Le vent me soufflait dans le dos comme pour m'inciter à partir au plus vite. Il me poussait vers la sortie de mon village natal via des bourrasques puissantes. Je tentais tant bien que mal de lui résister afin de gagner quelques précieuses secondes mais hélas en vain; il me tractait parfois sur plusieurs pas et tout mes efforts pour lui résister se révélaient foncièrement inutiles. A vrai dire sans mon sac de plusieurs kilos sur le dos j'aurais sûrement pu m'envoler, ou au moins me rétamer dans les règles de l'art. Les mètres s’enchaînèrent donc à une allure folle et il me suffît de quelques minutes pour traverser l’intégralité de la place et arriver devant la porte du bourg. Une rafale plus forte qu'une autre m'envoya une fine poussière dans mes yeux, qui s'emplirent alors instantanément de larmes. Elles menaçaient de poindre depuis déjà quelques heures et avaient trouvé là le meilleur moyen de s'échapper. Elles roulèrent allègrement le long de mes joues avant de s'accumuler au niveau de mon menton. Ironiquement je désirais quitter mon père et son diktat depuis de nombreuses années et maintenant que j'en avais l'occasion je me sentais aussi désemparé qu'un nouveau né. Trop de liberté et de responsabilité en quelques secondes pour que je puisse pleinement en profiter sans en avoir peur. Et puis je ne désirais franchement pas m'installer à Kumo. Je ne connaissais personne là bas mis à part le contact qui m'attendait et à qui je devais livrer la lettre emprunte de l'emblème de mon clan. Un cousin éloigné de ma famille qui avait décidé de se lancer dans le commerce et que je n'avais pas revu depuis fort longtemps. Je doutais même du fait de pouvoir reconnaître son visage. Heureusement pour moi lui avait reçu des photos de moi quelques semaines avant mon départ. Enfin bon. Ce n'étais pas en rêvant que je franchirais les kilomètres qui nous séparait. Ce fut donc d'un pas décidé que je passais le seuil de la grande porte une carte à la main et les yeux encore rouges. Pendant une seconde l'idée de me retourner pour admirer une dernière fois ma contrée natale m’effleura mais elle fut rapidement balayée par ma fierté de mâle pré-pubère. Je ne voulais pas qu'une personne puisse s’apercevoir que j'avais laissé mes sentiments m'envahir. Puis si je me retournais je savais que j'allais me manger une autre poignée de sable par la face.



Perdu. J'étais complètement paumé. Pour une première fois que je me servais d'une carte papier et d'une boussole il fallait avouer que je m'étais sauvagement ramassé. En théorie j'aurais du arriver depuis une bonne heure, voire plus. Pourtant je déambulais toujours mes instruments à la main. Ce n'était pas pas si compliqué de suivre un itinéraire rectiligne quand même. Et bah si de toute évidence c'était trop pour moi. Il me suffisait simplement d'aller toujours dans la même direction jusqu'à ce que j’aperçoive un chemin et que je le suive. Au lieu de quoi je me retrouvais dans une forêt non loin d'une montagne avec le soleil qui déclinait dans le ciel. Le temps m'était donc compté avant que je ne me retrouve dans le noir complet. En plus je commençais à ressentir une faim de plus en plus pressante. Il ne m'avait pas paru vital de m'encombrer de nourriture lors de mon départ. Une belle connerie tiens. « Et si j'allais me promener seul dans les bois pour la première fois sans bouffe ? Bah oui un peu de challenge c'est toujours plus sympa. Au fond si je me perd je risque quoi ? Une effroyable agonie avant de mourir de faim ou bien une effroyable agonie pour avoir avalé un truc qui ressemble à une baie mais qui en réalité se révèle être un laxatif surpuissant et donc létal. Gé-nial en avant les n'amis. » Enfin pour couronner le tout une douleur cuisante au niveau de mon épaule droite me harcelait. La corde de mon sac me cisaillait la peau au rythme de mes pas et m'empêchait de garder une cadence soutenue.
Un craquement me retira soudainement de mes joyeuses pensées. Une ombre fila dans les buissons à toute vitesse. Aussitôt une paire d'yeux se dessina dans l'ombre des arbustes luxuriants. Des histoires de monstres mangeurs de chaire humaine fraîche et de bêtes sauvages tapies dans l'obscurité me revinrent en tête. Il ne manquait plus qu'un peu de compagnie pour finir cette belle journée. Je me saisis donc de mon courage à deux mains, déposai mon sac à terre et... Pris les jambes à mon coup en me dirigeant vers la montagne. Avec un peu de bol il ne me suivrait pas jusque là haut. En plus une fois au sommet je bénéficiai d'un terrain plus propice pour me battre ; cerise sur le gâteau je pourrais voir au loin et donc reprendre une direction correcte. Je gravis donc la pente à pleine vitesse et bien sur, sans me retourner. Il s'en fallu de peu pour que je chute mais je réalisai l'exploit de ne pas me vautrer. J'atteignis le sommet en quelques minutes. J'étais haletant et mes poumons me brûlaient. Je fis tout de même l'effort de grimper à la cime d'un arbre. Il ne me restait plus qu'à attendre pour savoir si l'ogre ou le troll m'avait suivi, et ce qu'il comptait faire de moi.