"Je suis Yôgan Seito, invité par Samui Yuki."

Les gardes du Conseil Samui s'écartèrent, laissant entrer le visiteur. Seito franchit les portes richement ornées, et pénétra dans ce lieu du pouvoir que représentait le Conseil, au sein de l'île.

C'était la troisième journée qu'il passait à Gyamda, capitale de Yuki no Kuni. Après sa rencontre avec Samui Yuki, il avait fini par apprendre qui elle était vraiment. Au fil de ses expéditions à travers différents lieux aux alentours de la cité, il n'avait pu se retenir de questionner les riverains quant à l'identité véritable de cette dame. La plupart lui avaient répondu, non sans une certaine incrédulité. Et en effet, quand Seito apprit la vérité à propos de celle qui fut sa compagne le temps d'une promenade, il se sentit lui aussi assez idiot. Car celle qui avait partagé une table avec lui n'était autre que la Seigneur de Yuki no Kuni, ainsi qu'un membre de la famille impériale. Seito, qui se figurait être assez au courant de l'identité de ceux qui gouvernaient le Shûkai, remit bien vite en question cette certitude. Mais, après coup, il se dit qu'il n'avait finalement aucun moyen de reconnaître un quelconque Seigneur du premier coup d’œil. Ces gens n'étaient connus que par leurs noms, et leurs visages demeuraient pour la plupart inconnus aux yeux des shinobis lambda. Et si Seito n'avait pas reconnu le nom de la noble dame, c'était tout simplement parce qu'il ne vivait pas lui-même à Yuki no Kuni. 

La question de rendre visite à Samui Yuki, comme elle l'avait mentionné lors de leur précédente rencontre, s'était alors posée comme une sorte de problème pour Seito. Il n'était pas vraiment très à l'aise en présence de personnalités importantes. Certes, il l'avait été avec Samui Yuki, mais il n'était alors pas au courant de son véritable statut au sein du pays. Et même s'il l'avait voulu, il lui était maintenant impossible de faire comme si il ne savait rien de la fonction qu'occupait la dame. Inconsciemment, son attitude serait modifiée. Or, Seito ne voulait pas reparaître avec cette attitude devant le Seigneur. Il se doutait que ce ne serait pas agréable pour elle, comme ce ne le serait pas pour lui, de voir qu'il avait changé de comportement du tout au tout. La meilleure solution qui s'était présentée à son esprit avait donc été de ne pas rendre visite à la dame.

Seito déambulait maintenant le long des couloirs du Conseil Samui. C'était une immense bâtisse, qui, malgré sa localisation si particulière, puisqu'elle se trouvait à flanc de montagne, pouvait être distinguée depuis la ville-même. L'intérieur en était plutôt sombre, aussi Seito était-il précédé par un majordome tenant une lanterne. Sans doute l'endroit était-il rayonnant les jours de beau temps. Les piliers de glace que le jeune soldat avait remarqué à l'extérieur, et qui constituaient la charpente du bâtiment, devaient renvoyer une lumière formidable à l'intérieur, en temps normal. Cependant, ce jour-ci était placé sous le signe de la grisaille, une forte neige persistant depuis deux jours bloquant la lumière solaire. La semi-obscurité ne ternissait cependant en rien la beauté du lieu. Seito remarquait les frises qui ornaient les murs, et se régalait de deviner le caractère à la fois massif et délicat des troncs massifs qui soutenaient le plafond. 

Son guide finit par le mener devant une porte du plus bel ouvrage, indiquant à Seito qu'il s'agissait de l'entrée aux appartements de Samui Yuki.

Si le jeune Shûkaijin s'était finalement décidé à venir rendre visite à la Seigneur, ce n'était pas sans désintérêt. Lui-même avait en fait une requête à lui soumettre. Un autre Gouverneur y avait déjà accédé, pourquoi pas elle ? Il frappa trois coups nets à la porte, et se fit connaître:

"C'est Yôgan Seito. Je viens, suite à votre invitation, afin de vous demander votre assistance."

Le tout était de paraître le plus naturel possible, et d'éviter au maximum d'être trop formel. 

