Une balance truquée [Samui Kakeshuou/ Yu no Kuni]

La nation de Yu n'avait pas grand chose à envier à ses voisines. Elle était grande, donnait sur la mer et bénéficiait de frontières plutôt stables : d'un côté l'océan, de l'autre le Pays du Feu, qui n'était pas vraiment connu pour son caractère invasif. De ce fait, les habitants de Yu vivaient plutôt tranquillement tout en cumulant les avantages du commerce avec les grandes nations et de l'indépendance. Une situation enviable donc, qui était très bien comme elle était. Cependant, avec l'installation de la guerre à toutes les frontières, le facteur '' neutre '' se voyait très contrebalancé. Prit entre deux fronts, l'on se voyait souvent imposé de choisir entre l'un des deux camps, faute de quoi les deux armées prenaient ce dont elles avaient besoin sur place sans se donner la peine de fournir des contreparties. Selon le vieille adage militaire : '' si tu n'es pas mon allié, alors tu es mon ennemi. ''

Afin d'éviter des bains de sang inutiles, Natsuki avait été envoyé pour faire pencher le poids de la balance de l'indécision. En effet, des rumeurs laissaient entendre que la population générale se posait de plus en plus de questions quant à la viabilité de rester indépendant. Fallait-il rester neutre dans une guerre dont ils risquaient de faire une partie des frais, ou au contraire se joindre à l'une des grande nation pour bénéficier de sa protection contre sa liberté ? La nation de Yu étant assez proche géographiquement des deux pays ennemis, Konoha voyait d'un assez mauvais œil l'éventualité de laisser un pied à terre à ses adversaires, surtout si proche de leur frontière. Stratégiquement, il s'avérait donc capital que la nation neutre ne se retrouve pas annexée au camp opposé.

A Natsuki donc de se débrouiller pour tourner le regard des autochtones de ce petit pays vers son flamboyant voisin beaucoup plus grand. Du moins, c'était la mission qui lui était confiée, laissant ainsi l'occasion au clan Nara de s'illustrer à nouveau dans la guerre comme il l'avait fait sept années plus tôt. Tous les combats ne s'emportaient pas avec la force. Même s'il ne parvenait pas à rallier le peuple à la cause de sa Patrie, il pouvait toujours tenter de les rendre hostiles à l'envahisseur ennemi. Plus qu'ils pouvaient déjà l'être en tout cas. Dans son fidèle déguisement de voyageur, l'héritier Nara parcourait donc la nation, rependant les rumeurs et prêchant pour son église. A demi-mots tout du moins. Car s'afficher en plein milieu de la foule, et faire l'éloge de sa nation, ça ne menait pas loin, et le fichait directement pour ce qu'il était, un shinobi de la Feuille venu vendre sa marque. Il lui fallait faire preuve de plus de subtilités.

Habillé comme un voyageur, il n'était vêtu que d'un simple vêtement de tissu d'un brun délavé, et très ample, avec par-dessus une large cape vieillit par le temps qui enveloppait une bonne partie de son corps. Du moins, en apparence. Car sous ses larges habits se dissimulait invisible l'équipement ninja qu'il portait durant chaque mission, à savoir une tenue sombre à manches courtes, et son gilet tactique de combat à poches multiples. Partant des épaules, des bandages ayant connu bien des kilomètres de marche entouraient tout le bras de chaque côté jusqu'au bout des doigts. Quant à son visage, hormis les quelques bandages salit qui lui barraient la face et cachait ses marques, c'était surtout son sugegasa qui le dissimulait, un chapeau conique à large rebord fait de paille. Avec son bâton et son baluchon, il ressemblait à n'importe quel baroudeur parcourant les routes durant la saison automnale. Ce qu'il faisait en toute discrétion donc, mais pas pour voir du pays.

A chaque arrêt, chaque point relais, chaque village, hameau ou citée par lesquelles il passait, il se mêlait à la foule, écoutait les nouvelles, ce qui s'y disait, et orientait l'opinion publique vers le bon versant du Pays du Feu. Simplement en vanter les mérites ne fonctionnait pas, il fallait faire preuve de plus de subtilité : amener le sujet l'air de rien, diriger la conversation petit à petit, aborder les points de vue, mettre en lumière les avantages qu'offrait Konoha en donnant l'impression que l'idée venait de l'autre etc... tout autant de méthodes pour progressivement convaincre toute une population que le Pays du Feu n'était pas un mauvais allié en ces temps troublés. Le but n'était pas tant d'inciter la nation de Yu à se joindre aux forces alliées, mais plutôt de véhiculer l'idée que ce serait une bonne chose, laissant ainsi l'impression d'un libre-arbitre. Ce qui était le cas, dans le fond, mais avec une forme fortement suggérée. Ainsi se glissait des idées comme être inclut dans l'économie globale, ce qui avait été apparemment plutôt intéressant pour le niveau de vie d'autres petits pays comme Ame ou Kusa. Contrairement aux conquêtes par la force de Kiri, où se tramaient souvent des contextes de guerres civiles et de rébellions.

S'étant installé pour passer la nuit dans une auberge, Natsuki était justement affairé à partager un repas dans la salle commune avec différents individus. Progressivement, la conversation se tournait vers la guerre, ses camps actuels, et l'avenir...

Dans le contexte d’une guerre, il est évident que les fronts sont multiples. Mais il ne s’agit pas seulement d’une question géographique. Avant tout, cela tourne autour d’une lutte politique. Les affrontements entre personnes, voire entre groupes, pouvaient être justifiés par une volonté personnelle, un désir irrépressible de violence qui menait à des combats dénués de sens et aux conclusions dramatiques. Les guerres, elles, ne jouent sur d’autres échelles. Il s’agit d’engagement politique, de détermination nationale ou irrédentiste, qui pousse à faire dévotion de son corps et de son âme dans la poursuite d’un objectif préétabli. La guerre est finalement la seule arme privatisée par la politique, et il ne saurait en être autrement.
En quoi cela s’appliquait ici ? D’une façon on ne peut plus simple. Deux camps. L’un veut conserver ses possessions, l’autre tient à créer une ligue de pays indépendants, sorte de supranation-tampon entre les grandes puissances Shinobis de ce monde. Entre l’alliance Kiri-Suna et l’unité Konoha-Kumo, les défis et mises à mort allaient bientôt pulluler. Mais cet enjeu politique, sur lequel les villages s’opposaient, était bien la raison de cette guerre. A moins qu’une ombre n’ait souhaité voir le monde se couvrir de sang une fois de plus.

Dépêché au Pays des Sources Chaudes, le Ninja qui avait traversé l’océan se dirigeait vers la bourgade la plus proche. On lui avait confié une mission d’importance, et en tant que combattant et soldat, il se devait de s’y plier. Ce n’était pourtant guère l’envie qui l’y menait. Kakeshuou Samui est ce qu’on appellerait un dévot : peu importe la cause, qu’elle soit conforme ou contraire à ses engagements, notre homme est prêt à se donner corps et âme à son devoir. Il est né soldat, a été élevé comme tel. Il ne ferait pas obstacle à la victoire de sa patrie, peu importe ses propres opinions politiques. Après avoir traversé les flots, il s’était lancé dans ce pays verdoyant, au paysage joli et au calme apaisant. Quelle déception de savoir que ces pays, jusque là isolés mais parfois prospères !, seraient bientôt touchés par la guerre et les larmes. Il faut croire que la miséricorde n’est point de ce monde ; ou qu’elle n’a son rôle qu’une fois le drame affirmé.
Après plusieurs jours de marche, et – pour s’ancrer plus dans le présent – plusieurs jours de marche, notre homme arrivait en vue du village ciblé. Un premier jour où il se devait d’intercéder auprès des autorités. Visiblement, organiser un débat public serait chose possible. Pourquoi pas, après tout : ces gens se savaient menacés par une guerre imminente qui faisait fi des frontières. Et chaque homme sensé savait qu’il fallait trouver position à un moment ou à un autre. S’engageant à ne pas faire usage de violence et à respecter les idées essentielles d’un débat des plus classiques, Kakeshuou Samui avait fait office de bonne présentation, ce qui lui valait déjà des points sans l’ombre d’un doute. Quelques heures plus tard, une petite foule voyait un homme se placer au cœur du cercle de passants. Ayant revêtu ses vêtements les plus simples, et en même temps assez élégants, notre homme s’était lancé dans une diatribe sur les Villages cachés de la Feuille et des Nuages, accusant leur autoritarisme et leurs velléités guerrières. Quoi ! ne pouvait-on pas espérer que les pays soient un jour indépendants, sans être sous la menace constante d’une grande puissance ? Ces gens qui l’écoutaient n’avaient-ils pas un droit inné à la liberté et à la disposition de leur personne ? Depuis quand les grandes nations devaient-elles imposer leur avis au monde ? Un homme est-il maître de son destin, ou esclave d’un maître ?

