Il n’avait que très peu dormi cette nuit-là. Assis dans un large fauteuil qui faisait face à une baie vitrée, il regarda le soleil se lever. Il n’était vêtu que d’un short. Ses cheveux en bataille avaient une forme indescriptible sur sa tête, métaphore à son mal de crâne qui persistait depuis deux jours. Lorsque les rayons lui éblouirent les yeux, il se dirigea vers sa cuisine, sortit des céréales au sucre et du lait frais et se mit à prendre son petit-déjeuner, le regard toujours perdu dans le vide, comme s’il était une machine, un cyborg. Comme s’il était lui-même une création d’un marionnettiste ou d’un Saibogu. S’il vivait avec quelqu’un, nul doute que ce quelqu’un aurait pris peur face à cet être qu’était Katsuo, mais, fort heureusement, il vivait seul, dans ce magnifique loft qu’il avait acheté lui-même.

Il se dirigea vers la salle de bain, pour prendre une douche froide bien méritée. Une fois de plus, la journée s’annonçait caniculaire. Il avait appris à s’habituer à la chaleur, si bien qu’il n’y faisait plus réellement attention. Mais malgré tout, malgré ce vide cérébral, certaines valeurs ne pouvaient se détacher. Il était programmé. Et l’hygiène était primordiale pour Katsuo. Le soleil faisait transpirer, et sans une hygiène irréprochable, la transpiration devenait un fardeau. Combien de fois avait-il eu des haut-le-cœur en croisant des civils sunajins dans la rue ? Non, lui, il sentait toujours bon. Ses deux douches quotidiennes en étaient le secret. Il y resta, ce matin, bien plus longtemps qu’il ne l’aurait voulu. Il laissait l’eau fraîche couler le long de son corps, les avant-bras croisés plaqués contre le mur, la tête en avant, la pression de l’eau tombant sur sa nuque. Les cheveux noirs lui cachèrent les yeux. Il était à l’aise, dans l’eau. Il se demandait si Suna était vraiment fait pour lui, parfois. Le climat aride, les étendues désertiques… Bien loin du milieu aquatique où il aimerait vivre.

Il finit par sortir, enfila un haut noir, un pantalon noir et une veste bleue. Comme à son habitude. Les lunettes (accessoire important chez les Saibogu s’il fallait en croire les autres membres de son clan et leur look) sur le front, le bandeau sunajin autour du cou, il sortit dans ce four qu’était le village, en direction du palais, où son affectation journalière allait lui être confiée. Sans surprise, il se fit réprimander et c’est donc, sans surprise, que son retard lui valait une surveillance des portes de la ville. Il signa, et sans broncher, partit en direction de l’entrée du village. Il fallait être fou pour s’aventurer jusqu’ici, ou alors avoir une très, très bonne raison. Majoritairement, personne n’osait approcher un village ninja, surtout un aussi puissant que Sunagakure. Il n’avait jamais voyagé, mais il se disait qu’au fond, Kumo et Konoha devaient jouir du même « traitement de faveur ».

Quelle ne fut pas sa surprise quand, en lieu et place d’un Sunajin qui devait rentrer de mission (comme il s’y attendait), il vit une jolie jeune femme accompagnée d’une autre femme, en cheval. Elle devait à peine avoir 20 ans, et pourtant… Pourtant quelque chose se dégageait d’elle. Comme si, de son jeune âge, elle avait plus d’expérience, plus de vécu, et plus de sagesse qu’une bonne partie des anciens. Il en oubliait presque son rôle de garde de la porte…

- Mesdemoiselles. Je ne voudrais pas être grossier, mais vous vous doutez bien que je ne peux vous laissez passer sans connaître les raisons de votre venue à Suna. Ainsi que votre identité.

Un ton calme, posé. Katsuo n’était plus la machine qui exécutait les tâches matinales. Il était devenu… Pragmatique. Bien entendu, il ne fallait pas s’attendre à un excès de chaleur. C’était convenu, mais c’était poli. Il se méfiait tout de même : cette jeune femme, intrigante et mystérieuse, devait receler bien plus de surprises qu’elle laissait paraître avec ses airs angéliques…

Un petit sourire se dessina sur le visage de Katsuo. Une fois de plus, il avait vu juste, et ce sur deux plans différents : il avait deviné qu’elle n’était pas qu’une simple voyageuse de passage, et qu’elle était quelqu’un qui comptait. Et il avait aussi deviné que sous ce capuchon se cachait une femme sublime, quoiqu’un peu maigre. De grands yeux étincelants, une chevelure noire de jais, et un teint ensoleillé qui nous illuminait sans contribuer au réchauffement de la planète. Katsuo baissa sa garde, peut-être à tort il en avait conscience, et sauta d’un bond aux côtés des deux jeunes femmes.

