Le vieux sentier qui reliait le village à la montage était recouvert de verdure, signe évident que plus personne ne l’avait entretenu depuis un bon moment. Les habitants murmuraient « la montagne est hantée », « n’y allez pas ! » alors que leurs yeux osaient à peine se diriger dans sa direction. Et il était vrai que lorsqu’on s’aventurait dans la forêt, on pouvait ressentir une sensation étrange, comme si quelqu’un nous épiait sans cesse. Plus vous montiez les marches recouvertes de moisures, plus vous vous isoliez du monde extérieur jusqu’à ne plus rien entendre de familier. Enfin, au bout d’une longue marche, il était possible d’apercevoir une vieille maisonnette si dégradée que personne ne se douterait qu’elle soit habitée.
« Shhhhh… »
Le doigt sur ses lèvres, l’enfant âgé alors de 10 ans, indiqua à ses amis de se taire. Quelqu’un approchait et ses amis farceurs étaient impatients. D’une vieille fenêtre à la vitre cassée, si nous étions assez attentifs, nous pouvions alors voir deux yeux rouges se détacher de la pénombre en train d’fixer attentivement le sentier. Cela faisait bien longtemps que plus personne n’était venu ici et il fallait avouer qu’elle en était pour quelque chose.
« Schhhhhht ! »
Ses amis commençaient à être bruyants alors qu’une silhouette vint apparaître dans son champ de vision. Une femme ? Qui était-elle et pourquoi était-ici ? Ses yeux se plissèrent, se concentrant afin de mieux apercevoir le pourtour de l’inconnue avant de réaliser. Ses yeux clignèrent avant qu’elle ne quitte précipitamment la fenêtre et ne court sur le bois grinçant.
« Oba-chan ! Oba-chan ! …Kaya !!! »
Dit-elle d’une voix enjouée avant de sortir à l’extérieur et de courir jusqu’à arriver en face de la femme qu’elle avait reconnue comme étant sa cousine. Pas n’importe laquelle pour dire vrai ! En effet, plus jeune, l’enfant s’était prise d’affection pour elle et s’était mise à la coller dès qu’elle le pouvait. La voir ici était une chose totalement improbable cependant… Mais cela faisait bien longtemps que Mihoko n’avait affiché un tel sourire.
« Kaya ! »
Fut cependant tout ce que nous pûmes entendre de ses lèvres. Aucune autres paroles ne sortir tout simplement car elle ne savait pas quoi dire, par où commencer ?! Du coup, les petites mains de la fille se mirent à agripper la manche de cette dernière pour l’inviter à la suivre et entrer, totalement excitée à l’idée de la voir et la recevoir.
La noiraude caresse l'encolure de sa monture spectrale tout en suivant du regard le chemin tortueux qu'il lui reste encore à parcourir. Le passage est trop étroit et le risque trop élevé pour qu'elle s'embarrasse plus longtemps de son invocation. Elle met donc pied à terre puis tend l'oreille lorsque un bruit attire son attention. Elle découvre rapidement un corbeau sombre qui l'observe depuis un piton rocheux. Devient-elle paranoïaque? Vu la chasse aux Mamoru qui menace de s'installer à Taki ce ne serait sans doute pas une mauvaise chose. Il vaut mieux être trop suspicieux que trop confiant.
Kaya scelle sa monture puis poursuit sa progression le long du chemin tortueux. Dans sa mémoire l'endroit était mieux entretenu. Mais la grand-mère de Miho-chan était déjà amoindrie par l'âge lors de leur dernière rencontre. Aujourd'hui elle doit être à peine capable de se mouvoir sans assistance. Quoique d'après certaines rumeurs l'air pur de la montagne serait gage de longévité. La noiraude espère que c'est vrai. Et que sa cousine est encore entre de bonnes mains. Mais ce qu'elle voit depuis quelques instants ne la conforte pas vraiment dans cette idée. Et lorsqu'elle pose le regard sur la maison qui semblait encore pleine de vie quelques années plus tôt, elle est saisie d'un mauvais pressentiment.
Elle active alors le pas pour se rapprocher de la bâtisse tandis que les idées noires l'envahissent. Elle s'imagine déjà découvrir un petit cadavre prostré dans un coin. Et ce qu'elle fera à celui, celle ou ceux qui ont osé s'en prendre à la gamine. Mais ce mélange de colère et de peur s'évapore au moment même où elle entend le timbre d'une voix familière. Elle pousse un long soupire de soulagement tout en adressant une prière silencieuse à la déesse des enfers. Puis court en direction de la petite silhouette qui s'approche. Une boule dans la gorge l'empêche malheureusement d'exprimer le plaisir qu'elle a de revoir l'enfant. C'est d'ailleurs cette dernière qui prend les devants et lui saisit la manche pour l'emmener à l'intérieur.
"Miho-chan, attends!" finit-elle par dire après quelques mètres. "Laisses-moi te regarder un instant!"
Elle s'agenouille face à sa cousine et écarte une mèche de cheveux sombres de son visage. Un léger sourire s'installe sur ses lèvres lorsqu'elle redécouvre ce regard pétillant qu'elle n'a jamais oublié malgré les années. Oui, c'est bien elle. Elle revoit l'enfant qui sautait sur ses genoux lors des réunions familiales et les souvenirs l'assaillent. Kaya enlace la fillette avec un mélange de délicatesse et de force de longues secondes durant. Puis elle consent finalement à la relâcher.
