Pour la seconde fois en une très courte durée, Kawaguchi Tsukiko allait quitter le sol de Suna pour le reste du Yuukan. Cependant, contrairement à son premier départ motivé par une alliance Konoha-Suna, celui-ci était davantage pour des raisons personnelles présentées et étudiées actuellement par quelques autorités. Plus important, par rapport à ce premier départ, le second avait été beaucoup plus compliqué à préparer car la durée du voyage était indéterminée, les tâches fixées nombreuses et les tâches administratives déclenchées un tantinet longues.

En plus de l’administratif, il fallait encore voir une ou deux personnes, surtout « une » à qui elle devait « rendre des comptes ». Yamada Kioshi n’allait sûrement pas rester indifférent devant toutes les procédures administratives enclenchées par la demoiselle, et on a sûrement dû lui en parler – directement ou indirectement-. Elle n’en restait pas moins son élève, n’est-ce pas ? Dans cette optique, elle l’invita au Heaven Night, un club qui lui appartenait de plein droit suite à la mort de Shinji.

Dans le bureau que ce dernier avait occupé de son vivant, la demoiselle épluchait une quantité incroyable de documents. Tantôt les comptes de l’établissement, tantôt les accords, tantôt la question de l’héritage de ce présent d’un défunt, tantôt une lettre envoyée à tout Suna par la Godaime Kazekage qui remettait en question tout le système du village.

Vendre ou pas le Heaven Night ? Postuler ou non au poste de conseillère ? Voilà des décisions qu’elle devrait prendre d’elle-même, n’est-ce pas ?

« Ce soir, ne parler que du voyage … Juste le convaincre de ne pas me faire suivre par une escouade entière de Jonins » se dit-elle, soupirant d’avance devant la paranoïa ou le sur protectionnisme de ce dernier. « Et forcément, cette lettre mystérieuse pour Yuki no Kuni ».

Les sujets de discussion étaient nombreux et leurs retombées incertaines. Ses invocations ne l’accompagnaient pas aujourd’hui, tous à chasser dans le désert même de Suna. Il semblerait qu’ils grouillaient de vie et d’énergie, et Tsukiko n’était qu’une rabat-joie plus morte que vivante à leurs yeux.

On toqua soudainement à la porte, et on annonça que Yamada Kioshi attendait à la table qui lui a été assigné. La demoiselle acquiesça et alla le rejoindre sans tarder. Elle l’enlaça amicalement pour aussitôt après commander des boissons « légères ». Elle voulait garder tous ses esprits vis-à-vis de cet homme, et user plus ou moins habilement de ses maigres arguments.

- Comment vous portez-vous suite à votre blessure ?

Blessure qu’elle n’avait pas pu voir ou demandé à voir, étant donné qu’il avait été d’une humeur assez « massacrante » et « exécrable » suite à l’attaque de Rei. Il n’y avait guère eu besoin de le voir pour le savoir aussi. En effet, au lieu de virevolter dans tout Suna, il s’était plongé au travail. Tsukiko ne pouvait guère l’en blâmer car elle avait de fait de même. Cependant si cela lui plaisait et l’aidait à reprendre le cours de sa vie, cela n’était guère le cas pour la demoiselle. Elle avait l’impression de brasser du vent ou de construire un château de carte qui allait s’effondrer à la première prochaine brise.

Elle avait besoin de prendre ses distances. Et elle l’aurait fait il y a bien plus longtemps si une certaine équipe ne l’avait pas retenu ici avec leur gentillesse et leur présence.

- Avez-vous des nouvelles de Kibo ? Demanda-t-elle, curieuse plus ou moins de savoir si son coéquipier était au courant au sujet de Suna et, plus important, s’il allait bien. Je n’ai rien reçu de lui, je suis un peu inquiète.

Que pouvait-elle dire de Kioshi ? Que pouvait-elle dire d’elle-même ? Kioshi semblait au fond du gouffre, Tsukiko creusait encore ce même gouffre inconsciemment … Les deux étaient blessés, en morceau, en miette … Des épaves tantôt alcooliques, tantôt boulimiques du travail. Un merveilleux cadre que voici !

- Buvez autant que vous désirez, vous n’aurez rien à payer ni de compte à rendre. Cet endroit… m’appartient.

Elle ne détailla pas, attendant de voir si Kioshi était curieux ou s’il le savait déjà.

- Encore un Samui ? s’insurgea-t-elle presque, commençant à associer ce nom à la « plaie » du monde. Elle avait l’impression que les membres de ce clan se relayaient pour plonger que davantage Kibo dans un véritable cercle infernal.