A ses élans poétiques, des questions et des critiques lui étaient adressés. Kiri n’était-il pas aux listes de ces grandes puissances qui se jouaient du monde ? Pourquoi venir jouer la carte du ralliement et de la paix alors que la guerre était si féroce au-delà de ces frontières ? Pauvre sot, tu ignores qui je suis ! Si le Lion des Neiges avait gravi les échelons et s’était illustré en tant que soldat, il était avant tout fier d’avoir su porter sur ses épaules une carrière politique, où la tâche d’orateur n’était pas pour les ignares ! Faisant preuve de sincérité et d’honnêteté, il avait lui-même ne pas comprendre cette position de la part de ses supérieurs. Pouvait-on croire à un homme illuminé qui souhaitait la liberté pour chaque homme ? Et pourquoi pas ? Si de tels idéaux étaient poursuivis, c’était bien parce que certains hommes s’y étaient consacrés, n’est-ce pas ?
Peu importe les différences et les mésententes ! C’est maintenant qu’il faut se saisir sa chance, même si cela comprend des risques. Konoha est aux portes de cette contrée et on ne peut risquer qu’elle fasse déferler ses hommes si elle sent son influence diminuer ! Les combats font déjà rages, mais l’Alliance pour la Ligue indépendante n’était pas sans réaction, et saurait protéger les gens désireux de trouver leur identité propre.

Le discours semblait faire effet, et les gens répandaient peu à peu la « bonne parole ». Voilà en quoi consistait la phase politique d’une guerre. Gagner des alliés, trouver des amis et savoir donner confiance et courage au peuple. Malgré son caractère rugueux et parfois autoritaire, Kakeshuou Samui n’était pas le dernier des manipulateurs et des impresarii. Après avoir discuté plus longuement avec l’une et l’autre personne, notre Jônin fit ses adieux aux personnes présentes, et reprit sa route. Son pèlerinage comprenait encore de nombreux villages sur son parcours, et il ne pouvait se permettre de perdre trop de temps.

La nuit vint plus vite qu’il n’y pensait. Et, quitte à remplir une mission, faire un détour par les fameuses sources chaudes de ce pays serait certainement une occasion ! Arpentant les chemins des montagnes dans un instant d’éclipse solaire, il ne lui restait que peu de temps avant de sombrer dans la nuit la plus totale. Non loin de là, à vue d’homme, un établissement. Une auberge, quelle chance ! Au moins de quoi se reposer avant de continuer sur ce voyage prophétique.
Pénétrant dans les lieux, une certaine ambiance régnait déjà sur place. Après tout, notre homme était loin de poser pied en lieu pacifique. Pas besoin de prendre un camp pour être directement impliqué dans la guerre qui faisait rage. Ces hommes se sentaient tous concernés, qu’ils soient pêcheurs, artisans ou marchands. Lorsque l’on pense sa vie menacée, on ne peut que se sentir concerné. Dans un premier temps ne prenant pas part aux discussions, le vieux briscard se frayait un chemin et se trouvait une petite table dans un angle, éclairé par la cheminée voisine. De là, il pourrait se reposer, se repaître et profiter de la vue pour voir comment les choses s’animaient.
Un bout de pain, une saucisse avec lentilles et un pichet d’eau salée. Ce serait suffisant pour ce soir. Et notre homme ne tenait pas à s’alimenter de façon disproportionnée. Il était bien plus concentré sur les débats en cours dans cette paisible étable. Certains affirmaient clairement leur position ; d’autres se montraient hésitant. Les derniers de ceux-là préféraient se tenir à l’écart. Certainement les plus sages : on ne peut s’engager dans un débat que l’on risque de perdre.

Un duo devenait plus violent, et s’empoignaient déjà devant les différences d’avis. Et la paix d’un repas salutaire, vous vous le mettez dans le tréfonds de l’intelligence humaine ? Sans se lever de sa place, la voix de notre homme porta de façon suffisante pour frapper les esprits et attirer les regards.

~ Soyez au moins civilisés ! Je voudrais manger tranquille … . Et lorsque l’on ne connait pas la guerre et ses conséquences, on évite d’en venir si facilement aux mains … !

Une intervention peu maline ? Peu importe, il y a des fois où on se doit de dire « stop ».

Ladite conversation suivit l'un des chemins classiques lorsque le sujet amène les gens à opposer leurs avis foncièrement différents. D'abord, l'on est à côté du sujet, l'on parle de tout et de rien, et puis progressivement il s'installe, grandement aidé par Natsuki qui orientait le dialogue vers les versants qui l'arrangeaient le plus pour sa mission. Comme à chaque fois, l'on parle d'abord de la guerre en mal, de ses méfaits et du malheur qu'elle apporte, de l'horreur qu'elle représente de la souffrance dont elle est responsable. Bien souvent, c'est d'injustice dont il est question, de personnes mourants alors qu'elles sont étrangères à ces conflits, et d'individus se retrouvant dans la peau des bandits parce que le fléau meurtrier qu'est la guerre globale leur a tout prit et qu'ils n'ont plus d'autre choix. Toujours sur cette discussion s'engage alors le sujet de l'indépendance ou de l'annexion du Pays par les plus grandes puissances militaires. Et encore, l'on parle ici d'annexion consentit, c'est-à-dire sans le recours à la force militaire ou le chantage. Il suffit pourtant amplement à embraser les esprits, entre ceux qui préfèrent appartenir à une nation libre n'ayant de compte à rendre à personne et ceux qui voient comme positif pour eux leur entrée dans une alliance. En fonction des conditions, bien entendu. Mais celles que Natsuki – qui prêchait secrètement pour sa propre paroisse – avançait sous le prétexte de les avoir déjà vu ailleurs semblaient plutôt intéressantes. Pour certains en tout cas. Et c'est cette opposition qui progressivement avait fait monter le ton et dévier le sujet. D'abord la voix de l'un qui hausse, puis l'autre qui réplique un peu plus fort sans résigner le premier à demeurer en reste, et ainsi de suite. Au final, il ne restait qu'un Natsuki déguisé encore attablé avec du riz renversé sur ses vêtements tandis que ses voisins de table s'étaient levés pour s'invectiver mutuellement en fonction des avis à l'aide de diverses insultes déplacées visant l'ascendance douteuse des participants ou ciblant des parties de leur anatomie en des termes que l'on n'oserait habituellement même pas murmurer de nuit dans un cimetière.

Ce genre de spectacle, Natsuki en avait été témoin plus du fois au cours de sa pérégrination, et n'avait pas toujours été à même de les éviter, bien souvent pour la raison la plus simple que ce genre de dialogue politique ne devrait pas se tenir dans une auberge avec de l'alcool à porté de gorge. Au moins se faisait-il une idée de comment se partageaient les avis dans les environs. Bien que s'afficher et laisser un souvenir dans la mémoire des gens n'était pas vraiment ce qu'il recherchait, il songea à intervenir alors que le débat transformé en règlement de compte commençait à comprendre le langage des signes comme mode de communication, avec des arguments bien frappés. Ce fut pourtant un autre qui réclama le silence relatif propre à l'ambiance des restaurants et auberges. Un ange passa après que sa voix puissante ai porté au-delà des cris de colères et des insultes, et intimé durant quelques secondes un calme religieux, alors que tous les regards surprit de ce presque rugissement se portaient sur lui. Un homme de forte carrure dont les traits dépeignaient déjà une certaine expérience de la vie, ou tout du moins, une usure prononcée de cette dernière.