"Si tu savais comme je suis contente de te revoir! Avec tout ce qu'il se passe j'ai eu peur qu'il te soit arri..." commence-t'elle avant de s'arrêter. "C'est sans importance... Tu as raison, rentrons à l'intérieur! Je ne sais pas toi mais j'ai bien envie d'un bon thé au miel!"
L'enfant n'est peut-être pas consciente de la situation des Mamoru à Taki. À son âge on ne prête guère attention à ce genre de choses. Inutile de lui faire peur d'entrée de jeu en lui disant que ses liens de parentés avec certains d'entre nous peuvent la mener au danger. L'insouciance est un bien précieux. Un bien que l'on regrette dès le moment où il vous glisse entre les doigts. Kaya jette donc un dernier regard aux alentours avant d'entrer dans la maison qui a vu Mihoko s'épanouir pendant les dernières années de sa vie.
Le premier réflexe de la jeune femme est de chercher des yeux la grand-mère de Mihoko. L'endroit est particulièrement mal entretenu. Comme figé dans le temps. Puis une poignée d'esprits s'avancent pour l'accueillir. Et ce ne sont pas les siens! Ses propres serviteurs dressent alors un mur entre les deux humaines et les nouveaux arrivants. Kaya, elle, pose une main sur la poitrine de sa cousine pour l'inviter à s'arrêter. Pourquoi ces fantômes ont-ils élus domiciles ici? Ils n'y étaient pas la dernière fois qu'elle est venue. Elle est en certaine.
"Mihoko? Je me demandais: où est ta grand-mère?" interroge-t'elle en tentant de garder un ton détendu. "D'habitude c'est la première à venir s'assurer que personne n'écrase ses parterres de fleurs..."
Le jardin est envahi par les ronces et les mauvaises herbes. Ces dernières ont également envahi le sentier. Sans parler de la demeure qui semble avoir payé le tribu des dernières tempêtes et qui n'a pas été restaurée. Et puis ces esprits... Leurs regards sont rivés sur Mihoko. Tout ici respire la mort et l'abandon. Pourtant l'enfant ne semble pas s'en formaliser et donne l'impression d'être épanouie. Sa cousine a grandi, c'est indéniable. Mais Kaya prend conscience qu'elle est peut-être loin d'avoir mesuré tout ce que ça implique...
« Miho-chan, attends ! Laisse-moi te regarder un instant ! »
La petite fille s’arrêta et se tourna alors dans la direction de sa cousine, l’air surprise. Il l’observa faire sans réaction, ne sachant de toute manière pas comment réagir. Elle se contenta donc de détailler la femme avant de soudainement se faire enlacer. Mihoko s’immobilisa complétement face à cet échange dont elle n’avait visiblement pas, plus l’habitude. Ses yeux écarquillés, elle sentait ses yeux s’humidifier mais ravala ses larmes avant de se faire relâcher. Elle plongea ses yeux dans ceux de sa cousine avant de pencher la tête sur le côté. « peur que quoi ? » L’enfant ne semblait pas avoir très bien compris cette phrase mais cessa de se poser des questions lorsque son invitée annonça souhaiter rentrer. ENFIN ! D’un pas enjoué, la petite conduisit sa cousine à l’intérieur, sans montrer la moindre préoccupation quant à l’état des lieux. La poussière se trouvait partout, tout comme la moisissure et une drôle d’odeur suffocante. Soudain, la main de Kaya l’obligea à s’arrêter alors qu’une nouvelle vague d’esprit apparut devant elle, la séparant de ses amis. L’enfant montra que très peu de réaction face à ce spectacle observant simplement les esprits d’un air pensif.
« Qui ? Des esprits ? Intrus ? Ils vont nous voir… ! Dehors ! Qui ? Que fait-on ? Qui est-elle ? Une femme ? Shhhtt.. Miho ? Elle nous voie ? Des intrus ! Regardons… »
Les murmures étaient nombreux mais habituellement Miho était la seule à les entendre. Elle jeta un regard à sa cousine puis la tira alors d’un coup pour l’inviter à aller s’asseoir sur les coussins de la petite table à manger avant de se détacher d’elle pour aller à la cuisine, ouverture sur la salle à manger. Etrangement, on pouvait voir les esprits aider la petite à préparer son thé. En effet, alors que l’enfant souhaitait attrapé le thé mis en hauteur, une ombre sombre se mit à pousser l’objet vers elle pour qu’elle puisse l’attraper, une main sortait du dessous de la commode pour pousser un tabouret vers elle, l’eau se chauffait anormalement rapidement, etc. Et lorsque cette-ci commença à l’interroger sur sa grand-mère, Miho s’immobilisa un instant, baissant son regard.
« Oba-chan… dort dans sa chambre. Elle est fatiguée, il ne faut pas la réveiller ! »
Dit-elle alors avant de finir la préparation du thé au miel et de venir déposer le toute sur la table pour servir sa cousine. Une fois assise en face d’elle, les pupielles rouges se pausèrent dans celles de la plus âgée. Après un instant de silence où les esprits les entouraient les observant curieusement, elle remit à émettre un sourire. Elle montra son poignet à Kaya.
« Regarde ! Oba-chan me l’a offert ! Elle m’a dit que c’était un porte-bonheur ! »
Souriante, Miho observait son bien émerveillée avant de baisser son regard l’air à nouveau absente. Dans les vieilles traditions, ce genre de bracelet éloignait les mauvais esprits. Est-ce que la grand-mère de Mihoko s’était rendu compte de quelque chose d’anormal en lui offrant ce bracelet ? Possible…
« Kaya-nee ! Combien de temps restes-tu ? »
On pouvait le ressentir, le voir dans les yeux profonds de la petite qu’elle n’avait simplement pas envie que cette dernière reparte. Chose à laquelle semblait réagir les esprits ceux-ci semblant s’agiter légèrement.
