Cela faisait maintenant quelques mois que Tatsuki voyageait avec sa supérieure, alors se retrouver seule pendant quelques jours et se voir assigner pour mission de rejoindre cette auberge à la frontière fut pour elle un grand changement, même si elle y était habituée en fait. Son court voyage solitaire depuis Kusa fut donc très paisible et plus encore; ennuyeux. Elle devait bien avouer que ses longs monologues avec Ji lui manquaient un peu, de même que sa présence même si elle était un peu effrayante par moment. Mais lorsqu'elle lui demandait d'aller à un endroit et l'y attendre, elle ne pouvait pas dire non; d'autant plus lorsque l'Umi payait tout.

L'auberge qu'elle devait rejoindre se trouvait dans un tout petit village proche d'une forêt à quelques kilomètres de la frontière avec Kaze no Kuni. Un hameau ne comptant que des paysans selon Ji, un endroit tranquille à l'abri des regards et des shinobi. La Senritsu avait compris par là qu'il n'y aurait rien à faire d'intéressant là-bas, mais elle s'y était résignée. Umi Ji lui avait affirmé qu'elles auraient une discussion sur pas mal de choses une fois qu'elle serait de retour. Tatsuki se demandais alors de quoi voulait elle lui parler. Cela concernait il son étrange comportement ? Allait elle enfin lui dire pourquoi elle avait besoin d'une cambrioleuse.

En attendant, la jeune femme était entrée dans l'auberge, elle s'approcha et adressa à la seule personne présente un fin sourire qu'elle accompagna d'une salutation respectueuse. Elle lui demanda aussitôt s'il avait une chambre de disponible. La réponse ne faisait aucun doute compte tenu de la faible fréquentation des lieux.

-Bonjour! Oui, je dois bien avoir une chambre pour vous. Tatsuki ? C'est bien ça ?
-Ah, bien... Heu... Comment... Savez-vous mon nom ?
-Une connaissance commune. Ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité ici.
-Vous êtes sûr ? Et s'il y a des clients ?
-Visiblement, vous ne connaissez pas grand chose de...
-Raaah... Je sais, je sais. Et vous ? Vous ne pouvez pas m'en dire davantage; au sujet de notre connaissance "commune" ?
-Héhé! Non! Ce serait bien mieux de l'entendre de sa bouche.

Elle soupira et prit les clés que lui tendait tout en souriant le tavernier. La suite de cette première journée d'attente s'annonçait sans fin... Peut-être que quelque chose viendrait égayer cette période de vacation à durée indéterminée.

L'auberge est calme. Comme d'habitude. Je n'ai jamais vraiment réussi à me faire un avis précis sur cet endroit. Le Shin Sekaï s'en sert comme d'un relais voir d'une planque. Selon Seijiro c'est l'endroit rêvé pour être au calme et en sécurité. Et en effet j'ai pu constater que l'endroit n'est que peu fréquenté. Voir pas du tout. Hormis le tavernier je n'y avais jamais croisé personne. Et c'est d'ailleurs précisément pour ça que je suis venu ici. Le calme... Voilà ce dont j'ai besoin.

Je fais un signe de la main et le sable qui recouvre mes cheveux et mes vêtements tombe docilement au sol. J'avance ensuite jusqu'au bar d'une démarche malhabile. Ces derniers jours ont été particulièrement éprouvants. Sur le plan physique comme sur le plan moral. Les coupures que je porte sur le visage et les mains témoignent des blessures du corps et mon regard fatigué de celles de l'âme. La barbe que je ne prends plus soin de tailler ne fait qu'accentuer cette impression de laisser aller. Et je m'en moque complètement.

"Kira? Qu'est-ce que je te sers?"
"Peu importe tant que c'est fort..."
"C'est vrai ce qu'on dit sur Suna?"
"J'imagine..."

Le regard las que je lui décoche l'invite à ne pas se montrer trop curieux. J'ai quitté Odaichi il y a plusieurs jours maintenant et même un Kawaguchi se fatigue dans le désert. Le contenu du premier verre vidé, j'en enchaîne un deuxième. La brûlure de l'alcool dans ma gorge avait tendance à se montrer réconfortante par le passé. Aujourd'hui il ne fait qu'accentuer le feu qui me dévore. Un feu qui m'effraie. Personne n'a eu besoin de m'affirmer ce que j'ai redouté dès l'instant où j'ai posé le regard sur mon ventre: je suis la prison d'Ichibi tout comme Il est la mienne. Il le sait. Et je le sais. Nous n'avons pas eu d'autre contacts depuis mon transport de Suna à la capitale. Il m'ignore et m'oppose sa haine. Tout comme je lui oppose la mienne...

