- Seigneur, il y a…

- Mizukage, rectifia une fois froide.

Se retournant vers l’homme qui avait fait irruption dans la salle, Shinda Michiki le domina de toute sa stature en lui adressant un regard presque malveillant. Prenant bien sûr la précaution de faire passer ça pour un simple signe de fatigue, il ne souhaitait pas démontrer publiquement son sentiment sur l’Empire. Cette réaction était déjà plus que limite mais il pouvait se permettre une fois de clamer haut et fort sa nouvelle fonction.

Remplissant seulement son rôle, le garde semblait s’être ravisé de toute parole. Michiki détendit alors ses épaules pour le mettre à l’aise lui aussi afin qu’il s’exprime. Constatant une décontraction minime, l’homme reprit donc la parole :

- Nous avons reçu l’information qu’un Katano revenait sur nos terres. Katano Raion, le frère de Yusuke. Il devrait arriver incessamment sous peu aux Longs Tunnels.

Le Fossoyeur avait en effet eu vent des faits d’arme du dénommé Yusuke qu’il n’avait jamais rencontré personnellement. Mais il s’était agi d’un guerrier d’une certaine renommée. Même s’il fallait garder une certaine méfiance vis-à-vis de telles personnes, la solution semblait désignée d’office. Si cet homme était aussi aguerri que son fraternel, il faudrait s’assurer d’un accueil égal pour éviter au moins tout débordement. Au vu des effectifs actuels, il y avait un candidat qui était évident.

Arrivé aux limites de la ville, un doigt vint remonter les lunettes violettes du Rokudaime. Il s’était empressé d’arriver pour prévoir la venue de cette potentielle recrue. Il était difficile de savoir ce qui avait pu se passer pour lui lors de cette absence. Il pouvait s’être entraîné durement en attendant le retour de la Brume tout comme il aurait pu attendre patiemment qu’elle renaisse pour la replonger dans l’oubli. La méfiance était de mise même si certains se réjouissaient déjà de la nouvelle. D’un simple regard, Michiki rappelait à l’ordre les hommes, leur demandant de simplement faire leur travail comme s’ils s’apprêtaient à recevoir n’importe quelle personne extérieure au village. Les senseurs l’alertèrent très vite de l’approche du fameux Katano. En quelques pas, le Shinda se présenta à l’entrée des tunnels d’où il vit approcher l’homme en question.

L’homme demanda à qui il avait affaire avant même de se présenter. Au moins il ne manquait pas d’audace. Ou bien il ne s’empêtrait pas de politesses. Deux comportements susceptibles d’intéresser le Shinda qui ne tarda pas à apporter réponses aux questions de son interlocuteur :

- Cher Raion vous avez présentement en face de vous le responsable des services de l’armée Kirijin. Aussi je vous demanderais de bien venir me rejoindre dans la lumière que nous puissions régler certains détails.

Il laissa donc le soin à l’homme de se présenter un peu plus pour être à son niveau et avoir une discussion normale. Lorsqu’ils ne furent plus qu’à un mètre l’un de l’autre, le Shinda le toisa de haut en bas et fit mine de prendre un bloc-notes qu’il venait d’invoquer depuis un parchemin à sa ceinture.

- Il y a de cela longtemps que nous n’avions vu de membre de la famille Katano ici. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir ici aujourd’hui cher Raion ?

Le Katano n’avait pas mis longtemps avant de rapidement appeler Michiki par son titre. Il ne s’était pourtant pas présenté comme tel mais il n’y voyait aucune objection. En contraste avec le précédent bougre qui l’avait appelé par son titre impérial, il y en avait au moins un qui suivait l’actualité et pourtant ce n’était pas le plus présent sur la scène internationale ces dernières années.

Il avait laissé sa plume en suspend au-dessus du papier vu qu’il n’y avait plus de raisons de mimer un simple gratte papier. Son apparence faisait parfaitement illusion pourtant ! Mais pour qui y était sensible, l’aura qu’émanait le Shinda n’était pas tout à fait celle d’un bureaucrate. Les lunettes n’étaient pas symbole de rat de bibliothèque. Plutôt un homme de science ayant reconverti son savoir en des capacités de combat. Une erreur que beaucoup avait commise avant de se voir confronté au Fossoyeur et à ses fidèles sujets.

Katano Raion ne cacha pas son lien de parenté avec Yusuke qui avait tant fait parler de lui. Pas qu’en bien malheureusement. Ce n’était pas pour rien que le Shinda s’était présenté lui-même afin de se faire un avis sur ce personnage énigmatique. Ainsi se présenter avec un tel passé, c’était quelque chose d’assez culotté. Mais en même temps il faisait preuve d’une sincérité presque maladive. Qui se présenterait aussi sereinement pour se clamer frère d’un personnage comme Katano Yusuke si ce n’est pour faire amende honorable ? Il aurait très bien pu se présenter sous un faux nom et ainsi passer un simple contrôle de sécurité de routine. Malgré la sévérité de ces tests, il aurait pu passer sans que personne ne connaisse jamais cette particularité. Mais il fallait aussi dire qu’il ressemblait énormément à son frère. Très difficile de mentir là-dessus donc à moins d’avoir subi une opération chirurgicale ou bien par le biais d’une technique de Sensorialité. Mais dans ce dernier cas, elle se devrait d’être absolument parfaite pour ne pas être repérée par les soins des unités de senseur chargées de protéger le village et les terres de Mizu.

La sincérité du bonhomme rendait plus enclin à croire en ses bonnes intentions. Ses paroles apportèrent un sourire intérieur que le nécromancien réprima pour garder une certaine crédibilité. Au lieu d’un bienheureux, il restait cet homme à l’air insensible et intransigeant qu’il tâchait d’afficher le plus possible. Il capta donc le regard de son interlocuteur où il crut déceler une étincelle lorsqu’il prononça ses derniers mots.

- L’appel de la Brume donc, murmura le Shinda. Votre présence ici serait une bonne manière de racheter les fautes de votre frère en effet. Mais cela je m’en moque éperdument à vrai dire. J’ai simplement besoin de guerriers fidèles dont le cœur répond à Kiri et à la Brume.

