S'il y avait une saison que Natsuki détestait, c'était bien l'hiver. Non pas qu'il ne supportait pas le froid, il ne l'aimait tout simplement pas. Les mois de la saison froide ont toujours été un calvaire pour lui, dans le sens où cette période ne l'incitait pas à l'effort, en sapant son énergie comme son moral. Lui qui pourtant est régulier dans ses entrainements devenait presque une loque de décembre à mars. Seules ses obligations de ninja le poussaient encore à un peu d'exercice dans le dojo – chauffé – du clan Nara, lorsque celui-ci n'était pas occupé. Car qu'il soit motivé ou non, il ne pouvait se permettre de se laisser aller sur sa condition physique. Son corps était son outil de travail, et aussi son assurance vie : s'il partait en mission sans être en condition optimale, peut-être ferait-il gagner du temps au fossoyeur en creusant sa tombe avant de quitter le Village de la Feuille.

L'hiver battait de son plein, alors que seulement en début de saison. Avec un peu de chance, peut-être que le printemps sera précoce cette année. Natsuki avait entendu dire que la température moyenne augmentait sensiblement chaque année. Si cela se trouve, il vivra assez vieux pour connaître un hiver doux ? La nature n'appréciera pas forcément sur le long terme, ou peut-être qu'elle s'y habituera aussi, mais dans tous les cas, cela ne le concernait pas : même s'il mourrait de vieillesse, ce dont il doutait fortement – à cause de la guerre entre autres -, il ne vivra pas assez longtemps pour constater l'effet délétère, s'il y en avait un. Tout ce qui comptait dans l'instant présent de toute façon pour lui, c'était de réussir à se lever pour malmener l'imbécile qui tapait sur la porte de sa chambre.

Un geste simple en apparence, mais qui coûtait beaucoup aux personnes dépendantes, aux blessés, et aux êtres maudits comme lui. C'en était ridicule... Dans ce qui aurait pu ressembler à un juron si ses lèvres avaient daigné articuler quoi que ce soit, il puisa dans ses réserves, retrouva l'enchainement compliqué de mouvements qu'il convenait de faire avec ses jambes pour se mettre debout, et bascula finalement juste hors de son lit. Un nouveau grognement incertain tenta de se frayer d'en dessous les couvertures...

Emmitouflé dans la couette qu'il traina sur sa route, il n'ouvrit que légèrement la porte de sa chambre, juste assez pour y laisser passer son visage, où il posa sur Leika un regard cerné aux yeux explosés, zébrés de bien plus de veinules rouges que ce qu'un globe oculaire est censé avoir.

« Oh... c'est toi... la mission... » marmonna-t-il sans ouvrir la bouche. « Fini... Ta paye... »

Une main se glissa hors de l'amas de couvertures, et enfila un billet de mille ryos au premier endroit où il arrivera à l'accrocher sans avoir à lever son bras plus haut que sa hanche, avant de reculer et claquer sa porte au nez de Leika.

Natsuki considéra l'obscurité de sa chambre d'un œil morne, puis décida que son lit était beaucoup trop loin pour qu'il rebrousse chemin. Il avait déjà sa couette avec lui, aussi il se laissa simplement choir au sol, resserra son drap autour de son corps maladif et retourna à son hibernation forcée.

Jusqu'à ce que quelqu'un lui trébuche dessus, ce qui lui arracha un grognement agacé – mais pas l'envie de se lever. Tout au plus, il roula jusqu'à son lit en dépit de la gravité. L'obscurité laissa place à la lumière lorsque Leika ouvrit les volets, et la fraîcheur de l'hiver remplaça l'atmosphère renfermée qui inondait la chambre du Nara tatoué. Une chambre qui avait le mérite d'être propre et bien ordonnée, puisque depuis deux semaines il ne faisait qu'y dormir. Sa vieille guitare avec un trou dans le corps et la peinture dénaturée par le soleil attendait toujours dans un coin, poussiéreuse comme le reste des meubles.

