¤ Souvenirs ~

(#) Sujet: ¤ Souvenirs ~ Lun 19 Sep 2016 - 10:00

Ses cheveux blonds et pâles, il les voyait distinctement, en dépit du linceul qui lui recouvrait les yeux pour le prémunir d'éblouissements perpétuels. Le scintillement de la garde du sabre, à son côté, lui était également clairement visible, et pourtant, ses doigts enserrant jusque là le manche de sa hache se décrispèrent d'eux-même. Sans bouger, la suivant simplement du regard, il l'observa descendre du navire plaisancier dans lequel elle venait d'accoster au quai du domaine Gembei. Tout portait à croire qu'elle était seule, mais Ichirô avait vécu beaucoup trop de fois une version sanguinaire de cette scène de débarquement pour ne pas supposer la présence d'autres personnes à bord. Son regard arriva à se décrocher d'Elle pour surveiller le pont du bateau.

« Il n'y a que moi. »

Comme la croyant sur parole, Ichirô braqua à nouveau ses yeux masqués vers la jeune femme, simplement vêtue d'une tunique couleur crème et d'un pantalon en cuir marron. Elle venait vraisemblablement de faire un long voyage à en juger par son état et devait avoir manqué de vivres, mais rien dans son attitude ne trahissait une quelconque faiblesse : elle se tenait droite, fière, les mains sur les hanches en guise de présentation.

« Quoi, vous voulez me faire croire... que vous avez manoeuvré ce navire toute seule ? Sur combien de milles ? dit-il la hache toujours entre ses mains, quoi que fort peu intimidante maintenant qu'il la tenait mollement devant lui.

- Ha ! Vous dites ça parce que je suis une femme !

- Non ! Je dis ça parce qu'un trois-mâts, ça a besoin d'un équipage pour ne pas couler au premier coup de vent !

- Monsieur est un connaisseur, alors... Peut-être qu'il pourrait lâcher sa hache, non ?

- Elle est bien où elle est pour l'instant. Aussi bien que votre sabre.

- Oh, ça. C'est pour me défendre, rien de plus, vous n'avez pas à avoir peur.

- Je peux dire la même chose de ma hache. Je n'ai plus que ma vie à défendre mais c'est bien suffisant. »

D'un œil perçant, la jeune blonde sembla observer un instant au delà de l'épaule d'Ichirô, remarquant la demeure qui se trouvait dans le paysage et sa taille, plutôt grande pour un homme seul. Elle haussa un sourcil, perplexe, se perdant intérieurement en conjectures.

« Hm. C'est une bien grande maison pour un seul homme. Vous avez du nerf de venir me casser les pieds sur la manœuvre de ce vieux machin, dit-elle en pointant vaguement de la main le bateau de plaisance.

- J'en ai hérité... Mais, ça ne vous regarde pas vraiment, si ?

- Non, c'est vrai... Écoutez, vous n'êtes pas un mauvais bougre apparemment, j'aurais pu tomber bien plus mal, mais à vrai dire si j'ai accosté ici c'est moins par choix que par nécessité. Ce machin a tiré sa révérence et je ne sais même pas si il tiendra un mille de plus. Si ça ne vous fait rien... j'aimerais me reposer un peu dans le coin, reprendre des forces... Quand ce sera fait, je m'en irai trouver de quoi quitter cette île et vous n'entendrez plus jamais parler de moi, c'est promis.

- ... Et qui vous dit... que votre compagnie ne sera pas appréciée... ?... Venez, il y a du ragoût chaud, dit-il en se retournant et en commençant à remonter le ponton en direction de la maison. Pour la toilette, c'est à l'ancienne avec de l'eau de pluie. Y a plusieurs lits, et quelques vêtements, vous ferez votre marché. »

Surprise, la jeune femme mit plusieurs secondes avant d'emboîter le pas à Ichirô, perplexe quant au revirement de ce dernier. Il avait l'air bourru... Mais peut-être traînait-il tout simplement lui aussi ses casseroles, comme elle ? Elle n'était peut-être vraiment pas si mal tombée que ça, après tout, et son hôte se serait-il au bout du compte révélé être un odieux pervers en puissance qu'elle aurait de toute façon amplement les moyens de lui faire payer de façon très douloureuse et létale. Quelques minutes plus tard, sans un mot de plus échangé, le Gembei et la jeune blonde se retrouvèrent sur le seuil de la demeure, Ichirô s'employant à ouvrir la lourde et massive porte faite d'acier et de bois. Examinant les lieux en entrant, l'invitée du premier né remarqua d'emblée plusieurs détails qui trahissaient la présence passée d'autres personnes. Des objets, certains des livres rangés dans la bibliothèque, l'agencement,... Tout portait à croire qu'une famille au complet avait vécu ici autrefois. Sans grand ménagement mais en tâchant de remballer son humeur exécrable, due à sa frayeur un peu plus tôt, Ichirô servit un bol de ragoût sur la grande table en bois, invitant la jeune femme à s'y installer pour reprendre des forces.

