Des rapports, des contrats proposés, des papiers d’identités à contrôler, des forces à dispatcher : gérer un territoire tel que Yuki no Kuni n’était pas mince affaire. A œuvrer toute la journée pour résoudre des problèmes administratifs et de multiples origines, le quinquagénaire assis au Bureau principal commençait à plaindre le Mizukage, en charge d’un territoire bien plus vaste et de responsabilités d’une toute autre échelle. Il fallait s’y connaître dans tous les rayons : politique, économique, vie sociale, tourisme, frontières, puissance militaire, traités commerciaux ou de passage, et j’en passe. De quoi noyer un homme sous la paperasse et de le cacher à la vue et aux sus de tous pendant plusieurs années. Vous savez ce que l’on dit d’un homme qui travaille sur des chiffres toute la journée ? Qu’il se transforme en statistiques … .

Mais la tâche de notre Samui ne se limitait pas à ce cadre. En l’occurrence, il recevait également des ordres émanant de Kiri, ou il interceptait des rapports de missions qu’il avait la garde de valider. En outre, il venait d’accueillir un membre de sa propre famille, la jeune Yuki. Celle-ci, après son arrivée, avait fait savoir qu’elle rencontrerait un Nuke-Nin ! Voilà une chose bien originale ; et à cela, notre vieux briscard n’avait pas réagi. Par désintérêt ? il y avait de cela, certes. Mais ce n’était pas tout. La première expérience que notre homme avait vécu auprès de cette jeune femme avait été décevante. Notre petite demoiselle, frustrée sur une question de relations entre les anciens de son Clan de Glace, avait refusé de briller lors d’un simple exercice. Rien de bien glorieux … .
Pourquoi était-elle ici, dans ce cas ? Question tout à fait naturelle dont voici la réponse : notre homme âgé avait insisté auprès de Chifumi pour l’emmener. Pour lui, il devenait essentiel qu’elle comprenne la vie, et qu’elle sache tout des vices que l’on pouvait croiser dans ce bas monde. Car chez le combattant de l’Ombre, la plus grande faiblesse reste indéniablement la naïveté. La laisser rencontrer ce genre d’individu était donc un test : allait-elle sympathiser ou rester fidèle au village ? Quelque part, cela pouvait entraîner la chasse d’un membre de sa propre famille … . Mais Kakeshuou Samui préférait ne pas trop y penser. Trop de responsabilités à côté … .

Grande satisfaction, elle avait capturé l’individu avec con conjoint de mission ! Les cellules du Palais de Gyamda auraient donc un nouvel occupant. Et dans cette situation, notre Gouverneur ne savait encore trop quoi faire. Sa mission principale était de mettre en place un système de recrutement destiné à servir les intérêts du village ; ce qui n’était pas idiot. Après tout, quitte à voir des étrangers se balader dans les parages, autant les rallier à sa cause. En revanche, si ces derniers refusaient, il avait pour ordre de les exécuter. Or, perdre certains talents serait bien dommage … . Une situation complexe pour ainsi dire. Mais il n’avait guère le choix. En fin de compte, il jugerait de la chose une fois en face de l’énergumène. C’est pourquoi quelques minutes après le départ de l’adolescente, notre homme avait jeté sur son bureau un document devenu très chiant à lire, et s’empara de vêtements plus chaud pour affronter les températures extérieures. Un pas en dehors du bureau, voilà l’homme imposant accompagné d’un service privé, destiné à l’accompagner dans ses déplacements.

~ Où se trouve le captif ?
~ Nous l’avons emmené dans les cellules au sous-sol, Gouverneur. Il y reste enchaîné.

