Parfois on est bien obligé de sortir de l’ombre. Un grand philosophe a dit un jour que le changement a beau faire peur, c’est l’immobilité qui nous tue. Quelque part je crois qu’on ne pourrait avoir plus raison. Je ne me suis jamais senti aussi vivant que lorsque je me suis retrouvé en situation dangereuse et que je devais fuir par tous les moyens. Peut-être est-ce ça le véritable sens de la vie : Courir pour se sentir vivant, courir pour ne pas mourir. Après tout c’est notre objectif à presque tous, éviter la mort. Les hommes qui la désirent, l’appellent de tout leur être se comptent sur les doigts d’une main et seul un ou deux sont dignes d’intérêt. Autant dire que l’intérêt de la vie se trouve du côté des vivants.

Mais je me perds dans mes réflexions. Je ne suis même plus capable de faire correctement l’analyse d’une idée. Il faut dire que le sable qui s’étend à perte de vue devant mes yeux n’est pas là pour m’aider. Bien au contraire, il a la fâcheuse manie de me faire basculer vers la mélancolie. Les grains passant de dunes en dunes me font réfléchir plus profondément et de manière moins rationnelle. C’est sans doute la poésie de cet endroit qui a un effet néfaste sur mon subconscient. Il faut cependant admettre que le spectacle qu’offre le désert est magnifique et que je ne m’en lasse pas. Je suis assis sur un rocher, au beau milieu d’un désert de solitude et de petits grains. Que demander de mieux lorsque l’on doit réfléchir. Bien sûr c’est sans compter sur la beauté de l’environnement et de la nature profonde de l’homme qui le pousse à ne faire qu’un avec la terre qui l’a enfanté.

Cependant ma quiétude est soudain bouleversée. J’aperçois au loin une silhouette qui semble marcher dans ma direction. Pas plus à droite qu’à gauche, directement vers moi. Celle-ci monte au sommet d’une énorme dune de sable avant de se laisser glisser jusqu’au niveau habituel du sable. Elle continue ensuite sa progression, toujours dans ma direction. Au début je ne distingue qu’une vulgaire forme humanoïde. Mais le temps passe et par la même occasion, la silhouette se rapproche. Je devine une tunique noire et une capuche de la même couleur. Ces vêtements semblent étrangement similaires à ceux que je porte en ce moment même. Je recherche d’autres détails à mesure que la personne se rapprochant se spécifie visuellement. Pas très grande, juste ce qu’il faut pour ne pas avoir trop l’air d’un enfant, j’ai affaire à un petit être.

Enfin l’inconnu arrive à une centaine de mètres de moi et s’arrête. Je suis toujours assis pour ma part, j’ai cependant une main sur mon sabre, prêt à le dégainer à la moindre menace. Ma capuche est rabaissée, le soleil ne tape pas très fort aujourd’hui. Mon regard est posé sur l’inconnu encapuchonné qui doucement remonte ses mains vers sa capuche pour la rabaisser. Il délivre alors une tignasse blanche et de gros yeux globuleux. L’inconnu n’est autre que Near, l’atout majeur de la lame noire. Lame noire que je n’ai d’ailleurs pas revue depuis belle lurette. Les pauvres ont dû se décider à m’abandonner à mon sort vu que je ne les ais pas payé depuis bien longtemps. C’est bien le problème avec les mercenaires, ils ne sont pas très loyaux avec leur patron. La lame noire n’est donc normalement plus à mon service, cependant que fait le jeune Near en face de moi et pourquoi ne s’approche-t-il pas ? Ma question reste sans réponse puisqu’après un long regard, Near continue sa progression dans ma direction. Il s’arrête à quelques pas de moi alors que je suis toujours assis et affiche un air inquiet et perplexe.

« Mamoru Kurei se trouve dans ce désert… dans une taverne non loin d’ici. Il pense avoir été contacté pour une mission. C’est l’occasion pour vous d’établir enfin un véritable contact. L’homme en question n’a pas vraiment apprécié le fait de traiter avec un subordonné la dernière fois. »

Un simple rapport comme au temps où la lame noire travaillait encore pour moi. Je ne comprends pas ce qui motive Near, je ne le paye plus et pourtant il continue toujours de faire son travail, continue de me fournir des informations sur les nukenins de ce monde que je n’ai pas encore rencontré. Quelque part, il y a quelque chose qui cloche ou que je ne comprends pas. Quelles sont les motivations de Near, qu’est ce qui le pousse à faire ce qu’il fait ? Je prends un air satisfait et me lève sur mes deux jambes. Je me dresse en face de mon subordonné et sors un kunaï de ma poche arrière. Je le fixe dans les yeux puis lui tend le kunaï. Il le prend en main et me questionne du regard.