Il s’était assuré qu’aucun impérial n’était trop près à ce moment-là même s’il s’agissait d’une très subtile nuance à saisir dans la phrase. Il fallait d’ailleurs évoquer ce point-ci avec son interlocuteur et il profita de l’expression de « pulsions » qui semblaient le mener :

- Avant de faire votre entrée dans le village, je souhaiterais que nous allions quelque part. Les bureaucrates vont se charger de vérifier toutes les infos que vous avez daignés nous donner. En attendant nous aurons l’occasion de parler.

Prenant alors la direction inverse à celle espérée par le Katano, Michiki ne mit pas trop longtemps avant de reprendre la parole :

- Au fait je me nomme Shinda Michiki. Comme vous vous en êtes douté, je suis à la tête de ce nouveau Kiri. êtes-vous aux faits de sa situation politique actuelle ? Avez-vous suivi les actions de l’Empire avant que la reconstruction ne soit financée par ses soins ?

Le Mizukage me donna l’impression d’apprécier mon honnêteté. Ou peut-être me trompai-je encore. Peut-être n’avait il en réalité que peu d’intérêt vis à vis de mon histoire et de mon passé. J’avais trop souvent laissé mon père se jouer de moi et je ne connaissais pas assez bien les hommes pour délier les mensonges, les mauvaises blagues ou juste l’ironie. Tout ce que je savais déchiffrer, c’était l’aura. Celle du Mizukage était imposante, presque écrasante. Je me sentais tout petit à côté de la sienne. A l’époque, je ne savais encore rien de ce curieux personnage. Je remarquai uniquement ce respect avec lequel il s’adressait à moi. Il n’y était pas forcé, pas le moins du monde même. Mais il parlait avec une certaine distance, une certaine politesse que je pris comme une marque d’acceptation. En quelques instants seulement, l’homme qui se dressait en face de moi monta de quelques échelons dans mon estime et je commençai à me demander si ce n’était pas simplement mon ignorance qui me faisait le hisser sur un piédestal.

Le chef suprême fit mention de l’appel de Kiri. Dans les carnets de mon frère, j’avais pu me plonger complètement dans ce qu’il appelait jadis « l’amour de la brume ». En son temps, Yusuke aimait Kiri. Il la chérissait grandement et portait pour son maitre, Kyu Shord, un respect immense. Ce n’est que lorsque celui-ci mourut qu’il tourna le dos à ses idéaux. Ce n’est qu’à cause de la mort de ce patriote qu’un monstre avait vu le jour. Je me pris à me demander s’il se pouvait qu’il m’arrive la même chose. Me verrais-je tellement attaché à un frère d’arme que sa mort me montrait contre mes propres alliés ? Rapidement je chassai cette hypothèse de mon esprit et me reconcentrai sur mon interlocuteur qui fit un pas dans ma direction.

Il souhaitait m’emmener quelque part, il ne me précisa pas où. Dès lors qu’il se montra conciliant, je me considérai l’un de ses hommes, je ne bronchai donc pas et suivis mon nouveau commandant. Il eu, dans un premier temps, l’air quelque peu soupçonneux. Pas envers moi cela dit. Plutôt soupçonneux de ceux qui auraient pu nous entendre. Je ne savais pas encore de quoi il se méfait mais je sentais qu’en ouvrant bien les oreilles et les yeux, j’arriverais peut-être à comprendre ces malices qu’ont les hommes de jouer des jeux entre eux, et peut-être comprendrais-je ce petit abaissement de volume que mon interlocuteur employait pour aborder le sujet dont il souhaitait converser.

Le Mizukage se présenta et me confirma qu’il était bien le chef suprême de ce village. Dans l’intonation de sa voix, je devinais une certaine fierté. Pas une fierté d’orgueil, mais plutôt une fierté à venir. J’avais un peu révisé mon histoire contemporaine et je savais qu’à ce moment là, Kiri n’était pas complètement « indépendante », peut-être souhaitait-il que cela change… J’écoutai la question de mon commandant avec beaucoup d’attention et, après quelques secondes de réflexion, je me décidai à avouer mon manque de connaissance.

« Tout ce que je sais c’est que l’empire est en quelque sorte le père de la nouvelle Kiri. Je suppose que si son nouvel enfant ne s’aligne pas sur ses projets, il ne se gênera pas pour le corriger. Mais je n’ai pas réellement suivi les actions du Shukaï, je n’ai reçu qu’un bref résumé de la situation actuelle avant d’arriver et j’ai vécu en quelque sorte comme un ermite jusque là. »

Je ne souhaitais pas mentir, pas à mon nouveau commandant. Il devait savoir à quel point je me perdais dans toute cette Histoire. J’insistai cependant sur ma métaphore du père pour lui montrer tout le dédain que j’apportai à cette situation. Un grand village, comme celui décrit dans les écrits de mon défunt frère, n’avait rien à faire sous les ordres d’une autre nation. Pour appuyer encore plus mon idée, je décidai à nouveau de faire usage des mots de mon frère.

« Kiri est la nation où l’on naît et où l’on meurt avec fierté. La nation où l’on peut se sentir libre de tout et du monde car l’on fait partie des plus grands de ce monde. Certains y apportent un peu d’humanité, d’autres s’assurent que son surnom de « sanglante » ne soit pas qu’une figure de style. Ce sont les mots que mon frère employait dans ses carnets lorsqu’il était encore soldat parmi les rangs. Je ne sais pas si vous vous y retrouvez mais c’est l’image que j’ai de cette nation. Et c’est une bien belle image, elle donne envie de se battre pour la préserver… ou la faire renaitre. »

Avançant à pas posés, Raion ne tarda pas à répondre aux interrogations du Shinda. Sa situation en avait fait un ermite ne s’intéressant guères aux problèmes du Yuukan. Michiki en pouvait lui en vouloir pour avoir traversé cette même phase lorsqu’il s’était absenté du village pour se perfectionner. Il n’avait juste pas été préparé à la vision de désolation lors de son retour. Depuis il avait bien changé. Aussi bien en termes de combat que de mentalité, il avait progressé et s’était amélioré. Il n’y avait pas eu besoin d’un tour du monde pour cela au final. Une certaine nostalgie lui étreignit la poitrine. Profitant de leur brève promenade, le Shinda reprit la parole à son tour pour éclairer le Katano sur la situation du Shûkai auparavant :

- En effet tu as bien compris la place du Shûkai aujourd’hui vis-à-vis de Kiri. Il s’agit d’une puissance non négligeable qui s’est fondée sur les cendres de l’ancien village. Basé à Tsuchi no kuni, ils ont sus forger une nouvelle puissance capable de s’imposer sur la scène internationale. Cela s’est accentué lorsque Samui Kakeshuou a pris le pouvoir pour instaurer le premier Empire shinobi.