Pas un mot de compréhension ou de remerciement pour cette information. Notre homme se contente de rabattre une épaisse capuche blanche. Volonté d’être incognito ? Ou histoire d’échapper un moment à ses responsabilités ? Démerdez vous pour trouver la réponse, c’est pas mes affaires.
Sous les pieds de notre quatuor en action, un homme goûtait allègrement de la dangerosité de la situation. Les murs de la prison étaient connus pour leur tranchant doublé. Entre le froid ambiant et les pics contre les murs, cet endroit était le lieu idéal pour toute pression psychologique et fracture mentale. Torturer un homme ? Poussez le contre le mur ? Besoin de repos pour récupérer ? Il faudra s’habituer au contact gelé du sol, car aucun mur ne t’apportera de soutien, mon cher. Être enfermé à Yuki no Kuni revenait à apprécier les joies de la Justice du 10ème siècle après J.-C. : rien de confortable, tout pour mourir en moins de vingt-quatre heures. Car oui, je ne vous ai pas encore parlé de la qualité de la bouffe !!
Arrivé dans les lieux, Kakeshuou ne put s’empêcher un instant de recouvrir son nez avec un pan de tissu. Visiblement, certains avaient tenté de se reposer contre le mur. Peu importe, il suffirait de nettoyer les geôles et d’évacuer les corps. Quelques secondes pour s’habituer à la puanteur, et un regard en direction de sa garde. On fit comprendre au responsable des lieux que la cible se trouvait dans la quatrième cellule, en bout de couloir. Un simple hochement de tête, et un signe de trois doigts pour signifier à ladite compagnie qu’il n’avait pas besoin d’être accompagné jusque-là. Saluant le haut responsable, le reste de l’équipe prit congé et s’en retourna à des activités plus importantes. Restant immobile de son côté, le Gouverneur jaugea l’ambiance dans le silence, avant de reprendre sa progression. Quelques pas et voilà notre géant à la porte de la cellule. Désormais, entre ce Nuke-Nin et lui ne se dressent que quelques barreaux de métal et l’autorité dont il jouit. Les deux hommes s’observent, s’évaluent, mais ne disent rien. Kakeshuou Samui est le premier à prendre la parole.

~ Chaque État de ce monde possède des prisons qui ne sont guère enviables en saison hivernale. Le malheur de celui qui se trouve emprisonné à Yuki no Kuni est le fait qu’ici, l’hiver est permanent.

Retirant son capuchon, le grand manitou des lieux présentait son visage et son épaisse chevelure blanche à l’étranger. Quitte à devoir rester ici et à discuter, autant le faire à visage découvert. Et notre homme était plus prompt à déstabiliser les gens et à obtenir ce qu’il souhaitait des autres en les confondant en face à face. Avec ce maraudeur, peut-être arriverait-il à une conclusion intéressante. Dans ce cas, faire preuve de présence et se présenter clairement rapprocherait probablement les deux hommes.


Il s’était certes présenté, mais son esprit était ailleurs. Le Lion des Neiges remarquait bien les traces de coups qui recouvraient le corps du prisonnier. Les gardes avaient dû y aller bon train, sans même mentionner le fait qu’il était certainement blessé du fait de sa capture. La réaction de notre Gouverneur ? Peu importe, il n’était pas doué dans le soin, et ne comptait pas faire des bandages et des mamours à un prisonnier militaire. S’il mourrait de ses blessures, il ne pourrait que s’en prendre à lui-même. Lorsque l’on décide de déserter et de devenir indépendant, il faut être prêt à endurer toutes les conséquences qui en découlent.
Commençons par des questions banales et sans importance. Après cela, nous attaquerons le fond du problème concernant cet individu.

~ Tu as été capturé sur mes terres. Je veux savoir quel est ton identité, et les raisons de ta présence ici … .

~ La ferme. La seule personne apte à poser des questions en ces lieux est moi. Et nous ne sommes pas assez familiers pour que tu m’appelles par mon prénom.