Ce qui l’étonnait était le calme avec lequel Kioshi l’annonçait. Ne trouvait-il donc pas cela étrange que son élève aille chercher un enseignement ailleurs, auprès d’un Shukajin et surtout un issu de ce clan dont l’un des membres aurait trahi la confiance de tout un peuple pour prendre le pouvoir et instaurer une véritable dictature et monopole du pouvoir.

Elle aurait voulu demander à Kioshi ce qu’il en pensait mais se retint. Elle n’avait cette information que d’une seule source – qui plus est, un enfant d’une dizaine d’années ou quinzaine -. Elle ne risquait d’être prise au sérieux, et elle-même exprimait de véritables doutes. Si elle trouvait une « excuse diplomatique » pour pénétrer ce fort, elle pourrait effectivement voir d’elle-même. Demander à Kibo ? Elle ne voulait plus en entendre parler. Plus jamais.

« Nous avons besoin de lui et il préfère faire mumuse avec un parfait inconnu. Soit, telle est sa décision. Et telle sera la mienne » conclut-elle, une lueur rageuse au fond de ses prunelles.

- S’il est plus heureux là-bas, se contenta-t-elle d’ajouter, marmonnant plutôt que parlant clairement.

Aussitôt après, Kioshi demanda si boire avait un sens caché ou encore se montra curieux pour sa relation avec Shinji. Elle arqua les sourcils, cherchant à comprendre à son tour un « sens caché ». Certes, la relation pouvait être discutable surtout suite à cet héritage mais il n’en était rien. Absolument rien.

- C’était comme un frère, le garçon avec qui je fais les quatre cents coups, avec qui je glande sur le mur, une boisson en main, discutant qu’il manque de nuages dans ce ciel … Malgré tous ses penchants pour la gente féminine, jamais notre relation n’a été … ambigüe. Ami, collègue … Un frère avant tout, finit-elle par dire d’une voix un tantinet étouffé. Avez-vous pensé à autre chose ?

Elle se tut, tentant de retrouver son calme.

- Shinji mort, tous ces Civils morts … Suna sonne davantage comme un cimetière. Un lendemain d’un conflit entre deux clans. Ca me rappelle de sacrés mauvais souvenirs … finit-elle par dire, avec un petit rire ironique.

Elle prit une ou deux gorgées.

- Mes projets étaient censés éviter ce genre d’Hécatombes. Au final, il semblerait que quoi que l’on fasse, on ne sera jamais protégé ? Je pense que ce fameux futur conseiller de la défense saura bien mieux gérer que moi les défenses de Suna. Pour ma part, j’espère pouvoir intégrer l’équipe … diplomatique ou économique. Au moins, ces projets-là n’engendrent pas de mort.

Elle lança un regard sur ce bar et souri un tantinet.

- Je pensais le revendre, en me disant que je n’aurais pas le temps. Etrangement, je prends plus de plaisir à gérer ce lieu qu’à réussir une mission. Je l’ai finalement gardé, car cela m’aide à penser à autre chose, à me dire qu’il y a une vie quelque part, des hommes et des femmes sachant apprécier une soirée de musique.

Certes il y avait encore le club de strip tease à l’arrière salle mais ça, c’était une toute autre histoire, répondant à un tout autre objectif un peu moins éthique et « citoyen ». Le nombre d’informations qui pouvaient être récoltés dans ce genre de lieu, le nombre « d’amitié » qui pouvait se faire avec deux ou trois grands du village tant qu’on savait garder la discrétion sur leurs fréquentations et penchants.

- Et vous … comment vous sentez-vous suite à tout … cela ? Comment était Kyoshi Rei durant sa période de Kage ? Qui était-il ?

Tsukiko n’avait connu que Zanshi comme Kazekage.

- Le prochain conseiller à la diplomatie aura bien du travail. Suna semble rentrer dans un air de modernité et de démocratie mais ce n’est guère le cas ailleurs. Je me demande comment les alliances vont être géré … va-t-on se baser sur des idéaux, sur des intérêts politiques, économiques ou militaires ?

Eviter une guerre ou, au contraire, en créer une. Voilà bien une très lourde décision et une grande responsabilité. Mais également un poste sensible vis-à-vis de la Kazekage. En effet, que se passerait-il si jamais les avis divergeaient ? Un vote avec les autres conseillers ? La décision aura-t-elle un impact important, négatif ou positif, vis-à-vis de la relation ou cela ne changera en rien ? Les jeux de pouvoir, voilà un domaine dont elle n’en connaissait guère les tenants et aboutissants.