Seito s'assit sur ordre de son hôte. La dame lui demanda s'il voulait boire ou manger quelque chose. Sa réponse ne fut qu'une sorte de balbutiement incompréhensible. Une sorte de gêne et de désemparement total l'avaient envahi dès lors qu'il était entré dans les appartements de Samui Yuki. Etait-ce à cause du statut de Seigneur dont jouissait la jeune femme ? Comme il l'avait prévu, son comportement avait légèrement changé vis-à-vis de la dame. Comment aurait-il pu en être autrement, maintenant qu'il savait à qui il avait affaire ? Mais la raison de son léger malaise était peut être aussi la beauté frappante de Samui Yuki. C'était un détail concernant la dame qu'il n'avait pas vraiment oublié, mais plutôt considéré comme peu important. Aussi, la revoir dans ses plus beaux atours lui avait fait ressentir cette même sensation d'émerveillement et de soumission face à une créature faite dans la matière même de l'élégance et du charisme.

Samui Yuki lui apporta un chocolat. Seito se dit qu'il n'en n'aurait jamais autant bu qu'à Yuki no Kuni. Il garda cependant cette réflexion pour lui ... Après avoir trempé ses lèvres dans le chaud breuvage, et bu une gorgée, il prit la parole:

"Avant tout, laissez-moi vous dire que je n'ai pas pu m'empêcher de mener une petite ... enquête sur votre véritable identité. La curiosité m'y a poussé plus qu'autre chose, et je dois dire que j'ai été surpris d'apprendre que j'avais bu un chocolat avec la Seigneur de Guerre de Yuki no Kuni."

Seito sourit légèrement à cette pensée. Dites comme ça, les choses semblaient assez amusantes, en effet ... Même si lui s'était senti plutôt honteux lorsqu'il les avait apprises. Ne pas avoir reconnu un Seigneur aussi important était une marque d'une certaine ignorance pour un soldat de l'Empire. 

"Mais le vrai but de ma visite n'est pas de venir quémander un chocolat ... Quoi que celui-ci soit très bon, hein, je n'me permettrais pas de remettre en question vos compétences culinaires. Hm ..."

Seito toussota. Il était en train de faire exactement ce qu'il avait craint de prime abord. S'emmêler les pinceaux et paniquer devant une figure si importante. Une forme de stress commençait à se répandre dans son corps.

"Euh ... Bref. Si je suis venu vous voir, c'est pour une raison en fait assez simple."

Il s'éclaircit les idées, et finit finalement par y voir plus clair.

"J'ai déjà évoqué, je crois, pendant notre première rencontre la quête de connaissances et de nouveaux pouvoirs qui m'a mené jusqu'à Yuki no Kuni. Si ce n'est pas le cas, il semblerait que ce soit chose faite ... Toujours est-il que je n'ai jusque-là pas trouvé de quoi satisfaire mes envies. Aussi, je me tourne vers vous, aujourd'hui."

Son regard se plongea droit dans celui de la dame. Ses yeux ne reflétaient maintenant plus que la détermination qui était sienne. Il fallait qu'il parvienne à la convaincre, c'était devenu presque vital, désormais.

"J'aimerais bénéficier de votre enseignement, si vous y consentez."

Seito observa la dame alors qu'elle s'approchait de la fenêtre. Même depuis le sofa sur lequel il était installé, il pouvait distinguer le regard de la Seigneur parcourir les vastes contrées de Yuki no Kuni. La lumière si étrangement colorée d'une aurore boréale filtra à travers les carreaux, et se déversa en une nuée fantomatique sur les murs de la pièce. Les formes miroitantes dansaient, spectres d'un autre monde pris dans une transe délirante. Cependant, le jeune homme restait imperméable aux charmes d'un tel spectacle. La seule chose qui retenait son regard était la tristesse qui commençait à se lire sur le visage de la dame. Il était évident que c'était le fait qu'il ait découvert sa véritable identité qui l'avait froissée. Peut être même était-elle vexée ? Après tout, comme il l'avait conjecturé précédemment, elle ne devait pas avoir de conversation normales avec des subordonnés très souvent, d'autant plus qu'à Yuki no Kuni, tout le monde la connaissait. Sa tête, comme Seito avait pu le constater lors de leur première entrevue, était reconnue par tous ceux qu'ils avaient pu croiser, soldats comme civils. Peut être avait-elle voulu s'émanciper de l'étiquette avec lui ? Peut être aurait-elle préféré que la situation ne changeât jamais, que leur relation reste toujours la même: plongés dans l'ignorance l'un de l'autre, mais profitant de la vie comme elle se présentait et non pas selon des codes établis au préalable. A cette pensée, Seito se sentit coupable, et ne put s'empêcher de ressentir une soudaine pitié à l'égard de Samui Yuki. La vie de Seigneur devait offrir nombre d'avantages, mais elle présentait aussi ses inconvénients. Il venait d'en avoir la preuve irréfutable ...