Kaya s'est imaginé bien des scénarios en venant jusqu'ici. Le plus horrible - et l'un des plus probables - étant la mort de l'enfant qu'elle a vu grandir. En réalité beaucoup de ses hypothèses bombardaient la mort au rang d'actrice principale. Mais elle était loin d'imaginer Mihoko sur le devant de cette scène morbide. D'une manière ou d'une autre elle a réussi à contrôler ces Yokaï. D'ailleurs elle semble parfaitement consciente de leur présence. Il n'y a qu'à voir comme ils se hâtent de lui apporter leur aide pour préparer le thé.
La noiraude est partagée entre la sensation que procure une agréable surprise et la crainte que cette dernière vire au cauchemar. Elle passe rapidement son regard d'un esprit à un autre à la recherche d'un quelconque danger. Mais on dirait presque une petite famille qui vit ensemble dans la plus parfaite harmonie. À ceci près que la gamine est la seule personne encore vivante de cette improbable équipe... Kaya aimerait évidemment obtenir des éclaircissements sur cette drôle de situation. Mais elle a peur de brusquer l'enfant et d'effacer ce joli sourire de son visage. Elle a l'air tellement heureuse...
Et puis il y a cette odeur... Les sens affûtés de la jeune femme ont vite été titillés par l'odeur de mort qui règne sans aucun partage sur ces lieux. La grand-mère de sa cousine dort, c'est évident. Mais d'un sommeil dont on ne se réveille pas. Et à juger par l'irritation qui s'installe dans ses narines, cela fait un certain temps maintenant qu'elle est partie se coucher. La noiraude sent son coeur se serrer en imaginant Mihoko livrée à elle-même dans cette maison isolée. Enfin, livrée à elle-même... Il semblerait qu'elle n'ait pas manqué de compagnie tout compte fait. Et qu'elle ne s'en soit pas si mal tirée.
"C'est joli, oui!" acquiesce-t'elle lorsque sa cousine lui présente son bracelet. "Ta grand-mère a toujours eu bon goût. Elle m'avait offert un collier quand j'avais ton âge. Mais je l'ai perdu il y a quelques années. J'espère que tu seras moins tête en l'air que moi!"
Elle conclut sa tirade d'un sourire amusé sans toutefois parvenir à oublier les esprits qui les entourent. Avoir une conversation aussi innocente que celle-ci alors qu'ils sont cernés par les esprits des morts donne un air surréaliste à la scène. Kaya trempe ses lèvres dans le thé au miel et décoche un signe de tête appréciateur à l'enfant. Elle s'attarde ensuite quelques instants sur son bracelet le sceau gravé sur sa longueur. Il devait sûrement servir à éloigner les esprits. Mais une partie du symbole s'est usé avec le temps et il a sûrement cessé de faire effet. La vieille avait du flair. Mais ça n'a visiblement pas été suffisant...
"Combien de temps je reste? Et bien..." réfléchit-elle en vitesse. "En fait ça va dépendre de toi Miho-chan. Je voulais justement te demander quelque chose!"
Autant aller droit au but! Elle veut pouvoir garder un oeil sur l'enfant et la protéger des éventuels dangers. Ceux de ce monde et ceux de l'Autre Côté. C'est qui n'était qu'un désir est maintenant devenu une nécessité. Il est de toute façon hors de question de laisser sa cousine seule en ces lieux. Si ceux qui traquent les Mamoru ne viennent pas la chercher alors ce sera la folie qui se chargera de l'emporter. Mais Kaya espère qu'elle n'aura pas à forcer la gamine. Ce serait un bien mauvais départ...
"Ta grand-mère est quelqu'un d'exceptionnel mais elle est vieille et a besoin de beaucoup de repos. Alors je me disais que peut-être tu aurais envie de changer un peu d'air et de venir habiter avec moi? Il y a beaucoup de choses que j'aimerais te montrer tu sais..." glisse-t'elle avant de marquer une courte pause en observant les Yokais. "Et puis si tes amis ont envie de nous accompagner ils sont évidemment les bienvenus."
Une manière comme une autre d'appréhender le sujet de ces esprits. Peut-être que l'enfant n'est même pas consciente que ses... amis ne sont plus de ce monde. Ce qui serait tout de même étonnant vu l'apparence de ses Yokai. Mais après tout elle semble considérer que sa grand-mère est encore vivante,,. Le tact semble donc tout indiqué. Elle ne souhaite pas briser le coeur de sa cousine alors qu'elle vient à peine de la retrouver.
"D'ailleurs tu veux bien faire les présentations? Ils m'ont l'air plutôt sympathiques!"
Ouais, du moins autant qu'un esprit puisse l'être... Pour l'instant ils n'ont pas représenté une menace mais les choses pourraient se corser. Peut-être qu'ils ne souhaitent pas qu'elle emmène l'enfant. Si c'est le cas il risque d'y avoir du sport. Quoi qu'il en soit une chose est sûre: ils n'ont pas intérêt à se dresser entre Mihoko et elle!