- J’ai … Je réfléchis. Il y a quelques mois déjà, la Kazekage m’a proposé d’être Conseillère. Cependant, comme cela passe avec les votes, je doute sincèrement être élue. Vous pensez que j’aurais droit à combien de voix ? Une … ou deux ? dit-elle, tentant de rire un tantinet pour « alléger » l’atmosphère.

Kioshi ne souriait guère comme à son habitude, n’ajoutant que toujours plus du malaise. Certes, il n’avait cessé de lui sourire, de la cajoler ou de l’aider et elle n’avait cessé de le repousser … Malgré tout, ne pouvaient-ils pas tenter de recommencer ? De rire en bons amis autour d’un verre ? Il semblerait que cela soit difficile. Beaucoup de choses était à régler, et à réfléchir, ce dont elle allait parler ne risquer guère de faire sourire le chef du clan Yamada.

- Je suis juste curieuse au sujet d’un homme … qui semblait avoir été un homme à une époque, conclut-elle. Il devait être un homme à une certaine époque. Sinon, quant à moi … Je … me relève. Petit à petit.

Cet événement ne l’avait pas traîné plus bas. Elle était bien au fond du gouffre bien avant. Les épreuves ne lui donnaient qu’une rage – ou une réflexion supplémentaire – pour se relever. Au final, ce qui ne tuait ne rendait que plus fort.

- Actuellement, je m’occupe l’esprit avec ce lieu. Cette affaire d’héritage à clôturer, un co-gérant à trouver car je ne peux pas non plus totalement abandonner ma vie de Shinobi … à ce point. Et … un autre voyage à préparer, finit-elle par dire.

Elle observait cet homme et ne vit guère une grande surprise sur son air. En fait, elle n’arrivait pas à déchiffrer son expression.

- Pourquoi quitterais-je Suna à votre avis ? finit-elle par demander, plus ou moins curieuse de savoir l’avis de cet homme dont elle ne comprenait guère le fonctionnement.

Elle le regardait droit dans les yeux, absolument pas honteuse à l’idée de partir. Elle savait ce qu’elle allait faire, ce qu’elle risquait et ce qu’elle engageait. Elle ne faisait rien de mal à l’égard de quiconque ou de Suna, elle en était certaine. A l’exception d’une personne et elle était devant elle.

- Et pensez-vous que je quitte Suna … l’esprit léger ? Sans … Pensés ? Si non, pourquoi dites-vous ça. Si oui, à quoi penserais-je ?

Savait-il ou non ? Telle était la question.

- Pas Yami, fut une réponse immédiate, claire, nette et sèche.

Tsukiko s’était rendu compte de sa spontanéité mais elle ne le regrettait guère. Elle voulait un co-gérant avec qui elle partagerait plus ou moins une même vision et qui pourra lui fournir ce qu’elle désirait, soit une ou deux petites informations. Enfin, il lui fallait une personne « neutre », et aux mœurs plus ou moins établis et adapter à son commerce. Elle ne voulait en aucun cas que ses propres employés, ou co-gérant, la rapporte au grand Kioshi ou à une tout autre autorité de Suna et surtout, elle ne voulait pas s’interroger chaque journée si la demoiselle était vivante ou non, si elle faisait bien ou non le travail, si elle cachait ou non des informations et si elle respectait l’esprit de la maison ou non.

- Elle a déjà bien du boulot. Entre son rôle d’intendante du Kakumeigun, ou encore son travail à l’hôpital … Sans parler de sa maladie. Je souhaite un civil pour deux raisons : il ne risque pas de faire faux bond pour de subites missions, et il peut occuper la fonction presque tout le temps.

Du coin de l’œil, elle observa la réaction de son maître à l’évocation du nom de Yami. Allait-il avoir ce mielleux discours comme celui que la demoiselle avait servi à la blonde lors d’une petite visite à l’hôpital ? Allait-il faire preuve de grande amitié ou de tendresse à son égard ? Elle ne disait rien, et ne se contentait que d’observer. Les tiques, les gestes …

- Je l’ai vu récemment. Et j’ai pu lui parler. Son rôle lui plaît bien, et davantage être à vos côtés. Je suis bien heureuse que vous ayez trouvé une amie … une oreille attentive, telle que vous aimez.

