C'est confortablement installé sur mon nuage, doigts croisés derrière la tête et une jambe en appui sur le genou de son homologue, que je survole mon domaine. Mon regard se perd dans les étendues parfaitement bleutées des cieux de Kaze. Là, entre le sable du désert et le ciel qui semble s'y opposer, je profite du relatif silence qui m'entoure. Je me suis découvert un certain goût pour la solitude et vient à apprécier ces instants passés avec pour seul bruit celui de mes pensées. Mes pensées et... celles du Tanuki qu'un certain Daimyo a jugé bon de sceller quelque part au fond de mes tripes. Mais même ça, je m'y habitue. Ce qui n'est pas agréable pour autant. Il est semblable à une blessure persistante: à défaut de la faire disparaître on se contente de vivre avec...

Ceci dit - et même si je suis un dieu vivant! - il se trouve que mon organisme a besoin d'eau pour survivre. Je ne fais malheureusement pas exception à cette règle. Et puisque cela fait à présent de longues heures que j'arpente l'océan doré il serait sûrement judicieux de satisfaire à ce besoin primaire consistant à ingurgiter une grande quantité de liquide. Ma gorge sèche me le rappelle avec un peu trop d'insistance d'ailleurs. C'est pourquoi je fais obliquer ma monture de silicium en direction de l'un des petits villages des environs. De mémoire, l'auberge en son centre dispensait un service presque acceptable...

C'est donc avec toutes l'élégance qui me caractérise que je dissipe mon nuage de sable sur un tas de morveux, histoire de. J'ai toutefois sous-estimé le poids du silicium - bon il faut dire aussi que c'est pas solide ces petites choses! - et l'un d'eux se retrouve pratiquement assommé. Haaa, le dur apprentissage de la vie... Appelons ça de la sélection naturelle! Après avoir savouré la scène comme il se doit me voici à pousser les pans de toiles qui masquent l'entrée de l'auberge. Malheureusement cette dernière est bondée et toutes les tables sont prises. J'en suis à choisir quel tas de gueux je vais virer à coups de pieds au cul quand je remarque une jeune femme qui me rappelle quelque chose. Vaguement, juste ce qu'il faut pour que je décide de venir prendre place en face d'elle. Je cale alors mon menton dans l'une de mes paumes en me demandant où je l'ai déjà vue. Et là, le déclic!

"Tiens tiens tiens... Mais ne serait-ce pas l'erreur de la nature en personne?" si si, c'est elle! Pure rhétorique, rien de plus! "Forcément... Je tombe sur une Kawaguchi et il faut que ce soit l'une de celles qui ne mérite pas d'en porter le nom. C'est l'histoire de ma vie, ça!"

Comme si Tali ne suffisait pas! Enfin... Il va falloir que je me contente de ce que j'ai sous la main. Je n'ai pas vraiment le luxe de faire la fine bouche vu les circonstances. Et puis la jeune femme a deux bras et autant de jambe. Je n'ai pas vraiment de plus pour le moment. Dès lors...

"J'ai la dalle! Et je pourrais engloutir une oasis entière!" dis-je sur un ton traduisant le désir de se plaindre. "Va me chercher de la bouffe, de l'eau et du saké! Beaucoup de saké! Et dis bien à ce gros tenancier qu'il a intérêt à se bouger le cul pour m'apporter ma commande. Ce n'est sûrement pas tous les jours que quelqu'un d'aussi illustre que moi lui fait l'honneur de poser ses fesses dans son taudis!"

Ca, c'est pour la première partie! Oui parce que j'ai de la suite dans les idées, vous voyez? Et il se trouve que cela fait de longs mois que je fais abstinence. Je me suis fixé comme règle de ne jamais satisfaire la nature autrement qu'avec une Kawaguchi. Fusse-t'elle à peine digne d'en porter le nom! Ça vaudra toujours mieux que l'une des gueuses que l'on trouve parmi le bas-peuple. Je ferais bien le difficile si seulement j'en avais l'occasion. Parce que vu l'heure, il est hors de question que je retraverse le désert pour trouver des cuisses dignes de ce nom!

"Ceci fait tu iras nous louer une chambre pour la nuit! Cela fait des mois que je n'ai pas touché une femme et la nature peut parfois se révéler pressante!" dis-je avant d'ajouter, un sourire au coin des lèvres. "C'est l'heure de la vidange!"

Poésie, quand tu nous tiens... Mais après tout peu importe la façon dont je manifeste mes désirs finalement. Ce qui compte c'est qu'une bonne subalterne se doit de les satisfaire. Point! Au diable ses propres envies!

Je rêve ou... elle vient de me... cracher dessus? Quand je dis que le respect se perd je ne pourrais sûrement pas être plus loin de la réalité. Le respect, il n'y en a plus du tout! À ceci s'ajoute un refus des plus catégorique enrobée d'une ironie cinglante couplée aux rires gutturaux de Shukaku qui savoure la scène sans la moindre retenue. Le monde est contre moi! Et que dire alors des quelques regards curieux, amusés voir carrément réprobateurs des personnes alentours. Quelqu'un aurait-il vu ma dignité je vous prie?

Mais bordel!!! Je m'absente quelques mois et plus personne ne veut obéir! Même des ordres aussi simples et agréables que ceux consistants à satisfaire mes besoins primordiaux ne sont plus suivis. Je ne demande pourtant pas grand chose, si? Juste un petit peu de plaisir et une soumission totale! C'est trop demander, hein? Va falloir que je fasse tout péter pour enfin obtenir le respect qui m'est dû? Où est passé le bon sens ou, plus simplement, le désir de rendre service? Tout fout le camp! Et pas qu'un peu!

Mais là, en l'occurrence, ce qui m'irrite au plus haut point c'est de voir une espèce d'anomalie congénitale me refuser ses charmes alors que je suis en train de lui faire le plus grand honneur de sa vie! Qui sait, elle pourrait même porter l'un de mes futurs rejetons! C'est pas donné à tout le monde! Et au lieu d'avoir droit à un grand sourire ou à des suppliques pour que je concrétise mes pensées voilà que je me heurte à un défi des plus infondé!