L’atmosphère s’assombrissait autour des deux femmes. Était-ce le soleil qui se couchait ? Car la pénombre grandissait peu à peu autour d’elles… L’air devenait de plus en plus froid et la brume avançait silencieusement dans le jardin lorsque la femme suggéra à la petite de quitter les lieux. Un long silence s’installa dans la pièce, les murmures s’étant alors stoppé. Plus rien, plus de murmure, plus de regard caché dans l’ombre, ni même de bras qui se balade… tout âme semblait avoir disparu et pourtant quel était cette étrange sensation ?
« … mes amis ? »
La tête penchée sur le côté, l’enfant semblait perplexe. Elle tourna ensuite doucement la tête pour regarder autour d’eux. Ses yeux étaient absents, vides. Était-elle méfiante ? Surprise ? Impossible de le dire, son visage totalement impassible.
« ..ho. »
Elle regarda à nouveau sa cousine d’un visage toujours aussi neutre. Venait-elle de comprendre qu’elle n’était plus la seule à les voir et les entendre ? Peut-être… Ou alors, elle n’y croyait pas ? Tout autant probable. Dans tous les cas, le sourire et la lueur qui avait illuminé son visage en première partie avaient totalement disparu. Au contraire, l’enfant sembla soudainement plus renfermé alors qu’elle se mit à jouer avec son bracelet sans plus un regard, ni un son.
Un grincement semblant venir de l’extérieur trahit alors le silence. Puis il eut un deuxième et un troisième. Aucune réaction ne se fit de la part de l’enfant et pourtant tout semblait indiquer qu’il y avait quelque chose, là… dehors. Puis une voix, deux voix… Des rires d’enfants… On aurait dit qu’ils s’amusaient dans le jardin, mais rien ne semblait apparaître dans ce dernier, si ce n’était quelques mouvements dans la brume épaisse qui s’y était installée. « … je n’ai pas d’amis. »
Finit par dire Miho alors qu’elle releva ses yeux profonds pour les diriger droit dans les siens. Non, elle n’en avait point… Elle jeta un regard sur ce qui était venu en compagnie de sa cousine l’espace d’un instant avant de la regarder fixement à nouveau.
Impossible d'ignorer le changement d'attitude dans le comportement Miho-chan. Sa joie s'est éclipsée au profit d'un masque de neutralité et Kaya s'en veut immédiatement. Elle a tapé dans la fourmilière. Mais pas de la meilleure façon. Alors qu'elle ne souhaitait pas brusquer la petite c'est exactement le contraire qui s'est produit. Peut-être même qu'elle la blessée. Et la maison, semblable à une extension des sentiments de l'enfant est devenue tout aussi silencieuse. La noiraude sent quelque chose se fissurer dans sa poitrine et sa première réaction est de se pencher en avant pour glisser la main sous son menton et l'inviter gentiment à redresser la tête. Puis elle lui adresse un sourire réconfortant.
Mais la question de l'enfant a également éveillé quelque chose au plus profond de la jeune femme. Des amis? Ses coéquipiers sont ce qui s'en rapproche le plus. Mais ce serait mentir que de dire qu'elle les considère comme tels. Alors elle repense aux Mamoru et plus particulièrement à ceux avec qui elle s'entend bien, avec qui elle a passé du temps. Et se rend alors compte qu'aucun d'eux ne correspond à la description d'un ami. Cette prise de conscience lui laisse un goût amer dans la bouche. En temps normal elle se réfugierait sans doute dans le mensonge. Mais elle ne tient pas à avoir de secrets pour Mihoko. Jamais!
"Non..." avoue-t'elle finalement. "Mais je t'ai toi. Et ça me suffit amplement..."
Elle décoche un clin d'oeil à sa cousine puis tourne le regard en direction de l'extérieur. Elle perçoit alors les esprits des enfants qui s'amusent devant la maison. Ont-ils mis Mihoko à l'écart? C'est possible. Voir probable. Après tout la cruauté des enfants n'a pas de pareil, c'est bien connu. La noiraude active alors l'un de ces sceaux et trois chaînes spectrales traversent le mur avant de se tendre. Elles se contractent et traînent trois des esprits autours de la table où les deux vivantes ont pris place.
"Et puis tu sais Miho-chan les amis blessent souvent ceux qui les considèrent comme tels." explique-t'elle. "Offrir son amitié à quelqu'un, c'est prendre le risque qu'il la piétine en retour. Mais il existe tout de même certains... amis qui ne te trahiront pas. Tout simplement parce qu'ils en sont incapables. Tiens, prends ça!"
Kaya lui tend les chaînes avec lesquelles elle contrôle les esprits des enfants. Les voit-elle? Arrivera-t'elle à s'en saisir alors qu'elles n'existent pas? Cette expérience est autant un test qu'un désir de lui faire prendre conscience qu'elle n'a pas besoin de la permission des esprits pour se mêler à eux. Et qu'au milieu d'eux une Mamoru est sembable à une reine incontestée et toute puissante. Le clan ordonne, les esprits obéissent. Jamais il ne sera question d'obtenir une quelconque permission de leur part. Mihoko sentira-t'elle le pouvoir l'envahir en tenant ces esprits dans le creux de ses mains?
"Plus jamais tu ne seras mise de côté! Plus jamais! Je t'en fais la promesse!"
Les promesses de Kaya sont rares car elle ne supporte pas de se sentir prisonnière de ces dernières. Pourtant celle-ci est faite de bon cœur et avec conviction. Quelles que soient les peines et les épreuves qui se dresseront sur la route de l'enfant, la jeune femme sera à ses côtés pour y faire face. Impatiente d'entendre sa réponse mais désireuse de lui laisser le temps de la réflexion, Kaya se contente donc d'un sourire bienveillant tout en observant sa protégée faire.
