Le soleil frappe de plein fouet dans la capitale en effervescence. Les marchands s’arrachent la vedette à grand coup de quolibets balancés entre eux ou par leurs interpellations à l’attention de la foule. Tu ne prêtes pas attention à tout ce remue-ménage. Tu sais ce qu’il te faut et tu n’as pas à te perdre dans le dédale de boutiques et d’étals. Ton chemin te porte jusqu’aux fruits et légumes où tu procèdes aux achats dont tu as besoin. Tu tends l’argent au maraîcher qui te remercie d’un signe de tête et d’un sourire. Tu reprends alors ton chemin aussi paisiblement qu’à ton arrivée.

Toute la cohue du village semble alors converger vers un point mouvant dans l’allée principale. Tu aurais tendance à ignorer ce remue-ménage mais il semble qu’il y ait cette fois une raison bien plus intéressante qu’une promotion sur les poissons. Tu suis alors de quelques pas timides pour t’apercevoir que la masse grouillante s’arrête quelques mètres devant toi. Tu t’approches du mieux que tu peux pour finalement apercevoir l’origine de toute cette cohue. Par-dessus les têtes des badauds, il y en a une qui semble survoler la foule, surélevée par tu ne sais quelle magie ou stratagème. Ce visage tu le connais. Il est celui du défenseur du village. Tout le monde le connaît, même toi. Tu restes solennel face à cette figure politique et emblématique.

Tu sais pertinemment que sans lui, tu ne serais pas ici aujourd’hui. Tu ne peux t’estimer réellement réfractaire à son régime politique mais tu n’es pas non plus un fervent partisan. Tu te contentes de prendre ce que ce shinobi a décidé d’offrir. Tu lui offres le fruit de ton labeur contre sa protection. Les deux partis étant gagnants, il n’y a pas de raison que l’un nuise à l’autre. Tu t’apprêtes donc à partir quand l’impensable se produit. Ce n’est qu’une demi-seconde qui se perd dans les milliers d’autres qui suivent. Vos regards se croisent. L’espace d’un instant, un contact particulier semble s’établir. Mais il se meurt aussi vite qu’il est arrivé. Cet échange éclair te cloue un instant sur place avant que tu ne reprennes ta route. Le cortège suivi avec attention te libère l’avenue principale menant aux Longs Tunnels.

Personne mise à part les gardes qui te connaissent. Tu passes donc sans aucun souci pour t’aventurer à l’extérieur du village. Ta maison se trouve non loin de là en plein dans la Forêt de la Brume. Ses sentiers n’ont pas de secrets pour toi. Tu pourrais les parcourir les yeux fermés tellement il s’agit d’un automatisme. Tu pourrais t’y repérer rien qu’à l’odeur du foyer fumant qui dégage sa fragrance par la cheminée de ta modeste demeure. Tu retrouves finalement ton chez-toi. Tu ranges à la hâte tes quelques achats avant de préparer le repas. L’intérieur de ton habitation est rudimentaire. Le strict nécessaire. Aucune décoration personnelle, aucune touche de couleur. Si tu n’étais pas là, on pourrait presque croire qu’il s’agit d’un lieu abandonné. Voire hanté.

Ton petit plat prêt, tu te mets à table où tu as déjà placé la seule assiette et les seuls couverts que tu possèdes. Tu t’es débarrassé des autres il y a de cela quelques années lorsque tu as tragiquement perdu ta femme. La maladie l’a emporté lors d’un hiver un peu rude. Depuis tu n’as jamais souhaité partager ta vie avec une autre personne. Pas même un animal. Pas même une plante. Tu termines ton souper en silence avant de tout mettre dans une bassine pour laver tes ustensiles. Tout est rangé dans la seconde, rien ne traîne. Ce qui renforce un peu plus l’impression de demeure inhabitée. Pas une étagère avec des livres pour se distraire. Un lit, une table, une chaise et les quelques meubles de rangement nécessaires à ses outils de la vie quotidienne. Tu te rends finalement dehors, ton unique chaise en main. Tu la déposes devant ta porte et tu y prends place afin de faire face à ce paysage que tu ne connais que trop bien. Mais tu te plais à le contempler inlassablement. Tu pourrais passer des heures assis-là à te ressasser ta petite vie de simple citoyen. Les souvenirs de ta femme et de votre vie à deux. Votre petite activité d’agriculteurs que tu as continués malgré tout.

Un léger vent frais apporte un frisson dans ton dos. La nuit ne va pas tarder à tomber et une nouvelle journée de labeur t’attend demain. Elle sera similaire à celle d’aujourd’hui et à celle d’hier. Avec pour seule compagnie les marchands que tu croiseras en allant chercher tes vivres en fin de journée. Tu n’as même pas eu la chance d’avoir une descendance. Ta femme est partie avant même que vous ne puissiez-vous projeter dans une vie de famille. Pourtant, lorsque tu rentres dans ce foyer austère qui te sert de toit, tu n’éprouves aucun regret. Tu gardes même une certaine satisfaction au final. Tu fais ton devoir et la Nature te rend ce qu’elle a à offrir. Que ce soit en bien ou en mal.

La porte derrière toi est encore ouverte. Tes pensées t’ont tellement happé de la réalité que tu en as oublié de la refermer. Tu fais donc volte-face pour préserver la chaleur dans ta maison. Puis tu te figes, paralysé. Comme si cette lame qui te transperce de part en part était l’ultime rempart de ta destinée sur lequel tu viens de t’échouer. Ton corps est secoué de légers tremblements alors que ton regard se lève doucement sur la silhouette qui te fait face. Ce visage tu le connais. Celui du défenseur. Celui qui t’apportais protection jusque-là. Celui qui il y a encore quelques temps, semblait avoir croisé ton regard par mégarde. Au moment où tu recroises ses yeux, tu sais que ce n’était en réalité pas un hasard. Tu comprends alors que ce n’était pas anodin dans la vie d’un homme comme toi qui ne connait plus les imprévus depuis longtemps. Cet élément aurait dû te mettre la puce à l’oreille mais tu t’es laissé avoir par ton caractère effacé. Toi qui jusque-là restais muré dans ton silence, tu écartes les lèvres à la recherche des mots qui te traversent l’esprit.

- Pourquoi… ? …. Pourquoi moi ? …. Je n’ai rien… Ni arme, ni pouvoir… ni famille… aucun proche.

C’est un sourire carnassier et démoniaque qui accompagne ton dernier souffle alors que ta carcasse vidée de son essence vitale s’affaisse lourdement au sol. Dans un ultime moment de conscience, avant de vaciller totalement de l’autre côté du miroir, tu perçois la voix froide de ton assassin qui te répond :

- Justement, profère le Démon aux yeux violets.

Tu as perdu toute consistance. Ton esprit en déliquescence semble s’en être allé. Pourtant une lueur semble se distinguer dans le néant. D’abord timide puis plus vivace. Un phare qui t’attire comme la mouche sur une lampe incandescente. Face à toute cette solitude, à laquelle tu es habitué au final, tu décides d’avancer. D’un rythme d’abord hésitant, tu accélères la cadence au fur et à mesure. Cette lumière t’obsèdes et t’attires de plus en plus. Puis te voilà proche. Elle a beau être aveuglante tu continues ton avancée pour finalement te noyer dedans. Du noir le plus total tu passes à une blancheur immaculée.

Puis le flash se dissipe progressivement. Les lueurs deviennent tamisées et vacillantes. Des flammes au bout de torches. Puis tu réalises que tu les distingue très clairement. Tu vois leurs socles encastrés dans le mur de pierre de cette salle rectangulaire. Pourtant ce n’est pas le lieu qui te surprend, ce n’est pas ce corps inerte en face de toi qui t’interloque, ni les étranges sigles dessinés au sol par une encre douteuse. Non rien de tout ça n’est responsable de ton faciès surpris. Ce n’est pas ce que tu vois qui te surprend, mais le simple fait de voir. Tu es mort et te voilà. Debout sur tes jambes. Tu reconnais ton corps, c’est bien le tien. Mais une sensation étrange te tiraille. Tu as l’impression que tu n’es pas seul. Et cela n’a rien à voir avec la silhouette tapi dans la pénombre, qui ne t’as pas échappé. Elle finit par se mouvoir pour se présenter dans la lumière. Mais tu la connais déjà.