Les yeux fermés, il répondit à Leika vaguement sans ouvrir la bouche quelque chose d'inintelligible, même pour les oreilles d'Onpu, puis pivota pour faire comprendre qu'il voulait juste la paix, et que la jeune Hayashi se tenait entre elle et lui. Son inconscient caressa le maigre espoir qu'elle se perde en chemin de sa cuisine, et ne revienne pas après qu'elle lui ai annoncé qu'elle cherchait de quoi manger. Il pouvait très bien rester ainsi. Ce n'était pas la lumière qui le dérangerait, ni la fenêtre ouverte : il avait été prouvé scientifiquement que ce n'était pas le froid en lui-même qui rendait Natsuki ainsi. Hélas, l'espoir était aussi vain qu'infondé, et Leika s'en revint, un plateau entre les mains. Il se força alors à ouvrir ses yeux irrités par la fatigue, et les leva jusqu'à son étudiante – qui se son point de vue, marchait sur le mur.

« Écoute Leika... Tu es sympa et tout... mais je veux être tranquille... Dégage. » marmonna-t-il sans conviction en ouvrant l'espace entre ses lèvres.

La patience de Natsuki était très limitée en hiver. En règle générale, à moins d'une excellente raison, l'on évitait de venir le voir. Et les excellentes raisons étaient fuit comme la peste.

Bravant la peur et le danger, Leika déposa le plateau devant le Nara tatoué. Un plateau chargé, qu'elle avait préparé avec soin, et dont certains ingrédients étaient même de sa production. Le rouge de ses yeux, qui n'avait rien à envier à Sauron, parcouru le contenu du plateau au prix d'un gros effort, et ne releva nulle part son bol de céréales Captain Ukulélé. Rien de ce qu'il avait devant lui ne venait de chez lui, ce qui était dire les efforts investis par Leika.

Sous sa couette, un mouvement s'opéra qui forma une bosse au niveau du bassin, farfouilla un peu, puis remonta lentement jusqu'à sous le menton pour laisser une main émerger. Elle tenait entre ses doigts une paille qui fit office de pont entre ses lèvres et le bol de thé fumant. Thé fumant qui se vida le temps d'une seule aspiration, avant que Natsuki ne rentre à nouveau sa main au chaud.

« Merci... au revoir... » lâcha-t-il en pivotant dans sa couette pour lui tourner le dos.

Si Leika savait ce qui était bon pour elle, elle n'irait sans doute pas plus loin et partirait. Mais jusqu'à ce jour, ce n'était pas un sens très affirmé chez elle.

Si quelque part au fond de lui, Natsuki s'en souciait, il aurait répondu à la question rhétorique : '' j'aurai l'air d'un mec sous métamorphose. ''. Mais comme ce n'était pas le cas, il laissa simplement Leika s'éloigner en tempêtant. L’accalmie ne durera toutefois pas, il le savait. Il l'entendait encore se déplacer dans la maison, dont il pouvait retracer le chemin en suivant le son de ses pas malgré lui. Des pas forts, des pas déterminés. Elle reviendra, et sans aucun doute, elle mettra ses menaces à exécution. Ou plutôt, elle tentera. Elle ignorait vraiment ce à quoi elle se frottait, et profitait honteusement de sa faiblesse pour se mettre en confiance.

Un grognement sourd de lassitude s'échappa du fond de sa gorge, long comme le jour alors qu'il se résolu à faire quelque chose. Avec une infinie lenteur, et des gestes mous à souhait, il composa une succession de mudras sous sa couette. En décalage avec ces derniers, une copie conforme apparue étalée dans la même position que lui, dos à dos. D'un coup de pied sans conviction, il invita son double à se lever, et partir sous la douche.

Ce dernier, avec autant d'énergie que son créateur, roula jusqu'au sol et disparut à l'impact. S'en suivit un long silence qu'une corneille brisa en passant en fond de décors avec une trainée de points. La troisième tentative fut la bonne, lorsque son clone apparu déjà debout, emmitouflé dans un clone de couette, et commença à se trainer jusqu'à la salle de bain en longeant les murs – murs qui le soutenaient davantage que lui ne les frôlait. Un cliquetis discret révéla au lecteur que la porte de la chambre se verrouilla de l'intérieur sur son passage.