« Moi c'est Ichirô. Pas très original, mais c'est le nom que m'ont donné mes parents. Et vous ?

- ... Maya, moi c'est Maya. Ichirô, hein... Vous n'êtes pas enfant unique j'espère.

- ... Non. En théorie, non. »

(#) Sujet: Re: ¤ Souvenirs ~ Lun 19 Sep 2016 - 16:47

« Alors, vous êtes vraiment l'héritier de cette maison, hm ? »

Maya venait de revenir de la salle de bain, vers laquelle était acheminée l'eau de pluie récoltée et qui servait à la toilette et au ménage. Un ingénieux système, mis en place et entretenu jadis par le père d'Ichirô. La jeune femme, qui s'essuyait encore les cheveux avec une serviette mise à disposition par le Gembei, portait également des vêtements choisis parmi ceux que ce dernier avait disposé par piles entières sur le lit qu'avait choisi Maya, la laissant composer sa tenue comme bon lui semblait. Ces vêtements, qui avaient appartenu à sa mère, ne lui étaient plus d'aucune utilité, si ce n'était à lui rappeler sans cesse, lorsqu'il les voyait dans la grande armoire, leur propriétaire d'origine. Les voir à nouveau portés suscitait chez lui un sentiment de renouveau également teinté de mélancolie, mais il valait mieux ça que de les laisser croupir entre quatre planches de bois. Tout comme l'avait été la mère d'Ichirô, Maya était svelte et élancée, ce qui permettait aux habits simples et faits main de lui aller comme un gant. Le Gembei se surprit même à insister du regard sur certaines courbes de son invitée, ce qui provoqua chez lui un certain malaise du à la contradiction entre la personne qui était habillée et les vêtements eux-même et leur passé.

« Oui, l'héritier, je ne vois pas tellement d'autre mot pour le dire.

- Vous n'avez pas toujours vécu ici ? demanda-t-elle en continuant de se sécher les cheveux, passant la main dans ses mèches blondes.

- Si, avec ma famille, répondit-il l'air renfrogné.

- Maiiis... vous êtes seul. Et pas franchement vieux. D'ailleurs, on doit avoir le même âge à mon avis.

- ...Et vous en déduisez quoi ? Écoutez je veux bien faire preuve d'hospitalité et de courtoisie, j'ai de quoi vous faire reprendre des forces et vous laisser vous reposer, mais rien ne m'oblige à vous déballer ma vie comme ça. »

Un froid tomba sur sa pièce à vivre, tandis que le Gembei se relevait d'une traite du banc qui longeait la table à manger pour marquer son agacement. Mais plutôt que d'agacement, il aurait été plus juste de parler de souffrance, car même sans répondre aux questions implicitement posées par Maya, les souvenirs et les pensées étaient là, toujours vivaces, toujours prêts à lui rappeler à quel point la vie avait été chienne avec lui et sa famille.

« … Pardon, je ne voulais pas vous pousser comme ça. Je suis curieuse, de nature, et ça me joue parfois des tours. Vous voulez bien me pardonner ?

- ... Je ne vais pas garder un grief contre vous pour ça, de toute façon. C'est juste que...

- Je comprends, pas de soucis. Et si... vous me parliez plutôt de vous, hm ? Ces bandages sur les yeux... visiblement, vous n'êtes pas aveugle, donc... ?

- La lumière. J'y suis un peu trop sensible, depuis que je suis né. Avec ça... je peux voir assez bien sans risquer une crise.

- Une crise, à ce point là ?

- Pour le peu de fois où elles sont survenues, je peux vous dire qu'elles m'ont bien servi de leçon croyez-moi. Mais puisqu'on en est à se présenter un peu plus, dites-moi... Vous, c'est quoi votre histoire avec ce rafiot et ce sabre, hein ?

- Haha, vous vous laissez prendre au jeu alors, finalement !

- Je peux aussi me montrer curieux, si c'est ce que vous voulez dire.

