Comment les choses avaient elles pu se dérouler ainsi ? Comment, lui, Suzu, le garçon qui faisait tout son possible pour éviter les ennuis, se retrouvait maintenant dans les escaliers qui devaient le mener à ce qui lui semblait être l'enfer. Il se rendait en prison en vérité, un plateau repas à la main. Et ce qui l'avait mené ici ? Des décisions obscures du Satoru. Et bien incompréhensibles également, car il ne se serait jamais choisi lui même pour effectuer la tâche qui l'amenait visiter les cachot.
Le seul ordre qu'il avait reçu concernait une certaine Yuki, une kunoichi du village cachée de la brume, capturée à Hai no Kuni, et qui n'avait rien révélé jusque là. Cette Yuki, il semblait devoir l'interroger, de la manière qui lui semblerait la plus adéquate pour recueillir des informations sur son nom, son rôle à Kiri, ce qu'elle faisait à Hai no Kuni, et des tas d'autres choses encore. Pour la simple raison que cette femme était en prison, Suzu s'imaginait qu'il allait faire face à une kunoichi terrifiante, une sanguinaire sociopathe, insensible à la douleur comme à la chaleur humaine. C'est donc en tremblant qu'il tenait son plateau repas et progressait maintenant dans les couloirs de la prison où l'on pouvait entendre des grognements, des ronflements, des rires, quand il passait devant la grille, parfois même des râles de plaisir, des gémissements, et un tas d'autres bruits humains. Un véritable orchestre organique s'échappait de ces lieux.
Qu'avaient fait ces prisonniers ? Suzu n'en avait aucune idée. Il ne s'était jamais intéressé à la guerre et encore moins à quelques motifs de trahison ou de punition. Ces affrontements, tous les enjeux de cette guerre qui se jouait contre Kiri et Suna, il ne les comprenaient pas, certainement car il ne s'y intéressait pas. Pourtant, il voyait bien qu'on lui confiait de plus en plus de mission. Rien d'exceptionnel, mais interroger une prisonnière commençait déjà à compliquer la tâche.
La cellule de la prisonnière devait se trouver parmi celles du fond. Suzu regarda furtivement le contenu des boxes en prenant garde de ne jamais s'approcher des grilles. C'est le souffle court qu'il plongeait son regard dans l'obscurité qui baignait le fond de ces cachots, dans laquelle se cachait souvent les prisonnier. Peut être abattus, recroquevillés sur eux même, ils cherchaient refuge dans le noir. Mais Suzu les imaginait plutôt tapis dans l'ombre tel un animal qui guette une proie trop imprudente. Cette Yuki serait elle de ces prédateur.

Il arrive devant les dernières cellules à présent, et finit par chercher un peu mieux la silhouette de la femme qu'il cherchait. À côté des grilles de chaque prisons se trouvait une ardoise avec parfois des informations écrites rapidement dessus. Mais sur la plupart de ces ardoises, il n'y avait qu'un point d'interrogation. Cette "Yuki" pouvait très bien se cacher derrière un point d'interrogation.
Devant l'une des cellules, il se pencha jusqu'à glisser pratiquement sa tête entre les barreaux. Il lui semblait voir une femme au fond de ce trou.
" ...Yuki...? " demanda t'il fébrilement. Il n'eut pas le temps de ce poser une autre question que l'individu en question sauta contre les barreaux et Suzu fit un bond en arrière jusqu'aux barreaux de la cellules d'en face. Ce n'était pas une femme, mais seulement un timbré qui le fixa comme un fou l'espace de trois secondes et qui reparti au fond de sa cachette, là bas dans les ténèbres. Le souffle haletant Suzu ne comprit qu'après qu'il s'était renversé le contenu du plateau repas sur lui d'une part, et qu'il était adossé contre les barreaux d'une nouvelle cellule d'autre part. Il leva la tête fébrilement, et lu sur l'ardoise, "Yuki".