La jeune Kawaguchi s’était faite à l’idée qu’elle n’était pas l’oreille attentive ou l’épaule réconfortante. Egoïste, elle ne cessait de blesser volontairement ou involontairement son entourage. Elle tentait de s’ouvrir mais plus elle faisait, et plus elle avait honte. Elle n’avait jamais eu de père, ou de famille tout simplement, et avait toujours fait tout ce qu’elle désirait. Malheureusement, ce « tout » n’englobait pas uniquement des petits jeux innocents. Et elle n’était pas fière de beaucoup de choses. Enfin, plus ses amis souhaitaient apprendre sur elle, et plus elle était mal à l’aise.

- Merci pour ce vote, finit-elle par déclarer avec un petit sourire aux lèvres. Hum … Je ne fais pas que fuir.

Il y avait du vrai dans ce qu’il disait. Elle avait besoin de prendre ses distances – un court moment – avec Suna même afin de penser à autre chose. Cependant, il y avait aussi du faux dans ce qu’il disait.

- Je n’ai pas consulté … car je n’ai juste pas l’habitude, elle soupira. Pensez ce que vous voulez, mais prévenir rien que là est un effort pour moi. Je … Je n’ai pas eu un seul père, ou une seule figure masculine ou même féminine qui me demandait des comptes sur mes déplacements ou fréquentations. J’ai … pas l’habitude. Je n’avais pas peur pour être dissuadée … Peut-être un peu, mais à la fin j’allais partir, car j’ai mes raisons. Autre que ceux cités. Enfin … Je ne serais pas plus heureuse ailleurs. Hormis à Suna, plus personne ne m’attend nulle part, constata-t-elle tristement. Plus aucune famille hormis son père absent à Suna, un Maître extrêmement mélancolique suite à une pseudo-rupture avec l’amour de sa vie ….

Elle voulait lui dire tout. Parce que c’était ce qu’il voulait, toujours.

- J’y vais aussi pour deux ou trois autres raisons, bien plus importantes à bien réfléchir. Je vais me rendre au Pays du Feu pour visiter la tombe de ma famille … ou les prétendues tombes. Les conflits étaient un tantinet disséminés partout, alors … ma mère et mon grand-père sont un peu à différents endroits. Quant à ma grand-mère, sa tombe est à Konoha pour sûre. Parlant de Konoha, il faut que j’emmène un traité écrit officialisant notre alliance avec ce village.

Elle se tut, lui laissant ingurgiter ces nouvelles.

- Et après … Je dois encore régler quelques affaires de famille. Respecter les dernières paroles d’une grand-mère et voir si mon seul cousin … S’il va bien. C’est un peu comme un petit frère mais j’ai perdu tout contact avec lui depuis que je suis arrivée à Suna. Ses parents ne m’appréciaient déjà pas et ils étaient sacrément adorateurs de Konoha. Ils ont moyennement aimé que je cours chez « l’ennemi ».

Lorsqu’elle était arrivée, un an à peine s’était écoulée suite à la guerre entre Konoha et Suna. Des deux côtés, les pertes étaient encore un tantinet fraîches.

- Cousin du côté de la mère. La sœur de ma mère s’est mariée à un Hyo … ou quelque chose du genre. Enfin, les souvenirs ne sont même plus clairs.

Pitoyable à dire, mais vrai.

Il y avait aussi « comprendre un monsieur Howaito » mais elle préférait taire cette partie-là. Ou encore taire la partie du cousin qui avait en fait déserté … Trop de choses qu’on pourrait qualifier de « dangereux » ou « d’incertains » qui risquaient juste de créer des soucis supplémentaires dans l’esprit de Kioshi. Qu’il ne craigne rien, à priori, elle avait un don pour survivre … ou laisser autrui mourir pour sa propre survie.

- Mais je vais revenir dans un mois. Docteur Yami a insisté pour un petit check-up complet ! annonça-t-elle en se grattant, un court instant, nerveusement le cou.

Elle se tut et observa longuement Kioshi.

- Y a juste un problème. J’ai peur de vous laisser. J’ai l’impression que vous allez faire des bêtises.

- Ce qu’elle m’a dit ? Demanda Tsukiko avec étonnement. Elle se tut, réfléchit aux dernières paroles de Yami et les résuma de la manière la plus fidèle possible. Il semblerait que vous avez été un grand ami pour elle, et elle aussi … Que vous vous auriez montré ce support à plusieurs moments.