C’était un résumé grossier mais l’essentiel surtout était qu’il puisse comprendre la place qu’occupait l’Empire dans les affaires de Kiri. Cette notion assimilée, la suite s’avèrerait peut-être plus facile. Là encore, Michiki marchait sur des œufs et il ne pouvait se permettre un écart trop rapidement. L’homme en face de lui avait beau avoir été franc et honnête, il pouvait tout aussi bien être un impérial chargé de lui tirer les vers du nez. Même si le Kamui faisait bonne figure, il devait se méfier de son collaborateur de longue date. Ce qui pouvait se comprendre pour qui connaissait l’esprit retors du Fossoyeur.

Raion enchaîna ensuite sur quelques mots qui vinrent faire sourire le Rokudaime. De tels mots faisaient sincèrement plaisir à entendre. On sentait la patte d’un ancien Kirijin derrière ses paroles mais le plus réconfortant était de voir que cet engagement était communicatif. Il semblerait que c’était ce qui avait convaincu le frère du très connu Yusuke. Ne cachant pas sa fierté face à de si beaux vers, Michiki réagit naturellement à ces phrases, se remémorant alors son entretien avec Azuni :

- Si j’avance, suivez-moi. Si je stagne, poussez-moi. Si je recule, tuez-moi. Voilà ce qui correspond le plus à ma vision de ce que devrait être Kiri. Un village où tout un chacun se doit d’être élitiste au possible afin que plus jamais un drame comme celui que nous avons connu ne se reproduise.

Les Furyous n’étaient plus maintenant. Le sort de ce monde était laissé entre les mains de shinobis. Tous des hommes et des femmes. Des êtres de chair et de sang mortels. Au moins il ne s’agissait pas d’ennemis manipulés et génétiquement modifiés pour servir quelques obscurs desseins. L’avenir de cette nouvelle Brume était prometteur pour qui savait s’y consacrer. C’était bien ce que comptait faire Michiki. Se donner corps et âme à cette nouvelle nation qu’il hisserait de nouveau au rang de superpuissance. Kiri ferait trembler de nouveau ses ennemis et jetterait une ombre venant de l’Océan sur tout le continent. C’était dans cette optique qu’il avait poursuivi cet objectif pendant quelques années. Aujourd’hui, il avait toutes les cartes en main pour y parvenir. Il ne lui restait plus qu’à les placer convenablement. Raion en ferait-il partie ? Il tenait à s’assurer une bonne fois pour toute de la véracité de ses dires. Les mots étaient bien beaux mais ils étaient moins parlants que les actes. Ceux-ci menèrent le duo à l’orée de la forêt de la Brume. Ils longèrent les arbres sur quelques mètres avant d’arriver au niveau d’une anfractuosité dans la canopée forestière. Un petit coin reclus et abrité par un cercle d’arbres. Une habitation trônait dans ce havre de paix. D’un mouvement de tête, Michiki invita son acolyte à le suivre.

Le duo fit irruption dans la demeure suite à un coup de pied dans la porte. Le Shinda s’engouffra et jeta un regard circulaire pour prendre connaissance de la situation. Deux hommes armés jusqu’aux dents l’observaient, déconcertés par cette arrivée en trombe. Ils regardèrent également le Katano. Puis sans un regard de plus, Michiki fit volte-face pour retourner dehors, passant alors au niveau de Raion. Il s’arrêta épaule contre épaule, le regard vers l’horizon :

- Je veux bien croire en ta motivation. Mais reste à voir jusqu’où ta détermination peut te mener. Débarrasse-toi de ces deux hommes. Seul.

Sur ce dernier mot, Michiki disparut totalement. Progressivement certes, mais totalement. Il ne restait plus que les deux énergumènes qui en voulaient maintenant au Katano pour les dégâts infligés à leur porte. De plus qu’ils ne semblaient pas plonger dans une activité particulièrement légale. Sinon pourquoi être armés jusqu’aux dents comme ils l’étaient ? Mais tout cela n’était pas le problème principal de Raion qui allait surtout devoir se débrouiller pour survivre.

Spoiler:

Nous continuâmes à marcher et le Mizukage se montra on ne peut plus convaincant lorsqu’il me résuma la situation actuelle de Kiri. Ce n’est pas l’histoire qu’il arrivait à me faire avaler. Celle-ci, je savais bien qu’il ne tenterait pas de la modifier. C’était son aversion pour le présent dans lequel il évoluait. Je le décelais dans sa voix, je croyais le comprendre à travers la manière dont il faisait mention du Shukaï et de son empereur. Peut-être me trompais-je. Peut-être était-ce simplement ma propre aversion pour la situation de Kiri qui me faisait l’entendre dans ses mots à lui. A cet instant là, j’avoue avoir ressenti un petit doute. Je n’avais, de ce fait, aucune envie de me risquer à sortir une réflexion qui aurait pu être interprétée comme une marque de déloyauté, alors je me taisais et continuais d’écouter mon général.

La maxime que le chef suprême énonça ensuite me fit froid dans le dos. Je ne la connaissais pas, mais tout de suite elle me plut. D’après lui, elle définissait son propre Kiri. Une Kiri élitiste. Pour ma part, je n’avais jamais été du genre à apprécier les faibles. Je concevais qu’ils avaient besoin d’aide et d’assistance mais je me refusais à les encourager dans cette faiblesse. On aide un homme en demande une seule fois et une seule. Si on lui porte secours à de trop nombreuses reprises, il devient non seulement un fardeau pour son entourage mais un véritable assisté chronique. Partant de ce principe là, on comprendra que j’éprouvai une certaine sympathie vis-à-vis de la conception de mon nouveau chef.

