Il a des doigts longs et crochus. Assez épais pour te saisir d'une seule main, encercler ta gorge, la serrer, broyer tout ce qui te ramène à la vie. Le pire n'est pas de suffoquer, mais de tendre vainement les bras, dans l'espoir de repousser cette poigne. Mais elle était plus forte, trop forte. Une montagne s’abattait sur tes muscles, coupant à la fois ta voix et ta respiration.

Au début, c'est juste angoissant. Puis ça s'illumine, ça crépite. Le noir se peint avec des pépites multicolores, faisant vibrer tout ce que tu pouvais voir. Les taches colorées se multiplient, prennent place ; Elles en deviennent gênantes, aveuglantes. L'obscurité laisse place à une illusion hypnotisante. Le sang ne circule plus dans tes veines, tes tempes bombardent, comme un battement d'ailes.

BOUM.


Te voilà au sol, gisant dans ta propre peur, dans tes propres ombres. Ton corps entier dégouline, tes poumons s'emballent. Tes yeux se redressent et aperçoivent ton lit, qui te surplombait. Un réveil un peu forcé, une chute bien matinale. Ce n'était même pas l'aurore.


Une douche, un sac, des vêtement propres, et te voilà dehors. Il fallait que tu respires, que ton cœur se calme.
Tes pas résonnaient à peine, seuls face à des ruelles à peine éclairées. Sans comprendre pourquoi, ils te menèrent à un lieu que tu avais pris l'habitude de fréquenter, non loin de la forêt interdite. Sa vision te rassura, apaisa un peu ta tension.

Consciente de l'heure assez matinale, tu grimpas en silence le long d'une paroi, et te retrouva ainsi élevée, libre de tes actes. Une main pour le carnet, une autre pour la plume et l'encrier. Seule la lune éclairait, mais son intensité était suffisante pour rendre visible tes futurs traits.

Dans un mouvement fluide, ton œuvre débuta. Au début, ce n'était qu'un cercle, ovale, qui se creusa, gagna en volume. Puis il s’effrita, des morceaux tombaient, certains plus gros que d'autres. Le trou creusé révéla un œil, aussi noir que le charbon, surplombé d'un sourcil à la fois épais et fin. Épais dans son expression, fin dans son apparence. Un front droit, ni grand ni petit, et des cheveux de jai. Un physique tout aussi banal qu'effrayant. Tu t'en souvenais, tu t'en souvenais même très bien, trop bien.

Assez pour laisser s'échapper un profond soupir. Pour la première fois, ton dessin te déplaisait, pire, te faisait honte. Tu aurais aimé l'arracher du carnet, le jeter et le brûler à tout jamais, mais tu n'en avais pas le courage. Le carnet tomba au sol, face contre terre. Ton regard l'avait suivit, mais pas ton corps.

Laisse le pour le moment.

Ta tête bascula en arrière, détachant au passage ton regard du carnet. Ton dos entier vint s'affaler le long du toit qui te supportait, t'accordant ainsi un face à face avec une lune... Ovale.
Tes doigts se levèrent, s'amusèrent à découper l'astre lunaire en petits morceaux, à jouer avec ses rayons. Mais plus tu la fixais, plus elle te rappelait ce masque, et ce pseudo sourire que tu devinais derrière. Ta main retomba sur ton front, tes paupières se fermèrent, ta mâchoire te serra : Rien n'allait.

HRP : Un peu nunul comme intro, navrée xD

Tu ne le vis pas immédiatement, mais ton carnet s'animait en bas du mur. Une main s'en était emparé, mais pas une main étrangère. Elle avait déjà foulé l'intimité de ses pages fragiles l'espace d'un instant, un jour de mauvais temps.

Silencieux, ton sensei regarda les traits que tu venais d'y tracer. En tant que non-initié aux arcanes du dessin, il trouva naturellement dommage qu'une esquisse aussi professionnelle ait fini par embrasser la saleté du sol. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre. Il sourit.

Il leva son regard vers toi, tes jambes qui pendaient du toit, et distingua vaguement tes mains dansant avec la lumière sélénite. Sans un bruit, en bon shinobi, il plaça une main contre le muret, imbibée de chakra adhésif à l'Académicienne, puis sa sandale, pour se hisser à ta hauteur, comme une ombre. L'instrument attaché en bandoulière dans son dos ne l'encombrait pas le moins du monde.