"Quoi?!? Vous n'avez jamais vu un dieu ou quoi?" une remarque destinée aux curieux! "C'est dans vos bols que ça s'passe!"

Le ton est plus agressif que je ne l'aurais voulu mais l'essentiel est qu'on arrête de me dévisager. Je lâche un soupire agacé tout en essuyant de ma manche le liquide empli de bave qui macule les merveilleux traits de mon non moins merveilleux visage en me demandant ce qu'il convient de faire. Oui enfin j'ai bien une petite idée: j'explose cette auberge, supprime les témoins et tire la gueuse par les cheveux jusqu'à une dune a peu près confortable. Mais ce ne serait pas... comment Oga disait déjà? Ha oui, civilisé! D'un autre côté je n'ai jamais eu la prétention de l'être, civilisé, moi!

"Je dois bien le reconnaître: lorsque j'ai décidé d'illuminer ta vie je ne m'attendais pas à une réaction d'enfant gâtée!" Ha ben ça... "Si tu n'as pas été mise à mort sous mon règne c'est que j'ai cru pouvoir te trouver une utilité! Me serais-je trompé?"

Oui bon pour être honnête j'ai un peu oublié de la foutre en taule... Je ne peux pas tout gérer non plus! C'est pour ça que jedélègue! Mais il semblerait que je ne puisse me fier à personne pour faire le travail correctement si ce n'est à moi-même! Une constante qui commence à me peser. Haaaa, si Amano était une femme je suis certain qu'elle n'aurait pas hésité une seule seconde avant d'accéder à ma requête! Le soucis, ben... c'est que c'est un homme, justement! Erk! Je vis un véritable enfer! Ce qui est sûr en tout cas c'est que les femelles de ce clan ont un caractère bien trempé.

"Ceci dit... Comme disait je ne sais plus quel philosophe: consentement pas nécessaire!" oui, j'ai de la culture! "Mais par curiosité: si tu n'es même pas capable de rendre un petit service de rien du tout à ton Seigneur qu'est-ce que je suis sensé faire de toi? Les choses inutiles, en général, on s'en débarrasse!"

Malgré sa bizarrerie on a eu la gentillesse de la laisser vivre. Me demandez pas pourquoi, j'étais pas aux commandes du clan à l'époque. N'empêche que la question reste valide: si elle refuse d'obéir, j'en fais quoi?

"De la bouffe et du saké!"

Je me contente de gueuler ma commande à la serveuse en question sans vraiment prendre la peine de préciser davantage ce que je souhaite. Puis je reporte mon attention sur le blonde en face de moi. Que va-t'elle me répondre?

Intéressant.. Il est rare qu'on me résiste mais davantage encore qu'on se permette d'agir de la sorte avec moi. Si j'ai passé tant de temps à me forger une réputation telle que la mienne c'est précisément pour réprimer toute velléité de ce genre. Il semble à présent évident que j'ai commis une erreur. On ne me respecte pas, j'en suis conscient. Ça m'irrite, évidemment. Mais contrairement à ce qu'on peut penser de moi, je sais me remettre en question. Du moins suffisamment pour identifier les causes d'un échec. Je ne changerai jamais. Mais je suis capable de m'adapter un minimum lorsque c'est nécessaire. Le soucis, voyez-vous, c'est que je n'ai pas la moindre envie de gagner le respect des autres. Leur obéissance me convient parfaitement. Mais dans le fond j'en viens à me demander si c'est suffisant pour garder ma suprématie sur le clan. Et si d'aventure une solution existe pour palier à ce problème, il se peut qu'elle se trouve sous mes yeux.

La jeune femme que je dévisage est maline, c'est certain. Elle ne flirte pas avec la trahison ou l'agressivité et ne me fournit par les armes nécessaires pour lui faire du mal. Mieux encore: elle les retourne contre moi. En jouant sur ma fierté et ma supériorité, elle rentre dans mon propre jeu. Là ou d'habitude les gens se contentent du silence, de l'obéissance ou de la trahison, elle se bat tout en restant dans les limites du raisonnable. Pour un peu elle prendrait l'ascendant dans notre discussion. C'est suffisamment rare pour que j'accepte de le remarquer... Du coup changement de programme!

"Toi, le gros!" dis-je en pointant mon index sur le tenancier. "Le clan Kawaguchi rachète ton auberge! Mon trésorier passera en matinée pour régler le montant adéquat! D'ici là vous êtes tous priés de débarrasser le plancher!"

Bien évidemment cette annonce laisse place à une certaine surprise et le personnel comme les employés entre le désir de croire à une mauvaise blague et l'impression bien réelle que je ne plaisante pas. Et puisque tout ce beau monde reste scotché sur place j'agite les doigts pour accélérer un peu le mouvement.

"On dirait que je n'ai pas été assez clair alors permettez-moi de préciser quelque peu le fond de ma pensée: vous êtes tous priés de débarrasser le plancher MAINTENANT!"

Ainsi quelques secondes plus tard le sable se faufile dans les nombreux interstices de la "bâtisse" sous forme d'une tornade de taille modeste qui épargne Yuna et moi mais se charge de faire fuir les plus récalcitrants! Trop facile! Mais maintenant au moins aucune oreille indiscrète ne viendra écouter la conversation entre la jeune femme et moi. Si je suis prêt à passer sur ses propos je ne tiens en revanche pas à ce qu'ils puissent être entendus. Et si vous me prenez pour un salaud n'oubliez pas que l'autre option aurait été de massacrer tout ce beau monde pour l'empêcher de lancer de sales rumeurs...

"Voilà qui est mieux!" dis-je en tournant le regard vers la blonde. "Bien!"

Il est maintenant temps de me prêter à un petit jeu auquel je n'ai guère l'habitude de jouer. Je continue à observer l'intéressée quelques instants encore avant de me lever pour aller me chercher une bouteille de saké. J'en engloutis quelques rasades et m'essuie les lèvres d'un revers de la main puis revient m'installer en face de Yuna. J'en profite alors pour me rouler une clope qui finit bien vite vissée au coin de mes lèvres.

"Parles! Tu as des choses à me reprocher, c'est évident!" dis-je en haussant les épaules. "Je suis tout ouï! Vide ton sac! N'aies crainte, je ne te tuerai pas! Plus maintenant! Mais en retour j'attends de toi la plus extrême honnêteté!"