« Je ne comprends pas pourquoi tu continue de bosser pour moi mais en tout cas, sers toi de ça pour la prochaine mission que je te donne. Vas dans le village qu’il y a à un kilomètre d’ici et tue tous les hommes. Laisses les femmes et les enfants. Je t’expliquerais plus tard. »

Je vois de l’inquiétude dans le regard de Near, il ne comprend pas mes motivations et pourtant semble satisfait que je lui procure enfin de plus importantes responsabilités. Mais je ne m’éternise pas auprès de lui et lui fait de même. Je prends la route de cette fameuse taverne.

Presque une heure de marche mais j’arrive à bon port. Je pénètre dans l’établissement qui se trouve être au beau milieu d’un campement de chasseurs et de jeunes voyageurs. Inutile de dire que cet endroit est une halte indispensable pour tous voyageur et travailleur du désert. Je pousse les portes d’entrée et me rend compte qu’il y a effectivement beaucoup de monde. Nombreux sont ceux qui boivent et paraissent déjà saoul mais il n’y en a qu’un qui est accoudé au bar et qui semble attendre quelqu’un. Je me rapproche de celui-ci qui ne me présente que son dos d’inconnu et me place à ses côtés. Je place ensuite un kunai sur le comptoir et tourne le regard vers ses pupilles.

« Mamoru Kurei, je suis Yusuke, j’ai à converser avec vous si vous le voulez bien. »

La première réponse de mon interlocuteur me surprend. Il croit savoir à qui il parle et curieusement, il connaît mon nom et mon prénom. Se pourrait-il que même lui, nukenin errant et n’ayant aucun réel lien avec les villages ninja me connaisse de A à Z aussi ? Je ne le crois pas. Peut être a-t-il simplement vu un prospectus avec ma tête dessus. A croire qu’ils distribuent les avis de recherche comme les pubs Ikea. Mon regard reste cependant neutre et impassible face au Mamoru, je sais garder mon calme et mon sang froid en toute situation tant qu’aucun sang n’est versé et qu’aucune âme n’est troublée. Mon regard se pose lentement dans celui de mon interlocuteur et j’y recherche une pointe de noirceur, étrangement je n’en trouve pas. Je remarque que cet homme est peut-être unique en son genre. Certes il a surement un côté mauvais quelque part dans les tréfonds de son âme mais à première vue, il ne semble pas mauvais. Pourtant, tous les hommes sont mauvais. Je ne comprends pas…

« Tu as donc entendu parler de moi ? De mon côté je n’ai pas beaucoup entendu ton nom dans les conversations ? Serais-tu un nukenin inactif ? »

Je passe intentionnellement du vouvoiement au tutoiement, je trouve cela plus agréable et surtout, vu que le pauvre homme connaît mon nom, il n’y a plus de raison de jouer de rôle. Je ne suis ni crédible ni à l’aise dans la peau d’un ninja errant et redoutable. Je me contente de jouer mon personnage propre, je pense que si j’y arrive relativement bien, c’est que j’ai déjà de la chance, beaucoup de chance. Je retire donc le kunai de sur la table et le range dans l’une de mes poches. Je fais signe au barman tout en lui montrant du doigt une bouteille de cognac à peine entamée et qui me paraît fort appétissante. Je me retourne ensuite vers mon véritable interlocuteur et tout en rabaissant un peu mieux ma capuche, je reprends un ton neutre et calculateur.

« Les affaires vont mal pour les nukenins, les Furyous montent les gens contre les autres et ce n’est pas ce qui est le mieux pour mes plans. Je n’ai aucun avantage à prendre dans l’anarchie de certains villages. Toujours est-il que même si ces êtres supposés demi-dieux se sont avéré d’un certain point de vue utiles, il représentent une menace. Pourrais-tu partager avec moi ce que tu sais sur eux ? »

Je ne commence évidemment pas par le sujet que je m’apprête a mettre sur la table, négociation pure et dure. Néanmoins même si es Furyous ne sont pas la réelle raison de ma venue dans cette taverne du désert, j’avoue ne pas avoir de problème avec le fait d’en apprendre plus sur eux. Ils sont effectivement une menace et quelque chose me dit que Kurei en sait plus que moi à ce sujet.

L’homme qui se trouve toujours où il faut mais personne ne sait où il se trouve. Je n’ai jamais entendu pareil sobriquet. Déjà parce qu’il est bien trop long pour que n’importe qui s’en souvienne. Pour ma part je l’ai presque déjà oublié vu que mon attention est plus concentrée sur mon vers qui s’amène que sur autre chose. Ensuite parce que lorsque l’on veut se faire connaître, on se contente de faire bouger les choses, en bien ou en mal, tant qu’elles restent en mouvement. Le jeune Kurei en face de moi, on ne dirait pas qu’il en fait bouger beaucoup. D’ailleurs le côté enfantin de son visage me fait curieusement penser à une personnalité à fleure de peau. Cependant je dois bien avoué qu’il a de la répartie et quelque part j’aime assez ça.

