Sainan déposa sur le sable chaud le sac lourd et épais dans lequel valsaient des centaines de pièces d’or. La grosse bourse toucha le sol dans un dernier cliquetis, et le jeune homme s’assit contemplant un peu l’Océan qui s’étendait à perte de vue. Ca y est, la mission était bel et bien terminée. Pour la première fois depuis des jours, isolés en bordure maritime d’un des Pays les moins hostiles du monde, Sainan sentait la douce quiétude de la sécurité. Ici, ils pourraient se faire oublier un temps. Il ne faisait aucun doute que le groupuscule à qui ils avaient dérobés les marchandises et l’argent avaient déjà mis un prix sur leurs têtes, si tant est qu’il les avait identifiés. Mais personne ne penserait les trouver sur les côtes de Kawa.

Recouvrant peu à peu ses esprits après des jours de course et de fuite, Sainan observa autour de lui. Personne ne semblait vivre ici, probablement à des kilomètres à la ronde. Zassou et lui venaient de s’installer dans une petite crique à l’abri des regards. Derrière eux, un peu en amont, une maisonnette tenait encore debout, le bois blanchi par le sel marin qui balayait constamment la plage de son mistral. Oui, définitivement, ils seraient bien ici, pendant quelques temps ; le temps suffisant à faire baisser leurs recherches au Nord.
Sainan inspira une grande bouffée d’air marin et, pour la première fois depuis plusieurs heures, exprima un large sourire, suivi d’un fou rire. Il tourna frénétiquement la tête vers le baluchon rempli d’or, passa sa main dedans, et en ressortit une pièce scintillante. Il la jeta en l’air, et, lorsqu’il la rattrapa en chute, ferma sa paume.

[Sainan] « Pile ou face ? Non, je choisis en fait, FACE ! »

Il plaqua la pièce contre son avant-bras. C’était bien face. Il se remit à rire. Et puis, aussi soudainement, il s’allongea au sol sans ne plus rien dire, observant le ciel ensoleillé au-dessus de lui, les nuages qui naviguaient de part et d’autre. Après quelques minutes de silence, il reprit la parole.

[Sainan] « On a eu de la chance hein, Zassou. Tout ça aurait pu mal finir. On a fait ce qui fallait mais, on a eu du bol… »

Il inspira un grand coup, pensif, et continua.

[Sainan] « Dis-moi, tu prévois quelque chose maintenant qu’on est là ? On est quand même sacrément loin de l’endroit où l’on s’est rencontré. Qu’est-ce qu’on va foutre ici… D’accord on a assez d’argent pour racheter trois villages de ce Pays paumé, mais… je suis pas du genre à me poser quelque part moi. J’ai toujours passé ma vie à courir les routes, à chercher le risque à chaque coin de rue, parce que c’est ce qui me fait me sentir vivant. »

Il se redressa d’un bond. Quelques cascades de sable chutèrent de ses vêtements légers. Le climat était vraiment agréable ici. N’importe qui aurait rêvé de terminer ses jours dans un tel endroit. Il y faisait bon vivre, on y trouvait aisément la tranquillité et la guerre n’avait que très peu posé ses pieds dans la région, cette dernière étant des plus pauvres et rurales. Mais lui, ne pouvait pas supporter l’idée de s’enterrer quelque part pour le restant de sa vie, il était un nomade, un errant, un voyageur.

[Sainan] « J’t’aime bien Zassou. Y s’pourrait même qu’on fasse un bout de chemin tous les deux. Bon, alors, est-ce que t’as un plan en tête maintenant ? Moi, j’ai ma petite idée, au pire. De quoi m’amuser encore quelques années... »

Pour Sainan était venue l’heure de faire comprendre à Zassou qu’il cachait bien son jeu, et qu’il était, contre toute attente, assez réfléchi quant à son avenir. D’une nature extrêmement méfiante, qualité certaine pour un Nukenin qui tient à sa vie, le jeune homme usait d’art et de manière pour se faire passer pour ce qu’il n’était pas. Ainsi s’était-il laissé porter par sa coéquipière, jusqu’à présent, acceptant ses directives et sa situation passive, sans jamais laisser soupçonner qu’il soit capable lui-même d’initiatives décisives. Pourtant, le Mamoru était quelqu’un de réfléchi, de stratège et même de calculateur.