Natsuki² passa devant Leika en lui jetant un regard torve en coin, et pénétra dans la salle de bain qu'elle gardait. La porte aurait pu claquer s'il avait eu l'énergie suffisante pour le faire, mais l'économie étant mère de sûreté, il s'abstint de l'effort inutile en s'adossant de tout son poids contre pour la refermer. Mollement, il se hissa jusqu'à la cabine de douche sans se délaisser de sa couette, et à tâtons, comme un chien essayant d'ouvrir une porte, il s'efforça d'actionner l'arrivée d'eau. La douche froide ainsi que la pression de l'eau en pleine figure furent suffisantes pour rompre son fragile équilibre : le clone s'évapora dans un pouf sonore. La salle de bain se retrouva à nouveau vide, avec en seule fond le bruit des gouttes s'écrasant sur la baie vitrée de la douche.

Natsuki grogna sans force dans sa léthargie, et espéra que la ruse retienne suffisamment longtemps son étudiante, le temps qu'il retrouve vigueur et vitalité. Deux à trois mois donc.

Pendant plus d'une heure, Natsuki retrouva une certaine sérénité. Non pas qu'il était à l'aise, qu'il se sentait bien ou qu'il avait l'esprit tranquille dans son état, mais au moins, il n'y avait rien pour le déranger de plus que son épuisement physique et son moral situé quelque part dans la cave. Pendant plus d'une heure, Natsuki resta donc caché sous sa couette, coupé du monde, à sommeiller pour récupérer ce qui ne reviendra qu'avec les hirondelles : son énergie et sa motivation.

Jusqu'à ce que la poignée de sa porte commence à s'agiter.

A partir du moment où Leika essaya à nouveau d'entrer dans sa chambre verrouillée, il comprit que les choses allaient à nouveau mal se passer, son heure de répit amplement méritée était terminée. Et une heure sur trois mois, ce n'était vraiment pas grand chose. Il resserra sa couette et son drap sur lui, et attendit, déjà fatigué de ce qui allait suivre.

Il fallu un moment à Leika pour parvenir à forcer sa porte de chambre, mais elle y parvint, car tout comme lui elle était une ninja, et que si une serrure basique était capable d'arrêter un shinobi, cela se saurait. Et c'était bien dommage, songea Natsuki.

Il n’eut pas besoin de mots pour communiquer, le regard épuisé qu'il lança à Leika parlait pour lui. Il lui demandait pourquoi est-ce qu'elle insistait, pourquoi elle ne le laissait pas mourir tranquillement dans son coin. Il la questionnait à propos de la nécessité de tout ce mal qu'elle se donnait alors qu'il avait déjà passé les 25 hiver précédents sans problème.

Sans problème...

Et le problème prit la forme de ce que tenait Leika dans ses bras. Une bassine. Une bassine qui sentait les ennuies. Natsuki resta imperturbable lorsqu'elle s'avançait vers lui avec le regard courroucé. Il ne bougea pas lorsqu'elle renversa l'eau gelée sur lui. Et trempé, il resta immobile alors que les gouttes ruisselaient le long de ses mèches de cheveux.

Son expression ne changea pas non plus, lorsqu'il passa de la position couchée à la position assise sans donner l'impression de bouger. Il garda ses yeux cernés, son regard fatigué, sa bouche aux commissures tombantes. Puis il se leva dans un mouvement qui sembla lui coûter tous les efforts du monde. Ses couvertures trempées tombèrent à ses pieds, révélant un pyjama complet – et mouillé – décoré aux motifs d'animaux étranges et colorés.

Il fit trois pas avant de trébucher.

Tombant en avant, il se rattrapa à Leika qu'il enlaça presque. Son visage dans le creux de son cou, il parvint juste à murmurer un unique mot.

« Merci... »

Cependant, les historiens débattirent pendant très longtemps là-dessus. Les lettre ayant été mangées par Natsuki, certains affirmaient que le Nara tatoué avait plutôt dit '' pardon... '', comme en témoigna la suite.

Sa main se referma sur la ceinture de Leika – ou la zone où se trouverait sa ceinture si elle en portait une – tandis que l'autre fit pivot au niveau de l'épaule. Et avec une force à la fois lente et colossale, Natsuki la souleva au-dessus de sa tête, et la lança à travers sa fenêtre ouverte, en direction de la rue. Sans obstacle, la jeune femme ne devrait pas avoir de difficulté à se réceptionner sans mal. Et ce qu'elle verrait alors, ce sont des volets qui claquent, se refermant sur son passage comme si elle n'était plus la bienvenue ici.