- C'est de bonne guerre... Le bateau... ? Je l'ai volé. Il était en cale sèche pour réparations, mais j'en avais besoin. Alors je l'ai pris. Le sabre par contre est bien à moi.

- ... Je crois que j'aurais préféré que ce soit l'inverse.

- Comment ça ?

- Le sabre volé, et le bateau à vous. Ça m'aurait paru un peu moins inquiétant, pour être honnête. Mais, pour en arriver à voler un bateau dans cet état... Vous fuyiez quoi au juste ?

- Hey, il me semble que c'est à mon tour de poser une question, non ?

- Nous sommes à égalité, peu importe qui pose la question suivante.

- Oué et bien... je préfère ne pas répondre à celle-ci. Et... aller prendre un peu de sommeil. J'ai l'impression que ça fait des jours que je n'ai pas dormi.

- L'océan donne souvent cette impression... on y est bien, on pourrait y rester éternellement, mais ça signifierait noyer son âme. Reposez-vous bien. » ajouta-t-il alors que Maya le saluait de la tête avant de sortir de la pièce pour aller se blottir dans le lit le plus petit, à l'autre bout de la maison.

Parler ainsi avec une personne qu'il ne connaissait pas il y a quelques heures à peine de ça, c'était une nouveauté pour Ichirô. Tout comme le fait d'héberger une voleuse d'ailleurs, mais cela il n'y pensait déjà même plus, son esprit ressassant sans cesse un véritable diaporama fait uniquement de son visage, entouré de ses mèches blondes encore humides.

(#) Sujet: Re: ¤ Souvenirs ~ Mar 20 Sep 2016 - 10:35

« Vous êtes encore là.

- Vous ne m'avez pas demandé de partir...

- Vous avez l'air reposée en tout cas.

- Ça va un peu mieux, oui. »

Une nuit et une journée entières s'étaient écoulées depuis la première soirée en partie partagée par le Gembei et son invitée, et ce sans que l'un ou l'autre adresse la parole à son seul interlocuteur potentiel. Maya avait partagé son temps entre le lit, le fauteuil près de la cheminée où Ichirô s'était assuré qu'un feu brûlait en permanence, et le ponton où elle avait laissé traîner ses pieds dans l'eau. Elle n'était même pas retournée à bord du navire qui l'avait amené jusqu'ici, preuve s'il en était besoin qu'elle était arrivée sans le moindre bagage, et dans la plus absolue précipitation. Cela ne faisait pas longtemps que le premier né avait du s'habituer à la solitude, quelques mois tout au plus, mais il devait se l'avouer, la présence d'un personne en sa demeure et aux alentours lui faisait du bien. Il avait failli sombrer, après la dernière attaque qui avait vu sa mère périr dans d'atroces conditions, et avait plusieurs fois manquer de se laisser noyer par les eaux qui avaient nourri sa famille pendant des décennies. Maya... elle n'en laissait rien paraître, mais Ichirô savait qu'elle aussi, au fond, traînait des pensées nocives et des démons qui lui étaient propres. Sa curiosité à lui était peut-être moins voyante que celle de son invitée, mais elle demeurait vivace malgré tout : Maya avait refusé de lui répondre la veille sur les raisons de sa fuite, mais n'avait pas nié qu'elle fuyait bel et bien quelque chose.

Tout deux à nouveau attablés alors que le soleil pâle terminait de se coucher, ils se regardèrent un moment « dans le blanc des yeux » après leur échange, ce qui entraîna assez naturellement une forme de frustration chez Maya qui ne pouvait pas voir ce qui se cachait réellement sous le linceul cerclant la tête d'Ichirô.

« Vous voulez que je parte ?

- ... Pour être franc, non, je ne veux pas. Je n'en ai pas du tout envie même. Mais je n'ai aucun droit... ou même, pas la capacité pour ce que j'en sais, de vous retenir, donc pour ce que ça change.

- Vous accueillez les gens à la hache pour les séquestrer ensuite ? Ben dites donc... Vous faites un sacré lunatique.

- C'est ce que vous pensez de moi, que je suis lunatique ?

- C'est l'impression que vous donnez en tout cas, même si j'ai bien vu que vous aviez toute votre tête... »

Ichirô poussa la table de la main pour se pencher en arrière, l'air presque agacé, impuissant face à l'image qu'il renvoyait. Il passa ensuite son autre main sur son front, y appuyant comme pour contenir un mal de tête.