La première question de la dame lui fit lever les oreilles. Qu'avait-il à proposer en échange ? C'était inattendu. Il ne pensait pas qu'elle lui demanderait ce genre de chose. Innocemment, il s'était imaginé que l'entraînement dont il pourrait bénéficier auprès de la dame serait un service, quelque chose de gratuit qu'il n'aurait à payer que par ses efforts répétés et son ardeur au travail. Cependant, force était de constater qu'il s'était trompé. Et la réalité lui apparaissait maintenant comme une évidence. Il n'avait pas affaire à n'importe quel soldat lambda. Celle qu'il avait en face de lui était un Seigneur du Shûkai, une des personnalités les plus importantes de tout l'Empire. La gratuité n'était plus de mise dans ces hautes sphères.

"Eh bien ... C'est une question que je n'ai pas vraiment considéré ..."

Il fut interrompu par la nouvelle prise de parole du Seigneur, qui ne fit que renforcer le sentiment de culpabilité qui était déjà né en lui. Il plongea le regard au fond de sa tasse de chocolat, honteux. Il aurait souhaité s'excuser, mais il ne trouvait pas de terme approprié. Et il préférait éviter le ridicule et le romanesque autant que possible. Il but une gorgée de la boisson chaude, et sa vue s'attarda alors sur la dame, maintenant installée face à lui. Ses yeux suivirent particulièrement la courbe de ses jambes, sans doute dégagées volontairement -comment aurait-il pu en être autrement ?-. Il remarqua la perfection des formes de ces seules jambes, et resta un moment qui lui sembla une éternité le regard fixé sur ces membres qui lui semblaient alors être un trésor inestimable. 

Il fut brusquement ramené à la réalité lorsqu'il avala de travers une gorgée de chocolat. Il toussa aussi discrètement qu'il le put, et son visage prit une teinte rosée. Était-ce la gêne de sa suffocation ? Toujours est-il qu'il sentit monter en lui une certaine chaleur, qui n'était sans doute pas imputable aux seuls effets de la boisson. Il posa avec attention sa tasse sur une petite table qui lui faisait face, et s'éclaircit la gorge. Tout semblait confus dans son esprit, pour une raison qui lui échappait. Et pourtant, il n'avait aucune envie d'y mettre de l'ordre. Il éprouvait un certain plaisir à s'abandonner aux idées pour ne plus vivre que les sensations. 

Lorsque la dame lui dit qu'elle acceptait de l'entraîner, il n'en n'eut presque rien à faire, tant le désordre régnait dans sa tête. Il fut bien plus attentif lorsqu'elle annonça qu'il allait devoir la payer, tant bien que mal. Il resta quelques instants sans réaction, son regard paraissant vide errant sur la surface parfaite du visage de sa compagne. Au bout d'un instant d’hébétude, il se ressaisit cependant. Discrètement, il se pinça la cuisse, convaincu d'être sous l'emprise de quelque sortilège. Peut être son chocolat avait-il été drogué ? Il était dans un état tel qu'il n'en n'avait jamais ressenti. Comme si un poison insidieux parcourait ses veines, rendant toutes ses fonctions inutiles et récalcitrantes. Mais il devait lutter contre une force comme celle-ci. Se laisser aller au plaisir n'apportait rien de bon, c'était ce qu'on lui avait enseigné. Et pourtant ...

"Euh ... C ... Et ... Co-Comment ...? Hum ..."

S'il avait été un tiers observateur présent dans la pièce, il se serait sans doute trouvé ridicule. Il contrastait étrangement face à une personne avec la prestance de Samui Yuki. Lui avait-elle lancé un quelconque sortilège ? Quelle force mystique pouvait bien plonger son esprit dans une si virulente torpeur ? Il ne le savait pas, et pourtant il ne se sentait pas plus apeuré que de mesure face à ce qui s'apparentait à une menace inconnue, car cette menace était enrobée du plus doux des parfums qui soit.  

Seito considéra la dame avec une soudaine surprise. Il se savait vraiment plus quoi penser de cette soirée qui devenait ... très particulière. A moitié allongée à côté de lui, Samui Yuki lui ordonna de le regarder. Instinctivement, son âme de soldat réagissant, Seito tourna le regard vers elle. Il la découvrit dans une position singulière, le décolleté largement ouvert. Un frisson parcourut la nuque du jeune homme, et il se dépêcha de détourner les yeux. Il sentit le rouge lui monter instantanément aux joues. Le fait qu'un Seigneur soit aussi familier avec lui le mettait plus mal à l'aise qu'autre chose. L'attitude de la dame était même plutôt provocante. Lui qui était ignorant de tous les ébats amoureux ne pouvait ignorer le comportement très suggestif dont faisait montre la Samui. Et c'était, à vrai dire, une première.