Très vite, notre conversation me fis perdre le fil de mes pas et je me retrouvai à l’orée de la forêt de la Brume. Nous fîmes encore quelques pas jusqu’à nous rapprocher d’une petite chaumière qui se situait là. Un instant nous nous arrêtâmes et mon commandant me fit un signe de tête, m’indiquant qu’il fallait que je le suive. Sans la moindre question, je m’exécutai donc et il fit route vers l’entrée de la chaumière. Il défonça la porte et s’engouffra à l’intérieur. A cet instant, j’avoue avoir perdu le fil. Pourquoi un tel comportement ? Pourquoi une violence si soudaine ? Je pris alors conscience qu’un bon soldat respecte les actes de son supérieur et suivit mon commandant dans la bâtisse. Là se trouvaient deux hommes de grande envergure qui semblaient occupées à entretenir leur armement colossal. Ils me regardèrent, surpris, et je le rendis un regard quelque peu gêné.

C’est ce moment que choisit le Mizukage pour tourner les talons, s’arrêter à mon niveau et me demander de m’occuper de ces deux grands gaillards. L’instant d’après, il sortit de la chaumière et se mit peu à peu à s’évader de mon champs de vision. Il me laissa là, complètement surpris et presque prêt à tomber des nus. Il me fallut d’ailleurs quelques secondes pour réaliser que mes deux hôtes se levèrent d’un coup, un regard particulièrement hostile aux pupilles. D’un coup alors, je fus comme transporté dans un nouvel univers de réflexion. Une seconde dura une bonne minute et je me dis que si l’on m’ordonnait de tuer, il fallait que je tue, même si je ne m’étais jamais réellement battu auparavant.

En un instant mon regard se fit froid, insensible. Mon père m’avait déjà vu dans cet état et m’avait assailli de tous les noms tant, l’affirmait-il, je ressemblait à mon frère. D’un mouvement lent je fis un pas en avant et l’un des deux énergumènes me sauta dessus. La seconde suivante, je fus derrière lui, mon sabre dégainé et prêt à continuer à me servir. Mon assaillant se contenta pour sa part de poser la main sur l’énorme éraflure qui lui décorait à présent le torse. Je ne pris cependant pas le temps de m’attarder sur sa situation. L’instant suivant, je décochai un violent coup de pied à mon second adversaire qui, sans grande difficulté, para le coup. Je me fis alors projeter par un coup que je ne vis venir que trop tard et me retrouvai contre le mur le plus éloigné.

« T’es qui toi non de Dieu ! »

Les deux acolytes se réunirent à l’autre bout de la pièce tout en me jetant un regard semi énervé et semi perdu. Ils devaient penser que se positionner contre le mur les rendraient moins vulnérables à mes assauts.

« Il va falloir me pardonner… »

Je n’en avais pas envie, mais il était temps de se laisser aller et d’utiliser les quelques techniques que j’avais réussis à voler à mon frère en me plongeant dans ses carnets. L’heure n’était plus à la plaisanterie, il s’agissait d’un vrai combat et je risquai réellement ma vie. Je le compris au moment de la riposte de mon adversaire, ce dernier m’avait fait vraiment mal et je me doutais, en sentant son aura, qu’il avait encore de jolis coups en réserve.

« Je dois finir les choses vite. »

En un instant je laissai exploser mon chakra et me retrouvai, comme téléporté, en face de mes deux adversaires. Ma lame avait déjà transpercé le cœur de l’un de ces deux bougres, avec une précision chirurgical. Le second fut si surpris de me voir de la sorte apparaître qu’il perdit l’équilibre et tomba sur le côté. Mais alors que je laissai son compagnon s’écraser au sol, ma dernière cible se reprit et tenta de me découper avec son énorme hache. J’attrapai alors la lame de celle-ci en plein vol, la main emplie de chakra raiton.

La hache vola en éclat et, après avoir rangé mon sabre dans son fourreau, j’enfonçai mes deux doigts dans les orbites de mon adversaire. Je déversai alors tout le courant électrique que je parvenais à créer via mon chakra et l’homme, brûlé de l’intérieur, s’effondra.

« Il n’est pas chose aisé de tuer ainsi sans en connaître la raison. »

Je prononçai cette phrase en sortant de la pauvre chaumière, théâtre de ce funeste désastre.

Spoiler:

Dissimulé par ses talents de senseur, Michiki pouvait observer la scène à loisir en s’attardant sur les prouesses du jeune homme qu’il venait de rencontrer. Une bonne maîtrise du Taïjutsu couplé à du Ninjutsu. Peut-être était-ce uniquement dans le cadre du combat au corps-à-corps. Pour le coup il n’avait pas vraiment eu l’occasion de se faire une idée là-dessus. Il n’avait pas hésité à se déchaîner rapidement pour clore cette formalité. Le Shinda n’en attendait pas moins et il sourit lorsque s’effondra le dernier bougre. Ce fut à ce moment qu’il réapparut. Lorsque Raion s’indigna de ne point savoir pourquoi il avait tué.

- Cela importe peu à vrai dire. Tu as accompli un ordre sans même en connaître la raison. Ce qui peut faire de toi un bon soldat. « Peut » souligna lourdement Michiki.

Il s’était approché des deux corps, passant une main sur la tempe de chacun à tour de rôle. Il garda le contact quelques secondes à chaque fois. Il regarda le deuxième qu’il avait examiné, celui à la large cicatrice dans le thorax. Le cœur transpercé d’un coup net. Pas insurmontable pour lui en soit. L’autre brûlé en revanche remplirait très bien le rôle de « sacrifice ». Il traça un cercle autour de chaque corps par une concentration de chakra dans un doigt. Le tracé noir semblait vivant, comme si une purulence progressait autour des corps avant de les engloutir dans des ténèbres grouillantes comme des vers. Michiki se tenait debout face au cercle où s’était trouvé l’embroché. Une silhouette s’éleva du cercle noirci. Noire comme la nuit, elle n’avait aucun trait. Puis les ténèbres se retirèrent pour lui redonner son apparence d’avant.

