Bagarre.

Assoiffé de sang et d'adrénaline, le siamois déambulait dans le centre de formation, observant ça et là les aspirants récitant leurs gammes. Il se plaisait à les intimider en les bousculant volontairement, dès lors qu'il comprenait qu'ils ne faisaient pas le poids contre lui, et qu'ils n'oseraient guère lui faire des représailles. Conscient de sa supériorité, il ne s'attaquait qu'aux plus faibles, bien alerte sur les différents dangers qui pouvaient rôder par ici : des ninjas d'expérience, ou de jeunes talents en devenir.

Un orque jouant avec les otaries, mais se méfiant des requins.

Malheureusement, le jour avançait et ses proies désertèrent petit à petit, certainement harassés par leurs efforts et hâtés de pouvoir profiter de leurs appartements. Hei avait beau l'inviter à faire de même, et à jouer la carte de la prudence en lui conseillant d'arrêter ces provocations gratuites, mais Ryö, l'hôte impérial, ne l'entendait pas de cette oreille. Il n'aurait de répit que lorsqu'il aurait définitivement évacué toute l'adrénaline latente qui sommeillait en lui, et qui n'attendait que d'entrer dans une furie volcanique.

Bagarre.

Aussi, il fut surpris de voir qu'il n'était pas toujours nécessaire de chercher la charogne, car une louve finît spontanément par l'interpeller. Elle se montra tout aussi insultante qu'il pouvait l'être, ce qu'il ne supporta guère. Il lui coupa presque la parole pour répondre tout de go.

"La ferme, sale c**ne. Trace ta route et va te rhabiller ou je t'arrache toutes tes jolies dents."

Il avait les muscles crispés et les doigts tremblants d'excitations. Quel toupet ! Cette femme ne savait certainement pas à qui elle s'adressait, et il ne tolérait guère qu'on joue à son jeu à sa place. Au moins, il lui montrait une certaine répartie et, avec cette insolence gratuite, il retrouvait la place qui était la sienne.

La sienne. Et pas celle d'une vulgaire gonzesse.

Il l'observa d'un regard noir et sanguinaire, prêt à bondir. Une fine pellicule de roche vint recouvrir tout son épiderme, quand bien même il attendait toujours sa réponse.

Bagarre.

Ca allait cogner, et pour de bon.

Sale blonde. Elle avait du toupet et pour cause, elle répondait directement par l'offensive. Elle jaillît comme un trait pour lui asséner une frappe fulgurante, assez puissante pour briser les os, assez mesurée pour ne pas le faire. Ryöhei comprît à cet instant qu'il avait tiré le mauvais ticket, avec autant de consternation que s'il avait appris que son bistrot favori subissait une pénurie de bières. Il ne put qu'encaisser, dans le sens propre comme dans le sens figuré.

Dans le sens propre comme dans le sens figuré. Son corps fut projeté quelques mètres en arrière, mais il parvint à se rétablir avant d'impacter le mur situé juste derrière lui. Son esprit, quant à lui, mesura le péril encouru en accusant les petites pointes que lui lançaient l'inconnue, quasi certaine de sa victoire à venir.

Sale blonde. Ryöhei songeait à la manière de se débarrasser de la démone, car il s'agissait à présent d'une réelle épine dans le pied, qui ternirait certainement sa réputation s'il advenait que le bruit de défaite se répandisse dans les couloirs de la citadelle. Ryöhei avait déjà, auparavant, risqué sa réputation à cause d'une brune aussi rigolote qu'une porte de prison. Il ne comptait certainement pas s'engager dans une nouvelle affaire avec une gente féminine aussi culottée que celle-ci.

Culottée, c'était peu dire, au vu de l'accoutrement de la guerrière.

Sale blonde. Il laissa son armure s'éroder en fines particules de pierre. Le coup avait été trop faste pour qu'il puisse s'assimiler aux phalanges de l'exhibitionniste et se glisser dans ses cellules mal culottées. Mal culottées, oui. D'ailleurs, il ne manquerait pas de lui faire une petite remarque à ce sujet.