J'impose les règles du jeu, à elle de voir si elle compte les suivre ou pas. On peut me reprocher beaucoup de choses mais certainement pas de manquer à ma parole. Je m'engage à ne pas lui faire payer ses propos, quels qu'ils soient. En retour je ne demande que son point de vue. Il est peut-être temps de m'intéresser à l'avis de mes ouailles, fussent-ils à peine dignes de porter mon nom! Je ne vais décemment pas pouvoir tuer tous ceux qui ont des griefs contre moi au sein du clan. Hé, il ne restait plus personne sinon!

Tsukiko... Pourquoi je pense à elle au milieu de ce déchaînement de reproches? Sans doute parce que depuis sa disparition personne n'avait osé me parler ainsi. J'avais presque oublié que derrière l'obéissance se terraient bien d'autres sentiments. Et que la plupart ne relèvent pas du positif. Est-ce que Yuna a tort? A-t'elle raison? Dans le fond, est-ce important? Entre la façon dont je me perçois et celle dont les autres me perçoivent, il y a forcément un gouffre. Je n'avais peut-être juste pas conscience à quel point il était large... Et dans la foulée je suis obligé de me poser une autre question: est-ce ainsi que tous les Kawaguchi me considèrent? J'ai déjà un début de réponse puisque personne n'a semblé être attristé par ma disparition. Du moins pas à ma connaissance...

En réalité ses mots sonnent justes et c'est peut-être pour ça que je ne réagis pas lorsqu'elle bousille ma clope. Je perçois les pensées de Shukaku et le plaisir qu'il a de trouver en Yuna une alliée de circonstance. C'est comme s'il m'adressait un regard en haussant les épaules, l'air de dire je te l'avais bien dit! Le pire dans tout ça? C'est que je ne suis pas certain de pouvoir me justifier. Ce n'est ni dans mes habitudes ni dans mon caractère. Néanmoins je ressens comme une sorte de besoin de le faire même si je suis las de lutter envers et contre tous. Et plus encore contre les membres de mon propre clan. Dans tous les cas, que dire si ce n'est...

"Tu as raison!" dis-je en haussant les épaules. "C'est sûrement ce que tu voulais entendre?"

Nulle trace d'ironie ou de défiance dans ces quelques mots, juste l'expression d'une vérité que je connais depuis bien longtemps. Ho bien sûr je ne suis pas un surhomme même si je suis convaincu d'être lié à une destinée exceptionnelle. J'ai pris la place de chef de clan dans le dos de Tsukiko et non pas parce que les miens le souhaitaient. J'ai imposé, imposé et encore imposé mes points de vue. Parfois dans la violence, d'autres fois par le chantage. Une façon de faire qui m'a toujours servie jusqu'à présent. Mais seuls les imbéciles ne prennent pas garde au retour de bâton. Et il se trouve que le bâton, cette fois, ne m'a jamais semblé aussi proche..

Néanmoins si je suis disposé au dialogue il y a certaines choses qui ne changeront jamais: elle m'a explosé ma clope! Alors je lui pique la délicieuse crème brûlée qu'elle savoure avec un peu trop de plaisir à mon goût. Et je ne me prive pas de lui décocher un regard d'avertissement au cas où elle aurait dans l'idée de me la reprendre. Si elle en veut une autre, elle n'a qu'à aller se servir. Après tout l'auberge m'app... nous appartient, à présent. À quel moment ai-je cessé de penser aux intérêts du clan pour me concentrer sur les miens? Ai-je seulement fait ne serait-ce qu'une fois passer les premiers avant les seconds?

"Néanmoins la fierté d'un shinobi est ce qui le définit en tant que représentant de Kaze. Sans notre fierté, jamais nous n'aurions gagné des guerres ou érigé de tels monuments. Sans elle, le clan Kawaguchi ne se distinguerait guère des autres. Elle est notre fond de commerce, c'est ainsi." Du moins de mon point de vue. "Que ce soit à raison ou à tort, le Seigneur du Sable se doit d'être fier. Pas seulement pour lui mais également pour les siens et, de façon plus générale, pour Kaze. Et c'est précisément l'absence de fierté de ceux qui ont fait la pluie et le beau temps au sein de cette nation que cette dernière se retrouve dans cette situation aujourd'hui!"

Mmmh... Il est vrai que cette crème est particulièrement bonne. J'abandonne d'ailleurs un instant notre conversation pour déguster comme il se doit le dessert. C'est typiquement le genre de trucs qui vous grossi, ça! Va falloir que j'évite de tomber dans le piège.

"Quant à Shukaku..." je me masse machinalement le ventre. "Et bien oui, il ne m'a pas choisi. Mais est-ce vraiment important? Ce qui compte c'est que grâce à mon sacrifice le village de Suna a pu être sauvé. N'est-ce pas un acte digne de respect pour toi? Peut-être aurais-tu préféré mourir ce jour-là? On peut me reprocher beaucoup de choses mais certainement pas d'avoir sauvé des vies en ce jour funeste!"

Oui, bon... Je suppose qu'il est inutile de lui préciser que j'ai tenté d'aider le démon a détruire à Suna, m'élevant contre ma cousine et mon propre Daimyo. Mais il se trouve que ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire et que Dastan n'est plus là pour remettre en doute mon récit. Tout comme Tsukiko par ailleurs. Shukaku, quant à lui, n'est plus en mesure de s'exprimer librement. Pourquoi me priverais d'un peu de gloire? N'ai-je pas payé un prix assez élevé pour revendiquer ce droit?

"Pour le reste... Il est vrai que j'ai mon petit caractère!" dis-je en accompagnant ma remarque d'un léger sourire. "Mais dis-moi... Penses-tu qu'en des temps troublés comme ceux que nous vivons aujourd'hui nous puissions réellement nous permettre de laisser de la place à la compassion? À la compréhension? À la moindre petite parcelle d'empathie? On combat le mal par le mal, ça a toujours été ainsi. Et ça le sera toujours! J'ai beau être jeune j'ai compris que certaines règles sont immuables. Tout simplement parce que la nature humaine elle-même l'est! Et puis... il faut bien que quelqu'un endosse le rôle de l'espèce de connard de bas étage puisque personne ne semble disposé à le faire. J'agis peut-être mal. Mais au moins j'agis..."

