Les journées s’écoulaient au sein du village mais elles n’étaient guère paisibles ou joyeuses. Chaque jour n’était qu’une répétition de l’autre soit une cérémonie funèbre pour chaque nouveau « lot » de morts enterrés sous le sable épais du désert où hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux sans distinction pleurer d’une même peine. Les bâtiments avaient été plus ou moins épargnés, ce qui épargnait – malheureusement – aux Shinobis l’opportunité de penser à autre chose. Malheureusement, personne n’avait été épargné par les pertes.

Pour sa part … Les pertes avaient été nombreuses.

Tout d’abord, Elle avait perdu un compagnon d’armes : Saibogu Oniri, une jeune femme qu’elle avait déjà côtoyé une ou deux fois et qu’elle avait grandement appréciée. Ketsueki Yami, qui avait été sa plus grande amie, avait été effondré par cette nouvelle.

Ensuite, elle avait perdu son « village ». Certes, les bâtiments étaient toujours debout et il y avait encore une large propension de survivants … Mais malgré tout, d’une certaine façon, Kysohi Rei avait détruit le village dans le cœur de plus d’un. Dont celui de Tsukiko. A ses yeux, cet endroit était sa deuxième chance, son ultime chance, pour rêver et espérer d’un lieu sécurisé et en paix. Elle avait tant, et tant œuvré pour aboutir à un tel … rêve. Malheureusement, tout cela avait été réduit à néant.

Enfin, il y avait « lui », un moine allongé dans un lit d’hôpital, tantôt plongé dans un profond sommeil, tantôt secoué d’étranges spasmes. Les médecins avaient été clairs : le coup porté avait été trop près du cœur et malgré tous les soins apportés, ce n’était pas certains qu’il survive. Le cœur malmenait pourrait lâcher à tout instant, s’il le décidait. Tsukiko ne pouvait donc s’empêcher d’épier avec anxiété ces signes vitaux, craignant qu’à tout instant, un long et mortel régulier signal n’annonce la visite de la Mort encore. Pleurait-elle ? Non. Elle n’y arrivait pas, ne s’octroyant pas ce luxe. Elle avait l’impression qu’en pleurant, c’était comme si elle l’enterrait. Par contre, elle lui parlait malgré tout. Parlait-elle ? Non, elle était tout simplement incapable de trouver des sujets de conversation joyeux alors que le village était dans un profond deuil.

Par contre, elle ne restait pas sans rien faire. Elle réfléchissait. A tout. A son passé, à son présent, à son futur. A sa propre vie, à celle de ses amis ou encore à celle du monde. De temps à autre, elle avait un dossier ou deux sur les genoux, plongée dans une lecture « intéressante » des derniers interrogatoires de Suna. Il était étonnant de voir à quel point certains interrogatoires inhumains, voire totalement biaisés avaient été accepté. Pourquoi un tel intérêt ? Elle avait tout simplement repensé aux révélations de Rei. Et maintenant, elle voulait savoir. Enfin elle était preneuse de toute activité l’empêcher de se plonger dans une profonde dépression, et tristesse. Elle acceptait tout ce qui pouvait l’empêcher de penser à tout ce qu’elle avait perdu. Ou failli perdre. A cette petite pensée, elle lança un autre regard à Howaito. Il dormait toujours.

Et puis entre deux lectures, elle s’assoupissait. Malheureusement, elle se réveillait constamment en sursaut, dérangée par le bruit du couloir ou par un mauvais cauchemar, comme la « certitude » d’entendre le long bip sonore. Pourtant, un jour, ce n’était ni l’un ni l’autre qui l’avait interrompu dans son sommeil agité et peu réparateur, mais un bruit bien plus différent. Un son qu’elle avait attendu d’entendre avidement. Un signal moins régulier et lent, plus rapide. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, pour une énième de fois depuis l’attaque de Rei, elle vit le moine … éveillé.

Elle laissa tomber tous les dossiers, pour enlacer cet homme éveillé avec une grande force, oubliant royalement de prévenir les médecins ou les infirmiers pour s’assurer de la stabilité de son état. Finalement, lorsqu’elle sentit le cœur battant de vie du moine, elle accepta de s’en séparer, pour finalement se mettre à genoux, poser ses coudes sur le rebord du lit et plonger son visage entre les mains.