Une réponse froide. Pas la moindre once de sympathie. N’oublions pas une chose dans cette discussion : il n’y a qu’un seul maître des lieux. Qu’une seule personne ayant droit de vie et de mort sur tout ce qui bouge. Et cette personne n’est autre que le Gouverneur. Il est la bouche et le bras du Mizukage ; la main salvatrice et vengeresse des Ninjas sur une province enneigée. Faire disparaître une âme perdue, emprisonnée dans les geôles glaciales de Yuki no Kuni, n’était rien de plus qu’un jeu d’enfant égoïste. Et malgré son grand âge, notre homme pouvait être un vrai gamin s’il s’en donnait la volonté.

Seth … le dieu de la destruction dans la mythologie égyptienne ? Un nom original ; certainement un surnom. Qui serait à vérifier avec la jeune membre du Clan Samui. Après tout, autant établir une identité claire de cet homme. S’il venait à être utile, mieux valait détenir de lui toutes les informations nécessaires. On ne saurait faire confiance à un homme que l’on ne connaît pas, pas vrai ? Kakeshuou Samui, de par sa nature, son passé et ses responsabilités, était le plus à même de prendre tout cela en compte. Il détenait la carte à valeur ajoutée dans cette partie. Le froid, l’isolement, les chaînes et les douleurs, ce cocktail mélangé avec le temps aurait raison de sa prétention et de ses intentions. La seule chose qui importait pour l’heure était d’en savoir plus. Certes, il n’y avait aucune intention d’éliminer : mais lorsque cela est nécessaire, pourquoi renoncer à quelques séances spéciales avec un pro du dialogue forcé … .

Ainsi, il était là sur rendez-vous … . Cela confirmait les déclarations de Yuki Samui, que notre Gouverneur avait déjà suffisamment sermonnée. C’était une bien grave erreur d’avoir rencontré ce Nuke-Nin et de ne pas l’avoir intercepté dès le début. Pire que cela, elle avait gardé le secret de cette rencontre pour elle ; chose qui ne pouvait apparaître que suspecte auprès du village caché de la brume ! Contracter un pacte avec un étranger à notre puissance militaire, quelle que soit la nature de ce pacte, ne pouvait recevoir que désapprobation et châtiment ! La preuve dans ce qui avait été prononcé contre la jeune manipulatrice de Glace. Des « frictions » ? Une bataille, autant la qualifier telle quelle ! Les deux hommes s’étaient affrontés, à tel point que le Chûnin de Kirigakure no Sato avait maintenant grand besoin de soins ! Pour qu’il en soit ainsi, c’était très certainement un combat à mort qui s’était livré. Une chance encore que tout le monde s’en soit sortie. Et une raison de plus pour laquelle le Gouverneur avait été aussi sévère avec sa parente éloignée.

Mais outre le fait de résumer des évènements déjà passés que notre Maître des lieux connaissait déjà, cet homme, malgré sa désagréable posture, avait une certaine audace. L’audace d’un lion gêné par un simple moustique, comme dans la fable. Malgré les blessures, le froid et les chaînes, il se pensait assez à l’aise pour négocier directement avec le grand manitou des lieux. Et allait même jusqu’à faire compliment sur la prison qui le retenait ! Était-il inconscient, idiot ou un subtil mélange des deux ? A cette réflexion, Kakeshuou Samui n’avait trouvé aucune raison de donner des explications : cette prison existait bien avant son arrivée, et elle demeurerait la même bien après son départ.
Cette volonté de « négocier » était des plus surprenantes. N’importe qui d’autre aurait supplié, ou préféré se taire plutôt que de chercher les raisons de cet interrogatoire. Et en même temps, cet homme se trompait lourdement. Le seigneur de ces terres aurait besoin d’une raison pour agir comme il l’entendait ? Tu ne sais décidément rien, jeune imprudent. Ni de la façon dont fonctionne le monde, ni du couperet qui se tient au-dessus de ta tête.

