Mon périple fut marqué de nombreuses rencontres, tantôt improbables, tantôt majestueuses et à l'inverse parfois graves. C'est dans cette dernière catégorie que je rangerais la première. Je n'en étais qu'aux prémices de mon voyage et pourtant quelque chose allait de suite rendre ce tour du monde bien plus profond qu'il n'aurait dû l'être, moi qui ne cherchais qu'évasion, j'allais tomber nez à nez avec ce que le monde pouvait faire de plus cruel. Cet évènement marquant se déroula sur le territoire de Kawa no Kuni, dans un petit village tout ce qu'il y avait de plus calme, j'y faisais une halte avant de traverser le pays du feu pour prendre un navire et voguer jusqu'au territoire de la Brume. C'est dans ce petit village que je faisais le plein de provisions avant le grand départ, et c'est dans ce village que je le rencontrais pour la première fois.

Il était tard, la fraicheur gagnait les rues presque plus vite que ce qu'il ne faut pour le dire et moi je déambulais dehors, pas pressé d'aller me coucher à vrai dire. Ce n'était pas que les auberges ne me plaisaient pas non, c'est simplement que je penchais vers un nouveau type de vie, le style qui fait que tu profites même des choses les plus insignifiantes en leur donnant une beauté que tu ne leur soupçonnais pas. Je regardais donc les commerces fermés hormis quelques bars ci et là, alimentés par une clientèle qui ne devait pas souvent descendre en dessous des dix poivrots accoudés au comptoir. Plusieurs petites ruelles très lugubres me semblaient gênantes dont une d'où provenait des bruits de coups et de bagarre.

De peur qu'un malheureux ne soit en danger, je décidais de m'y engouffrer. Là je percevais une porte entrebâillée laissant passer un filet de lumière dans lequel des ombres dansaient. Mais en bon shinobi qui se respectait, je comprenais rapidement qu'il s'agissait là d'une danse macabre. Et moi qui espérais ne pas avoir besoin de me salir durant cette longue escapade qui s'approchait... Prudent, je sortais un kunai de ma poche arrière avant d'ouvrir brusquement la porte et de tomber sur... Un enfant. 13 ans tout au plus, le regard à peine perturbé par le corps gisant à ses pieds et sa peau recouverte du liquide rougeâtre. Pas de doute, il avait tué cet homme. Comment pouvait-on à cet âge là faire une chose aussi dénuée de sens que de tuer quelqu'un ?!

Je m'approchais doucement de lui pour voir si il allait bien, si il n'était pas victime de quelque chose : Rien ne semblait le perturber outre mesure et pourtant il avait l'air d'avoir quelque chose de particulier que je n'aurais jamais su expliquer à cette étape de notre rencontre.

- Petit ça va ? Comment t'appelles-tu ?

Première chose à ne pas faire dans cette situation : le mitrailler de questions, ça n'était pas le bon moment, il fallait m'assurer de son état psychologique avant tout et savoir qui était-il. Je lui tendais la main après avoir jeté mon kunai à l'autre bout de la rue. Je devais lui donner mon identité, gage de confiance qui pourrait sans nul doute le détendre.

- Je suis Eichi, Jônin de Suna, je suis certain de pouvoir t'aider. Il n'y a que moi ici, ne t'en fais pas.

J'espérais réellement apprendre ce qu'était cette situation préoccupante. Je ne voulais pas incriminer ce gosse, si il avait fait ça, c'est que la raison l'exigeait. J'avais vu tellement d'atrocité commises envers des enfants durant mes missions que j'aurais de toute façon eu tendance à donner raison à la version de l'enfant, après tout c'est de leur bouche que sort la vérité non ?

Un meurtrier ? Oui peut-être effectivement mais moi aussi j'en étais un. Pourquoi est-ce que cela devrait être une chose mauvaise ? De plus mon sens de l'observation ne me trahissait pas souvent et je ne voyais aucune arme dans l'environnement du gosse, juste du sang. Les blessures sur le corps de l'adulte montraient de multiples lacérations. J'approchais doucement de ce dernier alors que le garçon me suppliait de le tuer... Jamais. Je touchais les blessures et je compris que c'était le résultat de Jutsus. Un seul clan pouvait se targuer d'un tel pouvoir, un clan noble de chez nous.