C'était une guitare. La férocité de sa basse l'avait irrité ces derniers jours, et le shamisen lui rappelait trop sa famille qu'il avait abandonné il y avait bien trop longtemps. Une simple guitare, voilà un bon compromis entre les deux.
La silhouette du manche passa près de l'astre, annonçant celle du luthier. Son regard capta le tien. A contre-jour – ou plutôt à contre-nuit ? – tu pouvais difficilement distinguer s'il souriait ou pas, et le relief de ses cicatrices faciales n'était que subtilement mis en valeur par la lune. Mais tu pouvais clairement le voir déposer presque naïvement ton carnet à côté de toi, quelques tuiles plus loin.

Sans desserer les lèvres, il se pencha pour attraper le manche de son instrument, le faire pivoter et le mettre en position. Une vieille mélodie lui vint en tête, ses doigts savaient où aller.

Certes, la lutherie était devenu un passe-temps très occasionnel ; elle était passé du stade de revenu secondaire à celui de hobby du dimanche, en quelque sorte. Son atelier n'était pas transportable, mais sa musique le restait, en toute circonstance.

Ce n'était pas une crise d'angoisse qui l'avait extirpé de ses songes, comme toi, mais les pleurs d'un petit garçon qui commençait à peine à aligner quelques mots. La situation s'était arrangée pour son sommeil, pas pour celui du papa... ou du reste celui qui en jouait le rôle tant bien que mal. Il avait saisi l'occasion pour s'inspirer de cette belle fin de nuit et vagabonder un peu partout dans les terrains vagues, où il t'avait retrouvé presque sans surprise.

- Bien depuis les ruines ?

Il avait presque murmuré, pour ne pas altérer le timbre métallique de ses ficelles de nylon.

Le silence était mordant.

Des épines vinrent s'enfoncer dans ta chair par à-coup. Tes paupières demeurèrent closes. La mélodie s'empara des airs, pire, joua avec l'air. C'était gracieux et apaisant. Un demi-sourire vint se dessiner sur tes lèvres. Il t'était facile de deviner l'origine de cette musique, tout comme son but et même son créateur.

Le noir te permettait une parfaite adhérence au thème. Si la musique se basait sur des ondes parfaitement invisibles, elle était pourtant source d'images, d'émotions, et parfois même de saveur. Au final, tout les sens pouvaient être reliés, mais le son était une arme qui détenait une clef mère. Comme le ciment qui relie les briques. La clef de voûte d'un monde unique.

Tes prunelles reflétèrent l'astre lunaire et croisèrent celle d'Onpu, délicatement installé à côté de toi.
Il jouait avec passion, une fois de plus. Et une fois de plus, ses paroles arrivèrent de manière très lyrique jusqu'à tes oreilles.

Chut, doucement, calmement. On a le temps. On est encore là.

Des mots sans sens ni fondements. Des mots qui se tissaient naturellement dans tes pensées, comme si la mélodie les écrivait sur une partition. Comme pour répondre à cette harmonie, ton menton se tira vers l'arrière, allongeant ton cou par la même occasion. Ton dos prit la relève, soulevant alors ta chevelure sans un bruit. A sa remarque, tes genoux vinrent se replier, et ton nez se cacher dans le creux qu'ils créaient. Ton demi-sourire retomba légèrement, il avait perdu sa franchise.

- Mmmh... On fait aller

Ce n'était pas un oui, pas un non. Juste un milieu, un endroit si neutre qu'il en était effrayant. A vrai dire toi même tu ne savais plus quoi penser. Devais-tu être désespérée ou fière de cette « confrontation » ? Devais-tu en parler comme une expérience, où t'en éloigner ? Comment aborder une rencontre qui empestait la fausseté et l'inconnu ? Tu te perdais rarement toi même, car tu en avais décidé ainsi très jeune, suite à un passé que tu refoulais. Mais là. Maintenant. LA. Tu ne savais plus.

Entre une bête enchaînée dans une cage dorée et un fantôme au masque blanc. Deux personnes, deux êtres, dont les mondes étaient tellement distincts. Trop différents même pour que tu ne puisses les cerner. Toi l'empathique, piégée à ton propre jeu.

Ton visage pivota vers Onpu. Cette fois-ci, un véritable sourire fit remonter tes joues. Il savait déjà tout, il comprenait tout, et c'est ce qui t'épargnais de ce que tu haïssais le plus : Le baratin explicatif. Sa musique suffisait à te transmettre ses encouragements.

- Monsieur le Kage est insomniaque ?