Bien que curieux et désireux de savoir comment allait se finir la scène, l'ange qui passait dans la pièce dû se résigner à partir, sans quoi l'intrigue ne pouvait continuer. Le calme non plus. Les hommes qui se sentirent plus ou moins insultés commencèrent à regagner la parole, et songèrent visiblement à l'utiliser dans un but assez peu productif. Ce fut alors Natsuki qui se permit l'intervention suivante.

« Allons messieurs. » appela-t-il d'une voix esquintée en frappant de son vieux bâton le sol à deux reprises pour attirer l'attention sur lui. « Pour ma part, ce sont de sages paroles que j'ai entendu là. Nous valons bien mieux que ces militaires qui ne savent régler leurs problèmes que d'une seule façon, et d'en faire payer les conséquences aux autres. Alors ne nous rabaissons pas à leur niveau s'il vous plait. »

Ce faisant, et avant même que certains l'aient remarqué, il avait déjà ramassé son écuelle et son bâton sur lequel pendait son baluchon pour prendre place à la table de l'homme à la toison blanche.

« Puis-je... ? » demanda-t-il simplement en désignant la chaise en face de l'écuelle qu'il avait posé. « Belle intervention. Je crois que sans vous, il aurait été difficile de calmer les esprits enflammés... Enfin, vous me direz, il n'y a pas que cela qui s'enflamme un peu partout dans le monde ces derniers temps... »

Soupirant de lassitude, il porta une cuillère de soupe à ses lèvres puis reprit sans vraiment regarder son interlocuteur dans les yeux, un peu comme s'il se sentait misérable – et dans son état, avec ses vêtements salit et son teint maladif, c'était ce qu'il renvoyait comme image.

« A en juger par ce que vous avez dit, dois-je comprendre que vous faites vous aussi partie des victimes de la guerre ? Vous êtes d'ici, ou tout comme moi un voyageur qui espère trouver une nation pas trop atteinte encore pour y attendre la fin de ces stupides hostilités dont nous avons à payer les dommages collatéraux ? »

Difficile de dire si le regard morne qu'il lança à sa soupe était dû au fait que son écuelle était presque vide, ou si c'était parce qu'il doutait véritablement trouver une nation où il pourra vivre tranquillement en attendant que la situation se tasse.

Par cette intervention, les choses étaient revenues au calme. Certes, certains n’allaient pas oublier le regard et le visage de ce vieux connard qui venait de les interrompre ; mais continuer maintenant serait une perte de temps, et même trop risqué étant donné l’ambiance. Mieux valait attendre l’instant sournois pour lui faire rendre gorge. Ce qui arriverait dans une ruelle sombre, une nuit de pluie. Même si le plus corpulent du groupe resta un instant fixé sur son objectif, l’air hargneux, il préféra finalement vider ses quartiers et retourner dans son coin, à maugréer avec ses semblables.
Kakeshuou Samui avait-il vraiment intérêt à s’interposer ainsi ? Certes, pour lui, ce n’était qu’une question de tranquillité pendant son repas et son repos. Mais se placer aussi ouvertement à la vue de tous, n’était-ce pas s’attirer des problèmes ? On le verrait maintenant comme un trouble-fête ou comme un prétentieux ; on chercherait certainement à l’abattre ou à lui causer du tort. Nombre d’éléments qui le contrediraient dans sa mission. Il était là pour propager l’intérêt de cette guerre en faveur de son Village et de son parti. Faire outrage à autrui et se mêler de ce qui ne le regardait pas n’était certainement pas le meilleur moyen d’agir. Peu importe. Le regard toujours aussi glacial, sans prononcer un mot de plus, le vétéran des guerres kiriennes portait sa cuiller dans son potage et en buvait le breuvage infâme qui en venait.

Mais il faut croire que certaines actions n’attirent pas seulement le mépris et la vengeance. Intervenant à son tour, une nouvelle silhouette imposait derechef le calme et faisait taire les derniers recoins de contestation à cette interpellation généralisée. Quelqu’un qui agréait à son opinion ? Bah, quelle importance. Après tout, il était des plus logiques qu’en ces lieux, certains souhaitent avant tout cultiver leurs terres et ne pas chercher à mettre sa vie en danger. On retrouve en ce bas monde deux types d’hommes : ceux qui sont prêts à se lancer corps et âmes perdus dans une bataille dont il ne reviendra que des fantômes ; et ceux qui se fixent un objectif et espèrent pouvoir profiter d’une vie paisible à l’abri de tout danger. Revient à qui veut de décider lesquels sont les plus courageux, les plus intelligents, les plus sensés. Le quinquagénaire assis à sa table a fait son choix depuis longtemps. Et son choix présent est tout aussi évident : manger.
Mais rien ne se produit conformément à ce que l’on espère. Et, alors qu’il voulait avant tout la paix, voilà notre Lion des Neiges en drôle de compagnie, alors que l’invité se pose déjà et prend ses aises. Tête légèrement baissée – et avant tout concentrée sur la gamelle – et l’air ailleurs, notre doyen du Clan Samui n’en reste pas moins attentif et songeur. Que meut-il, celui-là … . Pourquoi venir me chercher bisbille, alors que j’ai déjà clairement fais comprendre que je voulais être seul et au calme … . Espère-t-il, par une simple approbation de nos opinions respectives dans ce maigre contexte, s’être fait un nouvel ami … ?

Le personnage arrivé occupait le terrain, s’adressant directement au pèlerin sans même savoir s’il y aurait discussion ou seulement monologue. Qui était-il ? Un curieux de naissance qu’aucune lame n’avait encore soigné ; ou un espion en terrain neutre qui cherchait de nouveaux alliés ?
S’élançant sur les questions, l’inquisiteur souhaitait savoir quelle était concrètement l’identité de son acolyte de table. Je t’en pose des questions ? Et pourquoi devrais-je être une victime ? N’as-tu, à aucun moment, envisagé l’inverse ? Que je ne sois pas une victime, mais un propagateur de mort, un agent de la destruction et un combattant de l’Ombre ? Il y a tant de mystères qui rôdent autour de ma silhouette, et tu m’abordes pourtant avec une telle désinvolture. Est-ce de la folie, ou une confiance sans bornes en toi … .

~ Je ne suis pas une victime. Je suis un acteur. Seuls ceux qui restent neutres et aveugles finissent comme victimes … . Et je ne me laisserai jamais sombrer dans ce camp. Peu importe que cette guerre soit absurde ou pas, il vaut mieux choisir soi même son camp que d’y être contraint … .

Avalant une nouvelle louchée de soupe immonde, Kakeshuou laissa là l’outil culinaire et rechercha son confort dans cette chaise en bois qui accueillait son fessier. Bras ballants sur le côté, la moitié haute et visible de son corps semblait affalée, laissée vide et sans souci. Mais méfiez vous de l’eau qui dort, on ne sait jamais bien à quoi s’attendre … .

~ Et vous-mêmes … qu’est-ce que vous faites dans ces environs … Je ne suis pas d’ici, mais vous : qui êtes vous, d’où venez-vous, et que me voulez-vous … .

« Un acteur... un soldat ou un mercenaire donc. » songea Natsuki.