Et, enfin, Kawaguchi Tsukiko put pleurer. Ce n’était guère des larmes discrètes et élégantes. Non, c’était un sanglot la secouant de tout part, défigurant tout son visage, la bouche récoltant tantôt ses larmes, tantôt un nez coulant. Elle pleurait de joie, car elle n’aurait pas à enterrer un ami chère – car il l’était, il avait bravé ses principes pour la prévenir, et sauver Suna, un lieu qu’elle avait espéré faire un lieu de paix, un lieu de rêve. Cependant, elle pleurait également sa tristesse d’avoir perdu, encore, un autre rêve. Elle pleurait également pour tous les morts … allant des morts remontant à la Grande Guerre jusqu’à ceux des mains de Rei.

Sa mère, son grand-père, sa grand-mère, Akuzu Shinji, Saibogu Oniri … et tant d’autres à venir. C’était, enfin, son tour de pleurer ses morts comme ses vivants ayant survécus.

Le corps médical arriva sans tarder, écartant Tsukiko et vérifiant l’état du moine. Le diagnostic était sans appel.

- Vous êtes un vrai dur, annonça le médecin. Vous vous rétablirez sans tarder, avec beaucoup de repos.

Il s’approcha de Tsukiko, tendant un mouchoir, tapotant l’épaule, rassurant en répétant une seconde fois que son ami était sorti d’affaires, et non mort. Et ils sortirent. Howaito allait-il s’assoupir après ces quelques minutes de réveil ? Ou restera-t-il éveillé ? Quant à Tsukiko, son flot de larmes ne s’était pas encore calmé.

- Merci ... pour tout, finit-elle par dire, entre deux sanglots.

Il était en vie. Mais quelque-chose n’allait pas. Il avait vu Maskine de ses propres yeux, sûrement entre la vie et la mort, et tout s’était rapidement enchaîné. La divinité avait pleuré, et les fracas de la bataille contre Kyoshi Rei revinrent peupler les alentours. La lumière fut mangée par la noirceur des pupilles fermées du moine. Dès que Maskine avait pleuré, Howaito avait été ramené à la vie.

Bien sûre, Ketsueki Yami avait été d’un grand secours, et avait permis au Gekei de ne pas souffrir davantage. Mais il avait retrouvé la conscience et la vie avant qu’elle n’arrive. Etait-ce un miracle ? Howaito ne voulait pas l’accepter. Les miracles n’existaient pas. Et jamais il n’avait été un réel religieux. Il s’était servi des moines de Ta no Kuni pour sa vengeance, et y était resté pour donner une nouvelle vie à son frère. Il aimait cette façon de vivre, cette religion, mais il n’y avait jamais cru. Alors pourquoi le faire aujourd’hui ?

Ses blessures ne lui firent quasiment aucun mal, même lorsque Kawaguchi Tsukiko lui « sauta » dessus. Elle était là, et en vie. Tant mieux. Kyoshi Rei avait été tué, ce qui ajoutait une bonne nouvelle. Il laissa la jeune femme pleurer et laissa le médecin se retirer sans dire un mot.

Au moins, il avait trouvé un semblant de solution pour pallier aux villages shinobis et au système, mais il n’avait pas encore besoin d’y réfléchir en profondeur. Pour l’instant, il avait envie de la voir. Tsukiko…

« Tu n’as pas à me remercier… Enfin pourquoi pas, j’ai quand même failli y passer ! »

Son rire se transforma rapidement en toux passagère. Mais un rictus avait bel et bien prit possession de son visage. Et la Sunajin n’y était pas étrangère.

« Rei… Il n’a pas pu s’enfuir, pas vrai ? »

Son sceau qu’il lui avait apposé était censé l’empêcher d’utiliser celui qui pouvait le téléporter. Un Fûinjutsu pour bloquer un autre Fûinjutsu… Et il avait profité du contact meurtrier qu’ils avaient eu pour lui placer habilement ce dernier. Et s’il était mort, cela voulait sûrement dire que ça avait fonctionné, mais comment en être sûr ?

« Et toi, comment vas-tu ? Et Daini ? »

Le médecin lui avait préconisé beaucoup de repos, mais savait-il qu’il avait soigné un moine ? Probablement pas, car sinon il saurait qu’Howaito avait déjà quasiment récupéré.