~ Tu es bien fier, malgré ta position. Tu penses pouvoir me questionner alors que ta vie ne dépend que de moi. Sache que je me rends où bon me semble. Et que la justice n’est ici qu’un instrument illusoire qui me sert de fauteuil. Si je décide de ta mise à mort, rien ne m’en empêchera ici-bas.

Une autre révélation des plus froides, mais on ne peut plus sérieuse. Personne sur cette île n’avait le pouvoir d’empêcher le vieux briscard d’agir à sa guise. Pour obtenir une opposition contraire, il faudrait l’autorité du Mizukage. Qui se trouvait à quatre jours de navigation. Soit bien trop loin pour intervenir à temps. Et une fois les choses faites, que voulez-vous rattraper : on ne recolle pas la tête d’un homme en espérant qu’il parle une fois la guillotine tombée !
Maintenant que les choses restaient clairement statuées, il fallait revenir aux questions initiales. Auxquelles ce mystérieux combattant avait jusque-là échappé. Peut-être se sentait-il l’âme de détourner des mineurs de la voie juste, mais jamais il ne pourrait le faire avec l’un des vétérans du Pays de l’Eau : croyez-moi sur parole ! Il voulait dominer la conversation ? Il savait désormais ce qui pouvait arriver s’il tentait d’exercer la moindre pression sur notre homme. Ouvrant maintenant la cage dans laquelle « reposait » le prisonnier, l’imposante figure du Gouverneur s’abaissa à partager la même cellule que l’hôte malheureux. De son regard hautain, conservant une certaine distance avec lui, il lui démontrait ici deux choses. Tout d’abord, il n’aurait aucune difficulté à livrer un affrontement avec cet homme. Outre son état, il restait maître dans cette geôle. Deuxièmement, il était assez confiant dans ses capacités et dans les agissements de cet individu. Droit comme un i, la tête légèrement baissée pour toiser son interlocuteur, ses bras et poings dans le dos, le compte-rendu pouvait commencer.

~ D’après le rapport de mission, tu contrôles les Portes Célestes, et ton combat a su te mener vers la Quatrième Porte. Tu t’en es pris à Yusuke Katano, puis à Yuki Samui. Ce qui me surprend, c’est que tu sembles t’être focalisé sur l’accompagnateur, plutôt que sur l’objet de ton rendez-vous. Ce qui me laisse penser que ton but tourne avant tout autour de ce « flocon de neige », comme tu l’appelles … .

Réponds-moi, misérable. Ou tu tâteras des crocs du Lion des Neiges. Et rien ni personne ne pourra m’empêcher d’agir dans un endroit aussi reculé.

~ Quels sont tes objectifs. Pourquoi as-tu fixé ce rendez-vous et qu’espérais-tu, tout en connaissant l’identité de cette jeune femme. Selon tes réponses, je pourrais éventuellement t’apporter quelque réconfort dans ta misère.

~ Tes victimes ne m’intéressent guère. Cela fait longtemps que je ne compte plus les miennes ; et j’ai pris pour habitude d’exterminer toute personne s’appuyant sur de pareils chiffres pour faire sa fierté … .

Une observation tout ce qu’il y avait de plus sincère ! Celui qui occupait le poste de Gouverneur avait déjà une longue vie derrière lui. Et il avait bien compris que sur le champ de bataille, on comptait plus facilement et avec le sourire les victoires plutôt que les corps. On a gagné la Première guerre mondiale ; mais qui se rappelle du nombre de morts dans la seule bataille de Verdun ? Notre homme d’âge avancé était ainsi. Pas de raison de se soucier de l’inutile. Par ailleurs, si cet engeôlé avait commis quelque forfait méritant les pires peines, il les avait faits en dehors de gouvernorat du Samui, ce qui rendait ce dernier désintéressé de ces torts. Peu importe l’avis du peuple : cette nation est devenue une simple province de Mizu no Kuni. Aucune insurrection ne serait tolérée de la part des petites gens, et si cela devait arriver, les choses seraient réglées de la manière la plus ferme qui soit ! Sur ces terres, les décisions du Gouverneur sont unanimes et inviolables !