Et assez peu courtois qui plus est. Il semblait impulsif, capable de tuer simplement parce que le visage de son interlocuteur ne lui revenait pas. Un de ces êtres visiblement taillé dans le même bois que le roux qu'il avait affronté à Ta no Kuni. Perdre ses mains de vue pouvait s'avérer dangereux. L'héritier Nara, s'il n'en montra rien, se désola de rencontrer une fois encore un individu de ce genre. Il en voyait de plus en plus depuis que la guerre avait éclaté, à croire qu'ils se multipliaient. La réalité bien sûr, était plus simple. C'était les combats qui les façonnaient ainsi. Les temps de troubles révélaient ce qu'il y avait de pire dans le cœur des Hommes, transformant progressivement chacun en monstre. Natsuki savait de quoi il parlait... Ceux par contre qui rêvaient déjà de sang avant le début de la guerre se sentaient comme des poissons dans l'eau désormais. Peut-être était-ce ceux-là les pires, et les plus grands obstacles à l'arrêt des hostilités. Mais comment différencier celui dont le cœur a été corrompu par les combats de celui dont l'âme souillée ne vit que pour s'abreuver de celles des autres qu'elle fauche ? Il était temps que tout ceci cesse... Car qu'ils soient dans son camps ou dans celui des autres, Natsuki ne supportait pas ces personnages. Pour autant, il n'avait '' le droit '' que de s'en prendre à ceux qui se battaient contre la cause que sa Patrie. Ceux qui se battaient pour la même cause, mais pas pour les mêmes raisons par contre... Restait à savoir de quel côté de la balance penchait le cœur ou la bourse de l'individu lui faisant face.

« Je m'appelle Toki. » répondit-il alors sur le même ton de conversation, comme s'il n'avait pas réalisé que sa présence dérangeait. « Je viens de Tetsu no Kuni, où j'exerçais le métier de potier. Du moins, jusqu'à ce que des soldats décident de s'y installer afin de '' se fournir pour l'effort de guerre ''. Vous qui êtes soldat, peut-être pouvez-vous m'éclairer sur la nécessité qu'ont les vôtres de recourir à la force pour extorquer des civils ou l'intérêt de changer leurs habituations en tas de cendres avant de partir ? » demanda-t-il d'une voix fatiguée sans pour autant être chargée d'accusation.

La conversion par la terreur, la technique de la terre brûlée, crédibiliser le pays censé les protéger... Ce n'était pas les raisons qui manquaient aux militaires pour justifier ce comportement. Tout était bon pour emporter une guerre, dont s'en prendre directement à ceux qui contribuaient indirectement à la force de l'ennemi.

« Les rares qui comme moi ont pu s'en sortir ont prit la route, avec l'espoir de trouver un endroit calme le temps que la guerre passe. »

Natsuki toussa bruyamment à plusieurs reprises dans sa main, avant de reprendre d'une voix plus éreintée :

« En parlant de cela, où en êtes-vous dans votre guerre ? Puis-je avoir seulement l'espoir d'en voir le bout avant que la maladie ne m'emporte, si ce n'est l'hiver à venir ? »

Même sous le couvert de ce qu'il prétendait, l'héritier Nara se doutait que tôt ou tard, si ce n'était déjà, ses questions allaient éveiller des soupçons chez son interlocuteur, gage d'une soirée qui ne se finira pas dans le calme. L'Autre s'en réjouissait, et ne manquait pas de le faire savoir à son hôte....

L’attention de Kakeshuou était désormais saisie par cette conversation. La façon dont elle tournait devenait non seulement incohérence, mais aussi étrange ! Depuis quand un malheureux potier abordait un parfait inconnu identifié comme soldat, pour lui poser des questions ? Tu dis que des militaires sont venus t’arracher à tes œuvres, et t’ont poussé à prendre l’exil sans tes biens, soit. Mais, rassure moi … tu n’es pas venu réconfort ou une solution avec moi, n’est ce pas ? Comment peux-tu venir voir un militaire, en lui demandant « pourquôââââ ? » … . La réponse qui te sera renvoyé sera des plus simples : parce que !
Que crois-tu ! Le monde est ainsi fait, et ceux qui paient sont souvent les plus faibles. Pendant que les généraux dirigent les troupes et festoient pour leur victoire, les troupes se paient et célèbrent les batailles sur les malheureux à travers le pillage et la rançon. Cette tradition militaire a des racines plus profondes que l’on ne le croit, et si l’on se contente de s’emparer des biens d’autrui, c’est encore une chance ! Après tout, certains soldats n’hésitent pas à se livrer au massacre et à la répression la plus sanglante. Mais qu’y peut-il ? De son côté, il n’y prend pas part. Et un ninja n’est pas un justicier. Son rôle est de lutter sans relâche, en obéissant aux ordres. On pouvait lui demander de protéger des populations civiles comme lui intimer l’ordre de procéder à un génocide, l’action serait la même. Un Shinobi n’a pas de raison, ni de compassion. C’est une machine, destinée à exécuter la mission qui lui a été confié. Et espérer de sa part la moindre retenue serait être un fou, ou se trouver face à un lâche et un traitre. Navré, le potier : tu ne pourras pas trouver chagrin et sensibilité.

Maintenant toujours sa position affalée et décontractée, le membre du Clan Samui commençait nettement à avoir des soupçons. Pourquoi toutes ces questions ? Quiconque aurait eu mauvaise affaire avec des soldats ne rechercherait pas absolument la compagnie de l’un de leurs semblables ! Cet homme là allait à l’encontre de toutes les conventions sociales et humaines … . Était-ce pour se moquer, ou y-avait-il quelque chose de plus, caché en dessous ? Conservons cette position qui permet de ne pas montrer les actions cachées, et essayons de faire avancer la conversation vers une sortie négociée … .
Répondons déjà à certaines questions épineuses pour mettre les points sur les « i ».

~ Pourquoi ces soldats seraient-ils mes alliés ? Et pour commencer, qui te dit que je suis soldat ? J’ai dis être acteur, mais il y a de nombreuses façons de participer à une guerre. Soigner les blessés, faire passer les fugitifs … vendre des armes … .

Son regard plongeait désormais dans celui de son adversaire. C’était clair, il était marchand d’armes. Et se remplissait les poches, en plus ! En tout cas, c’était bien ce qu’il comptait convoyer par ce regard. Et pourquoi ne pourrait-il pas vivre ainsi ? Après tout, arpenter les routes et rechercher un acheteur, quoi de plus plausible, en particulier dans une ère d’affrontement et de sang … .
L’homme continuait sur son périple. Il s’en serait sorti. Si tu veux te plaindre, pourquoi ne pas t’être jeté dans le brasier ? Certains disent que la mort n’est qu’un commencement. En ce qui concerne ton interlocuteur forcé, la mort n’est rien d’autre qu’un échec. Un calcul qui ne rentre jamais dans l’équation. Le quinquagénaire, malgré son grand âge, a encore beaucoup à faire ; et il ne compte pas se laisser mettre de côté. Il veut lutter, s’élever, bâtir, construire, anéantir ceux qui s’opposent à lui. Et il fera tout. Il se jettera dans les combats les plus acharnés, offrira son corps et ses chairs pour les couvrir de cicatrices et de gloire. Il l’a déjà fait par le passé. Il peut très bien recommencer … . Et toi, que veux-tu savoir ? Quand finira la guerre ? Dans ma fausse identité, qu’en puis-je bien savoir ?! Je ne fais ni la pluie ni le mauvais temps ; je ne commande pas d’armée, et je me limite à remplir ma mission. En l’occurrence, je suis là pour propager la parole de ma patrie. Mais, même si tu n’en sais rien, je dois me méfier d’un homme qui pause beaucoup de questions … .

~ Où en sommes-nous dans « notre » guerre ? Mais, comme tu l’as dis toi-même, cette guerre concerne tout le monde … . Les grandes nations Ninjas s’entredéchirent ; certains remportent la partie pendant que d’autres la perdent. Personne ne peut savoir le temps que cela prendra pour qu’elle s’achève. Elle peut durer encore quelques mois, comme elle peut durer mille ans. La seule chose que tu puisses faire pour changer les choses avant ta mort … c’est choisir ton camp !