Un rire nerveux s’échappa de sa petite bouche. Il prétendait qu’elle n’avait pas à le remercier. Elle se demandait s’il était sincère, si c’était de la fausse modestie ou était-elle « idiote » de dire merci pour son geste ? Finalement, il se souvint de son « sacrifice » et semblait enclin pour les recevoir. Cela irrita et amusa à la fois Tsukiko, elle ne saurait dire quel sentiment l’emportait sur l’autre.

- Je te remercie au nom des civils encore vivants. Si tu ne nous avais pas prévenus et si tu ne l’avais pas empêché de fuir avec cette mystérieuse femme, il aurait fait bien plus de dégâts avec sa fameuse taupe, et il serait revenu pour remettre sans dessus dessous Suna. Surtout… tuer les civils, termina-t-elle avec un grand dégoût.

Les corps ensanglantés alignés ne cessaient de revenir dans son esprit, les cris et les pleurs des familles résonnaient encore à ses oreilles et l’odeur pestilentielle de la Mort enveloppait certaines ruelles avec force … Certains, c’était elle-même qui avait dû aller l’annoncer aux familles, en demandant à ce qu’elles viennent à la morgue pour identifier à la morgue et ainsi procéder au plus vite à l’enterrement.

Les gens pouvaient reprendre leur existence, mais elle n’était guère certaine de reprendre la sienne. Cela remontait à la surface bien trop de souvenirs du passé et surtout, c’était juste l’échec amer d’n grand projet et d’un grand rêve : un lieu sécurisé où les Civils pourraient vivre en paix. C’était également l’échec d’un but : être une grande Kunoichi.

- Et non, je ne te remercie pour t’être interposée entre Rei et moi, dit-elle en lançant un regard noir à l’attention du moine. Précisément, tu aurais pu y passer. Ne fais plus jamais ça. Je ne veux pas avoir à vivre sur la mort … d’un ami, finit-elle par dire d’une voix cassée.

Elle laissa un court instant le silence planer, s’apprêtant plus ou moins à répondre aux dernières questions du moine. Si elle avait une réponse à la première et à la dernière, la seconde était un tantinet plus compliqué. Elle inspira et expira à nouveau, tentant de trouver un ton de voix plus ou moins posés – quoique peine perdue, tout son être n’exprimait que fatigue.

- Rei n’a pas pu fuir grâce à un sceau. De nous quatre, tu étais le seul à maîtriser l’art des sceaux … Donc, c’était toi.

Elle était à la fois reconnaissante comme effrayée. Jusqu’à quel point cet homme était-il apte à « prévoir » ou à « adapter ». Il se disait être failli y passer, mais toujours est-il qu’il avait été l’un des rares à réellement anticiper le mouvement. Le Vrai Rei avait été sous garde, et pourtant, personne n’avait idée d’appliquer le moindre sceau. A s’appuyer sur la technologie Saibogu, on en oubliait les vrais arts ninjas – et les plus anciens. Ce qui l’amenait à sa frayeur : si un jour, pour certaines raisons, il s’en prenait à Suna, à quel point chaque Shinobi sera son jouet ? Reconnaissance d’avoir sauvé un peuple, Peur d’en être une victime et Emerveillement devant cet esprit, voilà les sentiments qui l’abritaient et qui se renforçaient au fur et à mesure que ses idées se clarifiaient – la Mort disparaissant, ainsi que son ombre de l’esprit de la blonde.

- Je vais … J’aurais voulu dire bien. Je suis heureuse, vraiment, de te revoir sur pied. C'est sûrement la seule bonne nouvelle depuis l'attaque de Rei, dit-elle en affichant un sourire sincère quoique fanée par des traits fatigués, mais très fatiguée. Il y a eu beaucoup de victimes civiles. Il faut les recenser, les enterrer, contacter les familles … Il faut reconstruire certaines défenses, revoir le protocole de défense … tenter de voir s’il y a encore des espions ou taupes parmi nos troupes …

Et elle se tut, ne désirant pas développer davantage ce sujet-là qui lui faisait plus de mal que de bien.

- Daini va bien. Je vais signaler que tu es réveillé. Je crois qu’elle était partie se reposer, répondit-elle à la dernière question. Je vais faire appel à l’une de mes invocations … dont les oreilles ne traînent jamais loin. Ils me suivent où que j'aille, et se cachent où que j'aille jusqu'à ce que je les appelle.

