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Il n’y avait aucune raison justifiant la présence de l’Empereur dans le port de Kanazawa. Si ce n’était pour une patrouille, une rencontre ou autre – charge qu’il aurait facilement pu déléguer. Mais détenir la haute autorité vous permet également de prendre une pause quand vous estimez celle-ci nécessaire. Et il était dans les habitudes du Kamui de se rendre dans les grandes villes, pour y marcher incognito, ou pour aller à la rencontre de certaines personnes. Rester proche de ceux que l’on protège. De ceux qu’on s’est juré de défendre quoi qu’il arrive. Car si les Ninjas sont les pièces d’un échiquier, et que l’Empereur en est la Reine dont les mouvements sont aussi rapides et aléatoires que dévastateurs, le Roi reste cet ensemble de Nations, unies dans le seul objectif de se défendre contre le dessein et les ambitions malsaines des autres Nations.

A l’arrivée au port, le personnage avait eu vent d’une arrivée étrange. On l’avait orienté sur l’approche d’un navire originaire du Pays de la Foudre ! Une nouveauté ! Qui méritait qu’on s’y intéresse. Mettant de côté la discussion qu’il entretenait jusqu’à présent avec un marchand en provenance de l’Archipel de l’Eau, le maître du Shukaï prit la route menant aux docks à grands pas. L’odeur de la mer, et l’agitation grandissante autour des activités portuaires le mirent sur la bonne voie. Et ce fut presque élancé et plein de force qu’il débarquait face au navire qui accostait, alors que les premières têtes pointaient leurs museaux hors du bord.

L’individu qui accompagnait le Shukaïjin était inconnu ; mais Kakeshuou Samui avait suffisamment entendu parler du jeune Taisa pour savoir à quoi il ressemblait. Un garçon prometteur, qui avait déjà fait ses preuves. Et depuis les évènements – bien que la destruction de la Capitale Impériale ait nihilé toute autre nouvelle pendant un temps au sein de l’administration impériale – le Kamui avait enfin appris le désir d’une rencontre diplomatique tenue par la Seigneur de Guerre du Pays des Neiges, personne attachée à son Clan et dont il était sans nouvelles depuis un moment déjà. Voir l’un de ceux attachés à cette mission revenir était lourd de sens : et il était sans doute temps d’en apprendre davantage sur la situation.
En se plaçant sur le chemin, le vieux Lion des Neiges entendait bien être remarqué par les passagers. D’ailleurs, les petits curieux rassemblés pour assister à la rencontre s’étaient rapidement écartés pour laisser un peu d’espace vital à un homme qu’ils commençaient à reconnaître … .

S’adressant d’abord à l’accompagnateur, le Dernier des Kirijins escomptait bien garder ce dernier pendant un instant afin d’obtenir quelques informations ; mais pour l’heure un simple salut serait suffisant avant de passer à l’essentiel.

~ J’ignore qui vous êtes, mais j’apprécie que vous ayez ramené parmi nous l’un de nos combattants. J’apprécierais m’entretenir avec vous dans un instant, si vous en convenez … .

Le ton était autoritaire, pas nécessairement méchant. Mais l’homme faisait clairement comprendre ce qu’il voulait. Et de toute évidence, il ne s’agirait pas d’une simple livraison de colis humain pour Hashiru.
Maintenant, il était temps de passer à l’essentiel. Le regard de glace de l’Empereur se posa sur la silhouette du Capitaine du Shukaï. Ce dernier ne disait rien, mais savait qu’il passerait inévitablement par la question de son supérieur. Ces deux-là s’étaient déjà brièvement rencontrés par le passé, et la position d’autorité n’était plus un secret. Toujours droit comme un « i », le Vétéran d’une Centaine de Guerres donnait ses instructions.

~ Au rapport, Fuka. Je veux savoir l’essentiel dans les moindres détails. Où sont tes compagnons d’arme, et où est ton Épée légendaire … .