Tsukiko ne savait pas exactement ce qui se passait dans la vie du Yamada et de la Ketsueki mais préférait ne pas trop s’éterniser. Etre chef du Kakumeigun, ou encore son intendante, devait mettre les nerfs à rude épreuve au quotidien, sans parler d’une vie privée assez chaotique – un en rupture et une malade. Elle n’avait pas idée de penser à « mal », même si elle avait perçu un ton bien trop « doux » chez Yami.

- Je transmettrai … ce qu’il faut, se contenta-t-elle de dire, tantôt triste à l’idée d’avoir à faire face à des pierres ou des lieux tristes et froids, tantôt heureuse à l’idée de revoir peut-être une ou deux figures familières. S’il en restait…

Elle ne voulait pas préciser davantage la destination de son voyage. D’une part parce qu’elle souhaitait rencontrer en « paix » son cousin déserteur, et d’autre part parce qu’elle ne savait pas exactement où elle se rendra et la façon dont elle se rendra. Elle était un tantinet craintive, malgré qu’elle soit sûre et certaine au fond d’elle que sa fidélité était totalement acquise tant par Kioshi que par son clan. Elle pouvait les haïr, elle pouvait être rejetée, mais dans le fond, elle était une Kawaguchi, a été nourri et logé, et « plus ou moins » éduquée, sans parler que son père y était. Aussi stupide et lâche soit-il. Cela restait sa famille. Qu’elle le veuille ou non. Des pensées et des principes qui revenaient en force au fur et à mesure que le temps passait et qu’elle récupérait la maîtrise de ses sentiments ou de son propre corps, sous-entend le chakra.

Elle sourit devant le sous-entendu mal approprié de son professeur.

- Je n’ai pas dansé depuis des mois, dit-elle. Mais d’autres filles sont là, et dansent sublimement.

L’idée de voir Kioshi là ne lui plaisait guère – parce que, théoriquement, il était en couple – mais elle n’était ni sa mère ni sa copine, elle n’avait pas à décider pour lui. Voilà quelque chose de nouveau qu’elle avait compris : elle pouvait réprimander, critiquer, il fera ce qu’il voudra. Comme elle fera ce qu’elle voulait elle-même.

Son sourire disparut pour un air un tantinet plus grave.

- Je serais là dans un mois oui, à siroter un air avec vous si, entre temps durant mon voyage, je ne finis dans une quelconque geôle d’un village shinobi, à me faire violer par quelques criminels après avoir subi une belle torture pour quelques informations …

Elle le fixa cette fois-ci.

- Etait-ce ... nécessaire ?

Il a dû comprendre à quel cas la demoiselle se referait.

Tsukiko ne comprenait définitivement pas les hommes. A ses yeux, pourquoi un être ayant déjà trompé une ou deux fois celle qu’il prétendait aimer ne s’intéresserait-il qu’à une ou deux femmes précises et non à plusieurs ? A l’image de plusieurs nomades du désert, chercherait-il à construire son propre harem de femmes fidèles, dociles et adorables, serviables et totalement désireuses ? Elle préférait seulement soupirer, préférant ne pas trop chercher loin. Elle ne le ferait plus, comme ne plus être totalement seule-à-seule avec.

De toute façon, le sujet était plus intéressant que la psychologique de l’homme lorsqu’elle vit les traits de Kioshi s’endurcir. Aussitôt après, il affirmait qu’il n’avait nullement ordonné d’être violée, et qu’il n’avait guère eu d’autre solution. La blonde ne répondit pas immédiatement, observant attentivement le Yamada. Finalement elle releva sa tête en la secouant négativement.

- Evidemment. Qui aurait pensé qu’elle serait violée n’est-ce pas ? Je veux dire, ce n’est pas comme si on avait mis une merveilleuse et désirable jeune femme au milieu d’un bande de criminels n’ayant pas vu une seule femme depuis des lustres, répondit-elle d’un ton faussement détaché dans un premier temps, se retenant royalement d’utiliser un langage un tantinet plus vulgaire.

Etrangement, plus les jours passaient, plus les événements s’enchaînaient, et plus ses vieilles habitudes refaisaient surface … Comme quoi, le naturel reviendrait toujours au galop. Elle ne sera jamais, ô grand jamais, la parfaite Shinobi ou parfaite représentante de son glorieux clan. Dans le fond, elle restait cette gosse des rues, soit une petite demoiselle non polie et rude.

- Demandez à un gosse de rue ce qui arrive à l’agneau au milieu de loups affamés. Comme vous, ils répondront sûrement que l’agneau est adoré et vivant, et à peine mangé tout cru et de la pire manière …

Elle se tut, laissant échapper quelques secondes, laissant éventuellement le droit à son maître de se défendre. Cependant, elle n’écoutait. Elle profita de chaque silence pour placer ses propres paroles.