Tu avais insisté sur le « monsieur ». C'était la première fois depuis son retour, et sa promotion, que vous vous parliez seuls à seuls. Pourtant, il ne te paraissait pas si éloigné que cela. Ça t'étonnais même. Plus d'une fois tu y avais songé, en te demandant s'il continuerai la proposition issue de votre précédente rencontre. La promesse d'un sensei, qui à son retour, devient Kage. Belle ironie du sort. Tes yeux finirent par longer ses traits, les marques qui s'y déposaient.

C'est douloureux, dis ? Ça fait mal le regard des autres ? Moi j'ai oublié.. Je ne sais plus. Je suis peut-être aveugle qui sait.

Encore un héritage d'une enfance plongée sur les apparences, une enfance vite échouée.

- Je suis un peu perdue, c'est tout

Mais ça, tu le sais, murmurait une petite voix.

- D'acc.

Un mouvement de sourcil semi-étonné, cela dit. Toi, perdue ? Alors que tout allait si bien ? Au lendemain d'une victoire ?

C'est souvent ce même optimisme niais, cette naïveté un peu simplette qui permet aux esprits faibles de s'extraire des moments un peu gênants dans une conversation. Onpu avait la paupière lourde, mais il se sentait paradoxalement très éveillé, très vivant. Enfin, son expérience lui avait prouvé qu'il n'était pas très prudent de contre-dire les amis qui prétendaient aller mal en essayant de leur convaincre qu'ils allaient bien. Le chemin, pas l'horizon, toujours toujours toujours...

- Et puis non, monsieur le Kage n'est pas insomniaque. Il est juste papa.

Le dernier mot avait été prononcé presque à tâton, comme s'il cherchait encore à s'en convaincre. A sa décharge, il ne l'était pas vraiment ; enfin, pas du tout au sens génétique du terme, et par intermittence au sens familial. Mao l'épaulait. Enfin, le Mao en question n'était pas très souvent disponible ces temps-ci.

Le ciel se parait peu à peu d'un gradient de luminosité, une infinité de teintes de bleu annonçant le retour prochain du jour : sa présence dans le paysage était subtile, mais la certitude de le voir se lever demeurait évidente, acquise pour chaque chose vivante, si bien qu'on prenait souvent la désagréable habitude de ne pas apprécier son retour à sa juste valeur. Au loin, les chants d'oiseaux se hissaient discrètement dans le paysage sonore de la forêt interdite.

- J'ai lu le rapport de Raito. Il t'a mentionné, et ne va pas croire que c'est juste parce que tu es son équipière. Tu as fait, semble-t-il, un excellent travail de soutien.

La pulpe de ses doigts galopa sur les cordes de son instrument, en excita doucement les harmoniques.

- Évidemment, ce n'est pas toi qui a couru vers ce... cette plaie masquée pour lui jeter des bombes, qui a percé sa prison ou brisé son masque, mais sans toi le groupe aurait peut-être plié genou. Et ta mémoire visuelle, continua-t-il en baissant les yeux vers ton carnet, nous permettra de faire un grand pas dans l'enquête.

La vérité, c'était que tu ne serais probablement pas la coordinatrice toute ta vie. Ton sensei voyait de grands espoirs en toi, et il n'avait pas l'intention de te laisser macérer dans ton manque apparent de self-confiance et d'expérience du combat.

- Je suis là maintenant. Il y a quelque chose que tu veux qu'on travaille en particulier ?

L'heure tant attendue de l'auto-évaluation avait sonné pour toi. Onpu avait rangé sa guitare dans son dos en bandoulière, et il te regardait droit dans les yeux, prêt à réagir au quart de tour ; tes mots devaient être choisis avec précaution.

C'est ça le truc. Il est là.
Tu fixais le carnet avec une certaine crainte. Il était là le doute, et il avait le don de te donner une impression d'erreur, de quelque chose qui t'échappe. C'était puéril de ta part de croire qu'un simple trait aurait pu en révéler davantage que de basiques rapports, des tonnes de pages d'écritures, une typographie orthonormée, agencée pour paraître ennuyant d'un seul regard. Alors quoi ? Parviendrais-tu à rendre ces analyses plus ludiques ? Rendrais-tu ces mots un tant soit peu attrayants ? C'était ça la question, la vraie question. Celle de la véracité dans la simplicité.

Et Onpu, à son habitude, avait déjà répondu à ta question, avant même que tu ne la poses. S'il n'avait pas été ton sensei, ton ami, il t'aurait énervée, à un point ou tu n'aurais plus pu croiser son regard sans avoir peur qu'il n'y lise toute la profondeur de tes pensées. Il déchiffrait ce que tu voulais masquer, mais ne s'en servait pas pour te déstabiliser, au contraire, il comblait ça par le biais le plus simple qu'il soit, le réconfort et le soutient.