« Ichirô... Ce n'est... hmph. J'ai bien compris, vous savez, que vous aviez perdu des êtres chers. Peut-être.. même... tous... mais-

- Mais quoi, Maya ? Je sais que je fais peine à voir, et je me désole moi-même, mais ce n'est pas une raison pour commencer à me prendre en pitié !

- Qui a parlé de pitié ? Ce que j'ai sous les yeux, ce n'est pas un homme faible, un couard ou un moins que rien. Ce que j'ai sous les yeux, c'est un homme qui a souffert, ça se voit, ça se « sent », et vous ne devriez pas vous en vouloir pour ça.

- .. Qui vous dit, que je ne suis pas faible, hm ?

- Haha, croyez-moi, les lopettes et les poules mouillées je sais à quoi ça ressemble, et ça ne brandit pas une hache de guerre de dix kilos comme vous l'avez fait hier.

- ... Dix kilos, hein ? Vous avez une balance dans l'oeil, ou juste beaucoup de chance dans vos estimations ?

- Raah, mais pourquoi dès qu'on parle de vous il faut tout de suite que vous reveniez sur moi ! dit-elle fermement en se relevant du banc.

- Et pourquoi faut-il toujours qu'on Parle effectivement de moi, hein ? Je crois pas être le seul ici à avoir un passé, non ?

- ... Hm, c'est vrai. J'ai été un peu injuste de vous dire ça. Je crois.. qu'on est revenu à la case départ. J'ai... je crois que j'ai encore besoin de me reposer un peu. Si votre hospitalité vaut toujours.

- Bien sûr. Je préfère mille fois m'engueuler avec quelqu'un de vivant plutôt que d'injurier des fantômes. »

Et, comme ce fut le cas la veille, Maya disparut au delà de la porte menant aux chambres du fond, non sans accorder un dernier regard au Gembei. Ce dernier lui avait rendu son regard, sans qu'elle puisse toutefois le voir à cause du linceul qui entourait ses yeux. Mollement, Ichirô laissa tomber son front sur la table en bois, produisant un son lourd qui fit cliqueter les couverts encore présents. Silencieusement et pourtant avec une rapidité déconcertante, Maya ressurgit alors par la porte, un air inquiet sur le visage. Se rendant compte qu'il ne s'agissait que d'un bruit anodin, elle repartit sur la pointe des pieds, pour trouver à nouveau le sommeil le plus réparateur qu'elle avait pu avoir depuis des années...

(#) Sujet: Re: ¤ Souvenirs ~ Mer 21 Sep 2016 - 16:01

La matinée suivante, Maya n'osa pas adresser la parole à son hôte. Ce n'était pourtant pas vraiment son genre, de prendre des pincettes comme elle le fit alors, en évitant d'avoir à parler à Ichirô et en s'occupant de ses affaires de son côté. Blesser une personne verbalement, c'était peu ou proue l'une des dernières choses dont elle pouvait se soucier, préférant souvent parler trop que pas assez et se fichant éperdument des conséquences. Et pourtant, face à ce jeune homme devenu adulte il y avait apparemment bien trop longtemps, elle ne pouvait pas agir de la même manière. Elle en était physiquement incapable. Elle en avait côtoyé, des minets qui auraient rempli un océan de leurs larmes pour des broutilles ou simplement pour attirer l'attention, et elle n'avait su éprouver, à raison, que de la mauvaise pitié à leur égard, mais le Gembei, lui, était différent. Comme une vibration, Maya sentait émaner de lui un état dérivé de celui dans lequel elle était restée enfermée, il y avait des années de ça. Un écho, qui lui rappelait à la fois ce qu'elle avait traversé, mais aussi ce qu'elle était devenu et par quels moyens.

Le cours de la matinée, qui semblait commencer à suivre une forme de routine assez cocasse, fut toutefois interrompu lorsqu'Ichirô entendit distinctement un petit moteur au loin, un son qu'avait aussi entendu Maya sans pouvoir clairement l'identifier. Le Gembei se rua alors à l'extérieur puis vers le ponton à une centaine de mètres de là, suivi en petites foulées par son invitée intriguée et aussi un peu inquiète. Une fois arrivé au bout du ponton en parti plongé dans la brume, Ichirô retrouva rapidement le petit bateau à moteur, qui avait décéléré et s'approchait de lui. A son bord, un jeune homme moins âgé, peut-être même encore mineur, que Maya sentit en proie au désarroi et à la panique. Rattrapant son retard sur Ichirô, elle prit la conversation en cours de route.

« Quand est-ce que c'est arrivé ?!