Elle ouvrit la porte et aussitôt un Fennec se faufila d’un pas lent et calme. Toujours avec le même calme, il observa attentivement – et sans sourciller – le Gekei. Oreilles dressées, Museau à l’air et chakra actif, il était prêt à bondir sur cet homme au moindre mensonge ou au moindre geste violent ou menaçant. Ils pouvaient être des invocations, mais ils n’en restaient pas moins encore des animaux des plus sauvages, extrêmement attachés à la notion de « Famille », se montrant des plus impitoyables quand cette dernière était menacée directement ou indirectement.

- Paresse ? Va prévenir…
- Non. Je reste.

Pour une raison inconnue, Tsukiko eut droit à trois invocations la nuit où elle avait signé le pacte. Aucun n’avait donné son vrai prénom, aucun n’avait accepté de combattre, aucun ne donnait la moindre explication sur les allusions quotidiennes à un passé et à une histoire oubliée des Kawaguchi et aucun n’obéissait. Si deux pouvaient être « bernés », celui qui se surnommait « Paresse » était le plus revêche. Enfin, elle pouvait se "plaindre" mais jamais ils ne répondaient absents à ses appels, et ils ne cessaient de traîner leurs oreilles à droite et à gauche pour apporter ce dont la Tsukiko avait besoin pour son travail.

- Pourquoi veiller sur le vivant ? Je sais reconnaître une Bête morte d’une Bête en parfaite santé, dit-il toujours en fixant intensément Howaito. Il n'a plus besoin de toi, annonça-t-il brutalement.

Tsukiko ne put s’empêcher de lancer un regard plus détaillé à l’égard de ce dernier, et ne put ignorer un fait : le moine semblait en excellente forme.

- Il n’a pas tort. Tu sembles … avoir beaucoup récupéré, dit-elle avec les yeux agrandis par l’incrédulité. C’est impossible pourtant, il faut … des mois pour récupérer, sans parler des nombreux soins et examens ou encore des séquelles. C’est … un miracle.

Elle supposait. Elle était heureuse qu’il récupère si vite, mais elle n’en était pas moins perturbée. Avait-elle rêvé ou exagéré le coup de lame de Rei ? Ou alors y avait-il une autre « astuce » qu’elle ignorait ?

Elle était profondément affectée par ce qui s’était passé, et c’était normal. Howaito ne pouvait pas l’enlever de sa mémoire alors qu’il n’était pas de Suna, alors il imaginait avec aisance la difficulté pour la kunoïchi à faire la part des choses. Encore une fois, elle allait devoir affronter un évènement douloureux. Si le moine regrettait fortement qu’elle doive combattre une difficulté, il n’avait néanmoins aucun remord sur la façon dont ça s’était déroulé : au moins, il avait réussi à la protéger de la mort.

Mais ce dont elle ne se rendait probablement pas compte, c’était de comment ses remerciements pouvaient affecter l’ancien maître Kiezan. Il savait qu’elle disait ça de façon courtoise, et sûrement qu’elle le pensait, mais…

« Tu me surestimes un peu… Je n’ai pas venu le coup de la taupe venir ou j’aurais du m’en apercevoir avant. Quant au sceau qui l’a empêché de se téléporter, je n’ai aucun mérite : je l’avais déjà vu utilisé cette technique. »

Sur presque toute la ligne, Kyoshi Rei l’avait remporté. Néanmoins, il avait perdu à la fin, non pas à cause de sa mort mais de ce qu’avait justement souligné la jeune femme : il avait tué des innocents. Son désir de vengeance l’avait-il aveuglé ? Quelque-part, le « faux-ami » de celui qui avait été l’Homme Masqué regrettait presque qu’il eut ce dernier moment de doute. Il aurait préféré voir mourir un homme sans un changement de convictions ou d’actes.

Il ne fit pas trop attention à la créature que la Kawaguchi avait invoquée, et se contenta de l’écouter tout en regardant ses bandages. Deux doigts filèrent caresser la plaie, de plus en plus intensément, jusqu’à ce qu’il ne ressente qu’une gêne plus ou moins prononcée. Il avait miraculeusement bien récupéré… Oui et non. C’était plus sa survie qui tenait du divin.

« Nous les moines de Maskine avons un corps extrêmement endurant et qui récupère facilement, sans compter que les soins de Ketsueki Yami ont été très utiles. Mais ce qui tient au miracle c’est le fait que je ne sois pas mort. »

Sa tête et son corps se redressèrent un peu, jusqu’à ce qu’il puisse se tourner et poser doucement les pieds au sol. La position assise lui fit un bien considérable. Il soupira, et regarda enfin la petite créature qui s’était joint à la conversation.

