Enfin arrivé. Je posais pied à terre dans la ville portuaire de Higata, tout au sud du pays. J’étais déjà venu ici, et le décor n’avait pas changé depuis bien longtemps. Une forte activité se concentrait en cette zone, où marchands, bandits divers et civils se retrouvaient pour conclure toutes sortes d’affaires. Kawa no Kuni avait vu sa fréquentation évoluer avec la forte influence qu’avait eu la mégalopole, en rassemblant, un peu plus au nord, les plus ambitieux mercenaires et hors-la-loi que pouvait contenir ce monde. Kurebasu était devenue un eldorado pour tout ce qui se faisait d’illégal, ou de vicieux. J’avais passé du temps là-bas par le passé, à écumer casinos et comptoirs à la recherche de juteux contrats ou au contraire à écouler ce que je venais de gagner. Mais mon retour ici s’annonçait différent. Je n’étais plus là pour jouer, errer sans but et flamber. Non, cette fois-ci je venais dans un but bien précis, et pour le compte indirect du Kyomu. J’étais en effet chargé d’une mission, après avoir convenu d’un poste de responsable des réseaux d’informations de l’organisation, ainsi que des traques éventuelles.

A vrai dire, ce poste me convenait à merveille. J’étais un expert en taijutsu, mais aussi en sensorialité, et mes dons me permettaient de prétendre à un tel poste. Cependant, toute la partie réseau était à construire, et pour cela j’allais faire jouer les quelques relations qui me restaient dans ce pays afin d'accélérer les choses. J’étais plein de projets, et je savais que je ne devais pas traîner si je voulais espérer des résultats concluants avant que des conflits avec l’empire ne naissent.

Lors de ce voyage, j’étais accompagné de mon partenaire au sein du Kyomu, une gamine de même pas vingt ans, dont je ne savais pas grand chose, mis à part qu’elle n’avait pas l’air bien bavarde. Elle n’avait pas décroché un mot jusque là, et de mon côté j’avais apprécié cette tranquillité. Après tout, si elle n’avait rien à dire, c’était plus sage qu’elle ne dise rien. J’aimais assez, et c’était rare pour que je le remarque. Je me tournais quand même vers elle en arrivant au port, pour la mettre au courant de ce qui allait se passer. J’avais pris le rôle de leader un peu d’office, de par mon âge et le sien, la chose m’avait semblé évidente.

« On est ici à Higata, Kurebasu est à quelques heures plus au nord, et c’est là que nous allons. J’ai quelques connaissances auxquelles rendre visite, tu pourras m’accompagner où vaquer à tes occupations une fois arrivés, mais reste sur tes gardes, certains coins sont… coupe-gorges. »

J’avais souvent eu affaire à des types peu recommandables, et une gamine comme elle n’allait surement pas être épargnée. Mais après tout, c’était peut être une occasion pour moi de voir comment elle se défendait. De mon côté, je savais que tant que je ne faisais pas trop de vague, je ne risquais rien dans la mégalopole. Je devais me faire une place par la diplomatie tant que c’était possible, car une action trop violente pouvait m’attirer les foudres de shinobis bien plus puissants que les petits mercenaires traînants dans les bars. Cette opération allait nécessiter du temps, du tact et de la finesse, et c’était peut être à ce moment que mon acolyte allait pouvoir m’aider...

Pourquoi avait-elle acceptée ce voyage déjà? Ah oui parce que Red et Yami l'avaient demandés sur un ton bien insistant. Un ton ne laissant guère la place à un 'non'. Parait-il qu'elle devait se lier aux membres du Kyomu et à son partenaire. Son partenaire d'ailleurs, elle avait rien demandée. Bon c'était déjà mieux que d'avoir Yami dans les parages mais tout de même il y avait pléthore d'autre partenaire et on lui filait un vieux croûton? Enfin en théorie elle avait plus d'un siècle alors qui était vraiment le vieux entre eux. Ils voyageaient jusqu'à Kawa pour une raison encore inconnue mais elle avait du le suivre. Après tout voyagé ne lui ferait que du bien, l'air vicié de Haï lui donnait envie de rester dans le complexe du Kyomu encore en construction et de ne pas sortir.

Ici à Kawa la mégapole malgré la pollution elle avait un petit bonheur, allumer une cigarette sans avoir à avaler des cendres toutes les deux secondes. Alors elle écouta les paroles du vieillard songeant au fait qu'elle aurait pu elle aussi finir pareil sans l'intervention des shinobis qui lui avait, d'une certaine manière donner un aperçu de l'immortalité. Pour elle qui n'était pas de la branche principale, pas des comtes elle avait survécu qu'en donnant à tous une image aussi sombre que carnassière. Autrefois les peuples l'adulaient, on la prenait pour une déesse et elle aimait ça. Les souvenirs revenaient de plus en plus souvent maintenant, il lui arrivait des matins de se réveiller avec un morbide sourire sur les lèvres et une drôle d'envie d'attraper des carotides.