*Tu n'es pas un dieu...* je vide mon troisième verre d'un mouvement sec. *Un dieu ne se laisse pas emprisonner...*

Une force invisible broie mes tripes et mes doigts se serrent sur les bords du comptoir. Je sers les dents à m'en faire mal. Le goût du sang ne tarde pas à se propager dans ma bouche mais c'est finalement un sourire qui se dessine sur mon visage. Je croyais en Shukaku. Je lui vouais un culte discret mais régulier. Et je croyais alors réellement qu'il était une divinité. Les événements se sont chargés de me prouver le contraire avec une ironie dont je me serais bien passée. Mais puisque on ne m'a pas laissé le choix...

*En fait tu n'es qu'un animal... Et un animal se dresse. Que ce soit par la caresse ou le bâton. À toi de choisir quelle voie tu préf...* mon sourire s'accentue malgré la douleur. *Ouais... C'est bien ce que je pensais!*

Son avis est on ne peut plus clair et me force rapidement à me plier en deux pour tenter d'atténuer les flammes invisibles qui consument mon estomac.

*Alors on dirait bien que nous sommes en guerre toi et moi...*

Il peut m'ignorer s'il le souhaite. Mais tôt ou tard je le forcerai à faire le premier pas. Ou plutôt à poser le premier genoux à terre. Ce n'est qu'une question de volonté. Tout n'est qu'une question de volonté. Fais-moi souffrir Ichibi! Révoltes-toi si tu le souhaites! Puises dans ta haine pour te débattre! Mais jamais - jamais! - tu ne feras plier Kawaguchi Kira! Ce que j'exprime en me décochant moi-même et à de multiples reprises des coups dans l'estomac. Combattre le feu par le feu...

Mais la colère et la douleur ne font pas que m'arracher des larmes de hargne. J'en oublie également la présence du tavernier qui tente de me calmer. Ce qu'il arrive d'ailleurs à faire sans grande difficulté vu mon état. Mais ce n'est pas vraiment lui qui m'inquiète à vrai dire. Plutôt là jeune femme qui vient d'apparaître en bas des escaliers et qui se questionne vraisemblablement sur la scène qui vient de se dérouler. L'avantage ce que je ne suis en rien tenu de lui fournir des explications. Après tout ne suis-je pas le cousin de la nouvelle Daimyo?

"C'est qui celle-là?"

Une main sur le corps, l'autre sur le ventre, je grelotte de froid en plein désert. Je fais toutefois l'effort de me relever puis de prendre appui sur une table proche. Fais chier... Je vais devoir faire le ménage. Et je ne suis pas vraiment dans les meilleures conditions pour exterminer du nuisible...

Les journées défilaient, et toujours aucun signe de vie de Ji. Je commençais à me demander si elle allait venir un jour et si ce n'était pas pour elle un moyen de se débarrasser plutôt qu'autre chose. Non, pas possible. Elle ne continuerait pas de me payer, ce serait illogique. Du coup, je passais le plus clair de mon temps dehors lorsque la météo le permettait. Ô je n'allais pas très loin, juste de quoi me dégourdir les jambes. Les instructions que la kunoichi m'avaient transmis par l'intermédiaire du patron de ce bouche étaient limpides : je ne devais pas me faire remarquer. C'était assez simple en soi, j'étais extrêmement discrète...

Mais ce jour là fut différent. De ma chambre à l'étage j'entendis du bruit depuis le rez-de-chaussée. Des voix, du bruit. Peut-être était-ce Ji ? Ainsi je me décidais à descendre, à pas feutré pour ne pas alerter de ma présence, si jamais ce n'était l'Umi qui était arrivée. J'observais depuis l'escalier et vis un homme à moitié affalé sur une table, sans me poser de question je terminai ma descente, mais à peine eus je passé le seuil de la première que l'individu se retourna et demanda qui j'étais. Pas d'une façon courtoise, mais plutôt agressivement. Je pouvais au ton qu'il employait que l'accueil qu'il me réservait était bien plus froid que...

Son regard indiquait la même chose, et bien plus. Ce n'étais franchement pas de la surprise, ni de la crainte qu'il exprimait. Aussitôt je sors un triangle de ma sacoche et le fait teinter. Le son métallique se répand dans la petite salle comme une vague submersive. Le patron est figé, les yeux ecarquillés; et j'approche du probable agresseur. Je m'arrête à quelques pas de lui et lui parle d'une voix aussi calme et douce que possible. Je ne voulais surtout pas qu'il pense que je voulais l'agresser.

-Je ne compte pas te faire du mal. Je vais dissiper l'effet de ce jutsu, alors ne m'agresse pas...

Je claque simplement des doigts. Le patron cligne plusieurs fois des yeux et m'afflige d'un regard sombre. Je lui adresse un sourire en guise d'excuse et me ré intéresse au barbu, je parviens à sentir une forte source de chakra, un peu moins puissant que celui de Ji, mais quand même pas anodin. J'extirpe de ma sacoche une plaquette de médicaments et reprends.