Je me roule à nouveau une cigarette et me l'allume en prenant cette fois bien soin de ne pas me la faire voler une nouvelle fois. Il me reste toutefois encore un point à préciser avant de lui redonner le bâton de parole:

"Et puis si je peux me permettre... Pas tous les Kawaguchi sont capables de maîtriser le sable!" Tu vois à qui je fais référence? Hein? Hein? "Mais je t'en prie, éclaire-moi: comment est-ce qu'un chef de clan digne de ce nom agirait? Et je ne parle pas des actes qu'il devrait accomplir pour se faire apprécier des siens mais de ceux qui permettront de les sauver!"

Je suis certain qu'elle a déjà réfléchi à la question. Et je sens qu'une nouvelle fois sa réponse risque de se faire cinglante. Tant mieux! Cette discussion n'aurait aucune raison d'être si elle était altérée par une quelconque forme de peur ou d'hypocrisie.

Il y a tout de même quelque chose que je n'arrive pas à comprendre: d'où vient ce désir de vivre en société? D'avoir des amis sur lesquels on peut compter comme s'ils étaient une absolue nécessité dans l'existence d'une personne? La plupart des gens sont fiers de leurs amitiés, persuadés qu'elles leurs permettent d'avancer dans la vie. Suis-je le seul à les considérer pour ce qu'elles sont? De dangereuses épines dans le pied? S'ouvrir aux autres, c'est prendre le risque de se faire blesser en retour. Si les avantages compensaient les inconvénients je suppose que j'y réfléchirais à deux fois.

Toujours est-il qu'il vaut mieux être seul au sommet qu'accompagné en bas de l'échelle! Et que je ne vois pas en quoi cette réalité revêt l'aspect d'un sacrifice. C'est simplement logique. Et j'irais même jusqu'à dire qu'il s'agit de la prudence la plus élémentaire. Mon entente avec Oga a été profitable, j'en conviens. Mais tôt ou tard elle m'aurait porté préjudice. Et je ne crois pas trop m'avancer en disant que notre relation était celle qui s'apparentait le plus à de l'amitié. Que dire de Tali qui m'a trahie? Ho non, l'amitié est bien trop dangereuse pour être ne serait-ce qu'envisagée. Et la solitude prends alors des allures de solutions à l'empathie, véritable frein à l'évolution personnelle.

"Je me satisfais fort bien de cette prétendue solitude!" dis-je en caressant du bout des doigts le sceau qui défigure mon abdomen. "J'irais même jusqu'à dire que je m'y complais! Et pour aller au fond de ma pensée je suis convaincu que les attaches émotionnelles, peu importe leurs natures, ne serviront jamais les intérêts d'un chef de clan. Et, par conséquent, de ses ouailles! C'est précisément parce que je n'ai pas à me soucier des autres ou de la morale que je peux remplir avec efficacité les tâches qui sont dévolues à un Seigneur du Sable. Est-ce si compliqué à comprendre?"

J'ai eu un instant de faiblesse passager. Il est vrai que mes intérêts ne concordent pas toujours avec ceux du clan. Ceci dit cette distinction aurait un intérêt si seulement l'on pouvait me dissocier des Kawaguchi. Or il se trouve que je suis le clan. Comment mes propres désirs pourraient porter préjudice aux manieurs de sable? Ils sont intimement liés. Ce qui me rend plus fort rend également le clan plus puissant. Comment ai-je pu perdre de vue cette évidence?

"Tu sais Yuna... Je me fiche pas mal que les miens souffrent. Tout comme je me fous complètement de leurs désirs et de leurs envies, c'est vrai. Parce qu'au-delà de leurs propres petites considérations personnelles se trouve l'intérêt du clan. Ou le mien si tu préfères! Qu'ils me reprochent ce qu'ils souhaitent, peu m'importe! Le fait est qu'ils sont toujours en vie et bien plus aptes à combattre qu'ils ne l'étaient auparavant. Je leur ai redonné leur liberté! Ils n'étaient que des bras au service de Suna et ils sont à présent l'avenir de Kaze. S'ils ont oublié que toute victoire mérite des sacrifices c'est peut-être le clan lui-même qui devrait se remettre en question. On me considère comme si j'étais une sorte de fléau. Mais je ne suis rien de plus que la réponse à leurs prières!"

Qu'ils ne viennent pas s'en plaindre. La plupart des Kawaguchi regrettaient la glorieuse époque où nous arpentions le désert avec nuls autres rivaux que les astres eux-même. À quel moment ont-ils pensé que ça ne leur coûterait pas le moindre effort? Si j'impose ma discipline et mes règles, c'est pour le bien des nôtres. S'ils sont trop stupides pour s'en rendre compte, dois-je m'en soucier?

"À t'entendre je devrais aller border chaque Kawaguchi, les rassurer et leur offrir un environnement propice à leur épanouissement personnel. Je pourrais abonder dans ce sens - et encore... - si seulement il s'agissait d'enfants. Or il se trouve que nous parlons de guerriers descendants du clan le plus fier à avoir jamais foulé ce désert. Et s'ils se plaignent aujourd'hui que ces ingrats n'oublient pas une chose: ils auraient pu se dresser face à moi lorsque j'ai pris la tête des nôtres!"

Qu'ils geignent si ça peut leur apporter un brin de réconfort... Mais ils obéiront! Je termine de déguster la crème puis envoie le reste valdinguer par dessus mon épaule. Je surprends alors le regard que la jeune femme sur l'entrée de l'auberge. Elle souhaite partir, déjà? Ho que non...

"Je t'ai assuré que tu resterais en vie pour peu que tu daignes t'exprimer avec honnêteté, ce qui est le cas!" Ha ben ça... Pour être honnête, elle l'est! "Mais si tu continues à agir comme si j'empiétais sur ton précieux emploi du temps alors les chose pourraient vite devenir inconfortables pour toi!"