Pourvu que la réponse que lui donnera le jeune Taïchou ne le mène pas à sa perte ! …

Spoiler:

Le buste penché vers l’étendue bleutée, les coudes sur la rambarde en bois, le Taisa laissait planer son regard gris sur l’horizon qui ne laissait pour le moment aucune trace de la terre ferme. L’air marin venait fouetter la poupe du bateau pour y cracher une fine bruine que le navire fendait avant qu’elle n’ait eu le temps de se répandre dans l’air ambiant. Un soupir soulagea la cage thoracique du Shukajin qui vint se poster à l’avant du bâtiment pour mieux appréhender la côte.

Ce voyage s’était déroulé dans le silence pour sa part. Plongé dans une profonde réflexion, il ne pouvait s’empêcher de ressasser les récents évènements. La Rencontre, l’Attaque puis la Captivité. Et au bout de cet océan, la Liberté. Différentes phases qui lui faisaient réaliser sa chance. Ses deux compatriotes auraient pu se tenir à ses côtés. Ils auraient même pu arriver au Shozaichi depuis quelques jours. Le Destin réservait parfois de drôles de tournures. Autant de pensées peu optimistes qui avaient accompagnés le Taichou depuis le port de Kaminari et qui ne risquaient pas de le lâcher avant un bon moment.

La vue de la terre impériale ne suffit même pas à lui arracher un sourire ou un quelconque sentiment de bien-être. Son bonheur était ailleurs, plus loin dans les provinces de l’Empire. Le moine Hashiru arriva à ses côtés. Lui qui s’était exilé dans la cale le temps du trajet, il refaisait surface maintenant que sa responsabilité le quémandait. Le port approchait et l’allure du bateau diminua progressivement pour laisser l’embarcation accoster. Pour quiconque sur le navire, la silhouette se détachant pour venir les accueillir devait paraître anodine. Mais pour Fuka il en était tout autrement, et sa surprise était à la hauteur de la fonction du bonhomme.

L’Empereur ne prit même pas la peine de se présenter. Le Kumojin semblait savoir qui il avait en face de lui tout de même. Fuka s’était peut-être trompé sur l’ignorance de l’équipage puisqu’une planche rudimentaire fut disposée pour permettre aux deux passagers de descendre. A peine le pied sur le quai, Kakeshuou interrogeait déjà son subalterne en des termes militaire et autoritaire. S’arrêtant à son niveau, épaule contre épaule, Fuka s’était préparé à un tel accueil, peut-être pas à cet interlocuteur-là certes. Mais sa réaction resterait la même.

Il pivota la tête vers le Kamui. Lui qui avait été autrefois respectueux, voire intimidé, par cet homme, il s’adressa à lui d’une manière différente par rapport à leur dernière rencontre. Le respect de l’autorité était toujours présent dans son intonation, son attitude et ses mots. Mais quelque chose semblait avoir irrémédiablement changé. Parlant à voix basse, il profitait ainsi de la proximité pour faire son rapport plus discrètement qu’à haute voix en visu de son accompagnateur Kumojin.

- Nous avons été piégé par celui qui se fait appeler le Patriarche. La discussion était infructueuse et au moment où nous allions partir, il a surgi de nulle part pour nous déclarer la guerre. Il a ensuite proposé un marché à chacun d’entre nous : l’asservissement contre notre survie. Les Kumojins se sont inclinés. Quant à moi, j’ai juste eu de la chance je présume.

Il jeta un regard au moine qui l’avait récupéré là-bas et qui ne l’avait pas lâché d’une semelle depuis cet évènement. Le regard impassible, il le reporta rapidement sur le Samui pour continuer :

- Setsuko a été déclarée disparue par Kumo mais le corps de Samui Yuki a été scellé. Il possède le parchemin, dit-il en désignant l’intéressé d’un bref signe de tête. Il semblait connaître la Seigneure de Guerre.