- Tu es malade ? Tu as mal au ventre ? Tiens, prends un Malox. Ca ira mieux après. Souriais-je.

J'espérais maintenant qu'il ne tente pas de me sauter à la gorge... Je n'avais pas envie du lui faire plus de mal qu'il n'en subissait déjà.

C'est quoi ce délire? Le son de ce triangle m'a complètement tétanisé, bloqué net dans mon mouvement. Je reste conscient, je sens encore la chaleur sur ma peau ou le feu qui me dévore les entrailles. Mais mes muscles refusent de m'obéir et restent figés. Les images de mon combat contre l'Hayashi coulent dans ma mémoire. Je suis trop souvent soumis au pouvoir des autres. Et pour un humain avec l'ego aussi surdimensionné que le Bijuu qu'il abrite au fond de son être, être ainsi réduit au silence est l'une des plus désagréables expériences qui soient.

Je m'attends à recevoir un coup ou à devoir écouter un discours de victoire mais il n'en est rien. La jeune femme m'explique au contraire qu'elle n'est pas une menace et qu'elle va me délivrer. Le tout en espérant qu'en retour je ne l'agresse pas. C'est à voir! Mais je dois reconnaître que cette entrée en matière aura au moins eu l'avantage d'être peu ordinaire. Et puis si elle est également du Shin Sekaï. Car il semblerait que c'est bien à une shinobi que j'aie affaire. Intéressant...

Je retrouve finalement l'usage de mes membres et je rétablis rapidement mon équilibre avant de décocher un regard mêlant frustration et curiosité à l'inconnue. J'ai eu un avant goût de ses capacités. Et il se trouve que je suis toujours aussi impuissant face au Genjutsu. Il faudra sérieusement que je remédie à ce problème. En attendant il convient peut-être de rester diplomate. Ce que je fais en silence, observant la demoiselle tirer de son sac une plaquette de médicament. Peuh!

"Je ne sais pas ce qu'est un... malox, là! Mais j'ai pas besoin de tes bonbons pour aller mieux! Ça marche que si on y croit, ces trucs! Et il se trouve que je n'y crois pas!" je marque une pause. "Et puis la dernière fois que j'ai avalé des pilules ça c'est plutôt mal terminé!"

Ouais, rien qu'un peu! Résultat? Un bijuu dans le bide! Non c'est bon hein, j'ai donné! On ne m'y reprendra plus! Et puis de toute façon si elle croit que je vais gober ce qu'une inconnue me sert, elle peut toujours courir. Qui me dit que ce n'est pas du poison? Non, décidément... Plus je suis loin de ces trucs, mieux je me porte. Je fais d'ailleurs quelques pas en arrière pour venir récupérer mon verre de saké et la vider d'un trait.

"T'es médecin, c'est ça?" je me retourne vers elle. "Et ça vous prends souvent à vous autre, les grands chantres de la médecine, de paralyser les gens lorsqu'ils vous demandent qui vous êtes?"

Ouais, je l'ai en travers de la gorge. D'ailleurs je récupère deux bouchons de bouteille d'alcool, les désigne à la nouvelle-venue - qui n'est plus si nouvelle que ça d'ailleurs - avant de me les enfoncer avec une peine évidente dans les oreilles. C'est pas pratique, c'est sûr! Mais je préfère encore rien entendre que de finir à nouveau en statue immobile.

L'approche était, maintenant que j'y pensais et qu'il le disait, certainement un peu brutale. Mais je préférais de loin avoir agit de cette façon et avoir pu parler en première plutôt qu'il ne me saute directement dessus, au quel cas l'individu aurait subit plus qu'une désagréable sensation d'étourdissement. Je l'observais, debout à quelques mètres et l'écoutais finir de se plaindre. Avec un soupir agacé je lui répondis.

-Alors, de un; tu ne m'as pas demandé qui j'étais. Tu as juste dit "C'est qui celle-là". L'imitais-je en prenant une grosse voix un peu ridicule. De deux, je suis à peu prés sûre que tu m'aurais attaquée! Alors faut mieux ça qu'un combat inutile que tu aurais de toute façon perdu! Dis-je en le pointant du doigt.

Ensuite, j'allais m'asseoir au bar en levant les yeux vers le ciel, ou le plafond à défaut; pour exprimer mon exaspération. Le patron qui se remettait à peine de mon gracieux coup de triangle continuait de me fixer avec un air réprobateur. Lui aussi n'avait pas aimé perdre ses moyens pendant quelques secondes.