Attrapant son verre, le ninja but l’eau que l’objet de terre cuite contenait d’une traite. Bon, certes : rien de bien compliqué. Mais le geste était ferme, et directement adressé à son partenaire de discussion. Notre vieux briscard a déjà fait ce choix : peu importe où cela peut le mener. Et ici, il commence à avoir une idée de ce qui se trame. Le tout est d’en avoir le cœur net. Une dernière carte à abattre pour savoir concrètement comment se font les choses ici. Posant son verre sur la table avec la même énergie, le choc contre le bois parut couper ce duo du monde, et mettre fin à l’incessant bavardage qui régnait autour.

~ Et pour moi, il s’agit de ma terre natale. Le Pays de l’Eau ! Et toi ! Quel est ton camp !

D'une certaine façon, la conversation était intéressante. L'homme qui lui faisait face était quelqu'un de très réfléchit. Il ne mordait pas aux hameçons quand l'on lui en en lançait un, et entretenait une réflexion toute particulière sur ses paroles. Il n'exposait pas simplement les faits d'un points de vue personnel, mais les gardait dans leur globalité, avec toutes les incertitudes et les changements qui à tout moment pouvaient bouleverser la donne. Il ne répondait jamais vraiment aux questions de '' Toki '', mais la manière dont il le faisait et avec la logique qu'il employait permettait à Natsuki de se faire une idée de l'homme à qui il s'adressait : un homme intelligent, et donc un adversaire redoutable. Oui, d'une certaine façon, cette conversation qu'il avait avec lui était vraiment très intéressante, d'autant plus qu'il se faisait clairement dominer. Il éclata de rire, mais pas longtemps : sa toux sèche le reprit.

« Je peux voir l'une ou l'autre chose dans votre regard, mais certainement le désir de soigner des blessés de guerre ou de venir en aide à des fugitifs, quel qu'en soit le motif. Vous avez les yeux d'un tueur, qui trouverait davantage sa place sur un champ de bataille que dans un hôpital ou près des frontières. Il suffit de voir la façon dont vous exigez la tranquillité. Peut-être est-ce cela qui m'a poussé à venir parler. Vous n'êtes pas un simple soldat comme l'on n'en voit que trop, et vous avez l'air d'avoir un point de vue plus recherché sur la guerre. Moi qui n'ai plus grand chose à perdre, j'avoue qu'il me paraissait... intéressant de le connaître. Après tout, c'est auprès du bourreau que l'on se renseigne sur les horaires des exécutions non ? »

Dans un langage métaphorique, l'héritier Nara tendait le bâton pour se faire frapper. Et quelque part, c'était l'effet recherché. Non pas par lui, mais par l'Autre, qui s'impatientait. Progressivement, il s'insinuait, et altérait la réflexion de son hôte pour que la mascarade cesse. Comme s'Il avait comprit que l'homme avait été désigné comme ennemi de par sa nation, et que cela justifiait donc parfaitement ce qu'Il voulait, Il ne souhaitait plus qu'assouvir ses pulsions sanguinaires dessus, celles que Natsuki endiguait au quotidien avec plus ou moins d'efficacité. Autant dire qu'avec deux duels psychologiques à livrer en même temps, c'était plutôt moins que plus. Comme il serait facile de céder à la tentation, de frapper pour que l'un de ses ennemis redevienne son allié le temps d'écraser physiquement celui qui le dominait mentalement... Mais même si c'était le moment, ce n'était pas l'endroit. Il y avait des innocents dans cette auberge qui risquaient d'être prit dans le feu croisé du combat, tout comme le sont les villages coincés entre deux armée. Il y avait des limites que Natsuki ne franchissait que lorsque nécessaire – ou qu'il en avait reçut l'ordre. Cela faisait-il quelqu'un de plus faible qu'un adversaire sans pitié ? Probablement, car les combats de la vie d'un shinobi ne se gagnaient pas tous avec des valeurs, loin de là...

« Et visiblement, l'on reste encore loin de l'éventualité d'une paix, imposée ou signée. Ma route non plus donc, car je ne compte pas choisir quelque côté que ce soit. Je me fous que soyez du Pays de l'Eau, du Vent, de la Foudre ou du Feu, cela ne change rien, ceux qui participent à la guerre sont quelque part tous les mêmes.» lâcha-t-il dans un soupir.

Ignorant le regard de son interlocuteur et l'atmosphère lourde que ce dernier laissa s'abattre avec son geste, '' Toki '' donnait l'impression soit d'être parfaitement inconscient du danger auquel il s'exposait en se comportant de la sorte, soit de n'avoir effectivement plus grand chose à perdre. D'autres par contre laisseraient entendre qu'il y avait bien une raison à tout ceci... »

« La guerre implique tout le monde de part ses conséquences, mais ne concerne pas chacun. Et à quand bien même, qu'est-ce que cela changera de prendre partis ? Aller dans votre sens ne m'accordera pas d'avantage, seulement des ennuis de l'autre bord. Et n'étant qu'un faible pion dans ce chaos, cela ne m'assurerait même pas de ne pas être utilisé comme de la chair à canon par ce même camp. Si j'osais par contre maintenant affirmer que je préférerai plutôt aller sur l'autre plateau de la balance où vous êtes, j'ai déjà une vague idée du sort que vous me réserveriez. Aussi j'ai tout intérêt à rester loin de tout cela, et de fuir les conflits tant que j'y arrive. Peu importe qui emporte la guerre à mes yeux, tant que j'y retrouve la paix. »

Tirant sa chaise en arrière pour faire mine de se lever, le prétendu couard prit tout de même la peine de conclure.

« Je pense que notre discussion peut s'arrêter ici. Merci d'avoir accordé un peu de temps et de patience à un humble voyageur, '' acteur ''. Je doute que nous nous recroisions un jour, alors je vous dit adieu. »

Selon les avis, le ton de sa phrase aurait été jugé impertinent, peut-être même plus que ce que Natsuki désirait. L'Autre hurla intérieurement de frustration, mais resta pour autant très attentif : lui comme son hôte gardaient leurs sens en alerte car ils n'étaient pas encore partis. L'un souhaitait que la situation en reste en là pour ce soir au moins, l'autre gardait espoir qu'elle dégénère encore. Et chacun avait agit pour faire défaut à l'autre.

Avec des résultats plus ou moins concluant.

~ Un instant, toi … .

Bien que son interlocuteur se soit déjà levé et retourné pour prendre départ, Kakeshuou Samui était désormais le plus intrigué par cet homme. Si c'était pour mettre au monde une conversation aussi stérile, quel intérêt à venir le chercher ?! C'était le genre de situation qui mettait notre barbare le plus en rogne. Il voulait manger tranquillement, pas recevoir une leçon de morale par un gars lambda, qu'il ne connaissait ni d'Adam ni d'Eve. L'air grincheux, son repas avait définitivement été gâché. Mais plus que cela, il détestait être pris pour un imbécile. Son interlocuteur était décidément mal tombé. Peut-être eut-il mieux fait de ne pas lui parler … .
Restant toujours assis à sa table, et prêt à en découdre dans une nouvelle joute verbale, le vieux briscard se désaltérait pour disposer de tous les moyens nécessaires. Lui qui, par sa forte voix, était capable d'adresser jurons et reproches avec la même force que dans l'objectif de galvaniser une foule, il allait tenter une nouvelle approche.

~ Et de ton côté, n'as-tu pas déjà pris parti en critiquant les soldats ? Après tout, que sais-tu de ces hommes ? Je passe pour un marchand de mort à tes yeux ; mais as-tu déjà envisagé qu'un soldat est un homme aux ordres, qui a une famille à nourrir et un devoir à accomplir ? Tu prends bien trop de raccourcis pour un artisan qui doit faire preuve de patience … .

Se levant doucement, sa voix mêlée au grincement de la chaise repoussée donnait une allure pesante à cette discussion, soudainement devenue publique. Ayant du haussé le ton de sa voix pour être bien entendu, quiconque dans l'auberge pouvait désormais entendre ce qui se disait. Que ce soit de l'un ou de l'autre. Ayant marqué une pause dans son argumentaire, le shinobi de Kiri no Sato avait fait quelques pas pour contourner la table et rejoindre son interlocuteur au plus proche. Prenant soin de cacher dans le creux de son poignet l'arme blanche qu'il avait sorti un peu plus tôt par réflexe, il ne souhaitait pas montrer d'hostilité, mais son visage restait imprégnée d'une grande force de caractère et de détermination. Il allait faire une offre que l'on ne refuse pas en temps de guerre. Et il allait entamer sa mission première en ces lieux.