- Cette nuit ! Ils sont passés par les collines au nord ! Viens vite je t'en prie, je sais pas quoi faire !

- Bordel, ma sacoche, dit-il en faisant mine d'amorcer un nouveau sprint vers sa maison

- Que se passe-t-il, Ichirô.. ?

- Ils ont besoin de moi, je dois aller chercher ma sacoche !

- Attendez. J'y vais. »

Elle posa une main sur le buste du Gembei, l'interrompant dans son élan et lui arrachant une grimace... puis fila comme le vent en direction de la demeure d'Ichirô. En une poignée de secondes à peine, avec une enjambée totalement irréelle à ses yeux, Maya avait couvert la distance, disparaissant un instant dans la maison avant d'en ressortir avec la sacoche. Elle revint tout aussi vite sur le ponton, devant un Ichirô effaré, tout autant que l'était le jeune homme sur le bateau, lui tendant la sacoche.

« Allez ! »

Il ne se fit pas prier davantage, sautant à toute allure dans le bateau de pêche motorisé, suivit de près par Maya. Son conducteur, Zeishi, n'attendit pas une seconde de plus avant de mettre les gaz, tandis qu'Ichirô accusait le coup en fixant la jeune femme dans les yeux.

« Pas la peine de me regarder comme ça. Si j'ai bien compris la situation, alors je pourrais me montrer utile une fois là-bas, où que soit ce « là-bas ». Et je crois pas peser bien lourd, même avec votre ragoût dans l'estomac ! »

Ichirô ne pipa mot, se contentant de hocher légèrement la tête pour acquiescer. Une fois de plus, la violence et l'insécurité avaient frappé l'île d'Awaji, et avait frappé dur. Les parents de Zeishi avaient voulu protéger leurs maigres biens, et l'avaient apparemment payé cher. Le Gembei ne pouvait à présent qu'espérer arriver à temps, pour que ce prix ne s'étende pas jusqu'à leur vie...

(#) Sujet: Re: ¤ Souvenirs ~ Jeu 22 Sep 2016 - 14:17

Pendant le trajet, seuls les quelques reniflements de Zeishi se firent entendre au dessus du bruit du moteur et des vagues autours d'eux. Personne n'osa dire un mot, et il n'en était de toute façon nul besoin, cela Maya l'avait déduit toute seule. Quelque chose était arrivé aux parents du jeune homme, et Ichirô représentait vraisemblablement la seule chance pour eux de s'en sortir. Ce ne fut qu'une bonne heure plus tard que le petit bateau parvint finalement en vue de la côte où le domaine des Uwa s'étendait. Cette famille travaillait le cuir de la chasse et de son bétail pour gagner sa subsistance, et pouvait se vanter de ne jamais vraiment manquer de viande même lorsqu'ils étaient contraints de vendre une bête à un marchant itinérant pour pouvoir tenir la fin du trimestre. C'était toutefois certainement pour ça qu'ils avaient fait l'objet d'une attaque, le Gembei en était persuadé, et ravir des lots de peau en supplément n'avait pas du gâcher l'affaire pour quiconque s'était attaqué à eux.

S'amarrant à un ponton similaire à celui qui desservait la maison d'Ichirô, Zeishi lui fit rapidement signe de le suivre en sautant sur la terre ferme, conscient qu'il pouvait peut-être déjà être trop tard. Le duo sprintant aussi vite qu'il put jusqu'à un étable en marge de la maison, et dont plusieurs emplacements une fois à l'intérieur semblèrent anormalement vides au Gembei. Maya, elle, les suivit en petites foulées, prenant le temps d'examiner les collines qui cerclaient presque le domaine en humant l'air comme un animal sauvage. Sa main gauche alla se positionner mécaniquement sur le pommeau de son sabre, son instinct lui hurlant de prendre toutes les précautions possibles. Plusieurs secondes après eux, elle arriva également dans l'étable, où Ichirô était déjà agenouillé près d'une silhouette ensanglantée, allongée sur de la paille et qui disparaissait derrière une séparation en bois. Maya s'approcha, un rictus serré et calme à la fois sur le visage.

