Un bâillement, un soupire, un regard ennuyé, presque livide. Tous cela, ce sont les signes qui précèdent un départ pour une mission bien chiante. Vous l’aurez donc deviné, aujourd’hui, je pars travailler. Où ça, dites-vous ? À Yuki no Kuni vraisemblablement. D’après les ragots, une bande de méchants shinobis du clan Kiezan aurait créé l’anarchie dans le pays de ces gentils habitants de la neige. Enfin bref ; C’est un peu caricaturale mais à peu de choses près, notre mission se résume à cela : Taper les méchants ou les convaincre – ou persuader, au choix – d’arrêter de semer la zizanie. Au passage, notez que je dis « notre mission » car je ne serai pas seul. En effet, les hautes sphères du village – d’où l’intelligence n’est plus à démontrer je le rappelle – ont jugés bon de me coller une kunoichi avec moi, une certaine Tsuku Hélia. Qui est-ce ? Aucune idée ! À quoi ressemble-t-elle ? Aucune idée ! Quelles sont ses hobbies ? Aucune idée ! Ses affinités ? Non plus ! Ses spécialités ? Ah, ça je sais ! … Quoique … Ah bah, en fait non. Blagues mises à part, il semble que je sois dans l’obligation de mettre à bien une mission de rang A avec cette personne. Personne dont je ne sais strictement rien, si ce n’est le nom et le grade. Car oui, à défaut de me délivrer toutes les autres informations citées précédemment, on me refile tout de même le grade de mon partenaire. Ils ont le sens pratique au village de la brume.

Les préparatifs de mission terminés, je quitte sans plus attendre mon domicile. Comme toujours lorsque je m’absente, je cède mes clés à mon second puis m’en vais le cœur léger. Je sais qui il est, j’ai confiance en lui et je sais qu’il saura s’occuper à la perfection du dojo en mon absence. C’est donc serein que je pars vers les longs tunnels. On ne change pas les bonnes vieilles habitudes, j’ai toujours quinze à vingt minutes d’avance sur l’horaire prévue par les organisateurs de mission. Il faut dire que je suis du genre pressé. En outre, je n’aime ni attendre les gens, ni les faire attendre. En route, j’essaie rapidement de m’imaginer cette Tsuku Hélia. Plusieurs archétypes de kunoichi défilent dans mon esprit et à chaque fois le même constat : Je la sens mal cette mission. Faut dire que les femmes à Kiri sont pour le moins… Bizarres. Ou bien ce sont des tueuses, des travelos, ou bien elles ne sont pas humaines ou bien encore elles sont moches. Parfois si vous avez de la chance, elles cumulent les trois à la fois. Oui, oui, je sais, c’est moche comme blague mais que voulez-vous que je vous dise : C’est la vérité.

Au bout de quelques minutes, j’arrive au point de rendez-vous. Une femme est là. Étant donné que les kunoichis à Kiri ne courent pas les rues – car oui, en plus d’être moches, y’en a pas des masses – je suppose, à raison, que c’est ma partenaire du jour. Oui, c’est elle, Tsuku Hélia. Bon, à priori comme ça, elle a l’air plus ou moins normale. Seule sa grosse pipe à la bouche et son accoutrement outrancier peuvent éventuellement m’induire en erreur. En effet, à première vue comme ça, on dirait plus une péripatéticienne qu’une kunoichi mais bon ; C’est un style, ne nous moquons pas ! Me grattant machinalement la tête, j’avance vers ma coéquipière. Je ne suis pas sûr de moi mais, comme on dit chez moi, qui ne tente rien n’a rien. J’hésite légèrement. Ou bien je fais soft ou bien je tente l’approche : « T’es là pour un client ou bien tu attends un ninja ? » … Finalement, histoire de ne pas heurter la sensibilité des plus jeunes, j’opte pour la version la moins choquante. Cela donne donc à peu de choses près ceci :

« Hélia, c’est ça ? … Bien. Pour ma part, c’est Shinichi mais tu t’en doutes. Sur ce, je pense qu’on peut y aller. On met un plan sur pied dans le bateau si tu veux. On peut aussi bien y aller comme ça, à l’improviste mais ce n’est peut-être pas le mieux à faire. Du coup, c’est comme tu le sens. »