Non mais ho! Elle ne se rend pas compte de l'honneur que je lui fais? Comme si d'ordinaire j'autorisais les Kawaguchi inférieurs à me parler en ces termes... Et que dire alors d'une Kawaguchi qui ne mérite pas de porter notre nom? On peut me reprocher beaucoup de choses je suppose mais certainement pas de lui accorder plus de considération qu'elle ne le mérite. Toujours est-il que la discussion prend une tournure nettement moins... cordiale que tout à l'heure.

"Bref... Imaginons un instant que pour une raison ou une autre tu venais à prendre la tête du clan. Quelles seraient tes trois premières décisions en tant que dirigeante?" dis-je avec un semblant de curiosité. "Il est facile de critiquer ses supérieurs, c'est un fait. Mais lorsque l'on est à la place de celui qui doit choisir, de celui qui ne peut se permettre le luxe du doute, les choses revêtent souvent un aspect bien moins agréable!"

Et je parle en connaissance de cause! Je suppose que personne ne peut comprendre le poids que représente le pouvoir sans l'avoir auparavant exercé lui-même...

Des fruits et de l'eau? Mais quelle bonne idée! Je surveille patiemment les mouvements de la jeune femme tout en tentant de faire abstraction de l'avalanche de moqueries du Tanuki. J'ai l'impression que cet enfoiré s'imagine dans la peau d'un spectateur d'une pièce de théâtre. Une pièce dans laquelle j'aurais le rôle d'un ennemi haï du public. Là encore je tente d'en faire abstraction mais c'est plus facile de s'imaginer maîtriser un Bijuu - fusse-t'il terré dans vos entrailles! - que d'y parvenir. Quel dommage par ailleurs. S'il suffisait de lui imposer sa propre volonté les choses seraient clairement plus faciles. Pour lui comme pour moi...

"Merci!" dis-je en m'emparant des victuailles de la blonde. "Mais tu as oublié le saké!"

Et de s'incliner, tiens. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai toujours eu un faible pour ceux qui osaient dire les choses clairement. Il est vrai que j'ai de la peine avec la multitude de nuances de gris. Les choses sont soient noires, soit blanches. La subtilité qu'on semble accorder aux rapports humains n'est rien de plus que de la poudre aux yeux. Vous êtes un ennemi ou vous êtes un allié. Pourquoi compliquer ce qui, dans le fond, est d'une simplicité désarmante? Si le monde est devenu si complexe c'est sûrement parce que les gens ne peuvent se satisfaire du rudimentaire.

"Tu veux savoir pourquoi j'ai acheté cette auberge?" que je lui demande entre deux fruits. "Parce que si cette conversation avait été entendue par les personnes qui s'y trouvaient nous aurions fait bien plus de tort au clan que peut le faire un simple achat inconsidéré. L'une de nos forces est notre unité. Qu'elle soit de façade ou non, peu importe. L'essentiel étant que les inférieurs y croient, eux! C'est d'ailleurs pour cette raison que je t'ordonne de ne plus me contredire en public! Là encore, que ce soit fondé ou non...

Je crois que j'ai compris son point de vue. Elle souhaite obéir à mes ordres mais de son propre chef. Parce que je le lui ai ordonné, bien sûr. Mais également parce qu'elle le souhaite. Parce qu'elle se fie à mon jugement. La contrainte la peur sont très utiles mais ne remplaceront jamais la bonne volonté. Si j'étends cette réflexion au reste du clan il se peut en effet qu'il ne puisse jamais libérer son vrai potentiel tant que le climat que j'ai instauré perdurera. Je suis conscient d'être faillible même si je fais de mon mieux pour exprimer le contraire. Et si je finissais entouré de gens qui, à l'inverse de Yuna, n'osaient même plus me faire remarquer mes erreurs? Une fois ou l'autre je finirais par en commettre une fatale. Non seulement pour moi mais également pour le nom que je chéri tant...

Alors je marque une pause dans mon ingurgitation d'eau et repose le verre sur la table, hésitant. Puis je déglutis et repousse doucement les fruits et la boisson devant la blonde, l'incitant à reprendre ses biens. Je m'enferme ensuite dans une nouvelle réflexion qui se brise au moment où la brûlure de la cigarette me rappelle que je ne suis pas seul. Et si... Et si je profitais de mon retour pour tenter d'emprunter un autre chemin? Un chemin, qui, au final aurait la même destination mais qui ne m'obligerait pas à semer la mort dans mes propres rangs? Un chemin qui pousserait les gens à élever des statues en mon nom parce qu'ils le désirent et non parce qu'ils craignent la morsure du fouet? Est-ce cela ferait de moi un faible? Ou un chef digne de ce nom?

"Je veux bien reconnaître que je ne suis pas un exemple de moralité et que si je ne dors pas la nuit ce n'est en aucun cas à cause de ma conscience..." dis-je sur le ton de la confidence. "J'admets également volontiers que ma façon de faire n'est peut-être pas la plus avisée. Seulement il se trouve que je suis moi-même prisonnier de ce que je suis. À l'instar de Shukaku il m'arrive de me sentir enfermé dans la réalité que je me suis pourtant moi-même forgée. Mais les barreaux d'une prison sont faits pour être brisés n'est-ce pas?"

Là encore il s'agit de pure rhétorique, je n'attends pas de réponse dans la mesure ou je la connais déjà. D'ordinaire je me contente d'ordonner. Je n'avais pas conscience qu'il suffisait parfois de demander... Alors peut-être que pour cette fois - juste pour cette fois - je pourrais daigner tenir compte de l'avis d'autrui. Allez savoir, ça pourrait me plaire...

"Félicitations Yuna! Te voici propulsée conseillère du Seigneur du Sable. Tu feras office de conscience! Histoire d'apporter plus de crédit à ta nouvelle position tu rejoins également mon équipe!" Je pourrai ainsi garder cette bizarrerie à l'oeil! "Tu feras équipe avec Amano. Enfin, s'il est toujours vivant..."

Il faudrait sûrement que je m'en inquiète d'ailleurs, non? Il est vrai que ces temps mon emploi du temps était plutôt chargé. Entre les fessées à donner à Tali et ma partie de jeu de go avec Shukaku, je n'ai guère eu le temps de lui prêter l'attention qu'il méritait. Mais peu importe, ce n'est que partie remise! Et puis de toute façon il semble s'en être pas trop mal tiré en mon absence. Un bon point pour lui. Et une chose de moins à lui reprocher! Toutefois je remarque rapidement que je retombe dans l'un de mes travers. Alors je m'éclaircis à nouveau la gorge et tente de prononcer quelques mots qui n'ont guère l'habitude de quitter le seuil de mes lèvres.