Seito s'était toujours tenu à l'écart des femmes. Ce n'était pas par crainte, ni à cause d'un dégoût particulier de ces dames, mais plutôt par manque d'intérêt. Toute son enfance avait baigné dans l'entraînement assidu des Yôgan, dans lequel les sentiments tels que l'amour n'avaient pas leur place. Chacun était traité à rang égal, fille ou garçon, mais tous restaient dans une optique absolue de gain de pouvoir. C'était un dogme, en quelque sorte, qui était inculqué aux jeunes Yôgan dès leur plus jeune âge. Et les relations amoureuses restaient inconnues aux disciples de la lave, à moins qu'ils ne les découvrent par eux-mêmes. Seito était en train d'en faire l'expérience. Expérience d'ailleurs très ... inédite. Il se sentait beaucoup plus en danger face à cette force inqualifiable, pour lui, que face à n'importe quel autre ennemi qu'il avait déjà eu à combattre. Il ignorait tout de cette sensation qui imprégnait son corps tout entier, de ce picotement au creux de son ventre, de ces battements de coeur accélérés qui résonnaient dans son crâne, chassant toute notion d'ordre de son esprit.

La proposition de la dame le laissa cependant plus interrogatif encore. Il ne savait pas quoi penser. Elle voulait un homme fort ? Quelqu'un de puissant, combatif ? Quelqu'un capable de la faire plier par sa seule demande ? Et elle lui proposait à lui de jouer ce rôle de dominant ... Sa première impression fut d'être certain de ne pas être à la mesure d'une telle charge. Il allait en faire part à la dame, mais il s'interrompit lorsque son regard croisa de nouveau celui de Samui Yuki. Ses yeux semblaient l'appeler à l'aide. Ils criaient, pleuraient, suppliaient Seito de les assister. La demande de la dame n'était pas innocente, c'était certain. Elle devait être dans une grande détresse si elle en venait à demander un tel service à un soldat aussi peu expérimenté que Seito. Et ...

Il sentait ce sentiment lui remuer les tripes, réagir à l'appel de ces yeux suppliants. Il ne pouvait clairement pas la laisser dans cette situation et lui refuser son aide. Une envie, ou plutôt un besoin de protéger la dame souleva soudain son coeur. Il se sentait pousser des ailes, et son esprit se fit fort et droit. Il ne pouvait et ne voulait pas refuser. Il ne savait pas quel était cet élan qui l'animait soudain, mais il était certain que s'il déclinait la proposition de la dame, il en souffrirait lui-même plus qu'elle. 

"Très bien. Je peux jouer ce rôle, je suis prêt à la jurer."

Délicieuse sensation que celle de s'impliquer dans une entreprise si douce. Sa seule envie n'était plus que de rester auprès de Samui Yuki, d'oublier le temps et de s'émanciper de l'extérieur. Une douce chaleur fit suite à l'ardent désir qui avait enflammé son corps et son esprit. 

"Quoi que vous puissiez me demander, soyez sûre que j'y accéderai. Je ..."

Il s'interrompit. Il n'avait, en fait, rien d'autre à ajouter. Et son silence en dirait sans doute plus que ses mots. Il préférait rester dans cette atmosphère de pleine quiétude, en profiter et oublier le reste. Cette dame, elle avait des pouvoirs bien étranges. Mais tous soupçons quittaient Seito, en cet instant, alors que son coeur palpitait au même rythme que le feu dans le foyer. 

Spoiler:

Le sourire de Seito se transforma lorsque la dame le remercia de sa confiance. Il se sentait fort d'une fierté nouvelle. Le poids des responsabilités allait de nouveau peser sur lui, mais cette fois-ci il ne voyait plus du tout la tâche de la même façon. Cette fois-ci, il prendrait du plaisir à réaliser son devoir, et ne serait pas sous l'effet d'une peur aussi panique que soudaine. Il serait aux côtés de Samui Yuki, personnage d'une importance certaine sur la scène mondiale, et, il commençait à s'en rendre compte, pour lui-même. Du moment qu'il était avec elle, il se savait en sûreté, et ce sentiment lui donnait la confiance nécessaire à assurer la sécurité de la Seigneur. En somme, c'était une affaire qui devrait bien fonctionner, un système se nourrissant lui-même de l'énergie et de la bonne volonté nécessaires à son bon fonctionnement. Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?