Un élément qui n’avait pas manqué de surprendre le Taisa et qui l’avait noté. Son silence depuis sa perte de connaissance n’était pas dû qu’au choc. Il avait essentiellement ressassé chaque élément lui permettant de faire ce fameux rapport. Il comprenait la nécessité de ce dernier même s’il aurait préféré rentrer dans les détails une fois en privé avec le Kamui. Aussi était-il allé à l’essentiel sans trop en dire sur ses notes personnelles de cet évènement. L’Empereur saurait de toute façon prendre ses décisions en fonction des éléments présentés et intervenants.

Puis Fuka regarda droit devant lui, rompant le contact visuel avec son principal interlocuteur. Sa pensée était maintenant orientée vers une seule et unique chose. Cette même chose qui l’empêchait d’être aussi précis qu’il le souhaitait. L’urgence le poussait à écourter cet entretien. Même s’il n’en avait pas fini. Mais c’était encore une chose que le Kamui comprendrait bien assez vite par ses propres moyens.

- Quant à mon épée…annonça-t-il sombrement.

Ce furent ces derniers mots. Une force prodigieuse l’avait poussé vers l’avant pour l’envoyer loin de cette rencontre. Les considérations diplomatique et politique ne l’avaient jamais autant dépassé. Pis, il s’en moquait éperdument. Sa seule obsession était Samehada. Sa précieuse compagne qu’il ne comptait pas laisser plus longtemps. Même si personne ne pouvait y toucher, il ne serait soulagé qu’une fois son bien retrouvé. L’ombre de sa présence devait encore planer sur le quai d’arrivée, mais son esprit était déjà loin dans les terres de l’Empire. En direction de Ta no kuni.

La situation semblait déjà sérieuse par l'arrivée de ce navire aux couleurs de la Foudre. Une chance que l'Empereur ait été dans les parages. De toute évidence, le retour d'un de ses hommes méritait sa présence. Après plus que cela, c'était les révélations qui lui furent faites qui furent les plus importantes. Et les plus frappantes.
Le projet de cette rencontre, le Kamui en avait brièvement été informé. Mais plus important que cela, la perte de Setsuko Mamoru – l'un de ses plus précieux subalternes – et la mort de sa propre petite-fille Yuki Samui étaient des informations dures à accuser et lourdes à porter. Ajouter à cela cette nouvelle diplomatique par le Régent de Kumo, dont Kakeshuou avait eu un bref aperçu de la sévérité et du dogmatique lourd pendant la réunion secrète des Ombres à Suna quelques semaines plus tôt. Beaucoup à accuser en peu de temps !

Entendant les paroles du messager, l'Empereur notait avant tout que ce dernier ne comptait pas s'éterniser ! Tiens donc ! Drôle de rencontre dans ce cas ! Etait-ce vraiment dans les formes que de faire faux bond aussi rapidement après avoir proposé des relations cordiales entre ces Nations ? L'homme tournait déjà les talons pour repartir. L'attention du maître du Shukaï se reportait sur son Capitaine, qui se rapprochait de lui. Lui dévoilant les principaux éléments et événements, le vieux Lion des Neiges obtenait par la même occasion deux documents uniques : la lettre du seigneur étranger, et le sceau où reposait le corps de sa parente.
Comprenant bien que l'intérêt du Taisa n'était pas dans cette rencontre, et qu'il avait hâte de prendre le départ pour récupérer son bien le plus précieux, une main froide se posa malgré tout sur l'épaule de ce dernier avant qu'il ne décolle à vive allure. De toute évidence, Kakeshuou Samui avait deviné cette volonté de départ soudain et tenait à faire circuler un message avant cela.

~ Retourne chercher Samehada, mais prends garde à ne pas tomber dans le même piège … . A ton retour, viens me voir : j'ai une mission de confiance à te donner … .