"Enfin... Si tu... Si tu es..." Arrrgh, c'est dur! "Si tu es d'accord, bien sûr!"

Qu'elle essaie de répondre par la négative, pour voir! Je veux bien poser la question mais pas me satisfaire d'une réponse qui me déplait. Toutefois je ne suis pas tout à fait honnête: si je la souhaite à mes côtés ce n'est pas uniquement pour sa façon d'être mais également pour ce qu'elle est, elle! Prouver au clan que je prête aussi de l'attention à ses membres les moins respectables ne pourra que redorer quelque peu mon blason, non? Du moins si je me fie à l'opinion de l'intéressée en question...

Je ne peux retenir un rire qui trahit à la fois moquerie et amusement. Donnez la main à quelqu'un et il y a pratiquement cent pour cent de chance qu'il vous bouffe le bras avec. Ainsi même si je viens de faire un honneur à la jeune femme cette dernière se sent pousser des ailes et s'autorise à me dicter ses conditions. Encore une preuve s'il en est qu'il n'est jamais bon de laisser trop de liberté à ses ouailles... Il me faut encore quelques secondes pour ravaler mes ricanements avant que je me tourne de trois-quart en direction du bar. Quelques mudras plus tard et le voici qui se rapproche sur une vaguelette de sable avant de retrouver un semblant de stabilité. Deux mains de silicium prennent ensuite la relève et commencent à me préparer ce qui ressemble à un festin.

Pendant qu'elle s'affairent je retrouve un peu de mon sérieux en observant Yuna. Dois-je lui trancher l'un de ses bras? Lui crever les yeux? Peut-être même en faire une femme tronc? Ce serait amusant si seulement son corps n'était pas aussi étrange que le sien. Que faire contre sa bizarrerie? L'enterrer sous des tonnes de sable? Je suppose que même elle ne pourrait pas s'en tirer. Mais je suppose que la dépense de chakra serait bien trop exagérée pour les avantages que j'en tirerais... La voir souffrir serait certes distrayant mais d'un autre côté je commence à me lasser de ces petits plaisirs de la vie. Et puis mérite-elle réellement l'énergie que j'aurais alors dépensé pour elle? J'en étais sûr il y a quelques instants. Mais maintenant les choses sont quelque peu différente.

"Le fait que je te fasse une proposition ne signifie en aucun cas que tu sois en position de négocier! Je te posais la question par pure politesse puisque j'ai cru comprendre que tu affectionnes cette approche. Mais ne vois pas ce semblant de bonne volonté comme une preuve de faiblesse. Et encore moins comme une opportunité d'en tirer un profit autre que celui de me servir!"

Le ton est aussi glacial que les nuits de Kaze. L'insolence semble être devenue courante au sein des Kawaguchi depuis que Tali a tenté de me supplanter. Il est peut-être temps que les miens se rappellent que l'obéissance absolue n'est pas une option. Qu'elle est nécessaire, gage de survie. Pourquoi dois-je passer mon temps à rappeler aux manieurs de sable cette évidence? Et pourquoi, surtout, devrais me prêter à ce petit jeu?

"Ainsi notre relation sera telle que je le désire, point! Ton choix - si l'on peut appeler ça ainsi! - se résume à deux options: suivre ma volonté ou t'y opposer! Dans un cas comme dans l'autre j'obtiendrai satisfaction!" dis-je sur le ton de l'évidence. "Mais si ça peut te rassurer ce n'est plus ce genre de "service" que j'attends de toi..."

Du moins pour l'instant! Je me connais assez pour savoir que je suis d'un caractère changeant. Mais il est vrai que j'ai largement de quoi me satisfaire au sein de mon propre clan. Je ferais volontiers l'impasse sur le corps de cette demoiselle dans la mesure où il n'est qu'un parmi tant d'autres.

"Quant à la façon dont tu t'adresseras à moi..." je hausse les épaules. "Que ça te plaise ou non je suis ton Seigneur, ton Maître et ton Dieu. Là encore il n'est nullement question de négocier ce qui est vérité! J'apprécie ton honnêteté Yuna et c'est d'ailleurs pour cette raison que j'envisage la possibilité de me fier à ton avis. Pour autant une brebis n'aura jamais d'autre choix que celui de suivre son berger..."

Peu importe la façon dont elle m'appelle tant qu'elle me témoigne le respect que je suis en droit d'attendre. Elle peut avoir son avis sur moi, certes. Mais quoi qu'il en soit je reste son chef de clan et le Seigneur du Sable. Crois-t'elle qu'elle peut échapper à cette réalité? Que l'offre que je lui fais la dispense du bon sens le plus élémentaire? Je la pensais plus maline que ça...

"Dis-moi... À moins que ma mémoire ne me joue des tours il me semble que tu as été élevée par des inférieurs, non? Je crois même me souvenir que ta mère adoptive n'est plus de ce monde. Contrairement à son époux!" le ton est parfaitement innocent et c'est peut-être ce qui le rend si menaçant. "Il serait dommage que d'autres viennent à payer ton manque de clairvoyance tu ne crois pas?"

On peut me reprocher beaucoup de choses mais certainement pas le fait que je connaisse personnellement l'histoire de chaque membre de mon clan. Comment pourrait-il autrement alors que tout mon intérêt va vers ce dernier? Yuna est peut-être une abomination mais il n'en reste pas moins qu'elle porte le même nom que moi. Elle ne fait ainsi pas exception à cette règle.

"Alors je te repose une nouvelle fois la question, Yuna: est-ce que mon offre te convient?"

Croit-elle que j'hésiterais? Pourquoi le ferais-je? L'amitié - et plus généralement l'affection - est une faiblesse que l'on aurait tort d'exploiter. Un levier sur lequel je n'aurai aucun scrupule à m'appuyer. Je suppose que la menace est suffisamment claire pour ne pas avoir besoin de la détailler davantage. Je massacrerais jusqu'à ses peluches si ça me permettait d'obtenir gain de cause. Ho que oui!