A la suite de cette conversation, Seito suivit celle qui était devenue sa maîtresse, maintenant, dans les couloirs du Conseil Samui. La nuit était tombée, déjà. Les pâles lueurs d'une aurore boréale projetaient sur les piliers et les murs des corridors des ombres fantomatiques aux couleurs spectrales. Même Samui Yuki, enveloppée de tissus flottant à sa suite, semblait être une apparition dans un tel décor. Le temps paraissait se dérouler au ralenti. Tout était plongé dans la calme immobilité du bâtiment. Tout semblait figé dans la glace. Seuls flocons mouvants dans cet océan de mort, Seito et Yuki arrivèrent jusqu'à la salle d'entraînement du Conseil. 

Alors que la dame allumait les torches qui ornaient les murs de la pièce, Seito se prit à en observer la décoration. Il n'y avait, en fait, peut être pas lieu de parler de décoration, puisque aucun meuble ou aucun objet quelconque n'était présent dans la salle, si ce n'est les tatamis qui en recouvraient le sol. Les immenses baies vitrées laissaient un avant-goût de ce qui se produisait dehors. Pour le moment, une tempête de neige battait son plein. Ce n'était certainement pas l'instant rêvé pour s'aventurer à l'extérieur. 

Mais l'heure n'était pas à la rêverie, loin de là. Lorsque Seito eut un avant goût de ce qu'il devrait parvenir à faire au terme de la séance d'entraînement, il retrouva instantanément ce sentiment si familier, qu'il avait pourtant oublié. Il replongeait dans l'univers de son enfance, passée à s'exercer aux côtés des Yôgan, reproduisant inlassablement le modèle du maître. Un sourire malicieux éclaira le visage du jeune homme. Du fait de son expérience passée, il se sentait assez à l'aise avec ce type d'exercice. Recréer une technique seulement visionnée, c'était dans ses cordes. Il avait à peu près mémorisé les sceaux effectués par Samui Yuki. 

Il monta sur les tatamis, face à la dame. Il commençait déjà à malaxer son chakra, le rendant aussi malléable que possible. Dans ce genre d'exercice, il lui faudrait parfaire la forme aussi bien que la texture de son magma, chose qui était assez inédite pour lui. Il reproduisit les sceaux sans erreur. Le chakra bouillonnant montait au niveau de sa tête. Il se visualisa lui-même aussi bien qu'il le pouvait, avant de libérer l'énergie engrangée d'un seul coup.

De sa bouche surgit une volée de lave, qui forma un tas rougeâtre et sifflant. Cependant, contrairement à ses attentes, elle ne prit pas forme humaine, et retomba bien vite en une simple flaque fumante. Bien qu'il s'y attendît, Seito fut quelque peu déçu de ce résultat. Il s'attendait à ce que sa création ait au moins un peu de tenue.

Il leva la tête vers la dame, tout penaud.

"Euh ... Je pense que je vais avoir besoin d'un peu d'aide ..."

Seito observa la petite oeuvre d'art entre ses mains. Une étoile de glace, aux branches impeccablement réalisée et fignolées avec soin. Il avait réellement l'impression de tenir un fragment figé par le temps d'un astre. Etait-ce l'endroit, les circonstances, qui le rendaient si prompt à la poésie ? Toujours est-il qu'il ne pouvait vraiment détacher son regard de l'artefact. Éphémère et pourtant si précieux, il aurait voulu le garder toujours auprès de lui. Ce serait le symbole du travail à accomplir pour arriver au résultat escompté, la représentation du chemin entre le départ et l'arrivée. Etait-il possible qu'il arrive à en faire autant dès son premier essai ? Non. Il en était diablement conscient, mais ça ne l'empêcherait pas d'essayer. Après tout, même si beaucoup les opposait, le magma et la glace pouvaient bien se combiner et s'apparenter pour donner le meilleur des résultats.