La main se retira, autorisant le Taichou à bondir et à quitter les lieux dans les secondes qui suivirent. Le temps de ce court échange, l'homme de Kumo était déjà à bord, et la planche reliant le navire aux docks était retiré. Le départ était plus qu'éminent. L'homme se rapprocha du bord, et mit genou à terre. Son dos se courba pour que deux doigts viennent toucher la surface de l'eau. Un craquement brutal fit reculer d'inquiétude une partie de la foule toujours amassée autour du vaisseau. Mais ils ne craignaient rien ; seule l'eau de mer léchant la coque du bateau se trouva rapidement prise dans la glace, tel le Kraken cherchant à monter à bord avec ses monstrueuses tentacules pour engloutir l'équipage entier !
Se redressant, l'Empereur fit un pas en avant comme s'il allait marcher sur l'eau. Un fin escalier de glace apparut sous ses pas, lui permettant de monter à bord sans même que la planche n'ait à être remise ! Le tout à la grande surprise de l'équipage, et certainement du moine. Pourtant ce n'était pas à but agressif ou violent que l'homme avait procédé ainsi.

Il s'adressa directement au moine.

~ Vous nous ramenez un de nos hommes disparus et le corps d'une défunte. De plus, vous parlez de propositions de paix. Je ne doute pas que ce genre de sujet soit assez importante dans la situation présente. Tout comme je me doute que votre long voyage de retour aura besoin d'un peu de repos et de préparation – chose que votre équipage sera bien à même de faire pendant notre discussion. Un office est mis à notre disposition pour que nous discutions tranquillement et au calme. Je vous en prie …

Ouvrant la voie et offrant l'escalier de glace pour descendre, l'Empereur désignait de sa main valide le bâtiment à dock où les officiers du port demeuraient et organisaient les affaires marchandes.
Etait-ce toujours une offre ou un ordre ? Difficile pour un émissaire, tout haut gradé qu'il soit, de refuser sans déclencher les hostilités et risquer les relations futures entre les deux entités géopolitiques … . Cette façon de procéder du Kamui était-elle appréciable ? Et ce départ précipité l'était-il tout autant ? Difficile position que celle du religieux qui doit maintenant ouvertement l'opposer à l'Empereur et prendre des risques, ou accepter de sacrifier une heure de son temps et de reporter légèrement son départ pour s'entretenir avec le Seigneur du Shukaï … .

On avançait en terrain miné. L’homme avait beau faire verbe de miel, ses actes n’en demeurait pas moins piqûre d’abeille. Et quand on ne supporte pas les volatiles, on y met une claque pour chasser la méchanceté miniature ! Fallait-il donc une claque pour remettre les relations à plat ? Prions que non … .
Par deux fois, malgré ses prétentions, le Moine avait refusé de suivre l’éthique de l’invitation. Tout d’abord en rejetant l’offre de discussion offert par le maître de l’unité géopolitique la plus grande que le Yuukan ait jamais connu jusqu’à ce jour ; mais ensuite, en refusant de suivre le Kamui qui lui offrait la discrétion et la tranquillité d’un office qui leur était mis à disposition. De toute évidence – que ce soit par bêtise ou par abus de méfiance – le Kumojin ne comptait pas donner du terrain ou faire preuve d’empathie dans cette rencontre. Rélisait-il qu’il mettait en danger cette négociation de paix que son Régent requérait par la présente missive ?

Constatant que rien n’y ferait et que l’individu camperait sur ses positions, le Lion des Neiges se maintint droit et silencieux. Observant cet interlocuteur, soi-disant « médiateur » qui mettait à bas toute marque de politesse et de respect, le vieux combattant s’interrogeait sur la stratégie à adopter. Un rapide coup d’œil sur les quais : quelques Shinobis de l’Empire, en garnison dans cette ville portuaire, s’était rapproché pour proposer leur aide. D’un signe de la main, Kakeshuou Samui leur intimait de garder leur position et de ne pas intervenir. Après tout, c’était une simple discussion, qui n’avait que pour but d’avoir plus d’informations ! Si faux pas il devait y avoir, cela viendrait du moine et de personne d’autre. Les Ninjas s’affairèrent donc à la garde du port, et à encourager la reprise des activités.