"Amusons-nous, oui. Dis, t'es fâchée parce qu'on t'a volé ton pantalon ?"

Il accompagna la réplique d'un bond furtif, enveloppant ses phalanges d'une fine particule de pierre. De quoi renforcer le coup qu'il comptait bien lui foutre en pleine gueule, pour rester poli. Un coup de poing de roc, directement au faciès. Mais cela n'était qu'un leurre malheureux, car le véritable assaut venait d'en bas : Hei, le second, dans une discrétion redoutable, avait déjà empoigné un kunai dans la sacoche du bicéphale. Son bras presque entier sortait tout droit de l'abdomen du combattant et se lança droit vers le nombril de l'insolente, dans le but de la pourfendre. Un coup de poignard des plus mesquins. Un coup bas, déguisé par un coup haut. Etiquette notoire du rouquin crapuleux, qui n'hésitait pas à employer tous les vices pour parvenir à ses fins. Etait-ce néanmoins suffisant pour tromper la guerrière ?

Trouble...

Depuis le début, cette rencontre te semblait fortuite. Tu avais mis le pied là où il ne fallait pas. Tu avais croisé le regard qu'il ne fallait pas croiser. Tu avais joué avec la toile de l'araignée et tu t'étais piégé dedans, comme une petite mouche impuissante et gesticulante, agitant ses petites ailes et ses petites pattes pour te décoller du piège.

Trouble...

Tu te figurais qu'après cette altercation, tu n'aurais peut-être plus jamais à croiser cette brutasse passagère ; qu'en définitive, une fois l'escarmouche assouplie et transformée en mauvais souvenir, tu en ressortirais plus fort ; que résolument, il te fallait saisir l'opportunité pour ne plus jamais te cacher.
Te cacher. Tu l'avais trop souvent fait lors de la grande guerre. Tu n'avais fait ni grand bruit ni grand geste. Tu le regrettais, une pointe d'amertume te restant dans la gorge comme un arrière goût étouffant, transformant ta voix en souffle de mépris et d'indigence.




Trouble...

Le monde commença à pivoter de droite à gauche, de haut à... derrière, ou devant. Ryöhei venait d'être secoué par le coup de tête brutal lancé par l'ingrate guerrière. Sale blonde. En voyant la chose arriver, il eut tout juste le temps de renforcer au maximum son encéphale et de baisser la tête, mais force était de constater que l'impact était d'une telle puissance qu'il lui avait certainement fracturé le crâne. Derrière sa tête, le vent réussît presque à soulever un nuage de poussières, tant la violence du choc fut importante. Sans son armure de pierre, le Jinmenju serait peut-être mort.

Peut-être mort. Ce combat prenait des proportions insoupçonnée. Hei l'avait certainement deviné avant son frère et, d'un naturel sage et réfléchi, il avait profité de l'étranglement de la guerrière pour s'introduire en elle. Il ne parvint pas, faute de force nécessaire, à endiguer l'attaque, mais aussitôt qu'il vit le regard de son frère s'assombrir, il fut empli d'une telle fureur qu'il jeta ses mains sur la sacoche de ce dernier. Il en tira deux kunais qu'il tenta de planter directement dans la chair de la combattante, au plus proche du coeur.

Au plus proche du coeur. Hei était d'une fureur telle qu'il était résolu à la tuer. Il s'agissait de sauver sa vie et celle de son Alter. Il ne laisserait certainement pas Ryo dans un tel état. Quitte à risquer sa propre vie, à lui.

Dans un souffle coupé, Ryö parvint tout de même à redresser son regard. Il ne prit pas compte des actes de son frère, mais il refusa de baisser les bras aussi vite qu'il avait pris ce coup de tête. Il toisa la guerrière et lui fit :

"Même si j'crève, t'es toujours une poufiasse."