Je trempe à nouveau mes lèvres dans l'alcool et hausse un sourcil interrogatif à l'attention de la blonde. Devrai-je aller jusque là?

Il est vrai que sur ce coup-là j'aurais préféré qu'elle me suive par volonté et non par obligation. Mais puisque la première option semblait exclue que faire sinon me rabattre sur la seconde? L'essentiel, au final, est qu'elle obtempère. J'aurai peut-être le temps de travailler la technique en sa présence allez savoir... Ce qui, d'ailleurs, est le but même de ma démarche. Il faudra que je m'habitue à elle tout comme elle devra s'habituer à moi. Mais si nous faisons chacun un pas vers l'autre il se peut que nous finissions par nous rencontrer quelque part entre nos avis respectifs. Dans le cas contraire je n'aurai qu'à la renvoyer là d'où elle vient, en bas de l'échelle de respectabilité des Kawaguchi.

*Si tu ne me suis pas par volonté je me contenterai que tu me suives tout court!*

Je reconnais que j'aurais préféré que ce soit d'elle-même mais je suppose qu'en apprenant à me connaître elle verra que je suis plus que le sombre connard que les gens se bornent à voir en moi. Il est vrai, pour leur décharge, que je ne leur facilite pas vraiment la tâche.

"Tu te trompes lorsque tu avances que tu n'as pas le choix. On a toujours le choix! Sinon nous ne serions que de simples pions sur l'échiquier des forces supérieures qui se targuent de dominer ce monde pas vrai?" Ou, plutôt, à qui nous accordons ce pouvoir. "Tu aurais très bien choisir de conserver ta relative liberté pour peu que tu acceptes de sacrifier un être cher. Le soucis c'est que tu as décidé de te poser toi-même des limites..."

Malheureusement la plupart des gens n'en sont pas capables. Et je ne ferais pas exception à cette règle pour peu que j'accepte de glisser dans le piège de l'amitié. C'est en partie pour ça que l'altruisme ou l'empathie sont des sentiments qui me font... peur? Oui, je crois que le mot n'est pas trop exagéré.

Je trempe une nouvelle fois mes lèvres dans le saké puis lâche un rire amusé lorsqu'elle me qualifie de gamin capricieux. Elle a sûrement raison sur ce point là. Mais les caprices ne sont pas seulement le privilège des enfants. Ils sont également celui des puissants, de ceux qui peuvent se permettre d'ignorer les règles pour imposer les leurs. Toutefois je ne tiens pas à gâcher cette accalmie qui semble se former dans cet orage qui caractérise notre échange depuis de longues minutes maintenant. Je hausse alors les épaules sans me départir de mon sourire en coin.

"Peut-être, oui... Qui sait?"

Yuna me questionne ensuite sur mes ambitions consécutives à mon retour. En réalité c'est une bonne question! J'ai bien une idée de la prochaine étape mais je n'ai pas vraiment réfléchi à la façon de l'atteindre. Ou, plutôt, je n'ai pas envisagé d'autres options que celle qui me semblait la plus logique. Mais puisque je dispose à présent d'une nouvelle conseillère à la langue aussi pendue qu'acérée j'aurais tort de ne pas en profiter.

"Ce que je compte faire?" je répète doucement sa question, les yeux dans le vague. "Et bien avant tout je crois qu'il convient de consolider le clan lui-même. En s'accaparant ma place Tali a mis à mal mon autorité. Plus grave encore: elle a semé les graines de la discorde dans nos propres rangs. Or la force des Kawaguchi repose avant toute chose sur l'unité. Nos ennemis sont nombreux et la plupart n'attendent qu'une seule faiblesse de notre part pour se dresser face nous! C'est une chose que je ne peux permettre, que ce soit par fierté ou simplement par devoir envers les nôtres..."

Il fut un temps où j'estimais que les Kawaguchi de sang pur devaient être séparés des demi-manieurs de sable. Mais je comprends aujourd'hui que c'était une erreur. L'une de mes premières actions sera de dissoudre l'inquisition que j'ai créée l'année passer. Séparer le grain de l'ivraie est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre. J'ai beau reprocher à Tali les fissures de l'édifice Kawaguchi il n'en est pas moins que j'ai porté moi-même le premier coup aux nôtres. La nécromancienne s'est contentée de les agrandir, de les rendre visibles aux yeux de tous...

"J'avais dans l'idée de faire exécuter ceux qui s'étaient rangés du côté de Tali à vrai dire..." c'est efficace, ça, comme méthode! "Je ne peux pas laisser la trahison impunie. D'une manière ou d'une autre ils doivent payer! Ne serait-ce que pour dissuader les autres de se dresser face à moi ou d'oublier à qui va leur allégeance..."

Malheureusement les circonstances rendent cette option peut-être trop drastique. On me reproche souvent de ne penser qu'à moi et pourtant j'ai passé l'après-midi à chercher une solution à ce problème épineux. Je suis toujours revenu à la case départ, celle consistant à séparer le grain de l'ivraie de manière drastique. Mais je rechigne à faire couler le sang des miens. C'est d'ailleurs pour cette raison que la tête de Tali n'orne pas les murs du Temple à l'heure actuelle. Ou encore que Yuna se tient encore sur ses deux jambes malgré son premier refus de servir directement sous mes ordres.

Je fais quelques signes et un second verre est mû par le sable jusqu'au mien, à présent vide. Je les remplis puis fait glisser l'un d'eux vers la jeune femme. N'importe quelle discussion, de la plus détestable à la plus agréable devient plus spontanée avec de l'alcool. Même si je me doute que Yuna verra là une occasion de l'attirer dans mon lit ou quelque chose du genre. Il n'en est rien: l'intérêt de la jeune femme réside maintenant davantage dans sa cervelle que dans sa merveilleuse silhouette.

"Et voici maintenant la question à mille points: que ferais-tu à ma place? Je suppose que tu as une idée sur le sujet..."

Je hausse les sourcils comme pour appuyer ma question avant de m'humecter une nouvelle fois le gosier. La voici déjà mise à contribution. Comme on dit: pas de repos pour les braves!