- Soyez les bienvenues, mesdemoiselles Samui et Oge. Je suis Katsuo, du clan Saibogu. Croyez-bien que je serais ravi de vous faire entrer, cependant…

Un temps. Le jeune homme aimait jouer, et les phrases se terminant par une négation avaient le don d’agacer, ou ne serait-ce que titiller, les personnes à qui elles sont adressées. Il n’avait toujours pas perdu son ton, cependant : il n’était pas devenu cynique, ni joueur, ni provocateur. Il était tout attendu, pragmatique, dans le protocole. Quiconque savait interpréter la physionomie ou la manière de parler pouvait deviner que ces histoires de sécurité, ça le gonflait profondément. Si une armée se rendait au sein du village, là il aurait eu raison de s’inquiéter. Mais deux jeunes femmes… Aussi puissante Samui Yuki semblait être, fallait-il vraiment se fier au protocole de défense du village ? Si ça n’avait tenu qu’à lui, la dame des neiges aurait déjà vagabondé dans les rues chaudes du village du sable à sa convenance. Mais il n’était qu’en bas de l’échelle, que tout en bas de cette hiérarchie stupide qui avait vu le jour depuis l’assassinat de Zanshi. Un village militaire, ça ne se dirige pas en demandant toutes les cinq minutes l’avis de tel ou tel. Une personne, forte, sage et expérimentée : voilà ce qui fait la force du pouvoir.

- Si vous êtes ici pour Kazekage-sama, vous savez que le climat est délicat actuellement. Et que la sécurité a donc été renforcée pour les extérieurs au village. Je vous demanderais donc de me confier toutes vos affaires personnelles, comme vos sacs et vos armes, et de vider vos poches. Je vous emmènerais ensuite au Kakumeigun afin que les hautes autorités du village vous autorise effectivement à déambuler dans les rues.

Il fixa la Samui dans les yeux, ne lâchant pas son regard. Il aurait dû être intimidé, presque gêné de discuter avec une femme de cette envergure, et pourtant…

Il avait cependant conscience que ce qu’il demandait pouvait paraître extrême, surtout que Sunagakure devait connaître Yuki. Si ce qu’elle disait était vrai, nul doute que son prestige dépasse les frontières du pays des neiges et que sa renommée est internationale. Mais il y avait des règles, et jamais il n’atteindrait son but si ces dites règles n’étaient pas respectées. S’il commençait à défier ses dirigeants, il n’irait nulle part ailleurs que dans le mur.

- Dis comme ça, il se peut que ça puisse paraître abrupt, mais… Croyez-bien que si vous êtes ici pour les raisons que vous exposez, ce ne sera qu’une formalité de quelques minutes au plus. Faites-moi confiance.

Premier véritable sourire qu’il lui adressa, à la fin de cette tirade. Il était devant elles, attendant qu’elles se décident. Elles pouvaient tout aussi bien faire demi-tour, mais, généralement, on ne traverse pas le désert pour faire demi-tour lorsque l’on se trouve aux portes du village dans lequel on convoite d’entrer… A voir, désormais, si les jeunes filles souhaitaient contester les décisions de Suna ou non… Katsuo n’en avait cure : il aurait pu rester à discuter avec la dame des neiges toute la journée… Car en plus de n’être pas une compagnie désagréable à regarder, il faut avouer que rester à attendre que la journée se passe sur les portes, c’était loin d’être palpitant…

Les voyages en bateau, les quelques pays neutres découverts … Rien ne l’avait vraiment impressionnant. Elle était persuadée qu’aucun ne pouvait l’éblouir autant que le désert glacé de Yuki no Kuni, ses lacs gelés, ses plantes cristallisées ou encore ses aurores boréales. Cependant, voilà une affirmation bien naïve pour ceux et celles n’ayant jamais mis un seul pied à Kaze no Kuni.

Horreur.
Merveille.

Voilà les deux mots qui décrivent à la perfection Kaze no Kuni aux yeux de la Civile. Le désert, son sable doré ou ses couchés du soleil pouvaient être magiques mais devenaient bien vite des surprises empoisonnées avec la déshydratation, les coups de soleil ou encore les mille et un dangers naturels se décomposant entre scorpions, serpents et tant d’autres …

« Si j’ai froid à Yuki no Kuni, je m’emmitoufle. Si j’ai chaud à Kaze no Kuni, me mettre nue est indécent mais surtout dangereux avec un tel soleil … » Un maudit soleil qui lui donnait sueur, qui lui donnait envie de dormir sur le dos de son cheval ou encore de s’effondrer à tout jamais – en s’abandonnant – dans ce désert abominable et cruel.

« Je veux rentrer … » ne put-elle se dire encore, et encore. Ce voyage n’aidait guère la Samui à remonter dans l’estime de la Civile trahie. La petite, due à la chaleur entre autre, avait réussi à pousser la folie et la fièvre jusqu’à imaginer un scénario où Yuki désirait – en fait – la tuer dans ce désert, et mettre ainsi doucement mais sûrement, fin à la lignée des Oge, soit la lignée de la Daimio de Yuki no Kuni tuée.