Il avait cependant tout récupérer. Y compris un abdomen intact sans cicatrice. De l’autre côté, le cercle avait disparu, emportant par la même le corps qui s’y trouvait à la base. L’homme ressuscité se tâta la cage thoracique, incrédule face à la situation. Un voile d’ébène recouvrait son regard. Il allait réagir lorsqu’il fut traversé d’une décharge qui sembla détendre tout son corps. Plus aucune expression sur le visage, il se contenta de saisir une arme à terre. Derrière son dos, une moitié de la tête du Fossoyeur dépassait et observait la réaction du Katano à qui il s’adressa :

- Voici l’art qui me caractérise. Celui qui a servi la Brume Sanglante et la perpétue encore aujourd’hui. Un don plutôt rare mais néanmoins redoutable. Tu vas vite le découvrir…

Puis la demi-tête disparut avec tout le reste du corps. Puis le cadavre s’élança soudainement après avoir subi une forte impulsion d’énergie. L’homme armé fut en un instant sur Raion en lui distribuant un coup en plein thorax avec son pied. Il dégagea sa cible un peu plus loin dans la petite clairière où il jeta avec force sa lame. Imbibée d’un chakra Raïton, elle fendit l’air à toute vitesse en direction du Katano, laissant alors l’opportunité au cadavre d’effectuer de rapides mudras pour concentrer du chakra dans le sol. Ce dernier se mit à vrombir alors que remontait un bruit sourd venant des profondeurs. Puis une colonne de lave jaillit. Suivie d’une seconde, puis d’une troisième. Bientôt la clairière fut agitée par les torrents de magma se déversant sur la zone. Bien à l’abri dans un coin, les lunettes violettes du Shinda se baissèrent légèrement alors que ses yeux observaient la réaction à venir du bretteur.

Le Katano s’était de nouveau démené admirablement face au défi imposé par le Shinda. Ses prouesses au corps-à-corps en feraient un excellent formateur pour les jeunes recrues de la Brume. Ainsi qu’un soldat émérite. Même s’il lui restait quelques rudiments à apprendre, Michiki ne doutait pas qu’il parviendrait à combler ses lacunes au sein de Kiri. L’intérêt du village et de sa militarisation était justement de pouvoir former les novices et perfectionner ceux ayant déjà un certain vécu en matière de combat.

Soldant l’assaut par un redoutable foudroiement du malheureux réincarné, Raion démontra ses compétences en Ninjutsu qui étaient tout aussi intéressantes que son Taïjutsu. Sans ce dernier, il aurait eu du mal à s’extirper des jets de lave ayant déformés considérablement le terrain. Fort heureusement, les arbres n’avaient pas été immédiatement touchés, évitant ainsi un feu de forêt potentiellement désastreux. Perché sur les branches de l’un d’entre eux, le Shinda descendit lorsque le magma s’estompa pour laisser place à un sol calciné mais praticable. S’arrêtant au milieu de la clairière, son interlocuteur s’adressa directement à lui, comme s’il savait qu’il était là. Une intuition qui pourrait s’avérer utile dans certaines situations délicates. Il réclama un instant de pause si ce petit test venait à durer. Pivotant la tête, le Rokudaime observait les traits du bretteur.

Ce dernier avait beaucoup donné lors de ce dernier assaut pour se débarrasser de la créature immortelle. Il n’en restait rien d’ailleurs. La foudre avait eu raison de ce malheureux après seulement quelques minutes d’existence sous sa nouvelle forme de réincarné. Avant cette attaque, Michiki avait ressenti une étrange sensation provenant du jeune homme. Comme si un changement s’était opéré en lui au moment où sa lame s’était brisée. Dès lors, il avait eu dans sa gestuelle et ses actions une assurance nouvelle et un total contrôle de son corps. Comme si un état second l’avait transformé en une machine de guerre, optimisant chaque mouvement et respiration dans le seul but de terrasser l’adversaire. C’était un état qui intéressait fortement le Shinda pour son armée. Une sorte de rage guerrière capable de venir à bout des doutes et hésitations qu’un être humain lambda aurait sur le champ de bataille.

Il remonta les lunettes sur son nez et souffla légèrement en préparation de la suite. Il serra le poing et réapparut au même moment qu’il porta son coup dans l’abdomen du Katano. Rien d’insurmontable pour un combattant comme lui, surtout lorsqu’on connaissait les compétences quasi inexistantes du Taïjutsu chez Michiki. Mais la surprise et la fatigue pouvaient avoir raison de lui juste le temps de ce coup. Toisant le jeune homme, le Shinda affichait le même air froid qu’à son habitude :

- Sur le champ de bataille, personne ne t’accordera un temps mort pour reprendre tes forces. Ou alors il portera bien son nom puisque ce sera le temps qu'il suffira pour que tu meurs.

S’éloignant légèrement de sa position actuelle, Michiki fit quelques pas de côté, mains croisés dans le dos, la tête légèrement baissée vers le sol. Ses sens surveillaient le moindre mouvement de son interlocuteur. Même pas besoin de garder les yeux rivés sur lui, son instinct de senseur le faisait à sa place. Il décrivit cette marche à peine deux secondes avant de reprendre :

- Tes compétences sont remarquables je te l’accorde. De telles capacités sauraient m’intéresser pour l’avenir du village. A condition que tu acceptes de les transmettre à plus inexpérimenté que toi. En combinant connaissances et esprit de victoire, je formerais une élite où chaque soldat devra être capable d’en terrasser une centaine. Le projet est ambitieux. Tout comme celui de reconstruire la Brume en étant un simple Nukenin. Mais à force d’efforts, c’est chose faite tu constateras.

Il en revint visuellement aux yeux de Raion. Ses verres violets renvoyaient un léger reflet de lumière qui dissimulait légèrement son regard pourtant bien ancré dans celui de l’intéressé :

- Si ta conviction va à la Brume, alors tu sauras trouver ta place au sein du village, mais également auprès de moi. Mais n’imagine pas que je te laisserais te reposer sur tes acquis. Tu possèdes un potentiel déjà bien développé. Je te demanderais de le surpasser. Continuellement. Quant à ta condition de soldat, elle ne sera pas aussi aveugle que j’ai pu te le dire plus tôt.