- Vous êtes un grand illusionniste, un excellent senseur mais également un bon médecin. Allez-vous me dire qu’avec toutes ces capacités vous n’avez pas trouvé mieux qu’une telle torture suivie d’un viol ? Vous dîtes que ce n’est pas votre faute mais … Vous n’êtes pas stupides ! Vous auriez dû savoir ce qu’il adviendra. Un homme aimant n’est en rien retenu de décharger ailleurs, alors imaginez des criminels totalement … chargés, dit-elle énervée, ne s’étant pas pu empêcher de lancer une pique à Kioshi.

Elle baissa d’un ton, soupira longuement, pour aussitôt reprendre d’un ton calme.

- Vous auriez pu la manipuler. Prétendre lui avoir fait un sérum de vérité en montrant que vous êtes médecin, en rendant cela plausible avec votre genjutsu et en analysant attentivement chaque mensonge ou cachotterie avec la sensorialité. Vous auriez pu lui insuffler une grande, très grande sympathie ou amour avec ce même genjutsu … Vous êtes un ninja imaginatif alors ne me dîtes pas, une seule seconde, que vous n’aviez pas le choix.

Elle réfléchissait encore, et à contre-cœur continua.

- Je ne suis pas stupide. Ces choses-là arrivent … Mais était-ce nécessaire de détruire toute dignité pour un acte qu’elle n’a même pas encore commis ? Ne pensez-vous pas que d’autres moyens étaient plausibles ? Une vieille dame a pu me soumettre à sa totale volonté en seulement vingt jours. Beaucoup de solitude, quelques illusions, et le tour était joué, lâcha-t-elle d’une voix plus ou moins brisée. . Koken Hasu n’aurait pas tenu trois jours ou même une semaine… Elle est à peine consciente de la notion de douleurs ou de pertes ou de conflits. Une vraie petite poupée de porcelaine sortant de son monde de princesse, lâchée en pleine nature sauvage et impitoyable. Et … Je ne comprends ce que vous avez fait.

Normalement, Hasu n’aurait pas dû être vivante, ni vivre de manière aussi confortable au sein de Suna.

- Pourquoi est-elle toujours en vie ? Les espions et traîtres, après un interrogatoire fort ou doux, étaient tués. Vous avez tenté de la briser, mais vous ne l’avez pas fait. Vous avez tenté de faire de sa vie un enfer, mais vous n’êtes pas jusqu’au bout …. Vous lui offrez un toit, des amis, tant de choses parfait pour qu’elle se reconstruise, devienne plus forte et décidée. Pour qu’elle devienne un vrai danger. Aussi surveillée soit-elle … ce n’est pas ce qui se fait. Hormis si vous souhaitez l’utiliser. Je suis ici aujourd’hui car cette vieille femme a bien voulu me laisser la vie sauve. J’étais à sa merci, j’étais seule, j’étais faible, presque détruite voire totalement détruite … Son but était tout simplement de tout détruire pour reconstruire, comme elle souhaitait. Est-ce aussi votre but ?

Pourquoi Koken Hasü vivait encore ? Pourquoi vivait-elle dans les quartiers civils, là où elle pourrait divulguer à tous et à toutes que les jolies Shinobis avaient deux ou trois penchants sadiques ? Pourquoi était-elle dans un lieu si paisible … Si propice à une meilleure construction de sa personnalité ?

- Va-t-elle Servir Suna ? Si oui, alors exprimez de quelle manière car elle semble tout … sauf volontaire pour nous aider. Ou est-ce juste un moyen de racheter votre conscience ? Si c’est la conscience qui prêche, maître Kioshi, confiez ce travail à un autre. Ne pensez pas à moi. J’ai … vécu plus ou moins ce truc. Je peux pas le refaire sur un autre , dit-elle amèrement, avalant cul-de-sec son verre, le considérant un brin trop léger.

Entre temps, le barman s’était écarté, n’hésitant pas à inviter tous clients à s’asseoir loin du duo. Ils parlaient librement. C’était le terrain de jeu de Tsukiko, plus que jamais.