« C'est bon, ça va aller Bokurô, calme-toi, j'ai besoin d'examiner ça de plus prêt. »

Concentré, Ichirô toucha quelque chose. Sans doute une blessure, que Maya ne pouvait pas voir d'où elle était, à en juger par le râle profond et continu que poussa alors le père de la famille. Zeishi, lui, s'était déjà éloigné de son paternel en sang. Il laissa sa tête frapper la paroi en bois de l'autre côté, tournant le dos à la scène, et mit ses mains à plat de part et d'autre de ladite paroi. Ses sanglots étaient redoublés, incontrôlables, et Maya ne put que confirmer ses soupçons en se penchant davantage sur le côté. Elle put alors apercevoir le début d'une autre silhouette, assise près de la première contre une séparation de bois, une marre de sang sous les jambes. La tête de la femme était penchée en avant, inerte, à jamais.

« Prends... hnnngh ! Prends-soin... de Zei... s'il te plait, Ichirôo..ooh !!

- Ne dis pas ça... Ne dis pas ça, t'inquiète pas, ça va aller. Tiens, croque là-dedans aussi fort que tu peux ! » ajouta le Gembei en insérant une boulette étrange et odorante dans la bouche de Gokurô.

Laissant Gokurô faire ce qu'il pouvait pour ingérer la préparation d'Ichirô, ce dernier s'affaira plus avant sur les blessures du père de Zeishi. Maya le vit, avec une dextérité qui ne devait rien au hasard, prendre en main outil après outil dans sa sacoche, suturant à l'intérieur comme à l'extérieur du corps de l'homme en s'assurant qu'aucune hémorragie majeur ne subsistait. Gokurô hurla beaucoup, en dépit de la délicatesse dont faisait preuve le Gembei, mais son corps retrouva au bout du compte une forme d'intégrité. Maya fut impressionnée, mais pas que, par les connaissances et les actes de son hôte, imaginant quels événements il avait pu traverser pour en arriver à ce degrés de maîtrise. Gokurô allait s'en sortir, elle le sentait, elle le voyait... contrairement à sa femme, pour qui Ichirô n'avait humainement rien pu faire, et qui était morte durant l'aller-retour de Zeishi. Mais une sensation, dans le sang de la jeune femme, la tira de cette scène de sinistre contemplation. Elle se retourna avec vivacité vers l'entrée de l'étable, sa main resserrée sur la garde de son sabre. Jetant un coup d'oeil à Ichirô, toujours agenouillé, elle remarqua que lui aussi, la regardait. Avait-il senti, lui aussi, ou n'était-ce qu'une pure coïncidence ?

Maya sortit quoi qu'il en soit en trombe de l'étable, observant attentivement les alentours, et ne tarda pas à comprendre d'où venaient ces émanations d'énergie qu'elle avait capté au vol : de la colline à l'est déboulaient une demi-douzaine d'hommes, habillés comme des barbares et portant des peaux en ornement, des peaux qui venaient des marchandises vendues par les Uwa. Les regardant approcher avec un air déterminé sur le visage, un éclat guerrier au fond des yeux, Maya dégaina alors son sabre en faisant résonner son acier poli et affûté, prête à souiller sa lame de sang...

(#) Sujet: Re: ¤ Souvenirs ~ Ven 23 Sep 2016 - 23:51

Les sept hommes approchaient vite, très vite, dévalant la pente de la colline toutes armes dehors et avec une décontraction qui se lisait sur leur visage, même à cette distance. Ils étaient venus finir le travail, ou plus simplement récupérer ce qu'ils n'avaient pas pu prendre lors de leur première « visite ». Il restait en effet du bétail, que les Uwa n'avaient pas encore perdu, et peut-être même davantage de biens encore que pouvaient convoiter les pillards. Seulement voilà, il y avait toujours sur place des âmes vivaces en la personne de Zeishi, Ichirô et Maya, et des criminels de cet acabit ne s'encombraient pas de prisonniers ou de témoins en général.

La lame de Maya fendit l'air devant elle dans une parade élégante et maîtrisée, destinée à se montrer ostensiblement et de loin aux agresseurs afin qu'ils convergent vers elle, ce qu'ils firent bien entendu. La silhouette de jeune femme de l'invitée d'Ichirô trahissait en effet sa beauté naturelle, qui n'allait qu'en grandissant à mesure que l'on pouvait en examiner plus avant les détails, et nul doute que des malandrins du genre auraient eu bien des projets pour un tel morceau de chair. Les cailloux et la poussière finirent de dévaler avec eux, tandis qu'ils se plaçaient en demi-cercle autours de Maya en la déshabillant salement du regard. L'un d'eux était beaucoup plus grand et massif que les autres, tandis qu'un autre larron à la carrure plus modeste mais néanmoins solide prenait des airs de leader. Cela se confirma, lorsqu'il prit seul la parole au nom du groupe.