Tournant alors la tête vers les ruines du cabanon où ils s’étaient rendus quelques temps auparavant et où deux hommes avaient péris, dont l’un une première fois, Michiki en revint par la suite au bretteur qu’il tâcha de sonder attentivement pour déceler tout indice d’une émotion plus forte qu’une autre, pouvant trahir la sincérité de sa réponse à venir :

- Ses hommes étaient de simples chasseurs ayant quitté leurs familles il y a des mois de cela. L’arrivée de la Brume leur a offert travail et avenir. Mais demain, leurs veuves et orphelins recevront simplement un avis annonçant leur mort et c’est toi qui en porte le fardeau. Considères-tu cela comme un poids, ou bien considères-tu qu’il s’agit d’un simple déroulement de la vie ? Le Hasard qui s’exprime par la violence et le sang, motivant des actes de guerre ou de carnages sanglants ?

Je sentis comme un courant d’air, léger et minuscule, s’élancer dans ma direction. Un instant, je crus à un soupir, à l’expression que l’on peut tous faire de temps à autre de la fatigue qui nous assailli le corps. Je n’eus pas le temps de confirmer mon hypothèse que déjà mon commandant apparu devant moi, non sans m’asséner un joli coup de poing au niveau de l’abdomen. Il enchaina sur un intéressant sermon sur ma fatigue jugée inappropriée. Je remarquai d’ailleurs qu’il avait cette dureté dans le regard qui accompagnait son discours. Lorsqu’il avait fait mention de former une nouvelle élite, il ne s’était pas foutu de moi. Il me donnait vraiment l’impression de vouloir se montrer intransigeant avec toutes les nouvelles recrues du village. A cette idée, je me dis que beaucoup se retrouveraient bien vite recalés si toutes les épreuves se voulaient aussi difficile, mais que d’un autre côté, on aurait bientôt à Kiri des soldats dont la détermination et la force ne trouverait d’égale nulle part ailleurs.

Le discours qui suivit se voulut le résumer de mes pensées précédentes. Il me rappela son objectif et me félicita pour mes capacités. Néanmoins je ne décelais chez ce personnage aucune courtoisie. Bien au contraire, sa détermination ne laissait pas de place aux sentiments. Il souhaitait hardiment que je comprenne sa vision des choses et que j’y adhère. D’ailleurs, il me le fit clairement comprendre : Ma volonté devait se plier à celle du village et je n’aurais pas d’autres objectifs que devenir plus fort pour le servir. Cette vision me plaisait, elle me parlait bien plus que les autres discours sur la supposé liberté du shinobi que mon frère avait laissé derrière lui.

Un instant cependant je décelai un brin d’hésitation. Mon interlocuteur cessa de se mouvoir et me fit remarquer que ma future condition de soldat serait différente du portrait qu’il m’avait déjà peint. Il me sonda pendant quelques secondes et me parla de mes victimes. Ces deux pauvres hommes n’étaient que des chasseurs, partis pour une vie meilleure. Au final, je n’avais peut-être pas eu raison de les exterminer sans poser de question. J’eus, à l’écoute du récit de mon commandant, une expression de surprise. Mais aux mots qu’il prononça ensuite, je n’eus pas plus de résonnance que cela. Je le fixai de mes pupilles bleues et tentai de lui communiquer le sentiment étrange qui m’envahissait peu à peu : un mélange de renoncement et de fatigue.

« Nul besoin de faire preuve de poésie pour se poser la question de comment je me sens, commandant. Ces deux hommes sont morts et tout un lot de conséquences ne va pas tarder à se faire connaître. Mais à moins que vous n’ayez une technique pour faire revenir à la vie les tas de cendre, il n’y a plus rien que je puisse y faire, moi. Alors à votre question je n’ai que cette réponse un peu pauvre : ne pouvant rien y faire, il ne s’agit pas d’un fardeau ni d’un acte que je ne considère pas à sa juste valeur. Si j’avais su plus tôt de qui il s’agissait, je ne les aurais pas tué. Mais le monde est plein d’injustice alors que puis-je y faire moi, si vous m’avez donné l’ordre de commettre un tel acte. »

Mon regard se voulut vide d’émotion. Je ne m’en rendais pas compte, mais c’était un discours similaire qu’avait tenu mon frère envers son maitre dans la Kiri de son temps. Petit à petit, je commençai à partager sa philosophie sur la vie. Nous ne sommes que des papillons qui nous débattons avec l’air qui nous entoure jusqu’à ce qu’un nouveau prédateur ne vienne nous priver de ce précieux souffle d’existence.

« Désolé, c’est moi qui fait de la poésie à présent. Mais je ne sais pas très bien ce que vous vouliez entendre. Vous n’avez qu’à me donner votre propre vision des choses. Si celle-ci est sensée et possède de solides arguments pour l’appuyer, vous pouvez être sûr que j’y adhérerais. Mais si votre philosophie n’a rien en commun avec votre pragmatisme, alors il faudra m’excuser, mais je n’aurais plus à votre égard que déception. »

En terminant ma phrase, je mis un genou à terre, baissant la tête et exposant mes points vitaux.

« Néanmoins je suis venu pour vous servir, pas pour vous juger… commandant. »

Les réponses du Katano étaient vivement attendues par son potentiel futur supérieur. Il avait une vision bien particulière des hommes qu’il souhaitait voir dans son armée ou dans ses généraux. La préparation physique et mentale était importante. Mais elle l’était presque autant que l’esprit du shinobi se trouvant derrière. Sa perception des évènements et surtout son avis. Un excellent combattant pourtant pacifique refusant de céder à la violence par exemple s’avèrerait être un fardeau pour le Shinda. Il pourrait utiliser son expérience pour enseigner mais il ne serait d’aucune utilité sur un champ de bataille. Et c’est ce dernier point que Michiki refusait catégoriquement. Chaque être humain présent sur ses terres et dépendant de la sécurité qu’il offrait, devait être dans la capacité de se battre pour son pays. Homme, femme ou enfant. Le Shinda ne faisait ni dans le sexisme ni dans le racisme.