Maintenant, cette volonté de « monde meilleur » était une simple notion qui passa par l’oreille de Kakeshuou pour ressortir à l’opposé. Un monde meilleur ? Notre Chûnin en baillait d’ennui ! Revenez sur terre, jeunes gens ! Vous êtes tous à espérer une meilleure vie, un nouvel espoir, le retour des Jedi, pourquoi pas ! Mais en attendant, l’homme sage et avisé sait se contenter de ce qu’il a et s’adapte à son univers. S’il est suffisant, il y jouera un rôle des plus classiques, et sera content de cela. S’il est ambitieux, il fera son possible pour modeler ce monde à sa manière comme de la poterie. Allez donc deviner dans quelle catégorie s’est rangé notre vieux briscard … .
Quoi qu’il en soit, ce rêve de « monde meilleur » était des plus utopiques et fantaisistes pour le quinquagénaire. Et au fur et à mesure qu’on lui annonçait la chose, ses pensées le tournaient vers des images de plus en plus dérisoires : des lapins roses courant dans l’herbe, le printemps dans le Pays de la Neige, un troc équivalent et avec le sourire de pupilles particulières entre Jisetsu et Hyuuga ! Bref, du grand n’importe quoi. Commencez par connaître le monde, tas d’ignares ! ou vous finirez comme une certaine gamine capable de provoquer à elle seule un village mais sans avoir la moindre idée de ce qu’il se passe dans le monde extérieur et ses environs … .

~ Faire un « monde meilleur » ne sert à rien. D’autant que, tu le sauras certainement, cet idéal ne dépend uniquement que d’une vision individuelle et indépendantiste. Un anarchiste ne peut espérer atteindre le « monde meilleur » dès qu’il s’opposera à un royaliste. Certains chercheront la perfection par la paix, d’autres par l’hégémonie mondiale. Parler d’un « monde meilleur » est une supercherie de l’esprit.

Et ce vieux renard n’avait pas tort. Il était bien conscient de la vérité de sa logique, même s’il ne désirait pas rentrer plus en avant dans les détails. Pour ceux qui tiennent à philosopher, allez sur un autre canal. Ici, nous ne parlons que de sang, de respect et de vengeance. Car ce sont là les mots qui guident au quotidien le Ninja dans sa tâche. Et il n’a pas à hésiter dans ses actions. Seule la mission compte.
Par contre, si nous devons parler valeur sûre, il en est une qui méritait d’être étudiée dans les décisions et le passif du captif. Ces corps qu’il sacrifié « pour la science », … où étaient-ils, et quels usages en avait-il eu ? Attendre un monde parfait dessiné sur sa propre identité requiert de l’investissement, bien plus que dans n’importe quelle autre activité ! Alors cet homme, qui se complaisait à avoir martyrisé et terrorisé les régions les plus froides et les plus isolées de Yuki no Kuni, pour quelles raisons avait-il eu recours à de telles pratiques ? Quelles mystères cachaient-ils encore ? Il y avait forcément plus à apprendre de lui : de ses véritables intentions, de la façon dont il comptait y parvenir. Revenons à Yuki : il s’intéressait à elle, certainement pour son immense potentiel. Mais malgré tous ses arguments, le deuxième membre de l’équipe, Yusuke Katano, était loin d’être un mauvais élément ! Membre des Épéistes, il pouvait se donner à fond dans sa tâche et ses armes étaient des plus remarquables. N’importe qui, devant ces deux personnes, aurait fait le choix de viser les deux plutôt qu’une ; à moins d’être trop faible, ou peu ambitieux. Or, ce n’était pas vraiment la nature du prisonnier assis face à Kakeshuou Samui. D’où cette question éternelle … quel était son objectif … .