« Tu te trompes, j’ai besoin d’elle. »

Ses yeux fixèrent intensément ceux de la Sunajin. Il ne fallait pas perdre de temps. Un semblant de solution commençait à naître.

« Viens avec moi. Qu’importe les projets que tu peux avoir, tu pourras les accomplir avec moi. Habashi Zanshi autorisera bien cela, avec ce que nous avons fait pour ton village. C’est ma dernière chance de te faire accepter, car je partirai de Suna dès que possible. »

Etait-ce de la fausse modestie ou ne se rendait-il pas compte de l’aide qu’il avait apporté à Suna ? Kyoshi Rei aurait pu tuer davantage de Civils et de Shinobis, et n’ajouter que davantage de victimes à annoncer à des familles entières ou à des enfants se retrouvant soudainement orphelins. Ce dernier état, elle l’avait assez connu pour en connaître toutes les conséquences qui allaient en découler.

- Tu as beaucoup fait … marmonnait-elle à l’égard de cet homme. Alors que tu aurais pu ne rien dire.

Effectivement, au vu des révélations de Rei au sujet du frère d’Howaito, ce dernier n’avait aucun intérêt – absolument – aucun à aider un village qui avait tué légitimement ou non sa seule famille restante. Elle ne le blâmait guère et ne pouvait que le comprendre. Si on s’en prenait à Kohei, son cousin qui était davantage un frère qu’un simple cousin, elle haïra cette personne toute sa vie et tout ce qui la touchait.

Elle ne pouvait s’empêcher de blanchir ou encore de fuir le regard du moine lorsqu’il disait qu’être vivant tenait actuellement du miracle. Un profond sentiment de culpabilité remontait à la surface. Oui, elle se sentait coupable de ne pas avoir été « utile » et d’avoir mis en danger la vie de ses alliés. Chacun devait avoir son rôle sur un champ de bataille … et il serait temps qu’elle choisisse la sienne.

- Tu es vivant … c’est le plus important , dit-elle, dans un ton incertain, ne sachant pas s’il fallait remercier ou s’excuser à une telle situation ou se taire.

Elle pensait que la discussion à ce sujet serait close et que, pour une fois et première fois, ils ne parleront du beau temps et du sable mais que nenni. La discussion prit un tournant des plus inattendus, décomposant le visage déjà bien fatigué et las de Tsukiko. La réponse dont il gratifia à son invocation ne lui plut que … moyennement.

- Partir ? demanda-t-elle, les yeux agrandis par la surprise.

Et elle ne disait plus rien, fixant intensément cet homme, tentant de comprendre ses intentions. Elle aurait voulu être naïve et croire qu’il ne l’invitait que pour quelques jours ou semaines hors des murs de Suna. Malheureusement, ou heureusement, elle ne l’était pas et savait que « Venir » semblait plus porter la parure de « l’adieu ».

Ironie du sort ou non, il y a un mois, elle lui aurait tout simplement répliqué que sa place était à Suna même et nulle part autre. Cependant, suite aux derniers événements – la mort de Shinji, l’attaque de Rei ou encore ses dernières révélations vis-à-vis du clan et de sa famille – les choses n’étaient plus aussi claires et tranchées dans son esprit. A bien réfléchir, tout ce qui la retenait concrètement à Suna était Yamada Kioshi, Kibo et son père. Personne, ni rien d’autre.

La place de conseillère ? Régner sur des esprits traîtres et destructeurs ne l’intéressaient guère plus. Les projets de civils ? Hormis détruire à leur tour, ils ne serviraient peut-être à rien. Oui, localiser pour tuer, tourelles pour tuer … Elle qui voulait « aider », elle s’était enlisée dans un cercle infernal et s’était mise à inciter à des instruments de mort. Plus que jamais, sa condition de ninja lui pesait et plus que jamais, elle n’aspirait qu’à une « retraite », temporaire ou définitive.

Chef de clan Kawaguchi ? A nouveau, régner sur des esprits destructeurs ne l'intéressaient guère. Avant de venir à Suna, elle avait toujours eu une idée bien plus différente de ses talents de manieuse de sable, orienter davantage vers l'utilité et la construction plutôt que vers la mort et la destruction. Sans parler qu'elle n'appréciait pas forcément tous les membres. La seule chose qui pourrait la motiver serait d'en changer les esprits mais cela exiger de rester longtemps sur Suna. Et cette dernière perspective ... ne lui plaisait pas. Elle ne désirait pas "pourrir" ici et perdre toute lucidité et humanité.