« Et ben et ben, c'était pas là ça, tout à l'heure ! Ou alors on serait passés à côté.. ce qui m'étonnerait pas mal !

- Partez. Partez maintenant, si vous tenez un tant soit peu à la vie.

- Ooh, vous entendez ça ? Elle nous met en garde... c'est-y pas adorable. Merci fillette, mais on va rester... la vue nous plaît bien.

- ...Oui, vous avez raison tout compte fait. Restez, ça vaut mieux. Ça m'évitera d'avoir à vous courir après. »

Sur ces mots, sans autre forme de préambule ou d'avertissement, Maya se propulsa en diagonal vers le plus mince des criminels, feintant avec sa lame sur la droite pour ensuite exécuter une estoc sur la gauche, faisant passer sa lame directement dans l'orbite de sa première victime en lui arrachant une vague manifestation de douleur surprise. La lame de la jeune blonde était déjà sorti de la tête du fluet que ses comparses se mettaient à peine en mouvement, choqués et pris au dépourvu. Tournoyant sur elle-même pour se dégager, Maya para un coup maladroit dans son mouvement, puis se positionna de sorte à garder un unique adversaire entre elle et les cinq autres malfrats. Elle eut alors amplement le temps, et avec le style, d'attaquer par deux fois sur la garde de son adversaire pour le mettre en confiance avant de lui tailler l'aine puis l'arrière du dos, alors qu'il s'effondrait en hurlant sur le côté. Un coup vertical puissant ferma la distance jusqu'à Maya, qui dut parer des deux mains pour pouvoir se dégager: l'instant suivant, elle interrompait l'attaque plongeante d'un autre homme en lui frappant le visage avec le pommeau de son sabre, l'éventrant dans la foulée. Les quatre pillards restants commencèrent à hésiter et à prendre du recul, occasion que Maya mit à profit pour attaquer le plus fébrile mentalement et lui entailler toute la longueur de son bras droit, le forçant à se retirer, totalement démotivé et apeuré par sa blessure. Un dernier homme, le plus grand et massif, tenta ouvertement sa chance en chargeant de tout son poids avec sa hache.

Maya esquiva, d'un mouvement minimaliste, en faisant chuter le colosse d'un coup de talon bien placé, puis lui planta sa lame sans ménagement en plein coeur, en passant par le dos. Cette exécution aussi rapide que méthodique finit de convaincre les trois survivants de se replier, courant comme des dératés vers le flanc de la colline, qu'ils allaient devoir contourner. Maya faillit les achever... Mais se ravisa. Un regard, depuis un moment déjà, était resté braqué sur elle pendant qu'elle étripait la bande de sauvages. Sur le seuil de l'étable, la bouche à peine entrouverte trahissant une forme d'émerveillement, Ichirô venait d'observer le combat aux allures d'extermination. Sans qu'une quelconque forme de crainte ne puisse se lire sur son visage, dont les yeux étaient toujours voilés, il s'approcha d'un pas, puis d'un autre, ses mains toujours recouvertes du sang de Gokurô.

« Les pillards.... dit-il, presque choqué en regardant les corps jonchant le sol. Je crois que... je ne les ai jamais autant aimé que dans cet état. »

Une larme naquit sous les linceuls d'Ichirô, suivit d'une autre, qui parvint à s'échapper de l'enveloppe protectrice. Qu'il aurait aimé, pouvoir revenir en arrière... Qu'il aurait aimé... rencontrer cette femme plus tôt.

(#) Sujet: Re: ¤ Souvenirs ~ Ven 10 Mar 2017 - 9:03

Ichirô et Maya passèrent la journée suivante en compagnie de Zeishi et Gokurô. Les cadavres des pillards qui étaient revenus pour trouver davantage de butin, et qui n'avaient finalement trouvé que la mort, avaient été négligemment entassé dans un coin de la crique, laissés à pourrir là où personne ne leur accorderait la moindre once d'importance, si quelqu'un venait à les apercevoir tout court. Et si la présence de cadavres mutilés à cet endroit, proche de la demeure des survivants, pouvait dans le même temps dissuader de futurs malfaiteurs, alors l'opération n'en serait que plus rentable. Le corps de la mère de Zeishi, toutefois, avait bénéficié des attentions particulières que l'on réservait de coutume dans l'archipel aux morts. Renvoyé à la mer sur un modeste radeau de fortune, honoré de fleurs et de quelques objets qui lui étaient liés, le corps fut emporté par la marée, et lorsqu'il fut assez loin, ce fut nulle autre que Maya, sur l'invitation de Zeishi et de son père, qui tira la flèche enflammée qui alla mettre le feu à l'embarcation mortuaire. Les quatre protagonistes étaient restés solennels avant de retourner à l'intérieur de la demeure, et Ichirô s'était assuré que Gokurô récupère bien de ses blessures.