Raion semblait affecté par la perte qu’il avait lui-même provoqué. En connaissance de cause, il n’aurait pas procédé à l’élimination de ces deux hommes. C’était bien ce qu’imaginait Michiki. Peu de personnes parvenaient à prendre le même recul que lui sur ce genre d’actes. Des innocents avaient péris de sa main par milliers mais cela ne l’empêchait plus de dormir. Les fantômes de son passé s’étaient dissipés avec le temps et les responsabilités. Aujourd’hui il ne pouvait plus souffrir d’aucun remord. Son regard se posa sur le bretteur qui venait de poser genou à terre après lui avoir suggéré de partager sa vision des choses. Un geste que le Fossoyeur jugea d’une certaine manière.

Il se rapprocha du Katano pour arriver à son niveau sans même le regarder. Quand il fut à ses côtés, il lui apporta réponses.

- Des guerriers aguerris, c’est ce que je cherche. Des pantins ? J’ai déjà largement ce qu’il faut. Des hommes capables de réfléchir par eux-mêmes, c’est une valeur rare et précieuse. Mais je ne veux pas d’hésitation sur certains ordres que je qualifierais de capitaux. C’est une vision très difficile à saisir j’en conviens et elle sera longue à appréhender pour les recrues et mes généraux. Le doute en cas de meurtre est exclu. Si la lame d’un Kirijin ne souhaite pas ôter la vie, alors ce sera celle de son porteur qu’elle prendra.

Les mots étaient clairs même si le concept devait échapper à son interlocuteur. Il se ferait au prix de missions et d’habitudes. Mais ce n’était pas là l’essentiel de sa pensée. Accordant enfin un regard au shinobi agenouillé, une expression étrange parcourut brièvement le faciès du Fossoyeur qui sondait les prunelles du Katano.

- Une chose en revanche qui m’exaspère au plus haut point est de constater que tu fais partie d’une catégorie de personnes qui me débecte fortement.

Un nouveau coup de pied vint cueillir le Katano à la mâchoire. Pas aussi fort que si c’était un combattant Taïjutsu qui lui avait attribué mais vu son état physique il ressentirait quand même une brève douleur. Le but ici n’était pas non plus de le terrasser mais plutôt de choquer pour que l’organisme imprime un comportement comme inadéquat avec la fonction qui lui était attribué. Ramenant alors son pied à côté de son homologue, le Shinda regarda Raion qui s’était du coup légèrement reculé avec l’impact.

- Ceux qui souhaitent s’asservir aveuglément à un tiers n’ont rien à faire à mes côtés. Je demande du respect, pas de la servilité. Ceux qui sont prêts à s’agenouiller devant moi sont susceptibles de le faire devant un autre. Plus jamais tu ne poses un genou à terre devant moi par conséquent. Excepté si tu souhaites tester tes capacités en combat mais il y aura toujours plus simple à faire pour ça ! Je ne rechigne jamais à un petit affrontement d’entraînement. J’y suis toujours plus mesuré que lorsqu’on me pousse à bout.

Ces dernières paroles avaient été prononcées avec un léger sourire en coin. Il franchit les derniers pas le séparant du bretteur à qui il tendit sa main. Restant ainsi dans cette posture, il attendit une réaction quelconque. Même si avant cela, il s’était permis quelques mots de plus :

- Si tu te sens capable d’adhérer à ce genre de principes, je ne verrais aucune objection à ce que tu rejoignes la Brume. Mais cela ne se fait pas à la légère tu l’auras compris. Dès lors que tu acceptes mon commandement, tu te soumets à mes règles et mes ordres où le moindre écart te vaudra un aller simple dans les geôles. Ces mêmes cellules où j’ai fait graver un cantique à l’attention de chaque malheureux y entrant. «La prison est l’Enfer, la mort le Paradis.»

Comme je l’avais prévu, la philosophie de mon hypothétique futur commandant avait quelque chose de particulièrement pragmatique et professionnelle. Elle n’était pas fantaisiste ni idéaliste. Je sentais bien qu’il essayait de me communiquer une vision bien précise : celle d’un village élitiste aux soldats obéissants et unis dans le respect des ordres. Pour ma part, je ne jugeai point sa manière de voir les choses. Bien au contraire, je comprenais où il voulait en venir. Même si j’avais fait mention des regrets qui m’assaillirent lorsque je tuai ces deux innocents, je savais bien que dans le triste monde des shinobis, il n’y a pas d’autres issues que l’impassibilité et le respect des directives. Néanmoins, si j’écoutais avec une oreille attentive les dires de mon commandant, une de ses phrases vint perturber mon attention. Je n’eus pas le temps de l’enregistrer que je recevais déjà un coup de pied en pleine face. Ce n’était pas un coup de pied puissant, mais une frappe qui finit de m’humilier.

Le coup fut comme un déclic. En un instant, je perdis comme une partie de moi, de ma propre existence. Je me rendais compte à quel point j’avais été sot et combien je devais paraître stupide. Cela me plongea dans une colère étrange que je ne sentis pas prendre le contrôle de mon corps. Celle-ci prit tout simplement place sur mon visage sous la forme d’une impassibilité extrême. Si mon commandant avait pu voir mon visage, il aurait très certainement cru avoir affaire à un fantôme. Je gardai cependant le regard bien fixé au sol... le sentiment qui m’envahissait était des plus singulier. C’était comme si je ne ressentais plus rien, à part ma propre présence.

Mon commandant termina de déblatérer et me tendit la main. Je levai les yeux lourdement et le fixai longuement sans me dévêtir de cette impassibilité. Je ne pris pas la peine de saisir sa main, je n’avais pas envie qu’il me relaisse tomber et me dise que je ne devais parfois compter que sur moi. Je me relevai tout seul et pris exemple sur lui en l’ignorant tout d’abord et en jetant mon regard vers la petite maisonnette.

« A trop ignorer la valeur de la vie humaine on finit par oublier que ceux qui se battent à nos côtés sont aussi des hommes. C’est comme ça qu’on se retrouve avec des traîtres et des déserteurs. Le système est pourri et les villages demeurent toujours en quête de puissance… »

Je fis une légère pause et reposai mon regard sur mon interlocuteur. Pendant un court instant je me plus à me perdre dans son air méchant et dédaigneux. Il donnait l’impression de se foutre royalement de ses fonctions mais, en même temps, d’y attribuer un très important poids symbolique.