Mais à nouveau, les seuls trois hommes qui l’importaient la retenaient de prendre cette décision. Cependant … plus les jours passaient, plus elle voyait Suna, et plus elle était confortée dans son idée « d’abandonner », d’arrêter de se battre inutilement pour une cause perdue.

- Depuis que je suis une Kunoichi, lorsqu’on dit qu’on a besoin de moi, c’est souvent pour mes talents de Shinobi. As-tu besoin d’une arme ? demanda-t-elle avec une certaine ironie. Je m’excuse … Je ne voulais pas dire ça. Je … Je suis juste fatiguée de me battre pour rien, lâcha-t-elle.

Elle ferma les yeux un court instant pour les rouvrir, fixant le moine, se demandant ce qu’il avait en tête « exactement ».

- Pour aller où et pour faire quoi ? demanda-t-elle calmement, plus ou moins curieuse. Et pourquoi moi ?

Et elle se tut, attendant sa réponse.

Howaito ne s’attendait ni à un « oui » ni à un « non » et c’était bien ce qu’il obtint, mais pourtant il avait un étrange sentiment. Il voyait bien que la jeune femme réfléchissait plus que d’habitude, elle qui pourtant avait toujours eu du mal à se faire des idées claires au vu de tous les évènements qui avaient ponctué sa vie. S’il espérait fortement qu’elle vienne à accepter sa proposition, il espérait que cette dernière n’avait pas eu d’autres choses depuis à affronter : mort d’un proche, mission délicate, sentiments difficiles… Mais ainsi allait la vie, et celle des shinobis était encore moins facile.

Une arme, voilà un sentiment légitime, et il allait dans le sens d’Howaito. Ce dernier ne put s’empêcher d’esquisser un sourire, et de lever doucement la main pour lui faire comprendre qu’il lui pardonnait ses quelques écarts de parole. Il la comprenait, plus que la plupart de ses coéquipiers et il en était persuadé.

« Tu as sans doute entendu ce que Kyoshi Rei avait dit, et de toute façon je ne vois pas pourquoi je devrais te le cacher : j’avais un frère. J’ai mis tant de temps pour le retrouver et lui offrir une vie de paix au sein des moines. Mais Suna me l’a enlevé. »

Les draps se plissèrent. A l’origine, les mains du Gekei crispées. Ses yeux se levèrent lentement vers le plafond. Ces souvenirs n’étaient pas plaisants.

« Tu sais que le Kakumeigun a mis longtemps pour fonder cette cité, et nombreux étaient les ennemis d’un tel projet. Des terroristes qui ont mené des attaques ciblées pour empêcher la construction de Suna, il y en a eu. Et mon frère avait été envoyé par les Kiezan pour aider à la prière d’un membre d’une famille ennemie à Suna. Mais ce dernier cherchait justement à se détacher de ceux qu’il considérait lui-même comme des terroristes. Il souhaitait simplement vivre une vie paisible et profiter de la fin de la Grande Guerre. »

Cet évènement n’avait au fond été que le seul lien entre le moine et l’Homme Masqué. C’est sur ça qu’ils s’étaient rencontrés et avaient échangé à plusieurs reprises. Des fois, Howaito se demandait comment serait devenue sa vie s’il n’avait pas appris ce qui était arrivé à son cadet ?

« Mais voilà, Suna dans sa volonté légitime de se protéger, s’est mis à chasser ses ennemis et ont pris mon frère comme une cible à interroger et enfermer. C’était une erreur, mais leurs lois dépassaient les autres. Mon cadet s’est suicidé, alors que j’enchaînais les tentatives pour avoir des preuves ou même des raisons de son emprisonnement. Je n’ai rien eu, hormis une information incomplète. Les jours passant, la peine a failli me faire croire à sa culpabilité. Mais Kyoshi Rei m’a cherché, et m’a raconté la vérité. J’ai, grâce à lui, pu rencontrer l’homme que mon frère avait aidé et dès lors j’ai pu savoir la vérité. »

Il poussa un long soupir. L’ennemi public numéro un avait changé sa vie. Mais il se réconfortait de se dire qu’à l’époque les desseins de son interlocuteur lui avaient été inconnus.

« Je n’ai pas envie de détruire Suna, tu l’as bien vu. Je pense qu’il y a du bon dans le système shinobi, sincèrement. Mais il y a également du mauvais. Les lois ne devraient pas être différentes d’un pays à l’autre. Les shinobis ne devraient pas être de simples « armes » lorsqu’on leur fait croire des mensonges. »

Fébrilement, il se leva. Ses jambes tremblaient, mais il tenait de bout. Ses bras se décollèrent un peu de son corps, tandis qu’il fit un pas. Sa blessure le gênait toujours, mais il sentait que l’amélioration continuait.

« Je n’ai aucun désir de destruction, et si ma volonté de vengeance est réelle, je sais la mettre à profit, comme je l’ai fit ici. Je veux et je vais changer le système. Mais pour commencer, je dois régler quelque-chose chez mes anciens « frères ». Si en m’accompagnant tu veux m’aider, ça sera avec plaisir, mais même si tu veux m’accompagner mais ne pas t’en mêler, ça ne me dérangera absolument pas. »

Il se retourna doucement vers la jeune femme, deux pas lui suffirent à se rapprocher d’elle. Leurs yeux étaient séparés par moins d’un mètre.

« Je ne saurai définir notre relation, mais je ne veux pas d’une arme. Je te veux à mes côtés parce que, malgré l’importance de mes prochaines actions, je ne veux pas finir comme celui que nous avons combattu. Je veux rester droit, digne et faire ce dont – au fond – nous désirons tous les deux : humaniser le monde. »

Sa main s’emporta vers la joue de la blonde. Elle ne tremblait pas.

« Si la soif de vengeance m’aveugle, je veux que tu sois mes yeux. Si je ne deviens qu’une arme, je veux que tu me manies. Je sais que je peux arriver à changer les choses, car je sais que seul je ne suis rien. J’ai besoin de toi. Ensemble, nous pouvons y arriver. »

Tsukiko écoutait silencieusement l’histoire du frère d’Howaito, de son infortune comme de son trépas. A plusieurs reprises, elle avait baissé son regard jusqu’à la pointe de ses pieds, les joues légèrement rosies par la honte des erreurs de ses « aînés ». Qui blâmer dans l’affaire ? Un village qui désirait protéger ses habitants en asseyant son autorité ou alors la famille de la victime qui avait laissé voguer un jeune homme dans le monde Shinobi ? Ni l’un ni l’autre. L’un aurait dû interroger proprement et humainement, accepter son erreur, et l’autre n’avait pas à avoir peur de se balader sur les terres où il était né ou se rendre là où il pouvait aider.

Quant à Howaito, qu’il haïsse Suna n’était que compréhensible car elle-même aurait réagi ainsi. Perdre un membre de sa famille qu’on avait mis tant et tant de temps, voire d’efforts, pour retrouver, était un vrai coup de théâtre, un drôle de blague du destin, n’apportant que davantage de déception, tristesse et frustration. Cependant, cela ne réveillait que davantage sa suspicion – comme sa curiosité. Elle ne connaissait rien de lui. Absolument rien.

Elle continuait à l’écouter, tendant davantage l’oreille au fur et à mesure qu’il « semblait » dévoiler ses intentions. Il disait ne pas vouloir détruire mais changer un système avec de grands défauts. Il disait également ne pas vouloir du mal à Suna, mais – paradoxe ou non – qu’il saurait à mettre à profit ce désir de vengeance pour différents projets. Ou un projet, elle ne saurait dire exactement.

Et il finit par parler de leur étrange relation. Il disait ne pas vouloir d’une arme mais d’une « conseillère ». Elle ne put s’empêcher d’afficher un sourire au coin face à l’ironie de la situation. Elle était sûrement celle qui avait besoin d’une petite – ou gigantesque – lumière, et on venait la voir pour des conseils ? Et ce n’était pas uniquement lui, car déjà, matériellement, elle avait ce poste de conseillère qu’Habashi Zanshi avait proposé et qu’elle avait accepté. Avant tout cela.

Doucement, elle porta sa propre main sur la sienne, et repoussa lentement cette dernière de sa joue pour la « recoller » au corps même du moine, et briser cette proximité. Trop de choses avaient été dites, trop de choses étaient impliquées. Plusieurs pensées virevoltaient dans son esprit. Tout d’abord, déformation professionnelle, elle « craignait » que l’intelligence de cet homme ne fasse réellement du mal – directement ou indirectement - à Suna et donc logiquement aux personnes auxquelles elle tenait. Ensuite, et suite à ses propres pensées et vécues, elle était peu convaincue qu’il atteigne ses objectifs sans en perdre une grande partie de son humanité – on ne pouvait battre un monstre qu’en étant un monstre soi-même – et cette perspective ne lui plaisait guère. Enfin, et plus important, elle était intriguée tant par ses idées que par sa personne.

A bien réfléchir … Ce voyage l’éloignerait un court instant de ce qui était, à cet instant, une vraie déception et un profond dégoût. Il pourrait également lui permettre de garder un œil sur cet homme, et l’arrêter – peut-être – s’il devenait un autre « Kyoshi Rei ». Et plus important, c’était une occasion en or pour connaître davantage l’une de ses plus mystérieuses connaissances.

- Je vais t’accompagner, annonça-t-elle mais aussitôt elle leva la main, laissant un « mais » planer dans la pièce. Mais, j’ai des conditions.

S’il les acceptait, elle l’accompagnera. Si non … elle l’accompagnera toujours, contre gré. C’était, malheureusement ou heureusement, le risque lorsque l’on proposait quelque chose à la blonde.

- J’ai vécu toute mon enfance au Pays du Feu, au sein des conflits. J’ai perdu … beaucoup de gens importants. J’ai abandonné tout … mon passé, mes rares amis restants … pour le parfait inconnu qui était Suna. Et je me suis engagée … pour un parfait inconnu. Et il semblerait que, malgré d’excellentes connaissances, je n’en ai retiré plus de mal que de bien.

Comprenait-il où elle voulait en venir ?

- Je ne te suivrai pas aveuglément où que tu ailles. Je ne me jetterai plus dans le parfait inconnu comme par le passé. Lorsque tu disais que je serais ces yeux ou celle qui te manierait … sache que je saurais remplir ce rôle à merveille. Je suis fatiguée de voir … ces destructions inutiles et … mortelles et … douloureuses. Cette histoire avec tes anciens « frères » par exemple, tu as à m’expliquer la raison et ce que tu espères. Et selon ta réponse, je déciderai si j’agirai ou non, à tes côtés ou contre toi.

Oui, elle pouvait être ce qu’il désirait mais à la condition de respecter sa parfaite indépendance. Elle le suivrait, mais garderait toujours ce droit de l’abandonner ou de jouer à son encontre si la situation lui semblait injuste ou totalement inhumaine. Peut-être que le moine trouverait ces paroles redondantes, un écho à ce qu’il avait dit, mais Tsukiko insistait … s’assurait.

- Et tu auras à faire de même à mon égard. Puis-je compter sur toi sur ce point-là ?, demanda-t-elle, plongeant son regard bleu tantôt implorant, tantôt triste dans celui d'Howaito.

Personne à Suna n’était apte à le faire concrètement. Kioshi chercherait toujours à la sauver alors qu’elle était perdue, et Kibo tentera toujours cette troisième solution inexistante dans son cas … Quant aux autres sunajins, aussi étrange que cela puisse paraître, elle ne souhaitait guère finir entre leurs mains si les choses « dérapaient ». Howaito semblait être le parfait candidat pour amener ou non à la raison l’esprit trouble de la jeune fille. Ce voyage, à sa façon, pouvait être une rédemption … ou une fin honorable.

- Si tu acceptes tout cela … Je te suis. Et si tu acceptes, sache que je ne peux pas sortir du jour au lendemain. J’ai un rôle important dans un projet cher à Suna et à Kaze … Je dois déléguer, gérer une correspondance … prévenir. Une ou deux semaines, voilà tout ce dont j’ai besoin.

Au pire, ils se rencontreront ailleurs. Cependant, ces « une » ou « deux » semaines étaient primordiales. Le projet de développement à gérer – en donnant le rôle provisoirement à quelqu’un -, le clan à prévenir, le bureau des missions également pour qu’ils ne comptent plus la demoiselle dans leur rang pour un certain temps … De l’administratif en somme. Beaucoup. Dans l’unique et seul optique de ne pas être vu comme une déserteuse par erreur ou avoir à subir des appels intempestives pour des raisons « ridicules ».