Reportant derechef son attention sur le récalcitrant, le Kamui soupira et effectua de nouveaux mudras avec sa seule main valide.

~ Croyez-moi, c’est bien vous qui m’y contraignez, mais il n’y a aucune agression dans ce qui suit.

Posant sa main cette fois-ci sur le batingage du bâtiment marin, c’est une colonne de glace qui se dressa cette fois. Rapidement, englobant les deux protagonistes sur un périmètre de cinq mètres de diamètre, les isolant du reste du monde marin, et leur offrant l’intimité que recherchait l’Empereur avec cet hôte inattendu. L’objectif n’était en aucun cas de l’isoler pour mieux le maîtriser, mais pour s’offrir dans cet entretien un peu de vie privée, et pour échanger des informations et des nouvelles que nul autre n’avait à entendre. De l’extérieur, inutile de s’acharner : la colonne n’était pas bien grande, mais elle était assez épaisse pour empêcher toute entrée même vocale extérieure, et pour contrer toute tentative de « fuite » de l’intérieur. Une sécurité sans doute excessive, mais à laquelle le Samui se trouvait contraint devant l’irrationnalité de son interlocuteur.

Les premières paroles allèrent d’ailleurs dans le sens du reproche.

~ Pour un homme de paix, je trouve inconcevable d’oublier les règles les plus élémentaires. Vous êtes certes affilié au Village des Nuages, mais cela ne vous ôte pas le respect de la hiérarchie. Craindre pour votre vie et rejeter une offre pacifiste de dialogue est une bourde sans précédent dans l’histoire de nos relations avec le Pays de la Foudre, qui sont déjà au plus mal. Mais par pur esprit d’ouverture, je tâcherais de ne pas en faire ombrage pour cette fois, si vous cessez votre stratégie d’évitement inefficace … .

Cela étant désormais dit, le Papy espérait bien qu’il n’aurait pas davantage de temps à perdre, que cet épisode serait oublié et que l’on pourrait enfin rentrer dans le vif du sujet. Pour une rencontre porteuse d’offres de paix, on ne pouvait pas dire que Kumo jouait le rôle qu’il prétendait porter !
Effectuant un demi-tour avant de revenir sur ses pas – hé oui, l’Empereur est comme moi : incapable de tenir en place ! – l’homme commençait à aborder les points qu’il voulait soulever.

~ D’après mon Capitaine qui vient de nous quitter, c’est une rencontre inattendue avec le Patriarche qui a entrainé la mort de deux de mes hommes … . Les Kumojins ont accepté de plier genou … Je ne le leur reproche pas : ceux qui survivent sont ceux qui gagnent, et j’en sais quelque chose … . Mais véritable interrogation est : maintenant qu’une menace aussi évidente que le Patriarche – qui s’attaque à une délégation de paix – se trouve à vos portes, quelles sont les intentions des Nuages concernant ce problème … ? Vous avez parlé d’ennemi commun, après tout … .

Le fait était bien réel ! La controverse sur la « livraison de criminels » auprès des grandes Puissances avait déjà agité le monde Ninja quelques mois auparavant. Mais dorénavant, c’était un acteur qui entrait clairement de façon belliciste sur le jeu des alliances et des affrontements ! Et étant au Pays de Ta, entre le Pays du Fer et celui de la Foudre, il était plus que logique que Kumo et son Daimyo se sentent impliqués par ce problème régional !

Une autre question intéressait également le Samui.

~ Vous vous présentez comme émissaire de Paix, envoyé par votre Régent. J’espère évidemment retrouver cette volonté dans la missive que vous me laissez … . Mais les accrochages ont déjà été nombreux entre nos deux contrées. Par curiosité … quel est le sentiment général des Kumojins vis-à-vis de l’Empire des Nations Neutres, d’après vous ?