- C'est que le rôle de père doit bien t'aller.

Et tu le pensais, sincèrement. Parfois tu oubliais ce qu'était le cadre familial, tu t'en éloignais trop, alors que son importance était fondamentale. On' rassemblait ces petites choses qui faisaient de lui un personnage en qui ta confiance ne pouvait que se placer. Plus besoin de parler, plus besoin d'expliquer, c'était simple et naturel.
Ton corps se redressa, sous la lune dansante, dessinant derrière ses rayons, une ombre changeante. Tes sourcils s'étaient froncés, tes muscles raidis, ta bouche... s'était jointe en un point, souriant d'une manière presque nouvelle.
Ça sonnait un peu comme une revanche, un retour sur toi même, cette pseudo culpabilité, tu n'avais qu'à la dévorer et en faire une armure plus solide.

- On travaille tout, que je me décide enfin.

Non pas que tout était à revoir, mais tout devait être amélioré. Ta volonté s'aiguiserai, comme ton art, mais pas sans aide. Ton corps comme ton esprit n'avaient besoin que d'une chose : Une part d'âme à laquelle se raccrocher. Une attache qui agirait comme une batterie de rechange. La tienne était à plat, essoufflée par les événements, dématérialisée, par l'ampleur et la déconstruction d'un monde que tu croyais connaître. Onpu l'avait perçu, et sa clairvoyance avait pour effet de te rendre ce dynamisme que tu avais oublié. L'adrénaline faisait son effet, quelques secondes encore, et tu t'envolerais.

Après quelques secondes à t'admirer en contre-plongée, ton sensei se relevait à son tour, sans décoller les mains de son instrument.

- A la bonne heure. Je me réserve donc le choix de la tonalité.

Il fit un pas en arrière sur les tuiles, puis un autre, comme pour s'assurer une distance de sécurité. Ou peut-être plutôt pour t'en offrir une.

Ses bras se raidirent, et il joua avec dextérité ce qui semblait être une gamme ; la guitare n'était plus qu'un simple instrument de musique, c'était devenu une arme. Les cordes graves étaient à l'honneur, mais en les faisant vibrer le luthier recueillait toute l'énergie des notes pour les recueillir dans huit bulles d'air sous pression, qui gravitaient désormais autour de lui comme des satellites plus ou moins massifs.

- J'ai là autour de moi une gamme de mi dorien, fortement amplifiée. Le but du jeu pour toi, c'est de faire en sorte que cela reste musical, donc que les notes n'explosent pas trop près de tes oreilles. En d'autres termes, si l'une de ces bulles t'atteint directement, tu as perdu.
En garde.

Trois bulles sortirent de leur orbites pour te fondre dessus, elles t'avaient pris pour cible. Puisque tu voulais tout travailler, Onpu t'avait prévu un échauffement acrobatique.

Il descendit aussitôt du toit en bondissant tranquillement, suivi par ses autres bulles et gardant le manche de son instrument bien dans la main. De l'autre, il se munissait d'une poignée de makibishis qu'il garda en main quelques secondes, pour finalement les répandre sur une large zone du terrain d'un mouvement ample du poignet. Anticiper les trajectoires des notes ne suffirait pas : il te faudrait également faire attention où tu mettais les pieds...

Ton dernier combat avait eu le mérite de stimuler tes réflexes, mais l'ennemi ne s'était pas acharné sur toi. Tu avais bénéficié d'un soutien efficace de la part de tes équipiers, dont tu étais à présent dispensée.
Ton sensei s'accroupit, et tourna sur le sol pour en effleurer la surface. Quatre doubles de lui-même émergèrent, animé par un chakra dôton de sa composition. Ils restaient d'abord autour de lui, à l'image des cinq notes restantes de la gamme. La charge d'imprévus à gérer devait être maximale, pour te pousser à puiser dans tes ressources personnelles le plus rapidement possible.

Et puis, le jeu n'avait qu'une unique règle, il te restait une marge de manœuvre conséquente. Une fois de plus ce n'étaient pas que tes compétences physiques et l'ampleur de ta réserve de chakra qui étaient mise à l'épreuve, mais bel et bien ton imagination.

Une nouvelle œuvre audio-visuelle commune débutait. Finirait-elle avant le lever du soleil ?

HRP: