Une nouvelle journée de travail. Bonne nouvelle, elle se passait bien. Les chefs des mines du nord restaient pour l’instant calmes, même si tout laissait croire que les choses ne s’achèveraient pas aussi paisiblement. Après avoir reçu une délégation, il avait été rendu clair que le Gouverneur ne lâcherait pas prise ! Et les patrons, hargneux mais silencieux, avaient gardé pour eux leurs rancœurs, en attendant l’instant propice pour lutter. Une brave décision ! Car il n’y avait que peu d’espaces entre la terre et la mer lorsque l’on est sur le littoral : à peu près la même distance que celle qui existe entre la patience et la rage chez le Gouverneur de Yuki no Kuni. Et sur cette compréhension muette l’un de l’autre, les deux partis s’étaient séparés, sans mot dire.

Voilà un bon quart d’heure que notre lascar était tranquille. Il avait troqué les papiers officiels et les enquilles divers pour un ouvrage de son prédécesseur. Des bilans, des rapports d’anciennes missions ; il y avait même des traces d’inquiétude, de ça, de là, vis-à-vis de certains points bien particuliers. D’ailleurs, les relations entre les miniers dans les montagnes du nord et les patrons des industries minières semblaient dramatiques ! Avec une récente explosion, accidentelle d’après les mineurs, criminelles selon le patronat, qui avait causé la mort de plusieurs dizaines de travailleurs de fonds, les relations étaient au plus sombre, et tout indiquait que les pioches frapperaient bientôt caboche plutôt que roche ! Il allait falloir remédier à cela rapidement.
Mais il n’y avait visiblement pas moyen d’avoir un temps à soi ! Après cette vingtaine de minutes de tranquillité et de plaisir, presque à admirer la vue de la ville par la baie vitrée derrière son bureau, le claquement de la porte du bureau força notre Gouverneur à revenir à la réalité. D’instinct, il s’était saisi d’un stylo décapuchonné : entre les doigts d’un vétéran, un rouleau de PQ peut devenir une arme ! Imaginez avec un stylo, il redessine le monde à son image ! Passons les métaphores. Devant l’interruption de ses pensées, un jeune homme à crinière blonde imposait sa fougue, et laissait à peiner au haut responsable le temps de reprendre son souffle. Frappant le bureau du poing, son regard se noya dans celui du Patron des lieux, et ses paroles fusèrent comme un canon à plasma en surchauffe ! De toute évidence, il comptait faire comprendre ses envies, ses intentions, et ses ambitions. Le tout sans vraiment rechercher l’approbation de son supérieur. Intéressant ! Et pendant que le merdeux vociférait, Kakeshuou ne quittait pas des yeux le regard d’un homme aussi déterminé … et aussi idiot.

Une fois les « ordres » du malheureux donné au Gouverneur, un moment de silence. Les deux protagonistes se toisaient, cherchant les failles du regard, lequel clignerait le premier des yeux, qu’est-ce que j’en sais, moi ?! Mais cette paix troublée dura bien une poignée de dizaines de secondes. C’est un bruit cristallin, de fissure aigue, qui ramena le jeune homme sur terre. Car autour de lui, dans un silence glacial, s’était formée une palette de glace, dont les extrémités menaçaient de leurs pointes le corps déjà abîmé du jeune homme. Sans bouger, toujours aussi froid dans sa façon d’accueillir les gêneurs et les chieurs, Kakeshuou Samui avait développé ses mudras en cachant ses mains dans ses mains, avant de se redresser doucement une fois que le Chûnin face à lui avait saisi la délicatesse de sa situation.

~ Et moi, je veux que toi, petit con, tu sortes de ce bureau et que tu n’y reviennes qu’une fois que tu auras appris les bonnes manières ! Je ne te connais ni d’Adam ni d’Eve, mais laisse-moi te dire que pour l’heure, tes requêtes ont autant de valeur que celles des mendiants dans la rue !

Sur ce ton à la fois impérial et menaçant, Kakeshuou chassait l’insolent qui osait venir lui donner des ordres malgré son âge et son importance minuscule dans une structure aussi complexe qu’une hiérarchie ninja. M’en vais me charger de ton éducation, mon gars ! Et attention à ce que tu fais, car tu viens d’réveiller l’dragon, mon pote ! Après être dérangé et interpelé de façon aussi brutale et peu accommodée, il ne fallait pas s’attendre à un signe de bonté de la part du vieux briscard. Il était vétéran de Kiri et de guerre ; il avait vécu plus de printemps que plusieurs générations réunies ; il s’était hissé parmi les hauts gradés, malgré les embuches et les problèmes : ce n’était pas un petit péteux sorti de son Clan qui allait lui dicter sa conduite et ses actions. Encore moins si cela tournait autour de Yuki, sa propre nièce ! Élément qui lui donnait en partie l’identité de cet homme ; mais point sur lequel il préférait revenir une fois que l’individu aurait fait preuve d’un peu plus de respect.