~ Tu généralises bien rapidement les choses dans ton malheur. Et tu tournes avec la même hâte le dos aux opportunités qui s'offrent à toi. Tu préfèrerais aller dans le cas opposé au mien ? Et pour quel résultat ? Qui te dit que tu trouveras mieux que moi … ?

Maintenant face à face, les deux hommes se testaient, guettaient certainement la moindre action, le moindre clignement des yeux pouvant donner quelque information utile. Que voulait vraiment celui qui se faisait passer pour marchand d'armes ? Avait-il une réelle proposition à faire, ou était-ce uniquement du flan ? La scène entre ces deux personnages était devenue une pièce de théâtre, au public muet et ébahi. Personne ne serait intervenu, et tout le monde était curieux de voir comment les choses pouvaient évoluer. De son côté, le tenancier qui avait un temps hésiter à ranger le miroir du comptoir, restait en suspend, ne sachant vraiemnt quelle décision prendre. Tous ici se sentaient concernés par ce débat : nombreux craignaient les conséquences de la guerre, et encore plus que leur chétive et petite vie soit abrégée en peu de temps. Ces deux hommes trouveraient-ils une réponse intéressante, et cruciale pour l'assistance ?

~ Viens au pays de l'Eau … .

Cette phrase, sortie de nulle part, eut certainement l'effet d'une bombe pour les spectateurs. Certains crurent à une hallucination, d'autres à un mensonge. Que venait-il vraiment de proposer ?? Kakeshuou Samui ne s'arrêta pas là. Tournant un instant sur lui même pour s'adresser à l'ensemble du petit peuple de cette auberge, il confirmait ce qui avait été entendu.

~ Vous tous ! Venez à Mizu no Kuni ! Cette guerre a pour but de libérer les pays mineurs de l'influence militaire, fiscale et guerrière des grandes Nations. Vous avez droit, comme tout un chacun, à l'autonomie de votre peuple ! Rien ne peut vous imposer pour une chose qui ne vous concerne pas ! Voilà autour de quoi tourne véritablement cette guerre ! Et voilà l'idéal que défend le Pays de l'Eau, avec à ses côtés le Pays du Vent ! En obtenant votre indépendance, et en vous unissant, même les moutons peuvent devenir des lions ! Mizu no Kuni se fera volontiers votre pays refuge le temps que ses ennemis soient vaincus, et leur idéologie médiévale réduite au silence !

Sous cette intonation militante et galvatrice, certains s'agitaient déjà d'approbation, tandis que d'autres restaient hésitants, engageant des conversations à droite comme à gauche. Revenant sur son interlocuteur premier, le Jônin renouvelait son offre.

~ Et toi, que comptes-tu faire, désormais. Viendras-tu au Pays de l'Eau … ? Choisiras-tu le camp de la liberté, ou celui de l'oppression … .

Natsuki s'arrêta sur place, puis pivota de moitié quand l'acteur le hélas d'une voix forte, le genre à s'insinuer dans le cerveau sans passer par les oreilles. La première fois n'était donc pas un accident, l'homme à la blanche toison avait décidé de passer au tutoiement. L'héritier Nara ne savait pas s'il avait franchit sans le savoir un cap d'intimité avec son interlocuteur, ou si ce dernier commençait simplement à sortir de ses gongs. Dans tous les cas, cela n'augurait rien de bon. Dressant alors son bâton d'une main tremblante devant lui, il imposa physiquement la distance limite qu'il ne souhaitait pas voir le Kirijin franchir. Il était déjà bien assez près de lui à son goût, et il le sentait bien trop dangereux pour lui permettre de réduire davantage encore ces deux pas qui les séparaient. Le nouvel acte de cette parodie de théâtre commençait.

« Le mieux est l'ennemi du bien. Et si effectivement rien ne m'assure de trouver mieux ailleurs, il me suffit de regarder autour de moi pour savoir que je ne trouverai rien de bon avec vous. »

Le silence s'était installé dans l'auberge. Au centre de la scène, deux protagonistes s'opposant dans une joute verbale à l'ampleur conséquente. Et autour, leur récompense. Cette foule prise malgré elle dans un débat, que chaque Parti veut rallier à la cause qu'il juge juste – la sienne. Une campagne d'illumination des esprits, ou réelle propagande selon les points de vue. Alors que le Kirijin parlait davantage à la foule qu'à lui, Natsuki continuait de se sentir de plus en plus mal. Le teint fiévreux et le regard maladif, il commençait à s'épuiser à force de lutter contre les récepteurs de son cerveau trop généreusement stimulés en besoin de violence. Essayant tant bien que mal de faire le vide dans son esprit, il épongea du dos de sa main son front perlant de sueur. A aucun moment pourtant il ne détourna les yeux du Kirijin, lequel avait terminé son discours dont le ton évoquait un serpent dans un pommier. Une certaine crainte se lisait dans les yeux de l'héritier Nara, même si cette dernière n'était en rien dû à la conversation qu'il menait – si l'on pouvait toujours parler de conversation. Dans son état actuel, et même en général, il n'avait ni le charisme de l'homme qui lui faisait face, ni sa voix chargée de promesse. Mais cela n'empêchait personne de l'entendre, car tous se turent lorsqu'il s'exprima à son tour :

« C'est vrai, Le Pays de l'Eau se présente comme un libérateur des petites nations dans cette guerre. J'imagine donc que vous avez déjà montré l'exemple en commençant par rendre son indépendance au Pays de la Cascade. Vous savez, cette nation qui a soudainement fermée ses frontières il y a quelques années, quand les soldats de Kiri l'ont annexé par la force, et qui multiplie depuis les guerres civiles pour retrouver un statut Neutre. Ce ne doit pas être évident j'imagine, puisque voilà plus de trois mois que la guerre dure, et pourtant le Pays de la Cascade était encore sous votre juridiction quand j'ai quitté la Nation voisine du Fer il y a quelques semaines. Pourquoi ne pas demander quelques conseils à vos alliés effectifs du Pays du Vent ? A moins qu'ils n'aient pas de temps à vous consacrer ? Il est vrai que leur emploi du temps aussi est chargé. La dernière fois que nous avons entendu parlé d'eux était juste avant le début de la guerre. Ils étaient venu au Pays de la Foudre exiger à la Régente Monjara que l'alliance pleinement consenti avec le Pays du Fer – ma patrie – soit rompu. Je n'ai toujours pas comprit pourquoi ces gens de Suna tenaient absolument à nous retirer ce qui nous avait permit d'améliorer considérablement notre train de vie en nous intégrant dans un meilleur contexte économique, mais n'est-ce pas là ce qui a conduit à la guerre actuelle ? Votre volonté de libérer ceux que les plus grandes nations considèrent comme des voisins plutôt que des esclaves. »

Natsuki prit appuie plus fort sur son bâton pour se redresser de sa hauteur, mais dans son rôle, cela ne changea pas grand chose. Il devait lever le menton pour soutenir le regard du Kirijin, aussi préférait-il poser ses yeux sur sa gorge : cela lui permettait de ne pas perdre de vue les mains de son interlocuteur.