Il n'était pas étonnant, à vrai dire, que l'élément de prédilection de Samui Yuki soit la glace. Dans ce milieu baigné de neige, de froid, d'aurores boréales et autres mystères des grands glaciers, elle apparaissait comme une figure quasi-divine, s'élevant au-dessus du lot. Celui qui se faisait maître de la glace, à Yuki no Kuni, se faisait gardien du temple dédié à l'hiver éternel que représentait le pays. Une beauté fragile, c'était sans doute l'expression qui pouvait le mieux caractériser celle que Seito devrait appeler sa "maîtresse". Le terme de beauté ne devrait, dans ce cas-là, nécessiter aucune explication. La dame était une sorte d'incarnation de l'essence féminine, représentée dans ses plus beaux atours. En revanche, la décrire comme fragile en aurait fait tiquer plus d'un. Et pourtant, c'était bien l'image qu'elle donnait au jeune soldat, alors qu'elle lui confiait son ouvrage. Elle devait être vraiment désespérée pour faire appel à lui comme garde du corps ...

Seito plaqua ses deux paumes l'une contre l'autre, et malaxa son chakra. Cette fois, il allait devoir faire preuve de plus de concentration et de rigueur, s'il voulait parvenir à un résultat satisfaisant. Le travail devrait être plus facile, puisque la surface à matérialiser était plus petite. Mais il faudrait être tout aussi focalisé sur l'effort, voir plus. C'était sans doute à cause de ça qu'il avait raté, assez lamentablement, son premier essai de clone élémentaire. Échouer une autre fois lui causerait bien du tort.

Le chakra monta au niveau de ses mains. Il sentait sa chaleur se répandre dans ses bras, et baigner ceux-ci d'une énergie bienfaitrice, et puissante. La vigueur prenait possession de son corps, et il sentait monter en lui cette même confiance qu'il avait ressentie quelques instants auparavant. Après tout, il avait manipulé le magma toute son enfance. Il ne pouvait pas échouer, ce n'était même pas à sa portée. Ou alors, cela voudrait dire qu'il n'avait pas sa place dans les rangs du Shûkai, et que son apprentissage auprès des Yôgan n'était pas terminé complètement. 

Il écarta lentement ses deux mains, jusqu'à ce qu'un espace d'une vingtaine de centimètres les sépare. Il relâcha alors toute l'énergie engrangée, se focalisant sur une nette image de ce qu'il voulait représenter. Si Samui Yuki était une étoile, si elle voulait qu'il soit son protecteur ... Il devrait être un Soleil bouillonnant de rage et de puissance.

Une sphère de magma se matérialisa entre ses doigts, flottant à quelques centimètre au-dessus du sol. Elle n'était certes pas régulière, mais sa silhouette était tout de même plutôt nette. Quelques bouillonnements la déformaient, mais sans plus. Seito la maintint ainsi, en lévitation, pendant quelques minutes, jusqu'à ce qu'elle se refroidisse et se solidifie complètement. La boule retomba alors sur les tatamis, enveloppée d'une écorce rocheuse à la surface trouée de cratères. 

Cette fois, il était plutôt content de lui. Même s'il n'avait pas pu faire un ouvrage aussi détaillé et aussi minutieux que celui de sa maîtresse, il était parvenu à un résultat qu'il jugeait comme acceptable.

"Je pense qu'on va pouvoir arriver à quelque chose ... Même si les détails ne sont pas encore là, je pense pouvoir y parvenir."

Une lueur d'espoir s'était en effet allumée dans son esprit. L'exercice semblait à sa portée. Il jeta un coup d'oeil sur l'étoile gelée qu'il avait posée à côté de lui. Mais elle avait fondu, et il ne restait plus d'elle qu'une petite flaque.

Seito comprit ce que sa maîtresse voulait dire quand elle parlait de complémentarité de leurs éléments respectifs. Elle parvenait à se protéger elle-même de la roche encore fumante en entourant ses mains d'une auréole de glace. Elle faisait barrière à la température extrême en y opposant une autre température tout aussi importante. De cette façon, leurs pouvoirs pouvaient très bien se combiner, sans que les deux utilisateurs ne subissent forcément de dommages collatéraux. C'était une voie à explorer pour de futures collaborations. Il aurait été regrettable de passer à côté d'une telle opportunité, et Seito comptait bien sur cette mixité envisageable pour parvenir au mieux à protéger Samui Yuki.

L'exercice qu'elle lui proposa ensuite lui sembla dans un premier temps très risqué. 

"Je ne sais pas si c'est de mon ressort ... Je n'ai jamais tenté l'expérience, je risquerais de vous blesser grièvement. Et les blessures dues à la lave sont difficiles à guérir, croyez-moi. Dans mon clan, nombreux sont ceux qui ont été aveuglés par l'étendue de leur pouvoir et qui en ont oublié les dangers. La maîtrise du magma demande une certaine prudence. Le danger est partout, lorsqu'on manipule un élément aussi instable. Et risquer de vous mettre en danger ..."

