« N’vous occupez surtout pas, je ne fais que passer. » Mais sitôt qu’elle prononçait cela, accompagnant ses dires d’un vague geste de la main gauche qui se voulait rassurant, Ake oubliait un peu pourquoi elle était ici. Ou plutôt comment elle était arrivée ici. Elle ne voyait pas trop où elle avait mis les pieds, il faisait encore sombre en raison de l’heure – le Soleil se levait et projetait une lueur orangée diffuse qui permettait, une fois habituée à la pénombre, de distinguer plus précisément les formes et les couleurs de l’environnement. Mais elle ne pouvait pas s’attarder, pensait-elle. Elle ne savait plus pourquoi, mais elle ne pouvait pas. Elle tenta de faire un pas alors, et ressentit immédiatement une vive douleur dans le mollet droit. Elle couina, gémit, se mit à sauter sur place sur son pied droit, retenant quelques larmes. Elle avait aussi très mal à la tête. Mais putain, qu’avait-elle foutue ? Trou noir. Elle attendit un moment, réitérant sa prière précédente. « Ne vous occupez surtout pas de moi. » Pourquoi ? Ake fronça des sourcils. Décidément… Et puis, un bruit étrange, inidentifiable la fit sursauter. Cela venait d’à côté ? Ou de l’extérieur ? Elle prit peur ; le souvenir des quelques secondes avant son arrivée dans cet endroit lui revint en mémoire.

C’était un sentiment oppressant, comme tous les sentiments qui l’habitaient continuellement. Elle avait peur, comme chaque jour depuis sa sortie des Enfers. Mais la menace était proche cette fois. Elle la hantait. Elle était dissimulée dans les ruelles, sur son passage. Les quelques personnes qu’elle croisait la regardait d’un air atterré. Elle n’osait pas demander de l’aide néanmoins. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était fuir. Croyant user de stratégie, elle était montée sur les toits et courrait à tout va. La vue était belle cependant. Mais la chose l’avait rattrapée ; et pour fuir définitivement, elle s’était engouffrée dans le premier endroit qui lui était venu à l’esprit. Brisant une fenêtre au hasard de son chemin à l’aide de sa jambe, elle avait fait un bond dedans pour se cacher.

Oui c’était cela, la maison de quelqu’un. Elle fuyait, et pour rassurer ceux qu’elle dérangeait en s’introduisant aussi impunément chez eux, elle n’avait eu d’autres mots que « je ne fais que passer ». Oubliant subitement sa fuite et son poursuivant, oubliant sa douleur, oubliant même qu’elle n’était pas censée s’arrêter, elle s’enquit d’un regard sur la pièce de ceux chez qui elle était entrée. Une famille ? Un couple ? Des grands-parents ? Ou… UN MONSTRE ! Oh… Elle devait repartir dans son délire, surement. Elle ferma les yeux et fit quelques pas précipités pour rejoindre l’autre extrémité de la pièce qu’elle voyait de mieux en mieux. Sa jambe ne la faisait plus souffrir, mais quelques déformations dans ce qu’elle voyait laissaient supposer que ses hallucinations revenaient. Ake était morte ; en pleine crise. Encore, quelques brides de ses heures précédentes lui revenaient. Parmi elles, la douleur qu’elle éprouvait, la façon dont elle rejetait de nouveau tout ce qu’elle essayait de manger. Ake faisait une crise, encore. Cela faisait longtemps qu’elle n’en avait plus fait, et la peur de devoir supporter tout cela de nouveau l’avait forcée à augmenter les doses. Antidouleurs, calmants, sa pharmacie personnelle y passait. Qu’importait, c’était pour son bien pensait-elle.

Et maintenant, hallucinée, elle se retrouvait chez un inconnu. « Vous avez de l’eau, s’il-vous-plait ? Finalement, j’vais demander l’asile ici, personne n’osera venir me chercher dans c’t’endroit. » Son regard perdu allait très vite d’un objet à un autre tandis qu’elle essayait de trouver de l’eau, donnant un peu l’impression qu’elle parlait dans le vide – ou aux objets. C’était le cas aussi.