Persuadée que Yuki était perdue, elle se rendit compte que plus tard – très tardivement – de la fameuse voie illusionnée de Suna. On n’avait cessé de lui raconter en cours de chemin qu’il était difficile de localiser ce désert dû aux mirages, et elle n’avait cessé de croire qu’on lui racontait des bobards car un tel village devait être visible à des kilomètres à la ronde … Et non, on ne lui racontait pas de bobards, et oui Suna avait un sacré allié naturel le cachant ou achevant à l’avance l’ennemi.

Arrivées aux portes, elle laissa la Samui faire tout le discours. Pour sa part, elle était d’une incapable d’aligner trois mois sans bégayer et encore moins avec des lèvres asséchées et gercées malgré la quantité d’eau bue. Le désert chaud … Ce n’était pas sa tasse de thé finalement.

- Oge Gin, enchanté, se contenta-t-elle de dire lorsque Yuki procéda aux présentations.

C’est avec soulagement et empressement que la petite quitta la selle, la confia à autrui, vida ses poches, tout en se délaissant de son sac à dos… elle voulait tout simplement rentrer dans un lieu avec de l’ombre et frais si possible …

Et la petite Argentée attendit la suite des événements.

Spoiler:

La dame des neiges ne formule aucune forme de revendications, aucune forme d’opposition. Elle se contenta de se plier aux volontés du Saibogu. Il s’attendait, pour être tout à fait franc, à un semblant de révolte, une réprimande, une remarque : il faut dire qu’aux premiers abords, cette noble jeune femme a tout de la bourgeoise guindée qui n’aime pas qu’on lui dicte sa conduite. Katsuo devait se rendre à l’évidence : pour le coup, sa première impression avait été totalement erronée. Yuki était donc belle, puissante, renommée et coopérante. La jeune femme devait bien cacher des failles, des faiblesses. Le jeune homme serra sa mâchoire : il n’aimait pas être intrigué de la sorte, surtout par une demoiselle. Mais comme d’habitude, il ne laissa absolument rien paraître. Il présenta son bras à la dame des neiges après lui avoir confisqué ses effets et confié ses chevaux à de bons soins. La civil se sentirait peut-être lésée, mais qu’importe. Elle n’avait rien d’ensorcelant.

Le Kakumeigun, symbole supplémentaire, s’il en fallait, de la puissance de Suna. Siège des Unités Spéciales du village du Sable, quartier général de la sécurité, rassemblement des ninjas les plus puissants et les plus influents du village. Si guerre il y avait, si problème se présentait, Katsuo en était certain : ce n’est pas dans le palais du Kazekage qu’il se rendrait, mais bel et bien dans cet établissement. Il entra en compagnie des deux étrangers et se dirigea vers l’accueil, où une dame à l’air austère, avec des lunettes et un teint halé, était affairé à trier des documents. Il s’avança, se raclant la gorge pour lui faire lever les yeux et prit la parole, sans prendre la peine de la saluer. Après tout, si elle ne faisait pas d’efforts dans son travail, il n’allait pas lui faire des courbettes.

- Katsuo Saibogu. Je viens escorter deux membres du Shûkai à Yami-Sama, comme les nouvelles règles de sécurité le prescrivent.

D’un geste souple, le Saibogu montra les deux jeunes femmes qu’il avait laissées un peu en retrait derrière lui. Sur un ton des plus désagréables, la réceptionniste lui indiqua l’emplacement du bureau de Yami Ketsueki. Il arbora alors un sourire.

- Aussi agréable que pertinente. Je sais où c’est.

Il indiqua aux deux Shûkaijins de le suivre, et les emporta dans un dédale de couloirs et d’escaliers, jusqu’à arriver devant le bureau d’une des kunoïchis les plus craintes de Suna et sans doute du monde. La maîtrise du sang impressionne, il n’y a pas à tergiverser. Si Katsuo n’aurait aucune crainte à affronter d’autres shinobis importants, comme Kibo ou même Oniri, il serait plus réticent à affronter Yami, et ce malgré sa foutue fierté. Il leva son poing et allait frapper, mais il se tourna tout de même vers les deux jeunes femmes, et plus particulièrement vers Yuki.

- J’ai bien peur que nos chemins se séparent ici. J’aurais adoré pouvoir continuer, mais j’ai encore du travail. Si vos affaires vous retiennent un peu plus longtemps à Suna et que vous souhaitez… Je ne sais pas… Visiter, boire un verre ou peu importe quoi, n’hésitez pas. Demandez Katsuo Saibogu, on vous donnera mon adresse.

Prenant la main de la jeune femme et lui accordant un baisemain, il fit de même, par politesse, à la jeune femme qui l’accompagnait. Puis il tourna les talons, retournant aux portes du village. Maintenant il en était persuadé : il venait de gâcher son unique probabilité d’avoir une journée intéressante… Plus personne ne se manifesterait, désormais…