Comprenant que la situation ne lui laissait pas d’autres alternatives, le Kumojin se plaçait sur la défensive. Le maître du Shukaï pouvait bien comprendre cela ; mais tout n’était qu’une conséquence d’une situation déjà amplement expliquée auparavant. Par ailleurs, le fait que l’Empereur aborde les véritables sujets espérés ne put que pousser le moine à adopter une posture plus neutre, et une action plus tempérée. Aucun désir de guerre, ni de bataille. Puisqu’il était question de paix, mieux valait développer ce climat pour l’heure. Il n’y avait aucune garantie qu’une situation pacifique s’établisse entre les deux puissances ; mais Kakeshuou Samui restait un homme au courant des traditions diplomatiques, et respectueux des règles les plus anciennes.

Acceptant cette situation, et reconnaissant même ses erreurs, Hashiru évitait une nouvelle crise entre deux puissances s’étant déjà montré les crocs par le passé. Il répondait alors volontiers aux interrogations du Kamui, et donnait la position du Village des Nuages vis-à-vis de Ta no Kuni. Une prise en considération de la menace ? Mais la situation était assez préoccupante pour seulement la prendre en compte ! Une intervention dans une rencontre destinée à la Paix avait menée à la mort de deux soldats de l’Empire ; et pas de simples grouillots ! Autant dire qu’un contexte aussi tendu ne pouvait être satisfait d’un basique « nous réalisons mais nous tenons à l’écart » ! Si le Pays de la Foudre se décidait à rester à l’écart de cette affaire, alors l’Empire des Nations Neutres n’hésiterait pas à intervenir par la force et à rétablir la paix dans la région, même si cela devait déplaire à d’autres !

Pour le second point, le moine avait l’audace de dire les choses franchement et sans détour. Son interlocuteur, froid et distant dans le regard, se contentait d’absorber les paroles et d’attendre. Son attitude n’annonçait rien de bon. Sans doute était-il un peu trop osé de parler aussi librement devant le maître du plus grand territoire géopolitique unifié du Yuukan … . Troublé par ce brusque changement à la tête du pouvoir ; changement mené dans le sang ? Et de quoi se mêle le peuple de Kaminari, s’il vous plaît ? Fallait-il s’attendre à une nouvelle pique de la part de celui qu’on ne prend pas le risque de contredire ou de froisser ?

On accorda quelques secondes à la réflexion avant que la réponse ne vienne de la part du Samui.

~ J’apprécie l’honnêteté … . C’est une chose que beaucoup se refusent en ma présence ; ce qui les noie dans un sentiment d’autoritarisme alors qu’il n’en est rien. Le faible est celui qui plie sans avoir questionné et vérifié. Et c’est le faible qui est à l’origine du changement de directive que j’ai opéré il y a maintenant deux ans … . Les différents Daimyos jouaient contre les intérêts du peuple et du fondement même du Shukaï : un espace de paix, où les Daimyos devaient coopérer face aux grandes puissances mondiales. Ils préféraient s’affronter entre eux pour savoir qui devait tirer le plus grand bénéfice de cette Alliance. Le Triumvirat … était inactif et incapable d’endiguer les assauts qui frappaient notre Capitale. La meilleure solution était de changer le système. Même si ce n’est que pour un temps … .

L’Empereur venait-il de sous-entendre qu’il ne régnerait pas toujours ? Était-ce une façon de présenter une idée nouvelle, que tout le monde ignorait ?! Ses partisans, ses Seigneurs de Guerre, ceux qui s’opposaient à son autorité … avaient-ils imaginé qu’un jour l’homme se retirerait naturellement de ce pouvoir, pour le céder à quelqu’un d’autre ; ou à un autre système ? Situation énigmatique : réelle intention, ou piège bien orchestré ?