Se déplaçant de quelques pas sur le flanc gauche de l’invité contraint et forcé, le Gouverneur portait toujours son regard hautain sur sa cible. Il avait des ordres ; ou plutôt des recommandations. Il avait plusieurs moyens de régler la situation. Mais il voulait en savoir plus. Alors qu’il avait promis un peu de miséricorde et de réconfort à notre homme, ce dernier n’avait pas encore rempli sa part du marché. Il y avait autre chose. Quelque chose d’intriguant dans son comportement ; dans sa philosophie ! Quelqu’un de mûr comme lui ne vivait pas sur des idéaux, ou sur un rêve éphémère ! Il s’y accrochait comme une bête conserve son steak. La preuve en directe : il refusait coûte que coûte de dévoiler ses véritables intentions. Pour cela, devait-il être loué, … ou neutralisé ?

~ J’ai la possibilité de te libérer, et de t’apporter certains privilèges, sous certaines conditions. La garantie d’un sauf-conduit sur ce territoire. Et la sortie de cette prison. En revanche, je ne te donnerai accès à aucun de ces privilèges tant que tu ne m’auras pas dit exactement tes intentions à travers des expériences, et contre qui se dresse ta vengeance. On ne recherche pas des alliés, en particulier auprès de gamines, lorsque l’on n’a pas un ennemi à abattre. C’est ta dernière chance … .

Enfin un peu de cohérence et de vérité ! Il était temps que cela vienne sur le plateau. Cette fois-ci, il n’y avait pas de cachotterie. Ni de signes de mensonges sur le visage de l’hôte involontaire. On allait pouvoir avancer, c’était une bonne nouvelle ! Après tout, plus on tournait en rond, moins notre visiteur était motivé à l’idée de rester. D’ailleurs, il l’avait bien fait comprendre, lors de sa dernière question. Maintenant que les réponses tombaient sans qu’aucune tête ne soit coupée, il y avait de quoi combler le Gouverneur jusqu’à la fin de ses jours. N’exagérons rien quand même … .

On en arrivait à du concret. Enfin … . Quelque chose de convenable. Ce singe qui s’agitait et faisait le fier dans sa cage tentait de dissimuler la véritable raison de sa présence au Pays de la Neige. Une chose futile en fin de compte, puisque Kakeshuou Samui l’avait appris à travers le rapport que lui avait remis la jeune Yuki. C’était un point non négligeable dans une négociation ; un point qui pouvait complètement retourner la situation à l’avantage de l’un ou de l’autre. En l’occurrence, au vu des barreaux et des chaînes, nul doute que le plus avantagé était le Gouverneur ; mais passons.
L’homme avait déballé ses idées, ses ambitions, sa science. Kakeshuou ferait partie des défaitistes ? Tu n’as rien compris à mon discours. Contrairement à toi, qui te lance dans l’idée farfelue de vouloir changer le monde, je fais le choix de le manipuler et d’en tirer le plus de profits. Je cumule les emplois, les fonctions et les responsabilités pour devenir une icône de premier plan. Cela me permettra à l’avenir d’influencer suffisamment ce monde qui me déplaît pour en faire ce que je souhaite. Toi, homme si simple d’esprit et de si peu de foi, tu ne peux voir cela. Mes ambitions n’ont jamais été percé à jour, et ne le seront jamais. Pas par un freluquet dans ton genre, quoi qu’il en soit ! Cela, tu peux me croire.

En revanche, certains éléments étaient des plus intéressants dans les propos du captif. Ses études en particulier étaient des plus intéressantes. Un travail sur le corps mourant ? Pour mener des études là-dessus, il avait certainement procédé à une torture bien spécifique, destinée à faire mourir ses cobayes très lentement … . Un vrai sadique, visiblement. Ce n’était pas pour déplaire à notre homme. En attendant, c’était l’idée même de la dégradation de l’énergie produite par un corps qui était fascinante. Notre ignare dans sa prison avait bien dit qu’il souhaitait changer le monde, non ? Faisait-il allusion au chakra, ressource produite mystérieusement par le corps humain et qui permettait – en soi – l’entretien de ce système Ninja autour des villages ? Un inconnu à garder à l’œil, lui comme ses recherches … .