-Et de trois... Non, je ne suis pas médecin, c'est pas parce qu'on a des médocs qu'on est forcément médecin! Dis-je en m'asseyant, lui faisant toujours face.Toi t'as bien de la barbe, et pourtant t'es pas un clochard.Ajoutais-je en en haussant les épaules... Bien que...

Puis dans un monde civilisé, il se serait présenté. Il était arrivé après moi dans cet endroit, alors il le devait; c'était la règle! Je me retournai alors vers le patron.

-Désolée, vraiment. Ce n'est pas vous que je visais. Souris-je gênée. C'étaient les seules excuses que je pouvais lui offrir. Des mots et un sourire, car il était hors de question que je paye autrement qu'avec les ryos de Ji! Vous pouvez me donner juste un verre de lait, sinon ?

Il accepta tout de même mes excuses. Depuis le temps que j'étais là, à errer dans les parages; il commençait à me connaitre et savait que je n'étais pas une méchante. Puis, j'étais persuadée que son auberge n'avait jamais connu un tel chiffre d'affaires qu'en ce moment! Même sans aucun autre client que moi! Je ne connaissais pas vraiment les termes du contrat passé entre lui et ma supérieure, mais il devaient être très lucratifs et avantageux pour lui.

Je me retournai sur le tabouret, mon verre de lait à la main et m'intéressai de nouveau au ninja barbu. Je le dévisageai même. Histoire de bien imprimer son visage dans ma mémoire. Puis je repris.

-Bon, je m'appelle Tatsuki. Et toi, c'est quoi ton prénom ? Lui demandais-je en souriant avant d'avaler une gorgée de lait. Tu viens de Suna, c'est ça ? Qu'est ce qu'un Sunajin vient faire là alors que ton village est... en chantier ? Enfin, si tu connais Umi Ji, ça me va; sinon faudra que tu partes vite vite. Elle n'apprécierait pas de voir un étranger ici, j'pense. Continuais-je en portant le liquide blanc à mes lèvres. Si t'as toujours mal au ventre, prend un Maalox et un verre de lait, ça passera. Lui fis-je un signe approbateur de la main.

Voilà, les présentations étaient à moitié faites. A son tour maintenant de montrer qu'il n'était pas aussi bourru que son apparence!

Kusa fut sans doute l'escale à mon voyage la plus fructueuse. Qui aurait pu se douter que la terre m'ayant vu naître serait celle qui plus de vingt ans après continuerait de me nourrir ? J'étais donc, toutes sommes faites de ces aventures, plutôt contente et il était maintenant temps de retrouver Tatsuki. J'espérais seulement qu'elle se soit comporté" normalement durant mon absence, aucun vol, aucune bagarre, et accessoirement; aucun mort.

En théorie, je n'avais pas à m’inquiéter plus que ça, l'argent que je lui donnais, la taverne que j'avais achetée et son patron avec, le caractère désertique de l'endroit; rien ne pouvait réserver de surprise. Ce n'était pas non plus un lieu très touristique, ni ne connaissant une très grande fréquentation. Le seul grain de sable qui pouvait se glisser dans ce rouage quasi parfait était le voyageur égaré qui pouvait devenir un collatéral au besoin...

Enfin, il me fallut quelques jours pour arriver jusque là petite taverne qui servait de point de ralliement aux personnes informées. Autrement dit, ceux du Shin Sekai. Je traversai le petit village qui abritait l'auberge en question. Il n'y avait personne. C'était un village fantôme. En fait, ici, seule l'auberge était restée ouverte; pour accueillir les éventuels voyageurs de passage. Qui étaient tous aussi fantomatiques que ce village.

La bâtisse prenait maintenant forme à quelques mètres au bord de la route. Un bouche fait en pierre de sable, conçu pour résister à la chaleur du désert, bien qu'ici; ce n'était pas encore le désert. On ressentait très nettement l'influence de Kawa sans pour autant pouvoir oublier que nous nous trouvions bien à Kaze no Kuni. Au loin, à quelques kilomètres, on pouvait deviner les premières dunes, et l'air ondulant, déformant l'horizon montrait la chaleur qui régnait là-bas.

J'entrouvris lentement la porte, et entendis quelques éclats de voix, rien de bien méchant. Ceci-dit, je reconnu les deux. Accompagnée d'un courant d'air affolant ma tignasse écarlate, j'entrai et posai mon regard de braise sur la première protagoniste.

"Il s'appelle Kawaguchi Kira, et il est avec nous. Contente de vous revoir, tous les deux." Affirmais-je alors que la porte claquait derrière moi.

Et à première vue, la jeune blondinette n'avait pas fait parler d'elle... L'endroit semblait intact, le patron aussi. Le seul qui dans cette pièce paraissait un peu... différent, était Kira. Mon regard s'attarda un instant sur lui, et je lui dit.

"La barbe... Ça te donne un peu plus de crédibilité, bizarrement."