~ J’ai pour projet d’envoyer prochainement des agents de l’Empire vers les grandes nations afin qu’ils rencontrent leurs Daimyos et leur donner un réel aperçu de nos motivations, des raisons de cette fondation unique, et de nos espoirs d’entente avec chacun. Le Daimyo du Pays de la Foudre ne fait évidemment pas exception, et j’espère qu’il sera gré à nous accueillir ; si vous pouviez lui en transmettre le message … . En revanche, pour ce qui est du Pays de Ta, le choix de Kumo peut être celui du retrait et de l’inaction ; mais ce ne sera pas celui du Shukaï ! L’individu qu’on nomme Patriarche est déjà responsable de nombreux crimes à l’encontre du Monde Ninja, mais aussi contre des entreprises de paix. L’Empire n’hésitera pas à intervenir militairement sur place. Non pas pour imposer sa Loi, mais pour imposer la Paix. Si le Village Caché des Nuages souhaite y prendre part, il fera bien de ne pas trop attendre pour s’impliquer dans ce conflit régional qui le concerne au premier chef … .

L’annonce était claire : le préjudice était grand, et la sanction serait lourde. Evidemment, ce serait un affrontement terrible qui serait alors à mettre en place, mais l’Empire n’y manquerait pas. Car une telle atteinte à un projet de paix ne peut être tolérée sans être sévèrement puni. Certains diront qu’il était idiot de la part des Shukaïjins de refuser de plier l’échine. D’autres vanteront le choix « sage » de Kumo de ne pas perdre ses hommes dans cette rencontre. Mais si le passé montrait du doigt les fautifs, l’avenir élevait les vainqueurs.

~ Je conserve une dernière question vis-à-vis de Kumo. Que pouvez-vous me dire sur son Cinquième Raïkage, Zennosuke Seki ? Vos Kages semblent se succéder plus vite que les saisons d’une année … . Mais les agissements et choix de certaines restent encore au cœur de mes interrogations. Je souhaitais donc savoir quelles étaient les relations entre cet individu et son village d’origine … .

L’homme de prières partait dans un refrain philosophique, dans lequel l’Empereur avait du mal à le suivre – et ne souhaitait d’ailleurs pas le suivre. Ce genre de parole, bien que chargée de foi et de conviction profonde, n’étaient pour lui qu’une façon d’éluder les choses et de dissimuler les informations et les pensées réelles de l’individu. Une preuve que tout ne serait pas révélé aujourd’hui ; mais aussi qu’il y avait bel et bien quelque chose à cacher … . Les moines étaient véritablement des êtres bien étranges … . Dont il fallait se méfier ; car leurs airs pacifistes et leurs manières contenaient souvent un véritable pouvoir que certaines disaient ouvertement détenir du Bouddha … . Le Patriarche en première ligne … .

Le dénommé Hashiru ne répondait pas à toutes les questions. Entre autre, il se dispensait de donner son avis ou la position de Kumo concernant le Patriarche à Ta no Kuni ; et préférait ne démontrer qu’une simple relation de « connaissance » avec le Kumojin sus-nommé. N’était-ce pas étrange ? Comme il l’avait lui-même présenté, le Seki avait été Raïkage ! Une fonction imposant de nombreuses responsabilités, et pas du genre à rendre invisible, même si le Devoir du Ninja l’exigeait ! Ne rien révéler était-il en raison d’un simple rôle de messager afin de ne pas engager la responsabilité des Nuages – ou pour dissimuler une action bien connue dans les rangs de la Foudre ? Et pour Ta, cela laissait-il carte blanche pour le Shukaï ? Kumogakure abandonnait-il sa responsabilité régionale, en suivant la politique isolationniste de leur Raïkage actuelle ? Beaucoup de questions restaient finalement en suspend … .

~ J’entends que Kumo ignore la situation qui a touché par deux fois le Shukaï, et que le Village de la Foudre n’est pas directement impliqué dans les récents évènements, malgré une coïncidence troublante … . Je tâcherais de prendre cela en compte, en espérant que vous en ferez de même … .

