Essoufflé à force de crapahuter dans les ruelles du centre-ville, Fuusho aurait bien abandonné depuis longtemps si ce n’était pour trouver un nouveau havre de lecture. La plupart des tomes qu’il avait amassés tout au long de ces derniers mois ne le satisfaisaient plus. Il lui fallait à présent un livre bien particulier... à vrai dire il ignorait ce qu’il souhaitait précisément, sinon le genre d’ouvrage que vous ne pouviez tout bonnement pas laisser sur place après l’avoir feuilleté.

Deux heures, six crises de nerfs et douze clopes plus tard, l’oasis apparue enfin. Vieille bicoque bancale à la façade délavée, l’établissement qui affichait « Bilbiothèque Okuzuke » n’effraya en rien notre fumeur, habitué à trouver de véritables perles dans des endroits bien plus vétustes que celui-ci. Les gongs grincèrent pour indiquer sa présence au gérant, mais Fuusho n’attendit pas l’apparition du dit propriétaire pour flâner dans les rayonnages : la traque venait de débuter⁽¹⁾.

- « Oh ! Non mais vous n’êtes pas bien !? Il est interdit de fumer ici enfin ! » Tonna une voix féminine, alors que le trentenaire tournait les pages de sa première victime. Laissant échapper l’ouvrage, il tira une dernière bouffée avant d’étouffer son unique liberté supposée dans une petite boîte.

- « Désolé, désolé. C’est devenu… mécanique, chez moi. Désolé », s’excusa-t-il, tout penaud. Plus surpris d’avoir inconsciemment gardé une roulée aux lèvres que par l’intervention de cette binoclarde ; qui semblait n’être ni plus moins que la bibliothécaire. Il partait du mauvais pied s’il espérait pouvoir emprunter un bouquin gratuitement… .

- « Mouais. Je vous ai à l’œil, gaffe ! » Son doigt pointé vers Fuusho ponctua l’avertissement tout en laissant entrevoir, avec un peu d’imagination, avec quelle cruauté elle pourrait le lui faire regretter si elle l’y reprenait.

Encore confus par la réprimande, il replaça le livre à sa place et se dirigea vers un autre rayon, de préférence assez éloigné de cette furie. Suivant du regard son index voguant d’un dos à un autre à chaque nouveau pas, il termina son avancé dans le dos un grand brun. La rencontre lui arracha un « Ouch ! » d’étonnement plus que de douleur, promptement suivi d’excuses. Sans transition, il écarte l’homme du bras et agrippa le tome derrière lui.

- « Fûinjutsu, la maîtrise sacrifiée. » Le titre lui échappa d’un murmure avide de connaissances. Il l’avait finalement trouvé, son inestimable récit.


⁽¹⁾ Oui, pour Fuusho chercher un livre revient à chasser une proie.

Impoli non, mais plus long oui. Le mouvement de bras pour l’écarter lui avait paru plus simple, sur l’instant. Et il devait composer avec les questions de l’inconnu décidemment très curieux. Le manque cruel d’assurance de Fuusho ne lui permit aucune répartie percutante, pourtant, un « Qu’est-ce ça peut t’faire ? » ou autre sens de l’à-propos aurait été du plus bel effet.

- « Pour étudier… » riposta-t-il finalement, avec toute l’honnêteté et la timidité dont il était capable. Un regain d’audace lui arracha tout de même une note d’humour, « un peu trop épais pour être fumé… le papier », avant de s’éteindre aussitôt.

Les yeux rivés sur le bouquin, son envie de le lire resta intacte. Quels mystères pourrait-il lui apprendre ? Combien de barrières lèverait-il ? De théorie démontrerait-il ? Ce livre pouvait répondre à bons nombres de questions et lever bons nombres de limites quant à sa maîtrise du Fûinjutsu. Un joyau voué à prendre la poussière si personne ne lui offrait le luxe d’être feuilleté. Et ça, Fuusho se l’interdît.

- « Et vous ? Vous voulez en faire quoi ? Je vous cache pas que ça m’emmerderait bien de m’arrêter à sa couverture… . » Le sourire niais qu’il afficha contrastait avec sa nervosité intérieure, l’anxiété de ne pouvoir bouquiner ne fut jamais aussi forte. Les arguments pour l’obtenir se bousculèrent alors dans sa tête.

- « L’Alliance ne tend-t-elle pas vers un perfectionnement constant de sa force armée ? Chacun ses méthodes pour s’entrainer et gagner en compétences. Eh bien moi, c’est la lecture. Si pour vous, ce livre ne représente qu’une succession de jolis dessins, comme tu dis⁽¹⁾, c’est que son potentiel t’es totalement inconnu. Pour ma part j’aimerais assez me faire ma propre opinion en l’empruntant... aujourd’hui… maintenant… tout de suite ? Vous permettez⁽²⁾ ? »


⁽¹⁾Il est passé au tutoiement.
⁽²⁾Pour revenir au vouvoiement. Il n’est pas tout seul dans sa tête /o/… .

Les paroles de l’officier décomposèrent le visage de Fuusho. L’Ordre et la Rigueur personnifiés venaient de souffrir de son irrespect et le lui faisaient clairement comprendre. Ses rares tentatives de prendre la parole se noyèrent alors dans le débit et la réprimande d’Arekushi. Et la dernière question paraissait tout à fait justifiée.

- « L’analyse n’est clairement pas mon fort… » commença-t-il, tout en prenant conscience de sa récente attitude, « je suis Yuuryo Fuusho, veuillez m’excuser pour vous avoir manqué de respect Arekushi-sama, mais la lecture est le seul domaine qui me procure un sentiment de réelle curiosité et retient mon attention… ou presque le seul. Ne pouvoir assouvir cette curiosité me frustre au point de perdre le contrôle sur mes mots. »

Il avait dépassé les bornes et cette pseudo-excuse sur sa dépendance à la lecture ne l’exemptait d’aucune façon. L’Ordre ne lui offrait qu’une seule porte de sortie : le fatalisme face aux conséquences. Conscient du sacrifice qu’il allait s’infliger, le fumeur replaça le livre dans le rayonnage. Son interlocuteur avait raison -et de loin- : l’apprentissage avant la connaissance. Fuusho repensa alors à l’une des phrases de l’officier, peut-être partageaient-il la même passion des livres ?

-« Vous avez vraiment tout lu ? » Lui demanda-t-il tandis qu’il le suivait jusqu’à un bureau. « C’est incroyable ! J’ai beau dévorer les livres, je ne pense pas pouvoir arriver au bout de cette bibliothèque avant au moins… toute une année !? Quel est votre secret ? » Puis objecta aussitôt « Non ! Dites rien ! Cela casserait le mythe naissant… . Puisque vous avez tout lu, y’aurait pas quelques pages pour m’aider sur mon comportement ? J’veux dire, par rapport au Shûkai. Je comprends tout à fait les raisons qui poussent notre village à régir l’ensemble de la population par des lois strictes, encore plus sur nous autres : shinobi. Mais… j’ai clairement du mal à m’adapter à cette situation. »

L’instant d’une respiration, comme suspendu aux possibilités d’une simple question, le temps s’offrit une césure, un battement à travers son écoulement, une hésitation qu’il permettait au fumeur. Mais ce dernier n’en tint pas compte.

- « Faute de livre, vous autoriseriez-vous à m’apprendre quelques subtilités de la vie dans l’Alliance ? » Finalement, l’invitation était lancée.

- « Hof-heim-heim ? » Se répéta-t-il pour s’assurer de la bonne prononciation. « Connais pas… ». D’un autre côté, les quelques semaines passées au Shozachi ne lui offrirent que de rares connaissances limitées aux bars, vendeurs de tabac et zones d’entraînements pour les nouvelles recrues. Mais l’invitation à un échange sur leur art commun lui apparut intéressante, une rencontre portée par leur maîtrise des sceaux lui en apprendrait sur ses propres capacités. Car aux yeux de Fuusho, l’expérience restait la voie la plus profitable pour l’apprentissage d’une discipline.

Suivant les recommandations de l’Archiviste, il récupéra le livre jaune proposé. « Marques d’Introduction » lu-t-il sur la couverture, une sorte de préambule ou d’initiation aux sceaux et autres marques chakraiques qu’il s’empressa de feuilleter. « Vous c’est quoi vot’ domaine de prédilection ? » Le questionna-t-il alors qu’il parcourait un paragraphe sur le mélange des capacités à travers l’utilisation des sceaux. Un texte quelque peu abstrait qui semblait pourtant ouvrir pas mal de possibilités à qui savait les mettre en place.

- « Après plus de trente années de recherche, je ne me suis découvert aucune affinité particulière dans les arts shinobi… hormis un début d’harmonie avec le Fûinjutsu. Autant dire que ça risque d’être long avant d’en découvrir une au….» Le cri strident de la bibliothécaire l’interrompit et fut immédiatement suivi par une plainte, tout aussi criarde « Enfoiré ! Au voleur ! »

Son attention se porta alors sur Arekushi. Nul doute que l’Ôda devait intervenir, mais lui n’en faisait pas parti. Après tout, Fuusho n’était qu’un indécis parmi d’autres, un grouillot de base voué à se faire aboyer dessus des ordres jusqu’à ce qu’il intègre l’un des trois axiomes du triumvirat ou que mort s’en suive. La seconde option étant, à ce jour, la plus probable… .

- « Vous savez… moi et la course… » s’essaya-t-il d’argumenter, mais le regard de l’officier en dît long sur ses intentions. Résigné, le fumeur posa le livre sur la table et commença déjà à regrette les roulées qu’il s’était allumé quelques instants plus tôt.

- « Après vous Arekushi-sama. ».

« Suffit de mettre un pied d’vant l’autre » qu’on lui avait dit. Et la fatigue dans tout ça, hein !? Ce on s’était bien foutu de sa gueule… . Toute logique venait de l’abandonnait, ainsi que l’envie de pourchasser ce voleur. Et puis, à tous les coups, le dit voleur n’en était pas un. Lui-même n’avait-il pas souffert d’un immense malentendu, il y a quelques années, à Kumo ? Bien que dans son cas, il s’agissait d’un livre et non d’argent… m’enfin, et la présomption d’innocence là-dedans !? Bon d’accord… il y avait un témoin… et vu les carreaux que portait la bibliothécaire au bout de son nez, nul doute qu’elle avait très nettement aperçu le fugitif, jusqu’au moindre petit détail de sa physionomie.

- « Quelle idée… de voler… la caisse… » Suffoqua-t-il à chaque nouvelle enjambée, il en perdit même la notion du temps. Combien de minutes, voire d’heures, s’étaient écoulées depuis leur départ du bureau ? En réalité, aucune ! Et il le comprit dans la douleur lorsque la vraie course débuta, initiée par un « Allons-y ! » vigoureusement assumé.

- « Eh merde… » expira-t-il alors qu’il emboîtait le pas d’Arekushi. Et disons le franchement, l’entretien physique de fumeur ne lui permettait aucunement de rester sur les talons de l’Archiviste. Le fait que la poursuite l’emportait vers le bas de la ville ne l’aida en rien. Car dès le deuxième virage à travers les ruelles, il les perdit de vue, le gamin tout comme son supérieur. « Arekushi-sama ? » tenta-t-il sans trop de conviction en déboulant sur l’intersection suivante.

Sa situation était des plus déplorables, il venait de perdre la trace des deux hommes tout en se perdant lui-même. Il ne connaissait aucunement le quartier où il se trouvait actuellement et son envie irrépressible de vouloir les retrouver, -comprendre : à tourner au hasard de chaque nouvelle intersection- l’éloignait un peu plus d’eux.

Dans une lueur d’intelligence (et une ascension pénible) il grimpa sur le toit d’une bâtisse. Sa position lui offrit alors une vision relativement dégagée sur la ville en contrebas, notamment sur le mouvement de foule que créait la course poursuite entre Arekushi et le voleur. Il n’était pas si loin finalement et pouvait tenter de les rattraper.

- « J’vais crever ! J’vais crever ! j’vais creveeeer » hurlait-il à chaque nouveau saut effectué entre deux toits. Le destin s’abattit finalement en lui dérobant une tuile sous son pied, juste avant l’impulsion suivante… . La chute lui arracha deux « Aoutch ! » simultanés, dont l’un n’était vraisemblablement pas de lui⁽¹⁾… .

⁽¹⁾Je te laisse décider si le second Aoutch est le tien, celui du voleur, ou d’une autre personne ;].

Non, le vol qu’il effectuait à l’instant n’était pas de son ressort, Fuusho ne venait pas de se découvrir une quelconque capacité héréditaire, rare ou tout simplement innée. On l’avait lancé. Ou plus précisément, Arekushi, l’homme sur qui il tomba, au sens propre du terme, quelques instants plus tôt, venait de le catapulter… . Bras écartés, Fuusho récupéra "le paquet" , comme le lui avait si gentiment demandé l’Archiviste. Enfin… il lui atterrit dessus.

Et comme les sauts de vitesse ne lui seyaient guère -à vrai dire il ignorait ce qui venait de se passer-, le fumeur, pris de nausées, termina la traque dans une gerbe nauséabonde.

- « Blutain ! » S’affola l’enfant, alors qu’il venait de le recevoir en pleine figure. Ecœuré, il tenta de se relever, mais glissa dans cette flaque variant entre le marron et le… jaunâtre ? Fuusho se contenta d’allumer une clope pour faire passer le goût après s’être essuyé la bouche et la barbe du revers de la manche.

- « On le tient finalement ! » Commenta-t-il à Akerushi sans prêter plus d’attention au voleur. « Par contre, hors de question que je le fouille… . Il put trop ce gosse. » À qui la faute ? Le fumeur s’en contrefichait, ordre ou pas, il ne remettrait pas les mains dans son propre vomit.

- « Quelqu’un pourrait apporter un seau d’eau plutôt que de nous regarder niaisement ? » Demanda-t-il à la foule agglutiné autour d’eux. Faut dire que la scène aurait pu être des plus banales, si elle s’était déroulée de nuit dans la rue de la soif et non en plein après-midi au milieu des commerces. Après qu’un homme prévenant ne la lui donnât, Fuusho balança le contenu d’une bassine sur leur suspect. Se penchant à son niveau, il lui posa une simple questions : « Comment tu t’appelles ? » Cela n’avait probablement pas d’autres intérêts que de nourrir sa curiosité et, peut-être, déclencher un souvenir quelconque sur son identité pour lui, comme pour Arekushi.

« Remédier ». Le terme s’apparentait davantage à un entraînement forcé qu’à une réelle médication, chose que -comprenez le bien- Fuusho répugnait au plus haut point. De ce fait, dès lors que l’occasion de disparaître se présenta, il la saisit. La foule grandissante lui offrait toute opportunité d’échapper au regard d’Arekushi, un battement de cil suffirait pour laisser un clone inconsistant suivre l’Archiviste tandis que l’original disparaissait, noyé au milieu de toutes ces âmes. Nul doute que l’officier de l’Ôda s’en rendrait compte, mais il serait trop tard, le fumeur se contenterait de la moindre minute pour achever sa fugue. D’après lui, cette journée lui présenta assez d’évènements marquants, l’heure du repos résonnait dans son crâne au point que le brouhaha ambiant de cette cohue commerçante ne l’atteignait plus.

* * *
* *

Une bonne heure s’était écoulée depuis l’incident. Et le petit Myaki s’en était rendu dans l’un des quartiers périphériques du village, l’un de ceux accolés à la muraille. Son allure rachitique, tout comme son odeur déplaisante, dénotait avec les résidences qu’il longeait. Il s’arrêta dans l’ombre d’une ruelle étroite, un corridor coincé entre le rempart et une bâtisse tout aussi imposante où l’y attendait une silhouette élancée.

- « J’ai fait c’que vous m’aviez d’mandé m’ssieur. Mais maintenant, j’pue la gerbe !»

D’une voix rauque, presque caverneuse, la silhouette s’adressa à l’enfant.

- « Et tu as été parfait. Navré pour tes vêtements. Tiens, attrape ça, tu pourras t’en acheter de nouveaux. » Un pochette de pièces atterrit dans les mains de Myaki qu’il s’empressa d’ouvrir. À l’instant où la lueur de l’argent fouetta le visage du petit, l’inconnu disparut, remplacé par une brise légère.

Un inventaire approfondi de la bibliothèque permettrait certainement de révéler l’absence d’un livre traitant du contrôle de l’esprit par différents moyens, pas obligatoirement liés à la maîtrise du chakra. Mais seul le temps donnerait la raison de tout ceci⁽¹⁾.


⁽¹⁾ Une petite idée en tête pour de futurs RP… :].