- Je ne suis pas là pour vous accuser, mais pour comprendre. Car voilà l’ennui … Cette attitude ne colle pas à vous et ce que vous avez fait ne colle pas du tout avec ce qui aurait dû être fait. Voilà ma vraie problématique : allez-vous accepter une situation et la mener à bout, ou alors laissez votre personnalité s’interposer entre vous et la tâche. La vraie bêtise que je crains est là : allez-vous continuer à vous investir personnellement dans une tâche qui n’est pas faite pour votre nature ? Allez-vous vous détruire pour des gens qui n’en valent pas la peine … car Elle en valait pas la peine.

Il faisait un brin trop chaud au fur et à mesure qu’il parlait et les paroles coulaient tel un flot furieux, ne confortant que davantage Tsukiko dans son idée que plus que jamais, Kioshi avait été la plus grande illusion de son existence. Elle ne disait rien, gardant la tête haute, ignorant royalement le barman qui ouvrait grand les yeux devant les propos de plus en plus agressifs du « client ».

« Le plus grand illusionniste … » conclut-elle, en fixant tristement le blond. Ainsi donc les bras réconfortantes, les douces paroles ou encore ce tendre regard … Ils appartenaient qu’à un Shinobi lambda aux mains plein de sang et à la vision tout aussi limitée de l’humanité. Il n’était qu’un homme parmi tant d’autre, et absolument pas un homme « exceptionnel » ou « différent ». Oui, il pouvait dire qu’il n’avait pas voulu ou encore qu’il n’était fier mais quelle importance quand l’acte avait été fait ?

« Tout le monde dit ça. Jamais … de notre faute. Toujours celle de l’autre ».

Le coup de grâce fut donné lorsqu’il disait qu’elle ne comprenait pas, bâtarde qu’elle était. Une telle affirmation attisa une colère intense au fin fond de son cœur. Comment pouvait-il réellement savoir ce qu’était être une bâtarde ? Avait-il traîné d’une zone de conflit à une autre dès la naissance ? Avait-il été un gosse de rue abandonné et dénigré de tous ? Avait-il eu à tout plaquer pour un parfait inconnu, se matérialisant sous les traits de « l’ennemi » ? Hormis connaître un foyer chaleureux, des amis chaleureux … avait-il eu une seule difficulté avant d’être Shinobi ?

« Je suis habituée … Et Guna ne m’a qu’habituer davantage » se rendit-elle compte. Certes, on pouvait la trouver timbrée ou folle mais toujours est-il qu’elle était consciente de certaines choses, que si elle le faisait, elle n’en serait pas morte de honte ou rongée par le remord. Illusion ou réalité, elle se sentait bien plus forte que Kioshi. Ce dernier ne tarda pas à quitter le lieu, comme fuyant une situation ou une vérité. Une attitude que Tsukiko n’avait cessé d’avoir recours toute son existence.

Soupirant, elle suivit Kioshi et finit par hurler au milieu de la rue.

- Tu as raison ! Je ne sais pas ! Mes ennemis ont été toujours uniques et connus, et jamais multiples et cachés. J’ai toujours été dans un conflit ouvert … Pas caché. Je n’avais pas vu cette vision-là … Si tu dis que cela était nécessaire, pour le bien de Suna, je te crois. Tu es mieux placé que moi après tout.

Et elle profita d’un court arrêt de Kioshi pour réduire la distance.

- Je l’ai déjà dit à Yami. Et je te le dis. Tu es le second de Suna, tu es un des dirigeants. Il faut un humain pour diriger une société d’hommes et de femmes … Pas un monstre. N’hésites pas à recourir à nos monstres pour certaines tâches, lui souffle-t-elle à l’oreille.

Elle s’éloigna un tantinet et le regarda droit dans les yeux.

- Je suis loin de la réalité, je suppose. Dans un mois, lorsque nous apprécierons un verre ici-même, peut-être serais-je plus réaliste … Passez une bonne soirée maître Kioshi. J’ai du travail, conclut-elle en l’abandonnant là.

Elle abandonnait pour deux raisons des plus simples. Elle était déçue de voir qui était vraiment Kioshi, et elle était tout bonnement inapte à prétendre qu’elle oubliera tout ça en se montrant affectueux et amical.

Un regard vers le ciel étoile, elle abandonna cette vue pour celle colorée et bruyante de sa boîte de nuit. Sans tarder, elle supervisait les serveurs, elle vérifiait du talent des danseuses, elle surveillait le protocole de « secret professionnel », accueillait les clients les plus importants, gérait d’éventuels problèmes … Elle était dans un autre monde. Loin de la réalité du monde Shinobi.