« Non… mais je t’ai toi. Et ça me suffit amplement. »
Impossible de savoir ce que pensait Miho à ce moment-là. La plupart se serait senti gêné et heureux… était-ce qu’elle ressentait également ? Aucune expression ne s’affichait. Au fond, peut-être qu’elle avait fini par arrêter de croire aux paroles des adultes. Sans doute même, après tout ce qui lui était arrivé. Au final, sa propre mère avait arrêté de la protéger, alors à quoi bon écouter ces paroles empoisonnées ? M’enfin… Ce qui attira réellement l’attention de la petite fut la technique soudainement utilisée par sa cousine : les chaînes.
Ses yeux s’écarquillèrent légèrement, signe de la surprise qui l’envahissant. Que faisait-elle ? Comment et pourquoi ? Elle l’observa faire sagement avant de lui lancer un regard rempli d’incompréhension et de curiosité. De la même manière qu’un robot, la petite tendit ses mains avant de baisser ses yeux sur les chaînes que lui avaient confiés Kaya. Pas besoin d’être malin pour voir que Miho semblait perturbée par la situation. Que devait-elle faire ? Que se passait-il ? Tout s’embrouillait, tout se mélangeait, plus rien n’avait de sens… Elle ferma les yeux comme pour cesser ses pensées négatives avant de regarder sa cousine l’air méfiante.
« Tu les vois ? »
Cette question pouvait sembler étrange à ce point de l’histoire. Néanmoins, elle ne comptait plus le nombre de personne ayant prétendu les voir pour se rapprocher ou se moquer d’elle. Ce n’était qu’avec cette preuve indéniable que la petite prenait enfin conscience des capacités partagées de sa cousine. Mais était-ce une bonne nouvelle ? Elle ne le savait pas… plus rien ne semblait faire sens. Soudain, la respiration de la petite se fit plus forte et irrégulièrement. Miho ne savait plus quoi penser. Était-elle folle ? Ou étaient-ils fous ? Mensonge ou vérité ? Confiance ou trahison ? Réalité ou illusion ?
D’un coup, la petite se leva avant de jeter un regard effrayé, paniquée. Qui était-elle pour venir ébranlée son monde ? Tout allait si bien pour elle ! Pourquoi devait-elle venir tout chambouler ?! La panique se transforma bien vite en colère. Les sourcils de la petite se froncèrent, ses mains se serrèrent.
« Va-t’en ! »
Dit-elle sur le ton d’un avertissement, alors qu’elle lui jeta les chaînes dessus, les rejetant. Les larmes montaient aux yeux de la petite. Les esprits se mirent à s’agiter à nouveau. Les murmures recommencèrent et se firent de plus en plus fort.
« Mensonge… Intrus… pas la bienvenue… DEHORS ! »
Une masse d’esprit semblait à nouveau s’être réunis autour d’elles. Aucun ne sortait de l’ombre, on ne pouvait voir que les dizaines de regards illuminés dans le noir. La petite commença à se secouer la tête amenant ses mains alors que ses doigts vinrent s’agripper à sa longue chevelure. Elle voulait que tout cela s’arrête… D’un coup, une brume, une fumée ? Ou plutôt une masse blanche fit son apparition dans la pièce. L’entité traversa la pièce, passant au-dessus la table qui séparait les deux femmes avant de tourner autour d’elles. Peu à peu, une tête squelettique se détacha la fumée. Puis il s’arrêta derrière l’enfant, semblant fixer l’intruse. Son visage était penché à 45° tel un oiseau et bien entendu, il était impossible de prévoir la moindre réaction de sa part.
Elle les voit, oui. La petite semble prendre conscience que sa cousine partage les mêmes facultés qu'elle. Mihoko semble avoir une sensibilité innée pour percevoir le monde invisible qui nous entoure. Elle est semblable à un diamant brut qui ne demande qu'à révéler toute sa splendeur. Pourtant il lui reste beaucoup à accomplir. Elle traversa souffrances, doutes et regrets. Tout comme Kaya l'a fait dans sa jeunesse. La maîtrise des esprits et des démons n'est pas une mince affaire. Il y a toujours une part d'inconnue avec laquelle il faut composer. Même les anciens du clans ne sont pas infaillibles dans cet art.
Je suppose qu'il est inutile de préciser qu'à ce moment-là la jeune femme n'envisage même pas un refus de Miho-chan. L'offre qu'elle a faite à l'enfant allie logique et avantages. Ce n'est que lorsque la Mamoru en devenir change à nouveau de comportement qu'elle comprend que la partie est loin d'être gagnée. Et même en ayant cette constatation en tête, Kaya est loin d'imaginer que sa cousine ne compte pas s'arrêter au rejet. Et lorsque la cohorte d'esprits de la gamine resserrent leurs rangs autours de la petite table et qu'une nouvelle entité fait son apparition dans son dos, c'est au tour de la diplomate Mamoru de changer de comportement.
"Tu oses me... menacer?"
La surprise est presque palpable dans le ton de sa voix. Lorsqu'il s'agit de la famille les sentiments sont biaisés. La patience et l'analyse sont peut-être les deux principales qualités de Kaya. Mais avec Mihoko elle a l'impression d'être placée sur une plaque de glace voguant sur les flots et perdant de sa masse. Forcée de jouer à l'équilibriste, incapable de réfléchir posément, elle se laisse peu à peu emporter par un courant qui l'éloigne du rationalisme. Le coeur ne devrait jamais primer sur la raison. C'est une évidence que la noiraude a érigé en dogme. Mais cette fois, en ces circonstances...