« Néanmoins, je vous accorde raison sur un point : je suis allé vite en besogne en rangeant tous les soldats dans le même pot. Certains ont aussi une famille à nourrir et un devoir à accomplir : celui de tenter de restaurer une paix que votre pays et vos alliés ont saccagé. Cette guerre a commencé à Kumo car le Pays de la Foudre avait refusé une exigence qui nous aurait fait plus de mal que de bien. Les Kumojins se battent pour nous défendre, refusant de tourner le dos à nous, leurs voisins. Pouvez-vous vraiment comprendre cela vous, citoyens du Pays de l'Eau ? Vous êtes à l'abri dans votre pays cerné par l'océan, vous ne savez pas ce que c'est que de défendre sa terre. Et c'est peut-être parce que vous ignorez ce qu'il en coûte à chacun de faire couler le sang sur son propre sol qu'il vous est si facile de venir le verser chez les autres. »

La voix de Natsuki ne tressaillait pas. Elle n'exprimait aucune accusation, mais donnait plutôt l'impression de se contenter d'exposer les fait sous une nouvelle lumière. Un éclairage qui bien sûr s'assurait de mettre en valeur tout ce que Mizu no Kuni aurait préféré voir rester dans l'obscurité, quitte à déformer la réalité.

« Et pourquoi nous proposer à tous ici de nous ranger sous votre bannière ? Votre but est-il vraiment de libérer chaque nation de gré ou de force, ou bien cherchez-vous plus simplement à rallier les autres pays pour servir [u]votre[/i] cause, comme c'est le cas avec mes voisins du Pays de la Cascade ? »

Natsuki toussa encore, comme si parler autant lui esquintait la gorge. Il arrivait au bout de toute façon.

« Chacun est libre de son choix, et de rejoindre le Pays de l'Eau s'il le désir, mais je trouve un peu facile de la part de ce brave représentant de Mizu no Kuni de s'annoncer en libérateur quand son pays marche main dans la main avec ceux qui sont les instigateurs même de ce fléau mondial qu'est la guerre. Une guerre qui je le rappelle a pour origine la volonté d'affranchir une nation qui avait tout à y perdre sans lui proposer mieux. »

Les dernières paroles, audibles par tous, visaient spécifiquement le Kirijin.

« J'ai beau avoir fuit mon pays mit à feu et à sang par la guerre, je n'en reste pas moins dans mon cœur un citoyen de Tetsu no Kuni. Aucune nation n'est parfaite, ni totalement blanche ou noire, et sans doute y a-t-il des pays qui ne demandent que leur indépendance. Mais quitte à devoir choisir la cause d'une Patrie, je préfère encore celle qui essaie de protéger ses voisins plutôt que celle qui déclenche des conflits inutiles et attise suffisamment les flammes du chaos pour que la souffrance devienne mondial. Les soldats du Pays de la Foudre défendent bien plus de valeurs que vous et les nobles intentions derrière lesquelles vous cachez vos véritables desseins. »

Le Kirijin était redoutable, et sa voix envoutante. Natsuki l'estimait être un très bon chef d'équipe, à plus forte raison qu'il en avait dans le crâne. De ce fait, il ne pensait pas son interlocuteur assez impétueux et stupide pour s'en prendre à un simple civil sous le regard de l'auberge entière, pas alors qu'il cherchait à persuader son public en lui faisant miroiter devant les yeux de bien belles promesses vaines. En conséquence, l'héritier Nara ne craignait pas grand chose pour son intégrité physique pour le moment. Du moins, tant qu'il y aura suffisamment de témoin...

« Mon choix étant éclaircit, puis-je me permettre maintenant de vous proposer d'aller prêcher pour votre paroisse ailleurs ? »

Sans la dernière phrase, l'on aurait presque pu espérer un dénouement sans trop d'accroches à ce dialogue impliquant tous les clients de l'auberge...

Cet homme est-il fou de parler ainsi au vétéran de Kirigakure no Sato ? Cette façon de comparer Kiri aux autres puissances, de parler de géopolitique, de faire passer le Pays de l’Eau pour une nation guerrière, assassine … . Tous ces éléments n’avaient qu’un seul et unique objectif : ouvrir les hostilités. Braquer le porteur de paix et le faire passer pour un homme risible et détestable, quelqu’un à langue de serpent et décidé à manipuler toute âme innocente sur cette terre. C’est donc ton but, étranger ? Dénigrer sans savoir ? Comme tu y vas. Et tu ne lambines pas sur les moyens, ma parole ! Il est possible que ce discours ait fait mouche, chez beaucoup. Déjà, à droite et à gauche, des regards se posent, des sourcils se froncent, et des ombres s’agitent. Certains campent sur leurs positions, d’autres commencent à douter, d’autres commencent à trouver l’ambiance un peu trop animé, et décident soit de payer et de prendre départ, soit de s’isoler et de ne pas s’immiscer avec les autres. Une réaction logique : lorsqu’un sujet pareil, qui concerne non seulement l’actualité mais aussi les personnes qui vivent de la terre ensanglantée et qui ont été chassés des lieux, est abordé, il est évident que cela amène des tensions.
En vérité, tout le monde attendait de voir comment réagirait ce vieil homme, présenté comme un marchand d’armes, et si fier de son choix de camp. Il était resté calme, attentif aux arguments et n’avait pas bougé d’un cil. Pas la moindre trace de colère ou de rancœur : c’était donc une statue ? Les arguments mis sur le plateau l’avaient-ils laissés de glace, ou l’auraient pétrifié ? En attente d’une réaction, l’assistance conservait sa salive.

Mais l’éclat de rire qui vint de cette gorge caverneuse vint frapper l’espace sonore si fortement qu’un homme en vint à tomber de son tabouret de bois ! Il était mort de rire ! A tel point qu’il avait fait un pas en arrière, et avait porté une main à son visage pour couvrir quelques perles d’eau qui s’extirpaient de ses yeux. Il n’avait jamais autant ri de sa vie ! Dans une mission et dans un pays étranger, qui plus est : il est des fois où on ne peut vraiment pas comprendre l’être humain !! Mais là, la situation était trop drôle ! Ce minable osait critiquer si ouvertement ses positions, et dénoncer les actions du Pays de l’Eau dans cette guerre ? Quelle drôlerie ! Alors que Kakeshuou Samui n’avait rien à foutre de cette guerre, jamais il n’avait autant pris plaisir dans cette mission ! De toute évidence, cet homme était tout aussi manipulateur que le membre du Clan des Glaces ! C’était un splendide duel de mensonge et de fadaises ! Car aucun des deux camps ne pouvait se justifier d’avoir la Vérité de son côté. La vérité n’est qu’un aspect multiple, qui change de face en fonction des avis portés et des expériences vécues. Prétendre détenir la vérité est une connerie que seul l’être humain tente d’obtenir sans cesse. Mais chez ceux qui prenaient un malin plaisir à détourner les faits en dérision, et à amoindrir les actions des autres, jouer de cet outil si éphémère était plus que jouissif.

Son rire s’apaisant, notre homme reprenait son calme et observait les lieux. De toute évidence, sa réaction en avait choqué beaucoup, même s’il ne mettait pas un terme aux bavardages divers. Pour l’heure, son comportement avait davantage été vu comme de la folie ; à tel point que le tenancier avait décidé de cacher son miroir de comptoir sous ledit comptoir, pour le préserver d’une bagarre éventuelle. Retrouvant sa patience et son calme légendaire, il n’en perdait pas pour autant son sourire. Un sourire presque triomphant, d’ailleurs.

~ Tu dis vouloir fuir les conflits, mais cela ne t’a pas empêché de prendre parti pour le Village caché des Nuages. Et de décrier haut et fort ta haine pour le Pays de l’Eau. Des conflits au sein du Pays des Cascades ? Je n’en ai jamais entendu parler, alors que j’y vais régulièrement. Et puis, soyons honnête : tous les pays ont une histoire obscure. Les Pays contrôlés par les grandes Nations se sont « associés » à un autre pays pour le bien suprême du monde ? Ne me fais pas rire davantage ; je pourrais en mourir. Chaque Nation an envahie une contrée voisine pour imposer sa domination. Qu’ils soient Pays du Vent, de l’Eau, de la Foudre ou du Feu n’y change absolument rien … . Et il serait complètement naïf de croire le contraire ! Ame ? Les Konohajins sont intervenus « pour renverser un gouvernement arbitraire » ! Ils y sont allés pour le pouvoir, comme les Kumojins ont foncé sur l’occasion de « persuader par la diplomatie » le Pays du Fer de les rejoindre. C’est un jeu d’échec. Et les petits savent bien qu’il faut sagement dire « oui » pour éviter d’être mangé par les gros.