Il se fit entendre comme un cri de douleur quand Suzu lui, voulait pousser son cri de terreur. Il resta un instant immobile quand il découvrit le nom qu'il cherchait sur l'ardoise juste au dessus de sa tête. Il resta pétrifié car depuis le départ déjà, il redoutait la rencontre avec la prisonnière, mais pire encore, il n'avait pas imaginé la rencontrer dos à ses barreaux, avec en face de lui, un taré qui hurlait comme un singe enragé. Dès qu'il repris ses esprits, il s'écarta de la grille et des barreaux tout en prenant garde de ne pas s'approcher de celle d'en face. L'un comme l'autre des prisonniers pouvaient le retenir depuis l'autre côté de leur cellule. Et à partir de ce moment, qui savait ce qu'ils étaient capable de faire…
Quand il se redressa, il aperçut la silhouette de celle qui devait être Yuki, très certainement. La faute aux ténèbres qui engloutissaient la totalité de la prison ou bien à la peur qui le faisait halluciner, il n'était pas certain pour autant qu'il s'agissait d'une forme humaine. Sans quitter la silhouette tremblante, il lança un appel peu assuré dans l'ombre.
" C'est toi la kunoichi de Kiri ?…" Il se baissa pour ramasser ce qu'il restait de son repas, mais sans jamais la quitter des yeux encore, sans même savoir s'il s'agissait d'"elle", ou de "lui", ou bien de "ça"… Avec précaution il ramassa les débris, et en se faisant à l'idée que cette petite chose recroquevillée là bas au loin dans le noir était la jeune femme qu'il était venu trouvé, il se sentait l'envie de se faire pardonner pour avoir gâcher son repas. Il hésita un instant à lui présenter ses excuses, mais se retint. Il ne pouvait sympathiser avec une ennemie du village… Mais était elle son ennemie à lui ? Peut être.

Suzu n'avait jamais été mêlé au affaires politique de Kumo, et c'était d'abord parce qu'il ne s'y intéressait pas. Il ne s'intéressait pas à cette guerre, pas plus la paix qui devait y mettre fin. Il avait cette forme d'indifférence pour les choses sociales et humaines qui le dépassaient qui lui donnait un air égoïste de quelqu'un qui manque à la fois d'ambition et d'altruisme.
Mais c'est bien parce qu'il ne s'intéressait pas aux choses du monde qu'il était capable de sentir poindre comme de la compassion pour cette Yuki.
Il ne supportait pas la violence, la souffrance. Plus parce qu'elle l'incommodait. Mais il devait faire preuve de ténacité, et faire taire tout sentimentalisme. Ses ordres venaient de bien plus haut que ses idéaux même.

Une fois qu'il eut tout ramassé, il s'approcha de quelques pas vers les barreaux. Il devait s'assurer que c'était bien une femme comme les autres, et pas le monstre qu'il avait fantasmé dans ses cauchemars à l'idée de cet interrogatoire.
" Yuki ?… C'est ton nom ? " À la seconde où il eut posé la question, il perça un peu plus la pénombre et découvrit cette jeune fille frêle en apparence, en tout cas à bout de force. Le visage et tout son corps entier penché sur ses blessures, elle paraissait être une enfant dont on ne voulait pas s'encombrer et qu'on avait jeté là. Elle devait être un plus jeune que lui, et pourtant bien plus forte, même dans ces conditions. À la fois dans sa tête et dans son corps.
Ses craintes vis à vis d'elle s'estompèrent aussi vite qu'elle étaient apparues, peut être un peu trop vite d'ailleurs, mais il ne pouvait plus la craindre. Et s'il avait envisagé un instant commencer l'interrogatoire de manière musclée (si tant est qu'il était capable de cette manière) il n'en avait plus l'intention du tout.
" Je suis désolé, j'ai fait tombé ton plateau repas… Mais on t'en apportera un autre au plus vite… Puis cette gentillesse trop appuyée dans sa voix le rappela à sa mission qu'il était bien parti pour oublier. Il s'éclaircit la gorge et continua d'un ton plus ferme de sa voix qu'il ne savait pas rendre rude pour autant. Bien, comme tu dois t'en douter, je suis venu te poser des questions… Les mêmes auxquelles tu n'as pas souhaité répondre déjà. Mais il est dans ton intérêt de coopérer… Tu en es consciente j'en suis sûr… "

Suzu observa une pause nécessaire pour se ressaisir. Il s'entendait lui même partagé entre la compassion et la fermeté, peut être devait il même se montrer plus que ferme. Il ne fallait pas qu'il paraisse faible face à cette jeune fille, auquel cas, il n'obtiendrai rien d'elle si jamais il était possible d'obtenir quoi que ce soit de sa bouche. Pourtant, on l'avait toujours vu si faible, comment pouvait il en être autrement dans une situation pareille.
C'est une ennemie du village, une ennemie des tiens et de ta famille. Voilà ce qu'il devait se répéter. Et c'est ce qu'il fit, tel un mantra, il fit rouler cette phrase dans sa tête et celle ci dessinait des rondes sans fin. C'est une ennemie du village, une ennemie des tiens et de ta famille
Il s'éclaircit à nouveau la gorge et se lança.
" Bien, maintenant tu vas me dire ce que tu faisait sur l'île de Hai no Kuni ? Quels y sont tes projets, tes intentions ? "