"Je suis consciente que ces derniers temps n'ont pas été faciles pour toi. Et je peux tolérer beaucoup de choses venant de ta part." glisse-t'elle en se levant puis en se penchant vers elle. "Mais certainement pas les caprices!"
Mihoko est précieuse. Sous bien des aspects. Kaya ne se contente pas d'envisager son avenir: elle se préoccupe également de l'héritage qu'elle laissera aux Mamoru. Parmi tous ses adversaires, la mort est incontestablement la plus puissante. Elle n'arrivera sans doute pas à la vaincre. Et il sera alors temps pour Mihoko de régner sur le clan. Parce qu'elle est sa dernière parente vivante mais également parce qu'elle deviendra une grande manieuse d'entités. Le sang perdurera. Et liera peu à peu chacun des Mamoru. Mais pour l'instant elle n'est qu'une enfant. Et il est de notoriété publique que les enfants doivent être éduqués.
La noiraude effectue quelques mudras et place ses paumes sur la table. Deux sceaux placés sur ses avant-bras s'animent et glissent sur le sol avant d'entamer une rapide transformation. De vagues silhouettes sombres se sculptent, animées par une force invisible. Et finalement deux démons aux souffles rauques se redressent autours d'elles. Kaya observe encore un instant sa cousine et hésite. Est-ce nécessaire? Elle finit par soupirer lorsqu'elle se convainc qu'elle n'a pas le choix. Alors elle décoche un regard appuyé à ses démons et ferme les yeux.
"Je fais ça pour ton bien..."
Les deux créatures se jettent alors férocement sur les esprits présents. On ne peut rien construire sur un sol instable. Tout édifice se doit d'avoir des fondations solides. Il en est de même pour l'avenir de Mihoko. Mais la vie n'offre rien sans contrepartie. Et ce qu'elle exige des humains n'est ni plus ni moins qu'une suite ininterrompue de souffrances. C'est une réalité à laquelle l'enfant aurait été confrontée tôt ou tard. Kaya regrette simplement que ce soit elle qui doive le lui enseigner...
Miho arrêta ses pleurs lorsqu’il ressenti une aura puissante, malveillante et étrange. Elle releva son regard et écarquilla les yeux lorsqu’elle vit deux démons surgir des sceaux de sa cousine. Pour vous répondre, non, elle ne savait pas en quoi ces créatures étaient si différentes des autres, mais le ressentait : l’énergie qui émanait d’eux était tout autre. Elle jeta alors un regard surpris, effrayé en direction de sa cousine avant de voir les créatures se jeter sur les esprits, les pourchasser et… pire. Les cris de ses derniers retentirent à ses oreilles.
« No.. »
Elle balaya la salle du regard en voyant certains se faire tuer par les deux créatures qu’avaient amené Kaya avant de les voir se faire coincer dans un coin de la maison. Choquée, effrayée, la petite se mit à courir tant bien que mal avant de se placer entre les deux groupes de créature, bras tendus, elle faisait bloque.
« STOP ! »
Dit-elle d’une voix cassée. On pouvait le voir, le ressentir : ses mains tremblaient, les larmes montaient à nouveau à ses joues… Oui, elle avait peur, oui, elle était triste, perdue et en colère. Elle se pinça les lèvres avant de baisser son regard et de demander d’une voix timide.
« Arrête ! »
Elle jeta un regard dans la direction de sa cousine avant de déclarer, prête à pleurer.
« J’ai.. menti. Ce sont mes amis ! »
Elle déglutit alors qu’elle voyait certains blessés voir pire. Oui, ces esprits étaient ses amis. Bien sûr, qu’ils l’étaient ! C’étaient eux qui s’étaient occupés d’elle alors qu’elle s’était retrouvée abandonnée dans cette maison. C’étaient eux qui avaient accepté de jouer avec elle alors que les enfants la fuyaient et c’étaient eux qui s’étaient montrés à l’écoute de ses confidences. Il était donc hors de question de voir, de laisser, Kaya les blesser d’avantage.
Essuyant ses larmes, elle jeta un nouveau regard vers Kaya avant de répéter d’une voix presque suppliante.
L'aînée reste insensible aux réclamations de sa cadette. Confortée dans l'idée que les esprits entourant sa cousin ne sont que des nuisibles ayant une mauvaise influence, elle poursuit avec l'assurance que s'octroient les justes. Kaya pourra ensuite enseigner à l'enfant à invoquer ses propres esprits. Elle ne sera plus tributaire d'âmes errantes qui lui imposent sa présence. Qui sait ce qu'elles ont pu lui faire? Les fantômes doivent être tenus en laisse. Sans quoi ils s'autorisent bien des choses aux dépens des vivants. Dominés ou être dominés. C'est, dans le fond, la question qui est ici en toile de fond...
Kaya, donc, reste imperturbable tandis que ses démons ravagent les rangs des esprits. Ces derniers se retrouvent rapidement acculés et à la merci de leurs prédateurs "naturels". C'est alors que Mihoko s'interpose entre les deux camps, formant un barrage de son corps. Les deux serviteurs de l'aînée marquent un temps d'arrêt, tournant leur visage scarifié vers leur maîtresse. Mais la noiraude reste silencieuse, surprise par l'acte de l'enfant. Qu'est-ce qui lui passe par la tête?
"Tes... amis?"