L’épreuve de cette mission lui laissait penser qu’il pouvait faire confiance à Zassou désormais, au moins en partie. A défaut de lui livrer l’intégralité de son parcours, il pouvait, lui semblait-il, se dévoiler un peu, ses plans tout du moins. Il savait qu’après l’énoncé de ses idées, la demoiselle ne le verrait plus de la même manière. Elle pourrait adopter une attitude de retrait, en constatant qu’il l’avait berné sur sa crédulité depuis le départ, et qu’il était manipulateur. Elle pourrait peut-être aussi apprécier de voir qu’elle n’avait pas à faire à un suiveur, mais à une personne on ne peut plus autonome, dans ses actes et ses choix.

Sur un ton bien plus calme et sérieux qu’à l’habitude, le jeune homme ne tarda pas à répondre à son interlocutrice, prenant le temps de rassembler ses idées au préalable.

[Sainan] « Tu ne m’as pas compris, Zassou. »

Il la fixa droit dans les yeux.

[Sainan] « J’ai dit que je ne supportais pas l’inactivité. Ce n’est pas pour autant que j’envisage une existence de vagabond, j’aspire à autre chose que cela. Je vais là où se terre le risque, parce que c’est à cet endroit même que l’on déterre la renommée et le succès. Moi, c’est tout ce qui peut me motiver en ce monde. J’ai croisé bien des êtres, j’ai vécu bien des choses. Tout cela, je l’ai dissimulé jusqu’à présent. Hahaha, wouhouhou… Le jeune Sainan, Mamoru ingénu, tout ça, c’était factice. Aujourd’hui, je vais m’adresser à toi tel que je suis. »

Le garçon déglutit, inspira, puis reprit.

[Sainan] « Certains recherchent la domination, et d’autres la paix des nations. J’ai longtemps erré, ma vie était le reflet de ma mentalité. Je ne savais pas où aller, alors j’allais, mais nulle part. Je n’aspire pas à toutes ces choses-là, elles sont trop idéalistes, trop absolues pour être réalisables. Je mesure mon destin à mon humble échelle Zassou, comme tu le fais également j’imagine. Nous ne changerons pas ce monde, mais nous pouvons y inscrire nos noms avant de lui dire au revoir, de gré ou de force. Ce que je veux, c’est qu’au jour de ma mort on se rappelle qu’il exista un Sainan, suffisamment craint et puissant, suffisamment influent et malin, pour n’avoir pas été qu’un pion sur l’échiquier. »

Le jeune homme s’accroupit et attrapa une poignée de sable à ses pieds. Il serra la paume pour le capturer dans sa main, puis le laissa lentement tomber. Il observa les grains chuter et rejoindre l’océan de sable que constituait cette lagune.

[Sainan] « Le temps passe Zassou, c’est ce sable qui tombe et qui ne fera jamais demi-tour dans le creux de ma main. Je pense que tu es une personne avisée, et que nos destins nous ont liés. Alors voilà ce que je te propose. »

Il se tut quelques secondes, ajoutant de la solennité au moment.

[Sainan] « Les villages cachés mènent leurs campagnes contre nos territoires. Ils perdent en même temps beaucoup d’hommes. Leurs ambitions et leurs conquêtes ne tarderont surement pas à faire renaître de vieilles rancœurs entre eux, c’est le cours de l’Histoire de ces Pays depuis des siècles. Nous, nous avons une existence à réussir, et des projets à satisfaire. Faisons en sorte d’intégrer l’un des villages cachés, et tirons profit de cela du mieux qu’il sera possible. Nous possédons des dons qu'ils convoitent, jouons de cela. A voyager comme des rats sur les routes des Pays mineurs, nous mourront inconnus. Nous aurions beaucoup à gagner en rejoignant une cause qui n’est pas la notre et, en faisant en sorte d’être malins, il serait même possible de toucher notre heure de gloire plus tôt que prévu. »

Il en avait fini de sa proposition.