Le Démon aux yeux violets te fixe d’un air satisfait. Une fois la surprise passée, tu finis par prononcer quelques mots où ton émotion se fait sentir :

- Qu’est-ce que c’est que ce délire ? Qu’est-ce que vous m’avez fait ?

- Je t’ai…libéré ! On va dire, répond le Rokudaime avec un ricanement.

Son petit air narquois te déplaît fortement. Tu n’as jamais été un sanguin mais la situation te pousse à réagir. Malgré l’expérience que tu viens de traverser, tes jambes ont toute la vigueur et elles te poussent vers l’avant pour sauter à la gorge de ce traître en qui tu plaçais une certaine confiance. Mais il ne bouge pas. Toi non plus d’ailleurs. Tu t’es arrêté en pleine course. Une soudaine volonté qui te semble étrangère a convaincu ton être de te stopper net. Tu ne comprends pas. Ton esprit lui-même semble tiraillé. Ton incompréhension doit se lire sur ton visage car très vite le Traître reprend la parole :

- La sensation doit être particulière au début mais tu devrais t’y faire. Les autres ont compris bien avant ce qui leur arrivait. Dans ton cas, ça doit être tout nouveau alors je vais tâcher de t’expliquer.

Puis le Démon aux yeux violets désigne le sol d’un large geste de la main. Tu suis le mouvement et constate que la totalité de la pièce est tapissé de signes incantatoires dessinés à même la roche. Dans tout ce méli-mélo, tu retrouves le cadavre que tu avais aperçu plus tôt. Il est dans un cercle totalement noir et son état ne fait aucun doute. Malgré ce spectacle, tu ne comprends pas plus ce qui t’arrives. Mais pas besoin de poser la question que déjà le Mizukage revient à la charge :

- Tu étais mort et je t’ai ressuscité, déclare-t-il simplement.

- On se demande à cause de qui !

Un simple sourire accueille tes mots balancés avec rage.

- Tu es sous le joug d’une technique ancestrale que seuls certains nécromanciens comme moi connaissent. L’Edo Tenseï. Un jutsu interdit car jugé immoral. Pour ceux le maîtrisant, nous préférons le terme : pratique. Il nous permet de faire revenir un être défunt dans son enveloppe charnelle et d’en récupérer toutes les capacités. Au détail prêt que nous sommes en mesure d’en contrôler la moindre parcelle. Que ce soit un pouvoir, la parole ou même la pensée.

C’est maintenant à ton tour de ricaner. Plus comme un tic nerveux qu’autre chose mais tu ne tardes pas à expliquer les raisons de cette hilarité brève.

- Mauvaise pioche. Je ne suis héritier d’aucun clan et je ne me suis jamais battu. Je ne sais pas ce qui vous a motivé à ça mais c’est parfaitement inutile. Vous n’obtiendrez rien de moi. Je vous étais plus utile de mon vivant. Dommage.

Là-dessus c’est au tour du Mizukage de rire de nouveau. A croire qu’il s’agit d’un concours entre vous deux. Mais ce petit jeu risque de te lasser bien assez vite. Tu espères obtenir rapidement des réponses. Ce psychopathe a beau te contrôler, tu ne donnes pas cher de sa peau s’il relâche son attention ne serait-ce qu’une demi seconde. Mais tu n’es pas libre de tes mouvements. Il n’est pas fou. Pas totalement en tout cas. Une fois son ricanement mesquin terminé, ton assassin finit par s’expliquer sur tout cela :

- Hahaha si tu savais mon pauvre ! Tu es tellement naïf. Si tu es mort ce n’est pas sans raison. Je t’ai choisi avec la plus grande attention. Un homme isolé, sans proche pour réaliser ta disparition et sans pouvoir pour m’ôter la difficulté de traquer un adversaire trop coriace. Tu menais une vie toute simple et ennuyeuse à mourir. Je vais t’offrir un destin beaucoup plus noble et beaucoup plus…grandiose.