Il s'arrêta, bien trop conscient des conséquences que pourraient avoir ses paroles. N'était-ce pas pour lutter contre le danger qu'il avait été employé ? Le travail d'un garde du corps consistait à prévenir la menace, et à l'éviter et à la contenir au mieux. Dans ce cas, comment pourrait-il sciemment exposer son employeur au danger, surtout lorsqu'il était lui-même la source du danger ? C'était irrationnel, illogique, et il se refusait à mettre ses pouvoirs au service d'un exercice aussi périlleux.

Les mains qu'il avait dans un premier temps posées sur la sphère de roche se retirèrent. Il rassembla tout son courage, et fixa sa maîtresse droit dans les yeux.

"Je ne peux pas accomplir cet exercice. Premièrement parce que je risquerais de vous mettre en danger, et que l'on m'a appris à toujours utiliser le Yôton avec parcimonie, et jamais dans une situation où les dommages collatéraux seraient trop importants. Deuxièmement, parce que je suis maintenant votre garde du corps. Vous mettre moi-même en danger serait une grave erreur, et serait à l'opposé de ma nouvelle fonction. Quand vous m'avez proposé ce poste, vous m'avez mis en garde: j'aurais à vous faire face, dans certaines situations, pour vous protéger vous-même. Il semblerait que l'occasion de faire mes preuves se soit présentée plus vite que prévu ... Toujours est-il que je refuse de pratiquer cet exercice, trop dangereux. Il en relève de mon rôle de garde du corps."

Son regard était sûr. Il ne doutait plus. Il était certain, maintenant, d'avoir pris la bonne décision. Il serait fidèle à ses enseignements et à ses principes: ne pas mettre les autres en jeu.

Seito observa d'un oeil curieux l'expression que lui rendait maintenant sa maîtresse. Elle semblait confuse. Lui-même, à vrai dire, était assez désolé de l'avoir mise dans une situation de gêne. Il avait l'impression de se trouver dans une position de supériorité face à la dame, supériorité qui lui allait très mal. Cependant, il ne regrettait en aucun cas la décision qu'il avait prise, et il était soulagé de voir qu'elle n'avait pas eu pour effet de mettre Samui Yuki en colère. Le contraire aurait été regrettable, plus encore que l'était la situation actuelle des choses. Là, il n'y avait qu'un flottement. Une opposition entre eux n'aurait apporté que le conflit, et il se serait perpétré pendant longtemps. Mieux valait être franc, afin d'éviter de bâtir une relation sur des faux-semblants. 

Mais l'heure n'était pas à l'inaction. Beaucoup restait à faire, peu avait été fait. L'entraînement reprenait. Il était temps de maîtriser une fois pour toute cette technique du clonage élémentaire, qui, il fallait bien l'avouer, semblait plus qu'intéressante aux yeux de Seito, tant pour les avantages qu'elle offrait en combat que pour le simple geste de créer un autre soi.

"Je pense que pour ce genre d'exercice, mieux vaudrait utiliser de la lave encore en fusion. Elle est plus malléable, et reproduire des formes familières avec une matière comme celle-ci sera plus facile. Avec du magma solidifié en partie, il faudrait modeler l'écorce rocheuse qui commencerait à se former. Autant s'épargner le plus de mal possible."

L'exemple de sa maîtresse lui apporta des éclaircissements sur la manière de procéder. Il ne s'agissait pas de reproduire instantanément une image de lui, mais de la tailler dans l'élément même, de sculpter la lave. Samui Yuki employa une formule qui lui sembla tout à faire pertinente et appropriée: il faut parfois avoir une âme d'artiste pour être un bon shinobi. Seito avait-il cette âme-là ? Il en doutait. A vrai dire, il n'en savait rien, n'ayant jamais été véritablement impliqué dans la pratique d'un art quelconque. ce jour-ci serait pour lui la journée des expériences.