Le lendemain, sans qu'un mot de trop n'ait été prononcé de la part d'aucun d'entre eux, Ichirô et Maya furent raccompagnés vers la demeure du Gembei sur le versant sud-est de l'île par Zeishi. Après avoir remis pied à terre sur le ponton et avoir salué sobrement le jeune homme, Ichirô relâcha un lourd soupir. Un soupir qui était chargé du poids des années et de la répétition de ce genre d'événements, toujours tragiques, jamais vraiment évitable. Et pourtant... Et pourtant, se dit-il malgré lui, si Maya avait été présente ces deux jours-là, ceux qui avaient façonné son côté morose et pessimiste, alors les choses auraient pu se passer de façon bien différente. Lentement, il se retourna vers l'autre bout du ponton, tombant nez à nez avec Maya, laquelle le surprit en lui saisissant le visage entre ses mains fines et musculeuses. Il faillit lui prendre violemment le poignet par réflexe mais s'en abstint au dernier moment, sa main flottant alors sans but.

« Qu.... Quoi... ?

- ... Rien je... voulais juste vérifier. » dit-elle en relâchant le visage du Gembei.

Il n'eut ni l'envie ni vraiment la force de lui demander quoi, et rentra simplement dans sa maison familiale, désormais vide, talonnée par la jeune femme aux cheveux étincelants. La chose, sur le moment, parut d'un naturel presque routinier, et la soirée se déroula presque sans un mot, à l'image de la veille sur le domaine de Gokurô. A cette différence près que cette fois, après le repas, Maya tint à se positionner juste en face d'Ichirô pour l'empêcher d'aller simplement se coucher.

« Vous êtes un mec bien, vous le savez ça ?, Non non non, attendez, dit-elle en lui opposant fermement sa main lorsqu'il voulut la contourner en silence, je crois que vous devez l'entendre ça. Vous êtes quelqu'un de bon. Vous avez sauvé ce type, et vous avez évité à ce garçon de se retrouver orphelin. On a... pas mal « joué », ces derniers jours, à qui en dirait le moins sur lui-même, mais ce que vous avez fait là bas en dit plus que vous ne voudriez le laisser croire sur vous. Et... pour être tout à fait honnête... ça me désole, du coup, de savoir que vous vivez seul ici en ressassant vos malheurs. Parce que vous en avez connu, ça se voit, ça se déduit... je sais ce que c'est, de fuir ces pensées là.

- Je ne les fuis pas, l'interrompit-il, la tête inclinée vers le sol. Je cohabite avec. Mon père est mort, assassiné. Ma mère est morte, plus tard, violée et assassinée, et mon frère... est parti. Et vous voulez que je vous dise ? L'homme si bon que vous me décrivez, là, il donnerait n'importe quoi... n'importe quoi... pour pouvoir revenir en arrière, avec vos capacités, et trucider tous ces enfants de putain qui leur ont fait ça. Vous trouvez que j'ai un bon fond ? Mettez-moi une arme dans la main, et donnez-moi un de ces pillards, là, attaché à un piquet, et je vous montrerai toute la « bonté » que j'ai en moi.

- Hm... ! Ne le prenez surtout pas mal, Ichirô, mais vous devez avoir bien moins côtoyé la mort que moi pour penser comme ça. Vous croyez que la seule pensée de faire du mal à quelqu'un fait de vous un homme mauvais ? Dans certaines circonstances... dit-elle l'air pensif, c'est tout à fait le contraire... Je crois... que je ne pourrais jamais vous dire à quel point je suis désolé, pour votre famille... Mais votre colère... elle n'est que le reflet de votre amour pour eux. Rien d'autre. »

Ichirô hocha machinalement la tête, comme si ses pensées le menaient à présent tout à fait autre part, puis posa doucement sa main gauche sur l'épaule droite de Maya. Il l'avait fait pour l'écarter doucement de son chemin, mais la jeune femme sentit également la pression d'un homme qui, d'une façon très fugace, acceptait de se reposer sur quelqu'un d'autre, l'espace d'un instant éphémère. Une façon de lui dire, sans employer les mots... qu'elle lui avait fait du bien.

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