~ Maintenant, dégage avant que je ne prenne ton entrée en scène comme une tentative d’assassinat sur la personne du Gouverneur et que je ne te mette dans une situation que tu ne pourras qu’amèrement regretter. Et crois-moi : je le ferais avec le plus grand sourire du monde !

Fier de son petit numéro de merdeux autoritaire, et certainement confiant dans ses capacités pour le moins misérables, l’auto-invité tentait dans une stratégie désespérée de menacer le plus haut responsable du pays. Tu crois vraiment qu’un homme qui a vécu mille situations, croisé mille fois la mort, a tué mille fois plus qu’un homme normal aurait dû en toute une vie, va se sentir inquiété par un petit con qui prétend exiger quoi que ce soit ? Ne me fais pas rire, gamin. Tu n’as pour moi que l’importance d’une fourmi au milieu d’une fourmilière. Vous êtes des centaines ici, que cette île faite de glace et de neige. Et tu crois que j’ai le temps de m’intéresser à un seul cas en particulier ?

Sur cette pensée, le Gouverneur n’afficha qu’un rictus bien méchant. Il s’était déjà assis et, même si pour le coup la réaction du Kirijin semblait démesurée voire dangereuse, il ne comptait pas s’intéresser à ce cas. La brume de Kiri ? Une technique classique, presque traditionnelle. Un petit jeu de fantôme ? Des paroles blessantes ? Rien à foutre ! Ne va quand même pas croire que ce genre de broutilles allait vraiment changer quelque chose. Ce que cela aurait s’il était éliminé ? Il serait mis à l’écart ? Grande joie pour lui ! Après tout, il était mis de côté tout en recevant pour cela des pouvoirs sur une province de première importance. Quoi de mieux pour illustrer cela qu’un patron renvoyé de son entreprise avec un parachute dorée de plusieurs millions de dollars … . La vie était décidément bien drôle. Quant au projet d’élimination, il ne craignait rien de tout cela. Il disposait de bien plus de soutien qu’on ne voulait alors l’admettre ; et notre ami était persuadé de ne pas se laisser mourir de façon aussi risible. Il était déterminé à livrer bataille jusqu’à la fin, peu importe la difficulté que cela pouvait impliquer comme sacrifice.
Après avoir fait quelques tours, le personnage grossier par ses propos et son attitude prenait de nouveau place dans la brume, cachant dès lors ses actions. Mais il restait toujours là ; aucun doute sur cela. De son côté, Kakeshuou, malgré l’ombre grise qui planait ici, continuait à écrire sur le rapport dont il s’était emparé. Il venait de finir sa lecture sur cette histoire de conflit au marché du mardi matin. Il devrait envoyer un de ses élèves se charger de cela ; les conflits les plus simples étaient laissés à la petite friture du village caché, mais ils devaient malgré tout être réglés afin de se débarrasser de ce genre de tracas. Il répondait donc favorablement à une intervention de la part des forces militaires pour ce souci ridicule.

Il ne manquait plus qu’un coup de tampon. Ce fameux sceau qui symbolisait l’aval du pouvoir, qui permettait le déclenchement de la mission et – surtout !! – expédier l’affaire en vitesse. S’agitant de son côté, ignorant intégralement et sans complexe la présence du Chûnin dans cette pièce, notre homme commençait à mettre un désordre impossible sur un bureau dont il apercevait à peine la surface. Remue-ménage, bruits divers et variés, le tout en laissant mariner le jeune homme. Notre quinquagénaire l’avait bien dit, et même ordonné : tout ce que cet homme pouvait faire, c’était dégager du plancher et espérer que notre haut responsable serait magnanime. Le tout certainement plus facilement relié par des excuses en bonnes et dues formes. N’allez pas croire que Kakeshuou Samui se croit tout puissant. Nombreux sont ceux qui s’imaginent en lui un homme peu scrupuleux, hautain comme pas permis et au sentiment supérieur. Il n’en est rien ; tout est une question de respect, d’entente et de procédure. On ne peut pas en vouloir à un homme au parcours militaire irréprochable d’appliquer au quotidien et à la lettre ce qu’on lui a enseigné depuis sa naissance.
Ca y est !! Le maudit tampon ! Enfin accessible … . Retrouvant, cette fois-ci plus rapidement, le boitier d’encre, deux frappes rapides firent comprendre que le tout était officialisé et qu’il n’y avait plus de raison d’être tracassé concernant ce sujet. Ayant rempli sa part du travail, ne restait plus qu’à envoyer l’ordre de mission. Relevant les yeux pour entrevoir la porte … Ha, c’est vrai … le brouillard … . D’une grimace d’agacement mêlée à une profonde gêne pour la honte du bambin toujours présent mais tapi dans son coin, le vétéran se contenta de soupirer et se dirigea tout droit sur sa gauche. Une fois en contact avec le mur, notre homme se contenta de suivre le prolongement, évitant de cogner contre tout obstacle. Il ne voyait pas son interlocuteur – si tenté qu’on puisse le qualifier ainsi ! puisque Kakeshuou Samui l’ignorait royalement – et ce dernier devait certainement être dans le même handicap. Le tout était de continuer à vivre en s’y accommodant. La porte ! Ca y est, on y était enfin.
Ouvrant la porte, et apparaissant hors de ce nuage dense, notre homme continuait de façon évidente ses activités.

