Il est toujours difficile de se séparer d’un collègue. En tant que patron d’une entreprise, on peut se sentir responsable de cette séparation, même ressentir de la culpabilité. Lorsqu’on est humain, on est souvent confronté à ce genre de ressenti. Alors on se demande si l’on fait le bon choix ou si l’on est réellement apte à prendre cette décision. Il n’est jamais facile de forcer le destin à changer de chemin. On efface littéralement une partie des futurs possible du monde des vivants. Alors il n’y aura plus d’entrevue, de bataille sans importance, de pics lancés et de cris de joie. Il faut prendre le temps de se remettre en question avant de choisir d’écarter un individu que l’on apprécie de l’équation : est-ce la bonne décision, le mérite-t-il ? Cela est-il réellement nécessaire ? Fort heureusement, il y a des cas où on ne passe pas par toutes ces questions et ces dilemmes moraux. Ces cas sont rares mais c’est ce qui les rend si spéciales. La démission est l’un de ces joyaux. Lorsque le patron n’a pas à s’en faire car son partenaire prend la décision de lui-même de se séparer de lui et de suivre un chemin différent. Alors il n’y a plus d’introspection et plus d’angoisse, juste une signature sur un document et une poignée de main signant la fin d’une collaboration…
Je me tenais là, immobile, j’attendais sagement sur un rocher. Une jambe balançant dans les aires, je tentais de délimiter dans combien de temps le soleil se trouverait à l’emplacement exacte qui lui permettrait de me lancer ses rayons directement à travers le feuillage de l’arbre qui me gratifiait de son ombre la plus confortable. J’espérais que le démon allait arriver au plus vite car je n’avais aucune envie de me griller la peau sous un zénith solaire. J’attendais bien une heure dans cette position et ne trouvai comme occupation que la confection de nouveaux poèmes. Eh oui, je m’étais peu à peu remis à rédiger des poèmes. Mais ceux-ci étaient moins glamour, moins blancs et rose. Ils reflétaient la haine et la noirceur des hommes dans un patchwork de sentiments contradictoires.
Soudain un son se fit entendre. Des feuillages qui se frottent à des vêtements. Un homme approchait. De l’ombre sortit alors le démon de Kiri, la douleur fantôme du village de la brume. Je regardai mon compagnon se rapprocher alors que je le gratifiai d’un regard appuyé et intense. Mes pupilles ne lâchaient pas les siennes. J’avais pour habitude d’arborer en permanence une expression neutre mais pour lui, ce serait différent. Il méritait que je place des émotions dans mes expressions. Il arriva un peu plus près de moi, suffisamment pour que je puisse parler et qu’il m’entende.
-Ainsi tu vas nous quitter. Tu pars… Lorsque j’ai cofondé cette organisation, je pensais que tu resterait jusqu’au bout, que nous materions à feu et à sang les 4 grands villages… Je pensais que tu deviendrais une pièce maitresse. Mais tu pars, et je sens bien que je ne peux pas te retenir. Tu as fait beaucoup pour l’organisation, nous ne l’oublierons pas. Je vais devoir te retirer tes souvenirs mais nous serons toujours là, quelque part, veillant sur ta personne. Je ne disparaitrais pas de ta vie non plus, je suis toujours le tranchoir fantôme et toi toujours la douleur qui va avec. Tu es ma Némésis en quelque sorte et je tiens à ce que nous restions en contact. Après l’extraction de tes souvenirs, tu auras l’impression qu’il te manque des données sans pouvoir t’en rappeler mais tu sauras au fond de toi que tu n’as rien à gagner à rechercher la vérité. Es-tu prêt, Demon Jisetsu, à te retirer de l’organisation et à tourner le dos à la Kurai Hikari ?
Je me levai tout en parlant et me plaçai en face de lui. Je continuai de le fixer et préparait mes mains en retroussant les manches de ma tunique. Il était maintenant temps de se quitter, de dire adieux à Demon le partenaire de crime et de retrouver le démon torturé que j’ai si longtemps côtoyé.