Il était maintenant temps de régler cette affaire. En commençant par remettre les pendules à l’heure. Enchaîné, soumis au bon vouloir du Gouverneur qui était venu à sa rencontre, le Nuke-Nin ne pouvait qu’attendre le jugement final. Et, aussi filou et farceur pouvait-il paraître, il en oubliait ce genre de détail. Qui fut jugé bon de lui rappeler les consignes de la maison. Par un violent coup de pied dans les côtes, afin que l’homme ploie ! Toujours un regard aussi froid, chez notre homme.

~ Ne m’appelles pas Kakeshuou ! Pour toi, je ne suis personne d’autre que le Gouverneur, ou Kakeshuou-Sama. A toi de choisir.

Tel un vautour autour d’un corps, le Gouverneur continuait sa ronde autour du corps. Il observait cette personne si mystérieuse, comme s’il espérait trouver quelque détail supplémentaire. Un indice qui lui en dirait plus sur les intentions de cet homme. Mais il avait déjà plusieurs éléments de son côté : le rapport de sa compatriote lui en avait dit assez.

~ Si je te libère, c’est parce que Kirigakure no Sato applique une politique bien stricte. Elle espère pouvoir compter sur des éléments extérieurs – comme toi et les tiens – pour rejoindre les rangs de Kiri, et pour, éventuellement, devenir une puissance autonome.

C’était une vérité. Le nouveau Mizukage, Tenzö Kaguya, espérait mettre en place une alliance nouvelle avec l’étranger ; mais il avait bien plus ambitieux que cela. Il espérait créer une ceinture indépendante : le genre de ceinture de fond qui encadrerait le monde. Et dont la fonction reposerait sur des clans indépendants, devant gérer cette zone tampon entre les différents grands États shinobis. Une bien folle idée ; mai si elle devait marcher, pourquoi s’en prive. Voilà un pan politique sur lequel le représentant du Clan Samui au sein du Conseil Clanique ne se prononçait pas. Encore que, si la question ne posait également sur Yuki no Kuni, il aurait certainement à y redire.

~ Je te propose un marché, qui se lit en temps. Premier volet : tu oublies Yuki Samui avec tes plans, tes ambitions et ta rencontre la concernant. En échange, je te rends la liberté. Deuxième volet : tu te plies à mes règles du jeu, en respectant les lois de ce pays et en étant prêt à suivre certains ordres de mission sous ma commande exclusive , je te donnerai des documents officiels te donnant libre circulation dans l’ensemble du territoire du Pays de la Neige. Ce marché t’intéresse ?

On sentait bien dans le discours du captif que les propositions faites par son hôte étaient à mesurer sous tout angle. Et cela restait évident. Kakeshuou Samui n’espérait après tout pas convertir le Nuke-Nin à la sacro-sainte loi du respect de la justice et des bonnes mœurs. Si ce genre d’individu errait encore librement, c’est bien parce qu’il avait agi à l’encontre des intérêts de son ancien village et des attentes générales d’une société civilisée, le mettant ainsi au ban de toute convention sociale acceptable. Le pousser à la rédemption et en faire un toutou obéissant ? Aucune chance ; en revanche, en faire un tout obéissant, ce n’était pas encore impossible … . Il est des choses qu’il faut savoir présenter à l’homme sauvage pour le domestiquer. Regardez Tarzan ! On lui présente Jeanne en jupe courte, et l’affaire est entendue ! Et je vous passerai la comparaison avec King Kong … .