Vous savez ce que j'ai dit tout à l'heure sur les femmes de Kiri ? Et bien c’était visiblement incomplet. Effectivement, vous pouvez ajouter à la liste la mention suivante : « Ou bien elles parlent tout le temps. » Non parce que sans vouloir être méchant, vous l'avez entendu celle-là ? Fiou. Un vrai moulin à paroles. Heureusement, je n'ai écouté que le tiers de son laïus... Ou le quart, ou le cinquième … Ou peut-être un peu moins en vérité. Enfin bref ; Autant dire que je n'ai pas prêté attention à son propos. Dans tous les cas, ce n'est pas comme si cela allait porter préjudice à la mission. Après tout ce n'est qu'une femme. Ses paroles sont donc négligeables ! Je dirai même plus, il ne faut pas les écouter. Pour cause ; L’expérience prouve que moins l’homme – au sens restrictif du terme – écoute la femme, mieux il se porte.

Plus sérieusement, je n'ai pas besoin d’écouter ce qu'elle a à me dire pour savoir quoi faire. Alors que nous nous enfonçons dans l'obscurité des longs tunnels, nous rejoignons très vite un navire censé nous amener à Yuki, le pays des neiges. Ledit rafiot est solide, bien bâti et l’équipage à l’air d’être tout à fait sérieux. A ce titre, j’estime que tout est en ordre. Histoire de mettre au point les quelques détails concernant notre plan d'action, je décide de prendre les choses en main. Non pas que je veuille jouer au petit chef autoritaire mais quitte à faire les choses, autant les faire bien et de la manière la plus ordonnée qui soit. De fait, j'invite Hélia à me rejoindre sur le pont afin de lui expliquer ma manière de voir le problème et les solutions que j'envisage pour le régler.

« Nous devons agir pacifiquement si possible. Je pense donc que le mieux est de trouver un moyen d'entrer en contact avec le ou les chefs de ces tribus primitives, tu vois. Pour cela, je pense que nous irons dans un premier temps vers une grande ville. Les tribus sont vraisemblablement gênantes. Les chefs et les petits seigneurs doivent donc savoir où vivent ces peuples. Le mieux serait ensuite de fixer un rendez-vous. De préférence, j’irai seul. Enfin… Tu seras là mais cachée. Sait-on jamais, les négociations peuvent vite dégénérer. »

Non pas que j’ai peur pour ma tête mais en supposant qu’ils viennent à dix pour parlementer et en supposant que cela n’aboutisse pas, je doute de leur capacité à rester calme. En effet, je les vois bien me sauter dessus à la première embrouille. Du coup, le mieux serait de trouver une zone pour parlementer où Helia peut, et suivre les négociations, et agir en cas de danger. Comme ça, à chaud, je me dis que le mieux serait de trouver un endroit rocheux voire montagneux. Ainsi, nous parlons avec le ou les chefs de tribus au pied d’une montagne tandis que la kunoichi reste en hauteur. Ce genre de relief serait idéal. Cela-dit, je doute. Y a-t-il des montagnes au pays des neiges ? À dire vrai, je n’en sais trop rien. Certes j’ai mis les pieds à de nombreuses reprises là-bas toutefois je ne suis ni capable de retenir des informations aussi négligeables, ni guide touristique de la région. Enfin bref ; Dans tous les cas, il nous faut entrer en contact avec ces peuples de sauvages primitifs. Cela constituera très certainement un bon morceau de notre mission. Ensuite, à nous de faire en sorte que cela ne se termine pas en effusion de sang.

Le plan mit sur pieds, mon regard passe succinctement du bleu de l’océan au visage de la Kirijin. Je ne sais pas si elle a des questions mais si c’est le cas, c’est maintenant ou jamais. En général, lors des trajets je ne suis pas très bavard. J’aime mettre au point le plan puis partir me reposer dans ma cabine comme une marmotte avant de réellement bosser dur. Du coup, je la regarde puis lui adresse un signe de tête, l’air de lui demander : « Si t’as quelque chose à dire, crache le morceau. »