il secoua la tête.

« Le palais doit certainement être trop loin, mais… On pourrait essayer quelque chose à la limite encore. »

D’un geste minuscule, Rin invoqua un crayon en bois qu’il attrapa entre ses deux doigts, s’orientant pour que ce dernier se trouve exactement en face du visage de Kimimaro, à quelques mètres.

« Il y a beaucoup de choses qui peuvent te confondre ici, non ? J’imagine que c’est pour ça que tu as choisi d’aller en hauteur. Alors voilà ce qu’on va faire. »

Il soupira calmement. Pour avoir parlé avec quelques spécialistes de Sensorialité au cours de son voyage et de son temps passé en tant que Ninja, le médecin ne savait que trop bien à quel point le vide spirituel et le calme intérieur étaient importants pour explorer au maximum des capacités sensorielles à l’aide du Chakra. Ce n’était pas une question d’utiliser ce dernier pour bloquer tout ce qui arrivait en plus, non. Il fallait plus tellement focaliser ce dernier sur un point unique qu’il cessait de circuler ailleurs – à l’instar d’une réaction vagale du corps qui arrache le sang au cerveau pour remplir les jambes, seulement à l’envers.

« Tu vas te concentrer à l’aide de ton Chakra sur ce crayon, jusqu’à ne percevoir que lui et uniquement lui. Quand tu y seras… Il faudra essayer de reporter cette concentration sur le palais. »

Si cette expérience-là échouait également, l’hypothèse de la distance serait à reprendre et il faudrait se rapprocher – pourtant, il y avait dans le ton attaché du médecin quelque chose de plein d’optimisme et d’encouragement. Oui, Rin croyait au succès de l’entreprise.

« Je peux… Je peux fermer mes yeux. Si tu veux. »

Le médecin hocha la tête d’un geste déterminé quand son ami lui affirma qu’il pouvait garder les yeux ouverts, ne laissant pas la sensation de gêne à avoir de tels soucis. Non – le goût de la science revenait rapidement, balayant tout sur son passage. Concentré et attentif, il observait en silence Kimimaro s’ateler à la tâche demandée. Si les modifications morphologiques du Gekei étaient impressionantes et méritaient, soigneusement, toute l’attention de Rin, il se sentirait coupable de tellement se focaliser sur ce genre de choses. Toute une vie… Toute une vie cela a dû lui valoir d’être discriminé. Obligé de se cacher. De renier ce qu’il était. Les enfants sont des créatures cruelles, et l’Akimichi lui-même en avait longuement fait les frais durant son passé… Non une fois de plus – il secoua doucement la tête pour empêcher de douloureux souvenirs de venir parasiter son esprit et se focalisa sur son chaton qui commençait à décrire, progressivement, ce qu’il ressentait.

La finesse sensorielle, à une si petite distance, était phénoménale. S’il devait le comparer, Kimimaro arrivait, à condition de se concentrer maximalement sur quelque chose de précis, à égaler les plus grands experts de Sensorialité qu’il était donné de fréquenter au docteur – et Kyuubi sait qu’il en a fréquenté durant ses voyages et son service auprès de Dame Miko. Le bois était connu pour garder les odeurs, les particules de ces dernières s’infiltrant avec aisance dans la structure poreuse et effeuillée de ce dernier, mais de là à trouver ce qui avait été mangé il y a deux jours… Rin hésita à se passer la main dans les cheveux, un léger rose lui tapant sur les joues devant l’aveu de sa gourmandise : c’est ce qu’il est, après tout. Un bon vivant. Quant à la cigarette… Il serait sage d’arrêter un jour. Certes.

Alors que le Gekei reposa ses yeux sur l’embourbé, Rin lui adressa un léger sourire ancré dans le flegme de son comportement général. Pourtant, il était évident que ce sourire voulait dire une chose, qu’il avait réussi. Cette étincelle presque luisante dans les yeux, cet air toujours aussi paternel et attentionné qui, plus distant du père protecteur, affichait plus un père fier des accomplissements de son enfant.

« En effet, c’est bien des Okonomiyaki. Et crois moi, ils sont bons ! »

Rangeant son crayon – qui tout compte fait servait plus de décoration que d’autre chose – Rin porta son doigt sur son carnet après avoir composé quelques Mudras et commença à noter quelques observations. S’il savait que personne ne les lirait probablement, il préférait ne serait-ce que par égard de la confiance que lui portait le Gekei, les chiffrer à l’aide de ses sceaux pour que n’importe qui ne soit pas capable de les lire. Ce n’était pas quelque chose qu’il faisait régulièrement en les prenant, mais lorsque l’intérêt de ses amis y était… Aucune sécurité n’était trop importante. Et tandis qu’il écrivait, doucement, il releva sa tête vers le félin pour lui faire un résumé qu’il espérait simple – parfois, l’entrain de la recherche le consumait et le rendait incompréhensible.

« Je pense, chaton, qu’on peut dire que tes capacités sensorielles s’améliorent de façon importante. Si les traits de Gekei persistent durant l’épreuve, je me demande honnêtement quelle est la part du totem et quelle est la part de la pratique dans cette progression - si mes hypothèses précédentes sur la synchronisation Chakra-Cellule avaient été correctes, tu te serais presque transformé complètement avec l’effort demandé pour arriver à ce résultat, pourtant tu en étais encore loin… Même si j’ai l’impression que tu ne t’en rends pas forcément compte. »

Une pause pour une brève inspiration, tandis que son doigt continuait de noter strictement tout ce qui avait été vu, compris, interprété aujourd’hui, suivant toujours le même code et le même schéma.

« Ce n’est qu’une hypothèse, bien sûr, mais je pense que si l’on trouvait le moyen de sceller le totem en toi… Tes capacités sensorielles n’en seraient pas énormément modifiées. Contrairement à ton Taijutsu qui garde une importance majeure de ton côté Gekei. Bien que je puisse admettre que si tu faisais le choix de t’y exercer en respectant quelques limites, tu pourrais obtenir le même effet dans cette discipline. Tu le sais, ça fait un moment que l’on se fréquente et tes progrès ou évolutions, même petits… Je les vois. J’ai besoin de les voir pour rester un bon médecin, c’est le détail sémiologique qui nous oriente vers une pathologie plutôt qu’une autre appliqué à de l’entrainement ! »

S’arrêtant une fois de plus, Rin adressa un grand sourire à Kimimaro avant de ranger son carnet. Il ne faisait pas ça pour considérer un ami comme sujet d’expérience, non – il ne voulait que suivre les progressions de ce dernier et les optimiser par le biais d’un rationnel scientifique. Tout est rationalisable, de toute façon : nombre d’études dont les siennes tendaient vers cette conclusion.

« Aller, on fait la course pour voir qui rentrera le premier au palais ? »

Rin hésita un instant quant à la réaction à avoir face aux confidences de son ami. Cette approche était complexe et on ne peut plus délicate, et s’il n’osait dire qu’il comprenait exactement ce que ressentait Kimimaro, il avait la proximité avec ses capacités Akimichi. Lui aussi s’imposait des limites pour éviter de blesser les gens autour de lui, de détruire de façon involontaire. Il hésita à caresser sur la tête pendant quelques instants, mais arrêta sa pensée avant même d’avoir initié son mouvement. Ce n’était pas de ça dont avait besoin son ami. Il avait besoin d’un soutien moral implacable. De quelqu’un capable de le rassurer. De le comprendre. De le conseiller. Et c’était Rin qu’il avait choisi pour être cette personne. Soupirant calmement, le médecin lui adressa un grand sourire désolé.

« Tu le sais mieux que moi je pense… Ton côté félin est une partie de ta nature, et en le réprimant… Je ne t’en ai jamais parlé parce que j’ai toujours estimé que ce n’était pas à moi de te le dire, que tu le réaliserais. Aujourd’hui pourtant… Aujourd’hui je ferais cette exception. »

Il prit une grande inspiration avant de commencer sa tirade, espérant qu’elle saura atteindre la raison de son chaton, ou à défaut son cœur.

« Les temps ont changé chaton. Personne ne te regardera de travers pour ce que tu es – et si jamais quelqu’un est suffisamment bête et arriéré pour le faire, je sais que tu serais on ne peut plus capable de lui montrer à quel point il est en tort. Tu n’as pas un animal. Tu n’es pas une bête sauvage. Tu es un Shinobi et c’est une partie de tes talents que les autres ne peuvent que jalouser car ils sont innés. Et si jamais quelqu’un vient te provoquer là-dessus, adresse-le moi en consultation que je le termine. »

Il lui adressa un léger clin d’œil, sous-entendant largement qu’il serait juste d’user d’un peu de force contre les plus idiots du coin, surtout quand il s’agissait de tels domaines. Trop de souffrance. Trop de freinage. Trop de barrières auto-imposées. C’est de liberté qu’avait besoin Kimimaro, et Rin était prêt à en être le garant.

« Plus tu essayeras de réprimer ton côté félin… Plus il sera saillant. Les gens verront que tu cherches à le cacher et réagiront à ce qu’ils voient. Comme moi dans l’enfance avec mon obésité. Comme tant d’autres… Porte haut et fort tes couleurs et ne pensent pas à ces inconnus. Et surtout. Surtout. Surtout. N’ai pas peur d’embrasser cette partie de toi. Cela fait très longtemps, tu le dis toi-même. Alors essaye pour voir ce que ça peut donner. Ne serait-ce que progressivement, un peu plus chaque jour, jusqu’à ce que tu trouves un équilibre qui arrive à te satisfaire. Et n’hésite pas à me demander de l’aide, car je serais toujours là pour toi. »

Prenant une courte pause, Rin regarda vers le ciel pendant quelques instants avant qu’un léger rictus ne vienne tordre son visage.

« Le chaton et la montagne. Ça ferait un jolie titre de livre, tu ne trouves pas ? »