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C'était un véritable foutoir! Je ne voyais pas comment résumer autrement le spectacle qui se déroulait devant moi. Au bout de la table qui nous accueillait ces enfants et moi, je me demandais ce qui m'était passé dans la tête lorsque je les avais invités au restaurant. Bon bien sûr je me souvenais de mes projets pour eux mais j'avais oublié de tenir compte d'un fait ô combien important: même si c'était des mendiants, ils restaient des enfants! Et les enfants, c'est un peu comme les discours des politiciens: on sait quand ça commence mais jamais quand ça s'arrête!
Je me penchai sur le côté pour éviter un jet de nouilles qui vinrent s'écraser mollement contre le mur derrière moi avant de glisser lentement sur le sol. J'avais obtenu un sacré rabais de la part du propriétaire de ce restaurant bon marché quand il avait su que je comptais inviter des enfants défavorisés des rues à manger. Il m'avait même mis à disposition gratuitement une petite salle pour tout ce joyeux monde et m'avait félicité pour ma démarche altruiste. Mais en l'occurrence j'étais en train de redouter sa réaction quand il verrait dans quel état la pièce se trouvait. J'allais sûrement devoir cracher jusqu'à mes dernières économies dans cette affaire pour ne serait-ce qu'éviter d'être dénoncé aux autorités pour vandalisme.
- "
Allons s'il-vous-plaît..." essayai-je d'intervenir pour ramener un semblant d'ordre. "
On se calme, allez!"
Mais ma pitoyable tentative se noya bien vite dans l'océan de cris surexcités des gamins qui ne semblaient pas décidés à faire preuve de tranquillité. J'avais déjà essayé plusieurs fois de ramener le silence et chaque fois ça avait été un échec cuisant. Je me passai un main sur le visage d'un air dépité tout en me demandant comment j'allais pouvoir attirer leur attention avant d'en arriver à la conclusion que c'était tout simplement impossible. Du moins sans hausser le ton et distribuer quelques fessées pour l'exemple. Mais j'avais vécu dans la rue moi aussi et je savais que cette invitation au restaurant devait être pour eux comme un avant goût du paradis. Pour peu qu'il existe encore... Et puis je n'avais pas vraiment le coeur à me montrer sévère alors que je comprenais parfaitement la joie qu'ils ressentaient en cet instant.
J'avais passé le reste de la matinée puis le début d'après-midi à faire des démarches pour trouver de quoi loger ces enfants. J'avais même trouvé une maison à louer pour pas trop cher dans les quartiers pauvres de Suna et m'étais mis d'accord avec son propriétaire pour l'acheter moyennant des versement réguliers de ryos. Je pouvais donc désormais offrir à ces enfant un toit et les revenus de mes combats clandestins suffiraient sûrement à couvrir les frais pour peu que je gagne une majorité d'entre eux. Je m'étais d'ailleurs inscrit pour plusieurs affrontement en soirée et notamment pour ceux à l'arme blanche. Les plus dangereux, évidemment. Je savais de quoi je parlais puisqu'ils m'avaient coûté un oeil quelques années plus tôt. Mais c'était parallèlement ce genre de duel qui rapportaient le plus d'argent et l'argent, justement, j'allais en avoir besoin...
Mais combattre un adversaire de cette manière se révélait encore être une partie de plaisir comparé à la difficulté que représentait la garde de dix enfants surexcités. Finalement je laissai tomber et m'accoudai à la table, posant mon menton dans mes paumes jointes. Le tout en jetant des regards las à ces gamins que j'avais pourtant recrutés de mon propre chef. Enfin, recrutés... Pas vraiment puisqu'ils ne savaient pas encore ce que j'attendais d'eux. Et pourtant ce n'était pas faute d'avoir essayé de leur expliquer pourtant... Je me laissai finalement gagner par le bonne humeur ambiante et me mit à rire de bon coeur avec eux tout en continuant à esquiver les pâtes qu'ils trouvaient toujours aussi amusant de me jeter à la figure. Parce que j'étais aussi un grand gamin faut dire!