- Dis moi une chose jeune homme, je t'ai expliqué venir de Suna, pourquoi tuerais-je un compatriote ? Tu es un Ketsueki je me trompe ? La maitrise du sang, quel pouvoir fascinant.

J'avais l'impression que ce garçon avait été brisé par l'homme qui gisait désormais au sol. Je ne pouvais pas le punir si il pensait avoir fait la bonne chose, et puis qui étais-je pour m'ériger en justicier. Il avait eu simplement de la chance que ce soit moi qui arrive plutôt qu'un étranger n'ayant aucune connaissance de ce garçon, de ses pouvoirs, de ses origines. Les Ketsueki étaient respectés à Suna, étrange mais respectés car leur pouvoir était incroyable : Le sang était l'homme et eux le contrôlait, poussé à l'extrême ce pouvoir s'avérait redoutable. Comment pouvait-il être ici, sans doute malmené par un homme peu glorieux ?

Je mettais mes mains sur ses épaules, avant d'essayer de le relever. Il avait du sang partout, vraiment partout. Le faire sortir ne serait pas chose aisée, pourtant mon auberge n'était pas très loin. Connaissait-il certains jutsus d'académie ou ne maitrisait-il pas que son Kekkei Gekai ?

- Il faut s'en aller, suis moi on discutera à l'abri. Maitrises-tu le Henge ? Ou alors as-tu des affaires de rechange ? Tu ne peux pas sortir comme ça ou alors il va falloir être très discret !

Je lui donnais cette petite phrase avec un sourire pour le rassurer. Je ne voulais finalement que le sortir de cette situation particulièrement compliquée. Il ne me paraissait pas être un monstre, tout au plus un être perdu dans l'immensité de ce monde et sa complication. Je le regardais les yeux perdus dans le vide, totalement de marbre face à son œuvre. Je regardais tranquillement la scène, loin d'être choqué tant j'avais déjà vu plus de choses atroces que le commun des mortels. Il ne m'avait d'ailleurs pas encore donné son identité et cela me paraissait incroyable : avait-il été si brisé que son identité lui échappait ? Un Ketsueki n'avait rien à faire ici sous la menace de ces hommes.

- Dis moi ton prénom, sinon je ne pourrais pas t'aider.

Dénigrement de soi assez caractéristique d'une mise en esclavage par cet homme. Mes craintes se réalisaient donc. Il avait été exploité et s'est simplement rebellé, alors pourquoi s'en voulait-il ? Nous autres shinobis usons de tous les moyens possibles pour arriver à nos fins si ces fins s'avèrent justes. Ici elle l'était. Alors que je pensais que tout espoir de dialogue ou d'amélioration de son état était voué à l'échec, il se présenta de lui-même : Kaneki, Ketsueki Kaneki. Un immense progrès, c'est la confiance qui commençait à naitre, je n'en étais que plus heureux. Je le tirais de l'intérieur du bâtiment vers la ruelle, mais pas fort pour ne pas le brusquer. Je devais l'emmener jusque dans mon auberge où il pourrait se laver et avoir des vêtements propres.

- Vient avec moi, on va dans un lieu plus sûr.

Je progressais jusqu'à l'embouchure de la ruelle où je regardais à tour de rôle à droite, à gauche. Quelques passants ci et là mais rien de grave. J'envoyais une fumigène au milieu de la rue et je criais haut et fort d'aller se cacher. Tous s'en allèrent et la rue était alors déserte. J'indiquais à mon camarade de me suivre et nous courions ensemble jusqu'au bout de la rue principale du village, où la porte de l'auberge s'érigeait. J'ouvrais, Kaneki me suivant, l'aubergiste nous dévisageant, je lui demandais rapidement des vêtements propres à livrer dans ma chambre avant de gravir les marches jusqu'au premier étage et d'ouvrir la pièce qui m'appartenait.

La fin de la fuite de la scène de crime. La tension s'abaissait doucement et je m'écroulais sur le lit dans un grand soupir. Mes yeux étaient posés sur la figure du gosse, ma tête tournée vers lui. Je voyais qu'il était dépassé par les évènements. Je lui indiquais la salle de bain de la main, les vêtements arrivant dans le même instant.