Elle répète vaguement ce mot comme si sa signification lui semblait lointaine, inaccessible. Mais c'est surtout la honte qui la domine en cet instant. Cette dernière a balayé sa détermination d'un simple revers de la main. Et tout ça à cause des gouttes qui coulent à présent sur les joues de l'enfant. On sous-estime bien trop souvent le pouvoir des mots. Mais également celui des larmes. Consciente d'avoir dérapé, incapable de corriger ce qu'elle vient de faire, Kaya se sent prise au piège d'un maëlstrom de sentiments. Elle doute. Et son réflexe premier est de se lever pour venir s'agenouiller face à Mihoko et poser délicatement les mains sur ses épaules.
"Écoutes-moi bien Miho-chan!" commence-t'elle, hésitante. "Les esprits et les démons peuvent être beaucoup de choses. Mais ils ne seront jamais les amis des vivants. Jamais! Dans ce monde ils ne sont que des ombres, incapables de faire du mal à qui que ce soit sans être invoqués. Mais crois-moi quand je te dis qu'ils le feraient sans hésiter s'ils en avaient l'occasion. Ne prends pas leur... intérêt pour toi pour de l'affection."
Certains esprits se nourrissent des idées noires des humains. Ils se greffent alors à leurs âmes comme des sangsues le ferraient, les ternissant jusqu'à les emporter. Les démons sont bien pires. Une chance que Mihoko n'ait pas été en contact avec l'un d'eux. Car ce n'est pas un seul cadavre qu'elle retrouverait aujourd'hui...
"Mais rien de ce que je pourrai te dire ne te fera changer d'avis n'est-ce pas? Tu restes convaincue que ce sont tes amis, hein?" lâche-t'elle avec un sourire résigné. "Alors ce n'est pas moi qui vais te prouver que j'ai raison. Ce sont eux!"
Elle désigne le groupe d'esprits derrière l'enfant. Oui, les conseils ont une efficacité limitée. Certains ont besoin de faire leurs propres expériences pour accepter de voir la réalité en face. Mihoko semble être de ceux-là. Tout comme l'est Kaya. Si les rôles avaient été inversés elle aurait sûrement réagi comme l'enfant. Et puis la gamine ne sait pas grand chose des esprits. Comment lui reprocher son manque de clairvoyance? Après tout des gens bien plus sages et âgés se sont laissés avoir...
"Je les épargnerai si - et seulement si - tu m'accompagnes. Dans ce cas ils pourront rester avec toi jusqu'à ce que tu en décides autrement. Et bien entendu ils n'auront rien à craindre de moi tant que tu les considéreras comme tes amis." propose-t'elle. "Avant que tu prennes ta décision j'aimerais te montrer quelque chose..."
Mihoko ne semble pas avoir tous les éléments en main pour se décider. C'est pourquoi la noiraude lui capture gentiment la main pour la mener à l'étage. Elle n'a pas vraiment de mal à retrouver le cadavre de la grand-mère de Mihoko, l'odeur seule servant de boussole. Kaya écarte finalement le panneau coulissant qui masque l'entrée de la chambre et détourne brièvement le regard. Les restes de la femme, décharnés, sont rongés par les vers et la pourriture. Ses orbites creusées, elle contemple de son regard désormais figé les deux vivantes comme s'ils venaient d'interrompre sa sieste.
Alors la Mamoru se tourne vers sa cadette et lui adresse un pauvre sourire avant de transférer un peu de son chakra dans son corps. Si Mihoko ne s'est pas rendue compte de cette funeste réalité, c'est qu'elle s'est murée dans une illusion. Le choc risque d'être violent. Mais Kaya est aux côtés de l'enfant, prête à la soutenir quand elle prendra conscience de la perte de cet être cher. Voit-elle?
Tremblante mais déterminée, la petite se tenait face aux démons, protégeant ainsi ce qu’elle appelait ses amis. Doucement sa cousine vint alors vers elle, se mettant à sa hauteur avant de reprendre la parole. Elle écouta ces indications en silence. Kaya ne semblait pas partager son point de vue concernant les esprits et les démons. Mais elle arrivait bien trop tard pour lui faire le moindre sermon, pour lui faire changer d’avis. Combien d’année avait-elle vécu seule avec sa grand-mère et ces esprits comme seul compagnie ? Jusqu’à maintenant c’était les humains qui l’avait mis à l’écart et blessé, pas les esprits.
Elle suivit le regard de Kaya sur les esprits qui les observait encore depuis le coin. Ils semblaient effrayés…. Miho regarda à nouveau sa cousine avant de serrer les poings. Elle parlait beaucoup, critiquait beaucoup… et pourtant tout allait très bien jusqu’à ce qu’elle vienne ici… qu’elle vienne l’arracher de sa maison, de ses amis.
Puis elles allèrent à l’étage.
Plus elles avançaient, plus la petite ralentissait. Elle ne voulait pas, elle ressentait, elle craignait… Il ne fallait pas monter à l’étage, non… Il fallait laisser sa grand-mère dormir… se reposer pour qu’elle puisse se sentir mieux. Tout ce qu’elle voyait dans la chambre était sa grand-mère endormie paisiblement endormie dans sa chambre. Mais au fond, le malaise était bien installé, Miho savait sans vouloir le reconnaître. Elle échangea un regard anxieux avec sa cousine avant de ressentir une drôle de sensation.
Le voile se cassa.