Je réussis finalement à capter un peu de leur attention quand je commençai à leur parler de la mission que j'avais faite avec Yami et Oniri au sein des ruines d'un temple. Le récit sur les momies sembla les captiver au plus haut point et le silence s'installa, que ce soit à cause de nos exploits - que je gonflai volontairement un peu - ou simplement parce qu'ils commençaient à digérer la quantité phénoménales de nouilles qu'ils avaient ingurgité. Je me rendis alors compte à quel point la faim les tiraillait et je tirai une grande fierté d'avoir été celui qui leur avait apporté un peu de réconfort dans leur morne existence. J'appris ensuite leur prénom et fit de mon mieux pour les mémoriser avant de me redresser pour leur faire face.
- "
Bon, j'espère que vous avez bien mangé? Alors il est temps de passer à la partie un peu moins amu..."
Une vague d'affirmations positives vint remplacer le semblant de silence que j'avais réussi à instaurer tandis qu'ils se mettaient à psalmodier mon prénom en coeur. Le tout en tapant leur baguettes sur la table histoire de créer un peu plus de boucan. Je levai les mains avec toute la modestie dont j'étais capable même si ça me faisait évidemment énormément plaisir. Haaa, si mes coéquipières me voyaient à cet instant, avec mon large sourire qui remontait jusqu'à mes oreilles... Lorsque le calme revint - enfin! - je commençai à leur expliquer ce que j'attendais d'eux. Car oui, si ma démarche était aussi fondée sur l'altruisme je souhaitais également et évidemment une contrepartie à tout ceci. Après tout on a rien sans rien n'est-ce pas?
- "
Comme je l'ai promis à votre chef ce matin je ferai tout mon possible pour vous donner de quoi vous acheter à manger et j'ai également trouvé un endroit qui pourra vous accueillir. Je verrai si je peux trouver un professeur qui se chargera de vous apprendre à lire et à écrire gratuitement mais ce n'est pas gagné! Quoi qu'il en soit je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous donner la vie que tout enfants de votre âge mérite! Personne ne devrait mendier pour devoir survivre vous êtes d'accord?"
Un nouveau coeur de réponses positives s'éleva de ma petite bande et j'attendis à nouveau le retour du calme pour continuer.
- "
Mais je vais vous demander quelque chose en retour vous vous en doutez bien hein?"
- "
Des faveurs sexuelles?"
- "
Quoi?! Mais non!!! Tu me prends pour qui toi?"
- "
Ben une fois un vieux dégoûtant a voulu m'attirer chez lui et m'a demandé de lui toucher son serpent!"
- "
Son serpent?" relevais-je avec une grimace. "
Tu viendras après me montrer où il habite d'accord? Je m'en vais le lui faire bouffer, moi, son serpent! Et les grappes avec!"
- "
Les grappes?" fit un second, sa curiosité visiblement attisée.
- "
Ben oui les trucs sous les... Bah, laissez tomber!"
- "
Ça a pas de grappes un serpent, d'abord!" fit un énième gamin avec un air supérieur d'intello sur le visage.
- "
Toi t'es un vrai petit génie mon gars!" répondis-je avec ironie même si l'intéressé prit la remarque pour argent comptant.
Je levai le yeux au ciel comme pour demander à une quelconque divinité de bien vouloir me donner la force de réussir à m'exprimer jusqu'au bout, le tout en poussant un soupire résigné. Voila que j'étais à deux doigt de leur donner une leçon d'anatomie même s'ils n'avaient qu'à baisser les yeux pour voir à quoi je faisais allusion. Mais bref, la question n'était pas là...
- "
On ira tous les jours au restaurant?" demanda un troisième.
- "
Ha non ça par contre il faut pas trop rêver!"
- "
Pourquoi?"
- "
Comment ça pourquoi?"
- "
Ben... pourquoi?"
- "
Mais pourquoi quoi?"
- "
Ben pourquoi on viendra pas manger tous les jours ici?"
- "
Parce que je ne roule pas sur les ryos pour commencer! Et ensuite parce que ça m'étonnerait qu'on nous laisse revenir ici une fois que la patron aura vu l'état de la salle!"
- "
Ha! Il est méchant?"
- "
Mais non! Il est même plutôt sympathique! Mais il va pas apprécier qu'on lui ait bousillé une partie de son... Laissez juste tomber cette idée d'accord?"
Un nouveau coeur de râles déçus suivit cette remarque et je me contentai de hausser les épaules d'un air ennuyé. Je venais de leur offrir le repas de leur vies et voila qu'ils en redemandaient. Ça va, ils avaient pas trop l'impression d'abuser???
- "
Bon! Donc comme je le disais j'aimerais que vous..."
- "
Fassiez le ménage?" demanda un autre gamin.
- "
Tapiez quelqu'un?" renchérit un second.
- "
Mettiez le feu au palais?" ajouta un troisième.
- "
Apportiez une lettre d'amour à ta copine?" proposa un quatrième.
- "
Non, non et non! Quoique pour le dernier point ça peut être une bonne idée! Mais on en discutera plus tard d'accord? Pour le moment je veux que vous me rendiez quelques services en échange de la nourriture et du logement que je mettrai à votre disposition, c'est tout!"
- "
C'est louche moi j'dis!"
- "
Ouais, c'est louche!" reprirent-ils à l'unisson.
- "
Mais non c'est pas louche!" répliquai patiemment. "
C'est les affaires! Je vous donne quelque chose et en échange vous me donnez aussi quelque chose! C'est comme ça que ça marche voila tout!"
- "
Pourquoi?"
- "
Parce que c'est comme ça, là! Ça vous intéresse ou non?"
Les gamins échangèrent des regards entre eux et se décidèrent finalement à acquiescer. Il semblait bien que j'allais finalement pouvoir leur exposer mon projet! Ce que je m'apprêtais à faire lorsque une voix oscillant entre la surprise et la rage s'éleva en un beuglement dans mon dos. Je me retournai vivement pour voir le patron de l'établissement, les yeux ronds comme des soucoupes et injectés de sang, qui se tenait à l'entrée de la salle. Mouais, il avait pas l'air d'apprécier ce qu'il voyait. Je glissai rapidement un billet avec l'adresse de leur nouvelle maison dans la main du chef des gamins et lui murmurai rapidement de m'y retrouver en début de soirée avec toute sa bande. J'allais devoir remettre les explications à plus tard!
- "
Dispersion ninja les gens!" criai-je pour les inciter à partir.
Ce qu'ils firent sans hésiter par ailleurs, certains passant même sous les jambes du tenancier dans leur hâte de s'enfuir. Mais ce dernier s'en fichait pas mal visiblement puisqu'il gardait son regard rivé sur moi. Quant au mien, je le descendis sur le couteau de boucher qu'il tenait à la main avant de me mettre de l'autre côté de la table et tourner autours en même temps que lui pour éviter de me faire tailler en pièce.
- "
Je peux tout vous expliquer je vous assure!"
- "
M'expliquer comment tu as pu mettre la pièce dans cet état en moins d'une heure??? On dirait qu'un troupeau de chameau en rut au grand complet est passé par là! S'pèce d'enfoiré! Je te mets une salle gratuitement à disposition et voila l'état dans laquelle je la retrouve! Tu vas voir mon pote!"
- "
Attendez, calmez-vous! Je vais tout remettre en ordre!" fis-je avant de courir pour éviter les coups de lames rageurs qu'il me décochait. "
Arrêtez s'il-vous-plaît!"
Je réussis néanmoins à le fatiguer assez vite grâce au gros ventre qu'il se trimballait et qui, évidemment, le limita assez vite dans ses efforts. Je pus donc lui expliquer que j'y étais pour rien, que c'était les enfant qui étaient devenus incontrôlables et que j'allai effectivement tout remettre en ordre. Je réussis même à éviter une dénonciation aux autorités contre quelque menus services. Après avoir nettoyé la pièce de fond en comble, c'est donc dans les cuisines que je me retrouvai à faire la plonge.
- "
Putain de gosses!" râlai-je en nettoyant une assiette particulièrement crade. "
Je n'ai même pas pu leur exposer mon plan qu'ils me causent déjà des ennuis!"
Ouais, j'avais vraiment sous estimé les armes de destructions massives qu'étaient les enfants! Et dire qu'il faudrait tout reprendre à zéro ce soir...