« Je me soumettrai à tes règles et respecterais tes ordres, Mizukage. Je t’aiderais à faire de ce pays un cancer de plus dans le monde shinobi. Pour ça je deviendrais toujours plus fort et tuerais qui tu me demanderas de tuer. Et si un jour tu deviens toi même un poids pour ce pays, je te tuerais à ton tour. »

Un long moment, je demeurai silencieux. Continuant de le fixer, essayant de voir s’il était finalement sensible à mes paroles ou si ce genre de discours lui paraissait bien cliché. En tout cas, il n’était plus question pour moi de prendre des pincettes. Il m’avait traité comme un horrible maitre traite son cabot. Or je n’étais pas un chien. Sans m’en rendre compte à cette époque, la noirceur qui avait si longuement animé mon défunt frère se faisait un chemin dans ma psyché. Elle n’était qu’à faible niveau, déclenchée par la provocation de mon commandant, mais elle était bien là, et je ne m’en doutais même pas.

« Mizukage. As-tu encore des choses à me dire où puis-je me retirer et commencer à m’installer au village ? »

A trop être resté aux côtés du Shinda, le Katano en comprenait maintenant la fibre et il ne se fiait plus à lui, même lorsque ce dernier lui tendait une main pour se relever. Raion entreprit cette tâche seul sous le sourire bienveillant de Michiki qui ne pouvait lui en vouloir de réagir ainsi. Même s’il n’avait pas eu en tête de le laisser retomber, la sincérité de cette paume tendue pouvait laisser à désirer. C’est qu’il commençait à imprimer la mentalité du Fossoyeur. Même si ce n’était pas totalement l’effet escompté sur le long terme, le Temps ferait son office pour décanter tout cela et donner naissance à la nouvelle Brume.

Les mots du Shinda semblaient avoir percuté son interlocuteur assez fortement puisqu’il eut quelques mots sur la valeur des hommes et le comportement que ces derniers pouvaient avoir. Selon lui, celui qui dédaignait ses proches se retrouverait un jour poignardé. Michiki était bien conscient que ses agissements et son attitude pouvait le faire passer pour quelqu’un d’austère. Il avait appris il y a longtemps à se défaire de l’avis des autres. C’était un mal qui vous rongeait jusqu’à l’os, dévorant jusqu’à votre plus infime part de personnalité. Il n’y avait pas de place pour de telles considérations lorsqu’on était shinobi. D’autant plus lorsqu’on était censé être le leader de plusieurs d’entre eux.

Le Katano accorda finalement un regard à Michiki. Les deux individus s’observèrent dans le blanc des yeux un moment. Raion avait beau parler, son regard en disait plus long. Une volonté farouche l’animait. Quoi que ce soit, quelque chose s’était éveillée en lui depuis qu’il avait croisé la route du nécromancien. Ce dernier ne pouvait que s’en réjouir. Il s’agissait généralement d’électrochocs permettant aux hommes d’accomplir de grandes choses et d’acquérir une force destructrice. Celle de la volonté. A la portée de tous et pourtant si inaccessible. Mais à qui savait l’appréhender et la côtoyer, un glorieux avenir lui était possible. Michiki ignorait si c’était réellement ça qui animait maintenant son interlocuteur. Mais il avait offert un foyer et un but à cet homme qu’il espérait voir progresser à ses côtés. Dans l’intérêt de la Brume.

Cet échange visuel n’empêchait pas le discours de continuer. Après que Raion lui ait assuré sa fidélité envers le village, il demanda s’il lui était possible de prendre congé, ou si cas échéant le Shinda avait autre chose à lui demander. Un léger rictus éleva ses lèvres en leur coin.

- Il y a bien une chose oui. Il existe sur une des îles de l’archipel, Bukoudan pour être précis, un village ayant fait parvenir une missive de toute urgence il y a de cela deux jours. Leurs vénérables s’inquiète d’un mal inconnu qui ronge la population. Il semblerait qu’un homme, ou une chose, s’en prend aux villageois et les attaque d’une manière…surnaturelle. Son sabre fait trembler ces paysans innocents et j’ai besoin de quelqu’un d’aguerri pour enquêter là-bas. Vu tes compétences, j’imagine que tu feras l’affaire. Quand tu te seras installé au village, rends-toi là-bas et tâche de voir ce que tu peux faire.

Il avait alors tendu un rouleau au Katano, comportant les détails de l’affaire. Il l’avait gardé sur lui dans l’attente d’un shinobi correspondant au travail demandé. Après cette entrevue, Michiki se disait que ce serait une mission taillée pour Raion. Une première occasion d’œuvrer pour la Brume et sa population. Une demande assez particulière au vu du discours précédent du Mizukage. Ces discours contradictoires pouvaient porter à confusion et leur auteur apporta vite des éclaircissements :

- Je suis peut-être monstrueux aux yeux de tous et très exigeant comme tu as pu le voir. Mais c’est dans le seul but d’assurer la pérennité à mon pays. Ce genre d’incidents est chose commune dans notre monde mais je veux que cela devienne une légende, un souvenir pour nous. Ces terres n’auront plus à payer de leur sang.

Il pivota la tête vers les restes de la maisonnée avant de finalement partir vers le village. S’arrêtant soudainement, il pivota la tête vers le bretteur :

- Je ne t’ai pas dit toute la vérité tout à l’heure. Sur ces hommes que tu as tués. Ils laissent derrière eux veuves et orphelins c’est vrai. Mais il ne s’agit pas de leurs femmes ou de leurs enfants dont il est question. Il s’agit de celles de leurs victimes. C’était deux chasseurs…de prime. Leur terrain de chasse préféré étant les terres brumeuses, nous devions intervenir pour qu’ils ne répandent plus la Mort de cette façon. Kiri est censé apporter la paix sur cet archipel et dispenser le trépas à ceux ayant entravé cette volonté. Il n’y aura pas de commerces pour cela. Même moi je ne m’abaisserais pas à payer un cadavre, conclut-il avec un sourire timide.