Les murs qu’elle voyait lumineux devinrent fissurés, le beau parquet gondolé par la mauvaise herbe et l’humidité… le duvet coloré devint poussiéreux et enfin…sa grand-mère. Les yeux rouges de l’enfant se posèrent sur cette dernière dans un long silence. Doucement, ils s’écarquillèrent alors que la respiration de la petite devint de plus en plus forte et irrégulière. Sa grand-mère, paisiblement endormie, était devenue laide… pourrie…. Et jamais ne reviendrait s’occuper d’elle.
Un cri.
Un cri puissant sortit finalement des lèvres de la petite qui se mit à tenir la tête tout en fermant les yeux. Elle refusait, impossible… non… Le choc était trop grand. Son cri aigu retentit dans toute la maison chassant les esprits alentours, cassant les oreilles de tout le monde. Elle lorsqu’elle termina, elle s’écroula. Ses forces l’abandonnèrent, sa conscience s’en alla. Ses yeux cherchèrent une dernière fois sa grand-mère se remémorant alors sa chaleur, sa douce voix et son sourire. Une larme coula à nouveau sur sa joue avant qu’elle ne plonge définitivement dans l’inconscience.
La Mamoru fait un pas en arrière lorsque la gamine exprime la douleur de sa prise de conscience à travers un long cri lancinant. Puis elle la rattrape in extremis avant qu'elle heurte le sol. Kaya écarte une mèche de cheveux sombres du visage délicat de Mihoko et l'observe encore quelques instants avant de la soulever dans ses bras. Ses esprits s'approchent à nouveau et lui offrent leur aide. Elle refuse d'un simple signe de la tête avant de descendre les escaliers et installer confortablement sa cousine dans le séjour. Après quoi elle s'assoit à ses côtés.
Elle redoute quelque peu le réveil de l'enfant et ce qu'elle pourra lire dans son regard. L'inconscience lui évite de faire face à la réalité. Mais elle n'y coupera pas, c'est certain. Lui reprochera-t'elle de lui avoir ouvert les yeux, de l'avoir tirée de la fausse quiétude dans laquelle elle s'était enfermée? Ou la remerciera-t'elle? Kaya ne se fait guère d'espoirs. Miho-chan reste une enfant malgré le fait qu'elle se soit débrouillée seule jusqu'ici. Et elle réagira certainement en adéquation avec son jeune âge. La Mamoru ne s'était pas imaginée de telles retrouvailles.
*Quel bordel...*
Elle enfonce son visage dans ses mains et lâche un soupire résigné. Que faire sinon composer avec cette nouvelle donne? Comment oeuvrer pour le bien de sa cousine et non pour satisfaire ses désirs sans que cela ait un impact négatif sur leur relation? Est-elle condamnée à endosser le rôle de la méchante? Pourquoi pas après tout... Quelle autre choix a-t'elle? Laissez l'enfant croupir de trou et glisser peu à peu dans la folie?
*Je l'emmène avec moi!* indique-t'elle aux esprits de sa cousine qui se regroupent peu à peu. *Ne tentez pas de m'en empêcher et vous pourrez l'accompagner. Dans le cas contraire j'effacerai jusqu'à la dernière trace de vos âmes...*
L'un des démons s'avance et racle le sol boisé de ses griffes. Le profond sillage qu'il y laisse exprime clairement les conséquences d'une révolte des esprits de Mihoko. Ils échangent entre eux puis finissent par accepter "l'offre" ainsi faite.
*Parfait! Encore une chose maintenant: Mihoko vous accorde sa confiance. Je ne sais pas encore si elle a raison d'agir ainsi. Mais ce qui est sûr c'est que vous avez intérêt à vous montrer à la hauteur de l'estime qu'elle vous porte. Si vous lui mentez, la blessez ou faites quoi que ce soit qui puisse lui porter préjudice vous pouvez être certains que vous me trouverez sur votre chemin pour vous le faire regretter.*
Elle appuie sa déclaration d'un regard déterminé à l'ensemble des esprits avant de se redresser et distribuer de nouveaux ordres à ses propres serviteurs. La nuit est déjà bien avancée mais il reste encore des choses à faire...
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La toiture puis des pans de murs entiers s'effondrent, avalés par les flammes qui illuminent les cieux. Pour faire table rase du passé il est parfois préférable d'en éradiquer jusqu'au moindre souvenir. Cette demeure a vu grandir Mihoko et représente ce qu'elle était. Il est temps maintenant de la guider vers l'avenir et le monde. La noiraude sent la respiration apaisée de l'enfant sur son épaule et esquisse un sourire. Puis elle ouvre la marche en prenant bien soin que sa cousine ne chute pas de la monture spectrale. Oui, de nouveaux horizons l'attendent...
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Le Temple d'Ao émerge peu à peu de la brume matinale habituelle en cette saison. Les sabots de la créature raclent le pont de pierre qui mène à l'édifice avant qu'elle disparaisse. Kaya remarque alors que Mihoko est réveillée et que son regard découvre les environs. Elle lui adresse un sourire puis lui désigne le centre du pouvoir politique de Taki.
"Le Temple d'Ao! Et accessoirement ta nouvelle demeure." explique-t'elle. "Bienvenue chez toi Miho-chan!"
Que lui dire d'autre? Évoquer la mort de sa grand-mère n'est sûrement pas une bonne idée. Sa cousine lui en parlera si elle le souhaite mais en attendant il est inutile de raviver les blessures. La Mamoru fait un pas en arrière pour laisser les esprits de l'enfant l'entourer. Un signe de bonne volonté qui, elle l'espère, sera interprété comme telle par Mihoko. Aujourd'hui est un nouveau jour. Et peut-être l'occasion de laisser derrière soi les rancunes qui ont pu naître la veille...