~ Hola, quelqu’un ! Je veux qu’un Genin se charge de cette histoire dès mardi prochain, pour éviter toute esclandre au marché !

Le Shinobi, sur cet élan, ferma la porte derrière lui.


La baie vitrée vola en éclat, alors que le reste de la pièce était emportée par une soufflerie. Les livres s’en trouvèrent détruits, les papiers éparpillés, et je ne parlerai même pas du mobilier. Le bureau d’où venait la source même de l’explosion n’était plus que poussière, et tout portait à croire que le malheureux « invité » avait été pris dans les dégâts. Car quel malade mental pouvait bien piéger le bureau ainsi ?!
Réponse : Kakeshuou Samui. Et sans le moindre état d’âme. Si vous lui posez la question, il sera le premier à vous dire : ce qui compte, ce n’est pas le mobilier ; c’est la tête sur les épaules. Un bureau, ça s’use, ça explose et ça se remplace. Pas de quoi en faire des montagnes. En cherchant à droite et à gauche pour le fameux tampon un peu plus tôt, notre Gouverneur en avait profité pour glisser çà et là une ou deux petites notes explosives, à temps limité. Le tout pour évacuer tranquillement sur un bon prétexte et mettre son plan à exécution.

Après avoir vaguement entendu les arguments du personnage pris au piège, Kakeshuou avait enfin remis l’identité de cet homme qui n’avait même pas pris la peine de se présenter. Il s’agissait certainement de Yusuke Katano, l’homme qui avait été dépêché ici avec sa nièce, Yuki, sur une mission de protection. Il avait été récemment blessé lors d’une rencontre avec le dénommé « Seth » qui était toujours dans les geôles (bien que pour très peu de temps …). Ce serait suite à la menace proféré contre Yuki Samui qu’il serait intervenu ? Décidément, ces deux-là étaient un poil trop complices. Et à en voir le résultat, c’était loin d’être de bonne intelligence.
La porte du bureau grinça, tel le dernier râle d’un blessé de guerre ; puis elle tomba lourdement sur le sol pour laisser place à un lieu dévasté. Avec cet espace restreint et l’effet de surprise, il y avait peu de chances que le jeune homme en ait réchappé. Il serait plus gravement blessé qu’avant, tout au plus, mais pas mortellement. Ou espérons-le … . Se tenant face à la porte, arme au poing, le Gouverneur fut rapidement rejoint par plusieurs hommes chargés de la sécurité.

~ Que s’est-il passé, Seigneur !
~ Un différend. Et je déteste les fauteurs de troubles … . Il y a un homme à l’intérieur, retrouvez-le et assurez lui les meilleurs soins dès qu’il est sorti d’ici … .

Les quelques hommes présents s’exécutaient, tandis que le vieux briscard faisait quelques pas à l’intérieur. Quel gâchis … . A vrai dire, pas tellement. Après plusieurs semaines de travail, notre homme était devenu allergique à la paperasse ! C’eut été une excellente occasion d’alléger ses charges et responsabilités diverses … . La brume avait complètement disparu, évacuée à l’extérieur par le souffle de l’explosion via la baie éventrée. Ne restait qu’un léger voile de poussière dû à l’explosif. Cette salle avait désormais besoin d’un sacré coup de balai ! L’occasion d’une mission, tiens … .


~ Montre-toi, Yusuke, et ne rends pas les choses plus difficiles. Je sais que tu es blessé ; mais te mettre à dos les autorités ne fera que te mener vers l’échec, voire pire encore … . Crois-en mon expérience ! Si tu te montres, et que tu présentes tes excuses pour tes actes irréfléchis, nous pourrons encore trouver un terrain d’entente … !