Il effectua une série de mudras familiers, et projeta sur le sol un tas de lave bouillonnante d'environ deux mètres de haut. Le tout était maintenant d'agir vite: il fallait créer les formes avant qu'une couche solide ne se mette en place. Seito se représenta du mieux qu'il le pouvait un corps humain. Il devait parvenir à recréer au moins une base, une silhouette correspondant à la sienne. Alors que le magma dégoulinait, quelques courbes semblèrent se dégager de la structure fumante. Des traits, des membres, apparaissaient. Une sorte de golem écarlate se formait sous l'action de l'imagination de Seito. Il affina son travail. Le magma retombait maintenant au bas de l'oeuvre dans une flaque vermillon. Une silhouette humaine de la taille du jeune soldat était parfaitement distinguable, à présent. Même si les mains laissaient à désirer en terme de détails, certains doigts étant collés entre eux, ou légèrement disproportionnés, les seules différences entre cette statue et un véritable être humain étaient sa matière et l'absence totale de visage. Seito avait préféré se cantonner à reproduire des formes grossières plutôt que de s'attaquer directement à des détails. 

Finalement, au bout de quelques minutes, la lave fut recouverte d'une couche uniforme de pierre noirâtre. Un corps humain, de la taille de Seito, se tenait devant lui, sans visage. On aurait dit une momie, un sarcophage de roche volcanique. Au coeur de cette oeuvre ne gisait cependant pas encore la vie.

"C'est déjà plus satisfaisant, non ?"

Seito avait regardé avec une certaine fierté son clone de lave s'ériger sous l'effet de sa pensée. Il avait façonné cet être artificiel à son image, devenant ainsi une sorte de dieu. Une étrange sensation de pouvoir s'était emparée de lui, prenant le contrôle de ses membres et de sa pensée. Il se sentait capable des plus grands exploits, maintenant qu'il avait réussi à surmonter cet obstacle. Qui pourrait se mettre en travers de sa voie, lui qui était maintenant devenu l'égal d'une divinité en créant la vie ? Une telle puissance impliquait d'en faire usage avec parcimonie, selon les usages transmis chez les Yôgan. Cependant, de tels principes s'étaient bien vite effacés devant la détermination et la soif de pouvoir qui avaient succédé à la création du clone. Pour la première fois dans sa vie, ce qui représentait une étape assez conséquente, Seito se laissait aller sur la voie du pouvoir sans penser aux conséquences de ses actes.

Ses ardeurs furent cependant bien vite refroidies, au sens propre, quand la dame balaya la salle d'un tapis de neige. Seito fit ses soudaines aspirations retomber comme un soufflé alors que son clone était tout simplement réduit en cendres. Rude retour à la réalité. Mais juste. Il retrouva des idées claires, et eut aussitôt honte de lui. Il avait envie de se frapper la tête contre les murs. Comment avait-il pu être aussi naïf ? Il bravait tous les enseignements de son clan, au nez et à la barbe des principes qu'il essayait d'entretenir.

Il décida cependant de n'en rien dire à la dame. Elle n'avait en aucun cas besoin de le savoir, et bien qu'il se sentit d'une certaine proximité avec elle, elle n'avait peut être pas le même sentiment. Mieux valait se taire, et couver ce honteux secret.

La confusion de Seito lui venait aussi du fait, c'était un détail, qu'il avait à moitié incendié la salle avec sa lave. La réaction de son mentor avait été rapide, mais pas assez pour épargner une partie des tatamis et le bas des murs, maintenant salis d'une tâche noirâtre uniforme.

"Je suis ... désolé. Je vous proposerais bien une compensation financière, mais j'ai peur que ce ne soit hors de mes moyens ... Vous n'aurez qu'à considérer mes services comme un remboursement de cette dette."

Cela lui semblait être un compromis équitable, même si sa tâche de garde du corps restait encore floue et indéfinie. Après tout, il ne savait pas encore à quel genre de personnage il avait à faire, avec Samui Yuki. Allait-elle le tyranniser, l'utiliser comme bouclier humain, ou au contraire ne plus jamais le recontacter après cette rencontre ? Ces questions appartenaient au futur, et il était encore inconnu.

"Je pense qu'il vaut mieux que je m'en aille, maintenant ... Merci, pour tout. C'est ... une sacrée journée. Mais ça va aller. Ca va toujours. Ca doit aller, non ? Oh, encore désolé pour ..."

Il ponctua sa phrase d'un regard embarrassé tout en désignant les brûlures qui parsemaient la salle d'entraînement. Un dernier regard à sa maîtresse, et il était parti. Traversant une dernière fois le dédale du Conseil Samui, il se retrouva bien vite à la sortie de l'imposant édifice. La tempête s'était calmée, la neige tombait maintenant en une délicate pluie immaculée. Il rabattit le capuchon de son manteau sur sa tête, et entama le retour vers la capitale. Etrange personnage, Samui Yuki. Mais fascinante ...