Dans le fond, peut-être n’étaient-ils pas faits pour partager autre chose qu’un bon butin de temps à autres. S’il entendait les arguments de Zassou et les concevait parfaitement, il écoutait également un certain mépris dans ses paroles, autant que ce qu’il percevait comme de la naïveté délirante. S’il est vrai que tous les hommes qui ont changé ce monde furent animés de la flamme inaltérable de l’idéalisme, Sainan, lui, ne percevait pas un tel but comme son destin. Il ne comptait pas changer le monde, simplement en maîtriser les codes à la perfection, et avoir un rôle à y jouer. Vouloir changer le sens de rotation du monde constituait une vie quitte ou double. Y parvenir conduisait à la renommée éternelle ; échouer, c’était condamner son nom à l’opprobre jusqu’à la fin des temps. Les Shinobi les plus haïs de l’Histoire pensaient eux aussi être le changement.

Tandis que la jeune femme continuait d’énumérer ce qu’elle percevait de lui avec un ton des plus condescendants, le garçon s’abandonna à quelques réflexions, jusqu’à ne plus entendre qu’un léger brouhaha de fond, sans prêter davantage oreille à ce qu’elle racontait. Visiblement, elle était de ceux qui n’acceptent pas que d’autres puissent avoir des aspirations différentes, à tel point qu’elle laissait transparaître un certain dédain quant aux ambitions plus modeste du Mamoru. Puis, le jeune homme l’écouta parler de nouveau. Elle termina son élocution en tentant de l’amener dans son giron, ce qui n’eut pas vraiment d’effet dans l’esprit de Sainan. Elle semblait confondre renommée et légende universelle. Lui, n’était mu pour l’instant que par cette première.

[Sainan] « Tu sais, Zassou, du haut de ton piédestal tu es méprisante envers moi, envers ceux qui n’ont pas l’intention de suivre ton chemin. Si tu souhaites un jour t’entourer de personnes pour t’accompagner dans ta quête folle, il te faudra accepter qu’ils puissent te suivre sans pour autant partager tes aspirations. La plupart des gens de ce monde sont motivés par le gain et la gloire, pas par la démence. Compose avec cela.
Pour le reste, je n’attends pas la guerre, ni ne souhaite en être l’origine. Je me laisse glisser au gré du vent, au fil de mon instinct. Il me dicte de rejoindre une cause, en laquelle je ne croirai surement pas mais qui pourra sans doute m’apporter beaucoup. Personne ne te parle de tuer quelques Shinobi, tu n’as rien compris, je crois. De ce que tu m’auras répondu, je ne retiendrai que le mot « déçu ». Oui, la déception forge la vie, Zassou, tu devras t’y faire. »

Le garçon posa de nouveau sa main dans le sac d’or, observant maintenant à l’intérieur.

[Sainan] « La rançon de ton dédain t’aura aujourd’hui coûté un compagnon qui aurait été prêt à te suivre, non pour sauver les pâturages de Kusa, mais simplement parce qu’il voyait en toi une cause en laquelle, justement, il ne croyait pas. Seulement, il semble qu’elle ne m’apportera rien, sans la capacité de compréhension de ce qui m’anime. J’ai vécu une existence solitaire et compliquée, grandit sans famille, et suis parvenu à me construire ainsi, ce qui est déjà un miracle. Je n’accepterai pas que l’on m’oppose de tels affronts quant à mes aspirations modestes, je ne souhaite pas qu’on les juge. »

Le jeune Mamoru déballa de son attirail un sac de bonne capacité. Il pourrait contenir pas mal d’objets. Il commença à transférer une partie de leur butin dans le sac.

[Sainan] « Voilà approximativement nos parts du gâteau. Prends ton or, je prendrai le mien. En tout état de cause, nous ne ferons pas deux. A bientôt, qui sait, Zassou. Je repars d’où je viens, dans l’ombre. »

Il attrapa le sac, renfila de nouveau son masque aux milles ornements. Une fois son capuchon rabaissé, il s’élança. Il ne fallut pas longtemps pour qu’il disparaisse, hors de vue.