Houla ! Un moyen bien étrange de présenter les choses ! Et encore moins crédible pour attirer les faveurs du public ! Après tout, ce n’était pas en déclamant de vive voix que ces gens ici ou en fuite étaient des minables noyés dans un monde trop grand pour eux qu’on parviendrait à se les rallier. On avait davantage de chance de finir dans la boue, à l’extérieur, en ayant payé l’aubergiste mais sans dormir dans l’auberge.
Mais notre ancien combattant était un malin. Et plus qu’un soldat, il avait étudié un art bien plus dangereux sur cette Terre : l’art de la politique. Il avait appris, par sa longue expérience, que la langue de bois était un puissant allié dans ce monde. Bien plus utile pour rallier les hommes et les transformer en soldat, il n’y avait aucun honte à faire usage de ce genre de pratique. Et le Lion des Neiges comptait bien en faire démonstration ici même.

~ Peu importe l’histoire des pays. L’histoire n’est qu’une question de compréhension du passé, par des hommes qui n’ont pas participé aux évènements. Le fait est que cette guerre est la preuve de la fausseté de tes arguments. Si certains pays veulent conserver leurs possessions comme Konoha et Kumo, d’autres veulent œuvrer dans un sens plus humain, afin de sortir des pays innocents d’une violence incontrôlée. Kiri serait une nation désirant la violence et la mort ? Tu as raison : à tel point que nous sommes prêts à sacrifier des hommes pour rendre leur indépendance à des nations asservies par des nations soi-disante « protectrices ». Drôle de point de vue que le tien, tu ne crois pas ? Si Kiri s'engage à protéger ces gens, il le fera sans faute. Car telle serait alors son devoir.

Ayant toujours prononcé ces mots à voix clairement audible, le Jônin de Kiri venait clairement de retourner la situation. Si Kiri avait pu apparaître comme le Village Sanglant de la Brume – ce qu’il était par le passé – il était désormais le libérateur ! Celui qui était prêt à envoyer ses hommes à la mort pour mettre fin à la domination du monde sous l’influence Ninja. Pour Kakeshuou Samui, tout cela n’était que pure fadaise !! Mais il répondait à une mission. Il comptait bien la remplir. Peu importe les bobards qu’il devait inventer, et les arguments qu’il devait mettre en avant.

Effectuant quelques pas en avant, il respectait toujours cette sécurité qui lui était imposée par son interlocuteur principal. Cette fois-ci, sa voix se fit particulièrement basse, alors que les déclarations alentours allaient de nouveau dans son sens. Il semblait gagner cette partie pour aujourd’hui : une bonne nouvelle, pas vrai ? Se penchant légèrement, il s’assurait que, dans ce brouhaha, l’homme qui se prétendait potier en exil pouvait entendre ce qu’il avait à dire.

~ Aucun petit potier ne connaît aussi bien la géopolitique du Monde de l’Ombre. Que tu sois Ninja ne l’importe guère ; mais si tu espérais marquer des points et me voir chassé d’ici, je crains que tu n’aies perdu la partie. Je ne rechercherais pas le combat, je m’en moque. Et que tu le déclenches ferait pencher mes arguments de mon côté. Mais je me sens bien ici, et je ne compte pas quitter ces lieux. Ma prêche semble bien porter ses fruits, non ?

Tournant les talons, il contournait de nouveau l’individu et retourna à sa table pour se saisir de son verre. Il restait encore un fond ; et cette parlotte lui avait asséchée le gosier. De toute façon, si les choses continuaient sous cet angle, il finirait tout cela sous une phrase dithyrambique qui lui donnerait raison, et irait se coucher. Il commençait à être fatigué, et ne tenait pas à rabrouer les mêmes idées pendant des heures.

L'homme qui lui faisait face riait à gorge déployée, et c'était un son extrêmement déplaisant, un peu comme un morceau de granite que l'on frotte sur du verre. Natsuki pourtant le laissa, en sachant qu'il n'augurait rien de bon. Il l'écouta en silence, jaugeant d'un regard discret les réactions du public. Son interlocuteur lui souffla quelques mots, prouvant qu'il n'était pas dupe, puis s'en retourna à sa table. Il était temps de jouer la dernière tirade de la pièce, le monologue final avant le retrait de la scène du dernier personnage.

« Un drôle de point de vue oui, tout comme une étrange façon de protéger les gens qu'est la vôtre. Car oui, nous admettons tous deux que j'ai raison sur ce point : il est question de mort et de vies que vous sacrifiez pour votre cause libératrice. Mais la réponse que chacun aimerait avoir ici peut-être est de savoir pourquoi est-ce le peuple des nations qui doit être sacrifié, et non vous les artisans de la guerre qui êtes à l'origine de ces conflits ? De mes pérégrinations pour fuir la misère, ce n'est que le corps des honnêtes citoyens que j'ai vu joncher les routes. Et cela a commencé avec ma femme et ma fille, quand les soldats de Kiri sont venus dans mon village. Il n'y avait pas '' d'armée ennemi '', mais cela ne les a pas empêché de venir piller, brûler et tuer. Peut-être est-ce pour ceux que vous servez le côté plaisant et relaxant de votre guerre ? »

Natsuki soupira, comme lassé.

« Mon histoire est similaire à celles de beaucoup d'autres que j'ai entendu durant mon voyage, et je l'entendrai encore probablement de la bouche des autres dans les temps à venir. La misère ne vient pas seulement de la famine, des récoltes saccagées et des dommages collatéraux résultants des armées qui s'affrontent. Elle vient surtout des acteurs de cette guerre généralisée, qui se croient chez eux partout, et sous la raison qu'ils risquent leur vie ils seraient en droit de disposer de celles des autres, plus faibles.

La suite s'adressa au marchand de mort attablé, bien qu'elle interpelait encore chacun :

« Que vous vous fassiez la guerre, c'est un fait. Il n'y a qu'ainsi que vous savez vous enrichir, et il y a sans doute des nations qui ne demandent qu'à être libérée du joug de l'oppresseur. Que vous attaquiez des pays qui profitent pleinement de ces alliances consentis, je comprends déjà moins. Mais que vous vous en preniez à des civils qui n'ont rien à voir dans une guerre mondiale que vous avez déclenchez, voilà ce qui me peine le plus. La méthode de la terre brûlée est sans doute efficace pour gagner une guerre, mais ce sont les innocents qui en payent le prix le plus lourd. Alors oui, je peux difficilement ne pas éprouver de la haine pour les artisans de la guerre comme vous, ni vous voir en libérateur. Vous ne faites que mettre les pays encore plus à feu et à sang pour apparaître ensuite comme les sauveurs du chaos que vous avez vous-même causé là où il n'y avait en avait pas besoin. Arrêtez-moi si je me fourvoie, mais ce n'est pourtant que cela que j'ai pu voir sur les routes. Vous êtes semblables à des marchands d'eau dans le désert, des opportunistes qui prennent aux gens tout ceux à quoi ils tiennent, puis qui tendent une mains prétendument secourable aux survivants. »

D'un haussement d'épaules fatiguées, il conclut :

« Cela fait partie des stratégies militaires j'imagine. Tout est bon pour gagner une guerre après tout, n'est-ce pas votre dicton ? Alors hâtez-vous donc de ralliez ces honnêtes citoyens pour servir votre cause. Peut-être que mes paroles et mon histoire sourdes maintenant résonneront dans leur mémoire et leur cœur dans quelques mois. Cela dit, cela me fera une belle jambe, si j'ai la '' chance '' de survivre encore d'ici là... »

Il était temps que cela se termine, avant que ce dialogue ne devienne un duel de sourd, et que les mêmes arguments reviennent encore et encore. Personne n'avait raison de toute façon, mais une seule chose comptait : que le public soit convaincu du contraire.

Le potier se retira de la scène.

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