Je me saisis de mon verre et l’entame d’une bonne gorgée. Cela fait assez longtemps que je n’ai pas eu droit à un petit remontant, c’est agréable de sentir à nouveau une bonne grosse chaleur dans son gosier. J’écoute malgré tout, les phrases juxtaposées de mon interlocuteur. Comme je le soupçonnais, il n’est pas enclin à partager ses informations sur nos amis les Furyous. Je ne peux pas lui en vouloir, la majorité des ninjas aurait fait comme lui. Mais il faut croire que je ne suis pas la majorité des ninja moi… je partage mes informations avec qui me le demande. Car l’ennemi ne se trouve pas dans les forêts parmi un gang ou une organisation nukenin, il se trouve dans les rangs de « sa majesté » et tous les hommes devraient s’unir contre cet ennemi commun avant de retourner banalement à leurs basses querelles. Je regarde donc Kurei avec un air à la foi amusé et supérieur. Je le croyais plus intéressant que cela. Même si son humour me titille les gencives, il n’a rien de spécial au fond. Un shinobi comme un autre.

Je continue d’écouter alors que mon interlocuteur passe sur la défensive et mentionne de manière exubérante le nom de mon ancienne petite amie. Je peux constater qu’il sourit intérieurement après sa phrase et quelque part, il m’amuse un peu. Il doit se dire que je pars avec un désavantage, il en sait pas mal sur mon compte. Mais ce n’est pas un problème, ça n’a jamais été un problème. Je finis mon vers et le repose doucement sur la table avant de retourner mon visage vers le sien, croisant nos regards pour une petite seconde avant de le faire traverser l’intégralité de sa stature.

« A croire que Yuki va pleurnicher sur toutes les épaules qu’elle trouve… Mais soit, tu veux la raison de ma venue. La politesse. La dernière fois c’est l’un de mes sous-fifres qui est venu te proposer de bosser pour moi. Je considère cela comme une erreur qu’il me fallait justifier. Alors je te pose la question, es-tu intéressé par le fait de travailler pour une organisation nukenin ? »

Mon regard est plus pressant à présent, c’est l’instant de vérité, celui où l’on découvre si oui ou non, Kurei a le courage de prendre en main son destin et de se ranger de mon côté. Il est certain qu’un joyeux luron comme lui aurait pleinement sa place dans mes rangs.

J’écoute mon interlocuteur avec une certaine attention. Après tout ses arguments sont valables et il a tous les droits de refuser de faire partie d’une organisation criminelle. Il faut dire qu’à première vue, il n’a pas vraiment l’air bien méchant et a plus l’étoffe d’un gentil que d’un anti-héro. Mais cela me chagrine un peu de ne pas pouvoir l’enrôler dans mon groupe. En le regardant je me met à penser à l’ambiance un peu singulière que ce genre de personnage pourrait installer dans le groupe. Un peu d’humour de temps en temps, cela ferait grand bien à chacun de mes hommes. Mais mon interlocuteur finit sa phrase et mon regard est plongé dans le sien, cherchant à sonder son âme.

« Je suis un criminel Kurei, et je suis à la tête de ce groupuscule. Je pense qu’à partir de là on peut dire que c’est effectivement une organisation criminelle. Je comprends donc que tu ne veuilles pas être impliqué, il faut dire que c’est une sacrée responsabilité. »

Je baisse les yeux quelques secondes et me remémore les soldats que j’ai déjà perdus et je repense a ceux que je perdrais sans doute dans un futur proche. Au final ils meurent tous un peu à cause de moi donc on ne peut pas vraiment dire que je n’ai pas de sang sur les mains. Mais mes mains ensanglantées, puisqu’elles le sont, se faufilent dans mes poches et en sortent deux billets. Je les pose sur le comptoir et me lève de ma chaise. Je me retourne vers Kurei et replace ma capuche sur ma tête.

« Merci du temps que tu m’as accordé. Garde cependant à l’esprit que si un jour tu as besoin d’aide, je serais heureux de t’en procurer de quelques façons que ce soit. »

Et c’est vrai, non seulement j’aspire à détruire la plupart des villages ninjas, mais en plus j’aimerais unifier les nukenins. Nous pourrions devenir une sorte de nation anarchiste. Bien sûr il n’y aurait pas d’ordre, pas d’organisation ni de hiérarchie. Nous serions tous libres. Mais au final, nous serions tous frères.

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