Il acceptait déjà la première version sur la liberté, tout en laissant échapper une insulte qu’il pensait avoir échappé à notre Gouverneur. Fais gaffe, p’tit con ! Le quinquagénaire porte certes ses années, mais il n’est ni sourd, ni idiot … ni bienveillant ! Tiens le-toi pour dit ! Il t’accorde là un cadeau inestimable, alors que sous tout autre gouvernorat, ta tête aurait déjà rebondi sur les tranchants escarpés d’une falaise maritime. Lui voit en toi un intérêt tout particulier ; dont il sait que lui, comme toi, pourrez en tirer profit.
Qu’il n’approche pas Yuki, cela ne semblait pas poser de problèmes. Et en soi, c’était la chose la plus importante. Notre Gouverneur avait été des plus fermes précédemment, et il espérait bien que les pendules soient correctement réglées. Si ces deux-là devaient voir leurs chemins se croiser à l’avenir, ce serait uniquement sur son ordre ! Mais pas autrement ! Il empêcherait même le hasard de les retrouver ! C’était un objectif qu’il se fixait ; et il savait déjà comment il procèderait pour garantir le respect de cette clause … .

Si nous passons au caractère plus sérieux de la discussion, on pouvait bien voir que les choses ne seraient pas des plus faciles à l'avenir. En proposant un contrat sous cette forme, le Lion des Neiges avait tout à fait conscience du sacrifice qu’il demandait au dénommé « Seth ». Accepter des ordres de mission revenait à se plier à un système que cet homme réprouvait : lui avait fui son village pour vivre en pleine liberté de pensée, de mouvement et d’action. Il avait craché sur l’intérêt des villages, et avait fait sien l’objectif de les réduire à néant. A commencer par le village de Kumogakure no Sato, de toute évidence … . Lui demander donc de faire des missions privées pour le compte du Gouverneur de Yuki no Kuni revenait à le réintégrer dans le système qu’il maudissait. Qu’à cela ne tienne, ce détail ne semblait pas l’affecter tant que cela.
En revanche, le fait qu’il mette un point d’honneur à obtenir des missions dignes d’intérêt était signe de bonne fortune. Réfléchis une minute, cancrelat. Si le futur tyran face à toi te fait savoir qu’il se réserve tes services de façon exclusive, tu peux te douter qu’il n’y aura rien de propre, n’est-ce pas ? Alors, comptes sur lui. Il te fera voir du pays, et tu apprendras bientôt qu’il peut avoir des exigences bien capricieuses et délicates … .

Le mot de conclusion. Il acceptait les termes essentiels du contrat ! En soi une grande nouvelle. Pourtant, les deux hommes continuent à se fixer. Entre le regard glacial de maître des lieux et le rire cynique du prisonnier, rien ne présageait ici une bonne et heureuse collaboration. Après tout, aucun des deux ne se faisait confiance ; et tous deux savaient qu’à la première occasion, la trahison serait rapide, froide et cruelle. Peu importe : notre homme politique et ninja de surcroît était prêt à prendre ce risque. Et il était assez confiant ; il trouverait bien de quoi rallier cet homme à ses ambitions. Quitte à lui venir en aide sur certains points scientifiques concernant ses recherches.

~ Je trouverais bien moyen de combler tes ambitions et tes envies. D’autant que mes projets sont loin d’être ennuyeux … . Nous verrons bien, alors, si j’ai « abandonné » … .

Suffisamment pour mettre l’eau à la bouche ! Sur ces paroles, le Gouverneur pressait maintenant le pas, et dans un élan énergique, il repassait de l’autre côté des grilles de la geôle, pour refermer violemment la porte encadrée. L’homme restait là, derrière les barreaux. Mais plus pour très longtemps.

~ Je vais préparer les papiers pour te faire sortir. Et j’espère pouvoir compter sur ta parole … même s’il te faudra faire tes preuves.

Et sur cette dernière sommation, notre Ombre blanche s’éloignait pour retourner au bureau. Quelques finalités, et une nouvelle arme serait à disposition pour ce gouvernorat aux débuts pour le moins satisfaisants !

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