Les dégâts étaient trop importants pour que l’on puisse voir immédiatement discerner les éléments correctement. Les papiers volaient dans tous les sens, la poussière était encore assez importante, bien qu’elle sembla aspirée vers l’extérieur via la fenêtre brisée. Alors que les premiers soldats sur le terrain avaient déjà pénétré la pièce et fouillaient les moindres recoins, Kakeshuou Samui, gouverneur de ces lieux portait son regard après avoir mené ses premiers pas à l’intérieur. Cà et là, des preuves que le choc avait été violent. Et, peu importe, la stratégie de notre homme, il n’y avait aucun doute : étant donné la vitesse de la frappe, il avait du la subir de plein fouet. Il ne serait donc pas très loin. D’ailleurs, une trace lourde et plus claire sur le sol noirci semblait représenter un corps tiré, projeté contre le mur gauche. Il avait certainement été soufflé par l’assaut.

En revanche, des traces de pas une nouvelle fois dans la suie et la crasse montraient qu’il était parvenu à s’échapper de justesse. Un homme certes blessé, mais malin. La fenêtre ? Certainement un moyen de s’échapper à temps. En tout cas, suffisamment vite pour ne pas se faire attrapé par l’équipe. Il était amusant de voir que ce gringalet ressemblait autant à Kakeshuou Samui dans ses actions. Avec cette intervention misérable et sans résultat utile, le jeune homme avait agi de façon irresponsable et imprudente. Kakeshuou Samui avait non seulement les pleins droits, mais aussi les pouvoirs nécessaires et suffisants pour les chasser de l’île ; voire le faire mettre à mort.
Mais était-il le mieux placé pour intervenir ? Il y avait moins d’un an, il avait procédé à une entrée d’autant plus fracassante. Et dans le bureau du Mizukage en personne ! Comme quoi certains hommes n’avaient vraiment pas froid aux yeux. Mais il y a une différence à observer entre nos deux hommes. Ce gamin, qui était venu brailler comme un bébé dans son bureau, était parti sans rien. Ses exigences ? Le Gouverneur ne s’en rappelait même plus. Il n’y avait guère que son nom qui resterait en mémoire, et pas pour longtemps. Lorsque l’on revendique quelque chose, on tient ferme et on est prêt à prendre tous les risques. Or, à l’instant, démonstration que cet homme était un lâche. Pas de retour, juste une fuite sans rien dire.

Un homme vint à notre seigneur des lieux. Le jeune freluquet était aux cuisines ? Et il demandait le Gouverneur ? Va chier.
Notre homme n’était pas là pour satisfaire les moindres désirs de chacun. Et de son côté, il avait bien l’intention d’avancer dans son travail. Ce merdeux voulait lui mettre des bâtons dans les roues ? Il s’y prenait mal. Quand on veut mettre des bâtons dans les roues, il faut déjà avoir de l’importance. Et lui n’était même pas une poussière dans le bureau désormais sale de notre quinquagénaire. Le Gouverneur, en apprenant la nouvelle, eut un léger sourire. Tu veux jouer ? Soit. Il y a bien d’autres moyens d’agir qu’utiliser la force. Si tu veux un combat, tu auras le mépris. Si tu veux la justice, tu auras la geôle. Si tu veux de l’intérêt, tu ne sauras même pas que tu existes.

~ Faites lui savoir qu’il devra préparer le repas pour l’ensemble des forces militaires. Et n’obéissez à aucun de ses ordres à l’avenir. Voici mes directives.

Puis, laissant l’émissaire partir, le Lion des Neiges retourna son intérêt vers le bureau. Trop de bordel, ici. Il devait pressant de faire du ménage, histoire d’avancer et de passer à la suite. En espérant qu’aucun autre inutile pour l’humanité ne vienne lui souffler dans les bronches à l’avenir.

~ Activez-vous et nettoyez moi ça. Je veux pouvoir travailler dans ce bureau dès demain matin. Affectez une équipe de Genin au triage des documents. Go.
Ha ! Un dernier détail. Informez les centres d’attribution que le Chûnin Yusuke Katano n’est plus autorisé à effectuer la moindre mission sur Yuki no Kuni. Ces ordres viennent directement du Gouverneur. S’il veut faire des missions et gagner sa croûte, qu’il retourne à Kiri. Je n’ai pas besoin d’autres poids morts ici … .

Et sur ces ordres, notre homme s’effaçait des lieux pour partir lui-même à la rencontre de son équipe.
Dans la demi-heure qui suivait, les ordres étaient transmis. Vous pouvez toujours chercher celui qui est au sommet de la pyramide : vous ne parviendrez jamais à changer l’ordre des choses.

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