Ici à Kawa, elle risquait de se laisser aller. Quelque part, elle attendait ça, se défouler sur le continent et faire couler du sang. A en remplir des rues, faire sortir du sol un autel à son nom et des sacrifices. Elle n'écouta pas le reste des propos du vieux, il le prenait pour une enfant. C'était logique, elle haussa les épaules restant silencieuse. L'odeur du sang imprégnait ses narines, ses sens étaient tellement en éveils que ses tympans battaient la chamade.

Elle suivait d'avantage son compagnon par envie de meurtre que par réel mission. Qu'il fasse ses occupations, elle avait les siennes. Seule, sans garde-fou elle avait envie juste une fois de retomber dans ses vices. Et ici ou la racaille s’entassait dans des faubourgs minables qui irait lui reprocher?

Personne.

Parce que personne ne dictait à Kawa les conduites des autres. L'anarchie, avec un seul mot d'ordre respecter plus fort que soit. Ce n'était pas pour rien que Kawa attirait autant de nukenins. Comme les papillons ils gravitaient autour de la lumière, et beaucoup se tuaient en essayant de toucher cette blancheur extrême. Mais le Kyomu ne formait pas des futur cadavres. Le Kyomu formait des hommes et femmes particuliers, unis autour de rien du tout si ce n'est l'envie de satisfaire ses envies en s'entraidant. Drôle d'organisation, mais beaucoup plus logique que d'aller seul au front.

Sans perdre plus de temps dans cette ville portuaire et dénuée d’intérêt, je mettais le cap directement sur Kurebasu où des affaires beaucoup plus importantes m’attendaient. Avant de quitter la ville, j’avais simplement pris le soin de faire le plein de quelques vivres, de quoi boire et manger jusqu’à notre arrivée, et pas grand chose de plus afin de voyager léger. Quoiqu’il arrive, à la mégalopole tout s’achète et tout se vend, alors se procurer de la nourriture n’allait sûrement pas être un soucis.

J'appréciais aussi de changer d’air, celui de Haï j’avais du mal à m’y accommoder. Une grisaille permanente, un vent cendré et presque irrespirable, pas étonnant que la population civile y était presque inexistante. Mais bon, le fait qu’il n’y fasse pas bon vivre rendait justement le territoire parfait pour une organisation comme le Kyomu. Si on pouvait renforcer notre emprise là-bas jusqu’à y avoir un contrôle total, une véritable étape serait alors franchie. Cette emprise, c’était aussi à travers notre mission qu’on allait la renforcer. Je devais faire état des lieux, distinguer nos potentiels alliés et nos potentiels ennemis, et faire en sorte que les premiers submergent les seconds. Pour cela, j’avais aussi prévu un atout de poids : l’argent.

Nous avions emporté une somme conséquente avec nous, et bien gérée, elle pouvait être notre meilleure arme dans le coin. A l’inverse, on pouvait aussi se retrouver dans de sales situations sur une mauvaise gestion du magot. Plus qu’ailleurs, l’argent était roi à Kurebasu. Plus qu’ailleurs, le pouvoir tirait droit sa force des coquettes sommes qui transitaient pour tout type d’opération. Avec ce qu’on avait en poche, on pouvait déjà s’offrir pas mal de petits services…

Mon équipière ne m’avait toujours pas adressée la parole, tandis que nous approchions enfin de l’entrée de la mégalopole. D’un côté, je n’avais pas trop chercher à discuter, et tant qu’elle écoutait ce que j’avais à dire, qu’elle ne parle pas n’était pas du tout un soucis. Quand elle aurait besoin de communiquer, elle trouverait bien un moyen de me le faire comprendre. Nous entrions dans la ville, et je reconnaissais une grande partie des lieux emblématiques d’ici. Je préférais mettre en garde la gamine, lui glissant quelques mots discrètement.

« Nous sommes arrivés. T’es libre de me suivre ou de vaquer à tes occupations, mais quoique tu fasses, ne t’attire pas d’ennuis, c’est tout ce que je te demande. Surtout pas avec la “Grande grue” ou un de ses sbires. Fais profil bas si tu sens que ça chauffe. »

S’il y avait bien une personne auprès de laquelle je voulais éviter tout type de relation conflictuelle, c’était bien la Grande grue. Personnalité mystérieuse et à la fois emblématique de la mégalopole, elle avait la mainmise sur une grande partie des activités illicites de la ville, et avait par conséquent un pouvoir politique et certainement militaire auquel il valait mieux éviter de se frotter. En faisant les choses dans l’ordre, peut-être aurait-on la possibilité de se faire une place, nous aussi.

« Je vais aller voir un vieil ami dans un des bars de la rue principale, si tu veux m’accompagner, c’est moi qui t’invite. »