- Très bien, donnez-les à mon camarade. Et toi va te laver, dans cet état tu me ferais presque peur, on discutera après de ta situation.

Je fixais encore l'aubergiste qui lui non plus ne comprenait pas grand chose. Je lui faisais un clin d'œil avec un grand sourire pour apaiser la situation. Il me connaissait, savait que j'étais Jônin de Suna et que je travaillais dans la vertu absolue. Il ne posa ainsi pas plus de questions qu'un petit basculement de la tête à gauche et un haussement d'épaule. Je laissais alors le gamin faire sa vie tandis que j'allais me reposer le temps pour lui qu'il se lave. Je branchais mon baladeur à musique qu'un ami Saibogu m'avait donné et laissait ma respiration se réguler, alors qu'en fond j'entendais les gouttes d'eau éclabousser la douche.

- Quand tu auras fini, vient me réveiller et répond à cette question : Que désires-tu maintenant que tu as la liberté ?

Spoiler:

Doucement, je m'endormais embarqué par la musique douce qui s'infiltrait dans mon esprit par les écouteurs, comme une sorte de Genjutsu que je contrôlais par un simple bouton. Je me sentais bien, bien loin de tout ce que je venais de voir dans cette rue, dans cette habitation où il y avait eu ce meurtre, ce gosse que j'avais découvert et protégé. Pourquoi ? Je n'en avais aucune idée, vraiment mais je m'en étais senti obligé, en le voyant dans ce sang alors que je le sentais loin d'être coupable. Le voilà désormais entrain de se laver dans ma salle de bain... Comment allais-je sortir de cette situation préoccupante ?

Je m'interrogeais sur cette situation pendant ma musique alors que je sentais une petite pression sur mon bras : le Ketsueki me tirait doucement la manche, comme je lui avais demandé avant de m'effondrer sur mon lit pour signifier qu'il avait terminé. Je le voyais assez intrigué par l'appareil dont je me servais. Je me redressais doucement en ôtant l'objet de mes oreilles. Il paraissait vraiment perdu, comme si il venait d'ouvrir les yeux pour la première fois dans ce monde.

- Ce que j'ai fait est normal. Tu es de mon village, de mon désert et ce que tu vivais n'était, par contre, pas normal du tout, j'ai rétabli l'équilibre.

Il était complexé par la liberté. C'est là que je me sentais totalement idiot... C'est que je n'avais pas prévu ce genre de discours au moment où je l'avais sauvé. Il ne savait rien de la liberté, et dans ce rien il y incorporait ce que la liberté impliquait : les choix, les devoirs et toutes les autres choses... Je le fixais assez béatement avant de m'excuser en bougeant la tête de droite à gauche. Je me replaçais au bord du lit en mettant mes coudes au niveau de mes cuisses et en croisant mes mains sous mon menton. Allez Eichi jette toi à l'eau.

- Eh bien, la liberté ça implique de suivre sa propre voie, de prendre des décisions mettant en jeu sa propre existence et...

Être son maitre ? Je n'avais pas bien analyser cette phrase. Être son maitre dans la liberté ? C'était une lourde tâche, qui incombait le plus souvent à la famille, comment pouvais-je remplacer ces personnes... Suis-je bête, il était dans un état d'esclave, ses parents n'avaient sans doute jamais été là. Je me doutais bien que la porte de Suna lui serait fermée pendant quelque temps, que je ne pourrais pas l'emmener avec moi, néanmoins je pouvais durant quelques temps rester avec lui avant d'entamer une correspondance durant un temps donné, jusqu'à ce qu'il se sente apte à se rendre à Suna.

- Je te promet d'essayer de t'apprendre à vivre. Sais-tu écrire ? Car je devrais rentrer à Suna dans quelques temps, et les lettres seront sans nul doute possible notre meilleur moyen de communication. Tiens, changement de sujet, j'ai faim. Je reviens de suite reste ici.

Je me levais et sortais de la chambre en trombe, direction l'accueil où je commandais une sélection de tout ce que pouvait nous offrir les cuisines de l'auberge accompagnée de leur meilleur jus de fruits. Je les remerciais, laissant assez de ryos pour payer la commande ainsi que le service jusque dans ma chambre. Je remontais, entrais doucement dans la pièce pour ne pas effrayer mon comparse. Le premier geste pour sa liberté allait être un cadeau symbolique qui lui permettrait de s'évader quand ça n'irait pas.

- Tiens, prends cet appareil, je t'ai vu assez subjugué. C'est une machine crée par les Saibogus de Suna, des personnes étranges qui bricolent beaucoup sur les machines. Ça te permet d'écouter de la musique, comme une illusion capable de te faire oublier toute chose. Je te le donne. Ah ! À table !

Depuis ma commande, cinq minutes étaient passées et pourtant les premiers plats arrivaient. J'invitais simplement mon jeune ami à table, prenant ma part et commençant à manger de bon appétit. Tout cela tranchait radicalement avec les scènes sanguinolentes que j'avais vécu il y avait quelques temps.

Tous ces évènements avaient semble-t-il ouvert l'appétit du jeune Kaneki et de moi-même, nous nous étions précipités sur la nourriture venant d'arriver. Le comportement du Ketsueki avait changé du tout au tout, me déconcertant quelque peu. Je ne pu que me reculer de quelques pas sous le coup de la surprise en observant le jeune garçon. Entre celui que j'avais face à moi et celui que j'avais trouvé proche de ce cadavre, un monde les séparait. Je l'écoutais alors me remercier avec véhémence pour le cadeau que je venais de lui faire, il avait en effet adopté presque dans la foulée le baladeur musical qu'il écoutait déjà. Tout ce passage d'amusement et de joie tranchant également avec le moment où j'avais abordé mon retour à Suna...

Lorsque je lui avais parlé des lettres, sa réaction n'était pas passé inaperçue : il était désabusé, sans repères, comme si son monde déjà tremblotant s'effondrait après que son pilier se soit désisté. J'avais manqué de tact pour sûr, je n'aurais pas dû aborder ce passage de suite et laisser la nuit passer le temps de digérer. Tant pis, j'avais lancé le sujet je ne pouvais plus esquiver la conversation la plus difficile qui m'ai été possible de faire avec lui. Je le laissais manger quelques minutes, rigolant finalement à son changement brutal de personnalité. Je le regardais comme on pouvait regarder un petit frère...

• Kaneki... à propos de mon départ. Tu dois comprendre qu'être engagé dans un village implique sa présence, je n'ai pas le choix. Je dois y retourner...

Voilà que les dures paroles étaient passées, désormais je devais lui faire passer la pilule le plus facilement possible, en lui offrant de nombreuses possibilités de contact entre nos deux personnes. Cependant j'avais une inquiétude sur sa vie après mon départ, il devrait rester très droit dans ses choix, très justes et ne pas se laisser convaincre par les nombreux nukenins et leurs discours plein de dorures.

• Toi de ton côté, il faudra que tu ne perdes pas de vue le fait que la vie est un cadeau, ne la gâche pas en idioties. Quand tu seras prêt, et tu sauras toi-même quand est-ce que ce sera, tu pourras revenir chez toi, à Suna, et je t'accueillerais à bras ouvert. Entre temps, on s'écrira, si c'est possible, on se verra, je te le promet. Allez mange.

C'était fait, j'avais fais ma basse besogne près de cet enfant fragile qui venait à peine de sortir du néant... Je m'en voulais mais je gardais le sourire de circonstance car après tout ce qu'il avait vécu, c'était un moindre mal. Je mettais ma main dans ma poche et en sortais une bourse de bonne taille, à l'intérieur de quoi tenir deux bons mois en plus de s'acheter du matériel et des habits plus appropriés. Je la plaçais devant le bol du jeune garçon, ne laissant rien transparaitre. J'avais tout fait pour qu'il puisse avoir les bases d'une vie saine, le reste ce serait à lui d'y faire attention.

• Si tu as des questions, pose les moi maintenant cher Kaneki, après je vais aller préparer mes affaires pour mon départ... et crois-moi, c'est douloureux de te laisser.