« Effectivement, je me sens bien mieux de savoir qu’on torture et qu’on viole des gens » pensa-t-elle ironiquement lorsque Kioshi était revenu à la charge, plaidant son innocence dans cette affaire en avançant des arguments qui se voulaient louables. Au lieu de calmer le feu de colère en Tsukiko, il ne faisait que l’attiser. Le fait « de créer » sa propre équipe était tout simplement la cerise sur le gâteau.

- VOUS …

Elle se tut aussitôt, se rendant compte qu’hausser le ton risqué de déranger les clients aux alentours. Elle inspira longuement, se calma tant qu’elle put, et releva la tête plus ou moins fièrement pour offrir un air faussement serein – profession oblige.

« Vous savez mieux que quiconque que je suis inapte à prendre une équipe sous mon élève, surtout que je vais partir pour un voyage à la durée indéterminée. Je n’ai ni le temps de traîner à Suna, ni la volonté de perdre d’autres Shinobis durant ce voyage. Je n’ai pas encore fini le deuil de mon ami, ou encore de la moitié des civils massacrés par Kyoshi Rei ».

Tsukiko avait préféré utiliser ses talents d’illusionniste et de télépathe afin de pouvoir « parler » et « s’exprimer » librement tout en virevoltant dans la pièce pour reprendre tels employés ou pour calmer tels clients un tantinet grincheux ou encore pour faire signe aux artistes de changer de rythme de musique. Deux choses opposées mais qui se devaient être de gérer en même temps.

« Nous attisons la haine et la colère de nos ennemis avec ces pratiques. Et, le pire, au lieu de nettoyer nos ruelles, on cherche la bête ailleurs. Notre vrai ennemi n’est pas une petite rousse sachant à peine mentir, et qui s’est fait avoir dès le début comme une gamine, mais des personnes, un groupuscule, caché et ne cessant de comploter. Je me demande à quand la prochaine mort de nos civils et dirigeants Maître Kioshi » finit-elle par dire rageusement.

Il avait raison. Elle avait raison. Voilà l’impasse.

Il fallait craindre l’ennemi externe mais ces derniers restaient à une distance raisonnable de Suna dû à cette attention constante. Cependant, à mobiliser toutes les forces à prévenir l’étranger, c’était au sein des rangs que la vermine s’étendait. La Kawaguchi était persuadée que le prochain attentat prendrait du temps … Elle sera fortement surprise lorsque dans environ un mois, Habashi Zanshi ne sera plus, tuée par une seule balle en plein cérémonie.

« Je n’arriverai pas à partager votre point de vue ce soir, ni demain. A mon sens, c’est en raison de ce genre de pratiques que nous construisons nos propres monstres et ennemis. Mais, en parallèle, c’est nécessaire pour les déterrer n’est-ce pas ? Un sacré cercle vicieux … Que j’accepterai peut-être durant ce voyage ».

Un peut-être prononcé avec très peu de conviction. Il faut dire que la soirée n’était guère propice. Elle pensait pouvoir comprendre l’acte de Kioshi et lui montrer peut-être son erreur, mais rien de tout cela n’avait eu lieu. Comme Yami, il justifiait ses actes sous des nobles excuses. Comme tout le monde, et même si c’était sous le coup de la colère, il avait soulevé l’épineux sujet de sa Bâtardise.

« Et vous avez raison. Je suis une bâtarde. Je n’ai pas votre amour et fidélité du Pays du Vent» dit-elle avec ironie et dégoût. Certes, elle n’était pas née ici mais elle n’avait cessé de faire des efforts pour. L’initiation pour les défenses de Suna ? C’était elle. Le projet de développement économique et technologique de Suna ? C’était elle, également. Elle aidait, à sa façon, Suna et Kaze, en travers d’actes non violentes. Elle était une pitoyable Shinobi en terme de compétences et de combats, mais elle était tout de même déterminée et inventive.

« Nous sommes dans un lieu de divertissement pour les rares civils survivants. Evitez, arrêtez, de jouer avec la température. Maîtrisez-vous, tempérez-vous » dit-elle. « J’ai du travail. Et je souhaite réfléchir seule, maître Kioshi. Je reviendrai dans un mois pour boire ce fameux verre, et je vous dirai si j’ai changé ou pas de pensées ».

Si rien ne lui arrivait entre temps.

« Si rien ne se passe, je serais là » promit-elle.

Non, ce soir, elle ne souhaitait ni câlin, ni parole douce, ni injures, ni colère… elle souhaitait préparer ce départ. Et profiter de cet éloignement pour réfléchir à plusieurs choses.