Il semblerait que nous soyons d'accord sur le fait que notre clan ne puisse être bicéphale. Tout comme elle approuve la nécessité de punir ceux qui ont osé suivre Tali lorsque son ambition l'a poussée à s'accaparer le pouvoir. Cela dit Yuna me pousse à privilégier la patience avant d'agir. Il est vrai qu'identifier clairement mes amis de mes ennemis au sein des Kawaguchi est une nécessité. Dans un monde parfait j'aurais sûrement opté pour cette solution. Mais dans le nôtre je redoute quelque peu les conséquences d'une inaction prolongée. Laisser aux traîtres l'occasion de s'organiser? De contre-attaquer? L'idée n'est guère plaisante...

Je suis également un peu déçu par la conclusion de la jeune femme. Il est évidemment obligatoire de punir les dissidents. Que je le veuille ou non, c'est un point sur lequel je ne peux me permettre la moindre faiblesse. Je ne sais pas... Peut-être m'attendais-je à ce qu'elle ait la solution miracle, celle me permettant à la fois de consolider mon pouvoir et de séparer le grain de l'ivraie. Mais pour sa défense il est vrai que je ne lui ai pas laissé beaucoup de temps pour réfléchir à la question. Alors si même si j'avais dans l'idée de lui faire remarquer son utilité très relative je décide de lui accorder un peu de temps pour qu'elle s'acclimate à sa nouvelle position. N'était-elle pas en bas de l'échelle du clan il y a encore une heure? Même le plus pur des diamants doit être longuement travaillé pour être mis en valeur. Alors que dire d'une erreur de la nature comme Yuna?

"J'ai déjà une idée plutôt précise de ceux qui ne me soutiennent pas pour être honnête. Les choses ne changent guère dans ce désert et j'avais déjà des opposants avant ce que certains apprécient qualifier de "fuite". Je suis prêt à parier que ce sont les mêmes qui ont soutenu Tali!" ça me semble tomber sous le sens. "Mais il se peut que d'autres aient grossi leurs rangs entre-temps. Quitte à purger les nuisibles.. Autant que ce soit en une seule fois pour éviter qu'ils prolifèrent à nouveau, oui!"

Autrement dit: patience! Un exercice pour lequel je n'ai jamais été très doué malheureusement. Malheureusement les hypocrites ont la fâcheuse tendance à masquer leurs opinions en ma présence. J'en suis peut-être responsable dans la mesure où je n'ai jamais encouragé l'honnêteté comme je le fais ce soir avec Yuna. Comment en vouloir à un chien de ne pas aboyer alors qu'on lui a soi-même passé une muselière? N'était-ce pas le but recherché?

Je reprends une gorgée de saké puis repose avec un semblant de délicatesse mon verre sur la table. La position de la lune qui projette sa douce clarté à travers les orifices du bar m'indique qu'il est déjà tard. J'ai besoin de réfléchir un peu à tout ceci, à tête reposée. Prendre un peu de recul sur l'une des décisions les plus importantes qu'il m'a été donnée de prendre depuis que je préside au destin des miens me semble nécessaire. Et si je ne peux pas trouver le sommeil depuis que Shukaku est scellé en moi - ce qui explique évidemment les cernes qui maculent mes yeux - je n'oublie pas que les autres, eux, ne peuvent échapper à ce petit plaisir de la vie. Je les envie...

"Est-ce qu'il t'arrive d'arrêter de manger? Ton estomac a-t'il seulement un fond? Depuis que nous sommes ici tu n'as eu de cesse de piller le garde-manger de ce bar!" dis-je en désignant du regard l'abricot entre ses doigts. "Enfin... Profite car demain les choses sérieuses commencent! Et je te prie de croire que l'entraînement que je dispense à mes élèves n'a rien d'une sinécure..."

Mais elle s'en rendra compte bien assez tôt. Pour l'heure, qu'elle prenne des forces! Elle en aura besoin. Reste à savoir comment je vais pouvoir inculquer quelque chose à quelqu'un dont les facultés sont si différentes des miennes. Je suis un chantre du sunaton mais les gogyous sont des créatures dont je ne sais pratiquement rien. Est-elle capable de maîtriser autre chose que sa particularité? Si c'est le cas je risque d'avoir quelques soucis pour en faire une Kawaguchi digne de ce nom...

"Maintenant va te reposer!" oui, c'est un ordre! "Demain je te réveillerai aux aurores pour la première phase de ta formation! Celle qui, en général, est la plus amusante!"

Du moins pour moi... Si elle est aussi maline que je me plais à le croire elle comprendra sûrement qu'il est dans son intérêt de suivre mon "conseil". Peu importe son état de santé ou son état d'esprit, je n'ai pas pour habitude de m'adapter à la condition de mes élèves. Autrement dit: qu'elle dorme ou pas, elle subira la même chose. Néanmoins les sacrifices porteront leurs fruits, j'en suis convaincu. Du moins est-ce la cas avec ceux qui ont le sang-pur. Yuna est, d'une certaine façon, une expérience. Reste à espérer qu'elle tournera bien...

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Nous sommes encore loin de l'aurore, en fait. J'apprécie beaucoup réveiller les autres. Je ne sais pas, c'est l'un de mes dadas! C'est parfaitement jouissif d'extirper les gens d'un beau rêve pour les plonger à nouveau dans les affres de la réalité. En l'occurrence, si j'ai décidé d'avancer quelque peu l'heure du début de l'entraînement c'est pour deux raisons: la première est que je n'avais guère envie qu'elle puisse anticiper ce qui allait arriver. Et la seconde - et non des moindres! - se résume à un seul mot: l'ennui!

J'effectue alors quelques mudras sous les cieux étoilés et le sable commence lentement à grimper le long des murs de ce qui est encore un bar pour le moment, adoptant la forme de la mâchoire de Shukaku. La pression des dents acérées de silicium commence à lézarder les murs avant de les briser en plusieurs craquement distinct, disloquant peu à peu la structure. Les fenêtre éclatent une à une tandis que l'établissement s'enfonce dans les profondeurs insondables de Kaze. J'espère pour la blonde qu'elle n'a pas le sommeil trop lourd. Car il se peut alors qu'il s'agisse de son dernier repos...

Alors? Mourra, mourra pas?