Cette réponse-ci était également pleine de sous-entendues ! Une façon de rendre la monnaie de sa pièce à l’invité contraint ? Après tout, les propos du moine étaient bien trop versatiles, et légers, pour être considérés comme une réponse sincère et dévouée dans cette discussion cordiale. Il y avait une part de mystère évidente. Autant se satisfaire de cela, et jouer la même carte de son côté. L’Empereur garderait donc un certain contrôle sur les actions futures de l’Empire des Nations Neutres. Et si, à l’avenir, Kumo tenait une nouvelle fois à l’opposer, ils pourraient alors clairement entrer en confrontation en arrêtant de jouer au chat et à la souris … .

Mais pour l’heure, jouer l’agression n’était pas la solution. Cet homme avait ramené un soldat – bien que les circonstances fussent peu claires en l’occurrence … - et se disait porteur de paix. Autant dire qu’il avait assez d’arguments et d’éléments de son côté pour prétendre à une forme de sympathie pour cette journée, et ne souffrir d’aucun danger pour ce voyage. Ainsi en allait-il de la volonté de l’Empereur. Bien que concept étrangement noyé et difficilement définissable chez le Ninja, une forme d’Honneur était parfois visible, bien qu’impalpable.

Le Vétéran se rapprocha de la surface glacée qui séparait les deux interlocuteurs du reste du monde. Plaçant sa main sur la surface froide, celle-ci se craquela doucement ; mais assez violemment pour se répandre en toile d’araignée sur l’ensemble du mur ainsi bâti. En moins d’une minute, toute la circonférence était martelée comme une vitre de verre sur le point d’éclater. En finalité, elle explosait dans un violent mouvement ; et les copeaux de glace se changèrent en flocons. Hors de question de blesser l’étranger, ni son équipage, et encore moins la foule qui se trouvait sur place. De nombreux badaux s’étaient regroupés, en attendant de voir la suite des évènements. Sans doute par curiosité, voir s’ils seraient les témoins du commencement d’une nouvelle Guerre.

Constatant l’attroupement au milieu des flocons et de la neige temporaire, le Kamui fit face au messager de Kumo. De son long manteau sombre, un mouvement fit sortir un bras de glace. Un poing vint frapper dans la paume de la seconde main, le tout accompagné d’une très légère inclination face à l’ambassadeur improvisé de Kumo.

~ Je vous remercie donc pour votre bonne volonté à nous ramener l’un des nôtres une fois soigné, et à bien vouloir annoncer notre venue auprès du Daimyo du Pays de la Foudre. Je prie pour votre bon retour, et pour que nos deux puissances ne se retrouvent jamais face à face. Puissiez-vous faire bon voyage, vous et votre équipage, jusqu’à votre destination.

L’ayant dit assez fort pour que l’enoturage puisse le percevoir, l’homme se redressait et tournait maintenant le dos pour quitter l’embarcation. Il y avait eu de l’incertitude, voire de la peur pendant un moment. Cet immense bloc de glace n’annonçait rien de bon dans d’éventuels négociations, et chacun s’attendait à voir ressortir deux blessés, voire un mort ou deux ! L’ouverture s’était finalement faite sur des mots « doux » et ouverts, annonciateur de paix et d’entente, qu’elle ne put que soulever une clameur de la part de la foule présente. Observant le navire prendre le départ, Kakeshuou Samui resta un instant sur place, l’observant dans ses préparatifs de départ … . Puis il se permit quelques minutes avec certains membres du peuple, pour se montrer plus proche et plus cordial qu’on ne le supposait. Avant de retourner à ses activités.

Il avait globalement obtenu les informations qu’il souhaitait. Il avait maintenant beaucoup à faire : un enterrement, un renforcement de la sécurité, une enquête … . Bien des choses à organiser. Mais ses préparatifs, était-ce vraiment des préparatifs pour la Paix à venir ?

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