Haruno Maïka:

L'appartement d'Onpu avait flambé lors de l'embrasement vert. Le temps qu'il s'en trouve un nouveau, il avait passé ses nuits entre chez moi, sa lutherie et le palais.
Ça faisait quelques semaines qu'il avait finalement dégoté ce deux-pièces. Ce soir-là, c'était la pendaison de crémaillère.
Sauf que.
Sauf que ce soir-là, c'était la guerre, aussi. Quelques heures plus tôt, les négociations avec Kiri avaient échoué.
L'ambiance était tendue. Mais ce n'était pas à cause de ça.

Je posai la marmite de Cari sur la table, et me mis en tailleur.

Onpu était à ma droite.

En face de moi, il y avait Meteora.

- Itadakimasu, fis-je, à reculons.

Ninigi était déjà couché. Si ce malade d'Onpu m'avait prévu plus tôt qu'on avait un invité surprise, j'aurais mis le petit entre les mains de Mao, mais là, j'avais du improviser. L'enfant était dans la chambre voisine ; tant que la porte restait fermée, personne ne se douterait qu'il y aurait quelqu'un d'autre que nous trois dans l'appartement.

***

- Alors ?

- Alors c'est râté. Tenzö a transféré ses pouvoirs à ce mec, et le conflit continue.

- … C'est plutôt râté, en effet.

- Bah, connaissant la réputation des Kirijins ç'aurait pu être bien pire.

- Te connaissant, ça aurait pu être bien pire aussi. Ne le prends pas mal, mais j'avais peur que tu t'emmêles les pinceaux et que tu leur cèdes Konoha en échange de la liberté de ton propre prisonnier.

-... alors tu aurais eu le droit de me tordre le cou.

- J'aurais certainement pas été la première à le faire.

Silence.

- Bref, pourquoi tu veux qu'on se fasse une bouffe ce soir ?

- Parce que, c'est tout. C'est le bon moment pour ça, ça sera l'occasion de se poser un peu.

- Quelque part ça tombe bien, j'avais du poulet à flinguer. J'en ai pour 4 par contre, on fera tout cuire mais y'en aura un peu trop.

- Pas grave, on sera trois.

- Ah ? Depuis quand Ninigi compte pour un ?

- Je pensais pas à Ninigi.

- … à qui tu pensais alors ?

- Tu vas rire.

***

Je n'ai pas ri.
En fait, je lui aurais probablement couvert son visage de bleus s'il n'avait pas été déjà autant ravagé par ses cicatrices.
Il avait essayé de m'expliquer, soi-disant que ça faisait partie du deal, qu'il était question d'un repas. Que Kenji voulait rencontrer sa « famille ». Ça n'avait aucune foutue espèce de bon sens.
Mais je l'ai fait quand même. Parce qu'On' était le genre de personne qui faisait des actions complètement random et qui s'en sortait dans tous les cas. Confiance aveugle. Ou stupidité. Pas vraiment de différence, après tout. (Une autre raison, probablement plus profonde, était que le simple fait d'en avoir parlé m'avait donné une envie maladive de bouffer du Cari, et que c'était lui qui avait les épices pour le faire. Piégée.)

Je remplissais les bols, regardant fixement au fond de la marmite pendant cette scène improbable, et priant pour que Ninigi s'endorme et ne sorte pas de la chambre.

- Merci à toi, ça a vraiment pas l'air dégueu.

- Trop aimable, fis-je sur un ton d'automate Saibgou en fin de vie.

Ce n'était qu'une formalité.

Mon sang-froid était mis à rude épreuve ; les épices n'arrangeaient pas les choses.
La Haruno dont il parlait était sans doute une de mes tantes éloignées qui avait péri lors de l'embrasement vert.
Sur le moment, j'aurais voulu le comparer à ces lunatiques qui pensent tout fort sans se soucier des réactions des autres, mais c'était sans prendre en considération qu'une créature comme Meteora ne faisait jamais rien par hasard. C'était donc de la provocation gratuite.
On', lui, semblait vouloir faire son intéressant.

- Ne t'inquiète donc pas, elle sait tout ce qu'il faut savoir, jugea-t-il bon de préciser comme pour me défendre. Cela ne faisait que renforcer mon désir d'empoigner l'arrière de la tête de chacun d'entre eux et de fracasser leur fronts l'un contre l'autre.

Je ne pus m'empêcher d'étouffer un rictus lorsqu'il laissa sous-entendre qu'Onpu pourrait s'en prendre à moi avec une lame. Pas parce que la situation me paraissait hautement improbable, mais tout à fait ridicule. Même avec toutes ces cicatrices, j'avais encore du mal à prendre ce naze de luthier au sérieux, et ça serait bien le dernier capable de me faire du mal.

Comme pour chercher une confirmation qui n'avait pas lieu d'être, je lui adressai un regard. Un frisson me parcourut pourtant, pendant une fraction de seconde d'incertitude.

- Je dirais que...

Il s'écoula à peu près huit autres secondes.

- Ça manque un chtouille de sel.

Je préférais ne pas chercher de double-sens. J'appris d'ailleurs plus tard qu'il n'y en avait pas, et qu'il ne parlait vraiment que de la bouffe.
Cependant, j'avais remarqué un regard furtif inquiet vers la porte fermée de la chambre. Comme s'il avait dit ça pour camoufler un élan d'inquiétude soudain. Il avait entendu quelque chose qu'il était le seul à entendre.
Ninigi s'était réveillé.

Kenji avait presque terminé son plat.

- Bon, je ne voudrais pas expulser notre invité surprise, mais... bon ok, un peu quand même. Mais il se fait tard.

- Allons, ne sois donc pas si rude. Déjà moi j'ai pas fini mon plat, et pour après j'ai du thé.

Etait-il devenu stupide ? Je ne pus m'empêcher de jeter un œil inquiet à la porte de la chambre à mon tour, probablement moins discret que lui. L'angoisse montait. Il ne fallait pas qu'il le voie.

Pourtant, ce fut la porte d'entrée qui s'ouvrit. Un blondinet se rua dans l'appartement, sans frapper.

Yamanaka Iji:

- On', j'ai des nouvelles du front ! L'homme masqué a...
WOW.

Iji s'arrêta net. Il resta figé pendant quelques secondes, visiblement très perturbé par la présence de Meteora.

- Bonjour Iji. Tu tombes à pic, j'aimerais que tu me passes le sel, il est dans le placard juste à ta droite.

Le Yamanaka restait immobile, plus dubitatif que jamais.

- Désolé, je t'ai coupé. Tu disais ?

- C'est mort. Je parle pas devant lui.

- J'ai bien peur que si, mon jeune ami. Si tu as vraiment quelque chose d'important à nous dire sur « Celui-qui-sait », il est de mon devoir de le mettre au courant, c'est dans l'intérêt du village.
Le sel, s'il te plaît.

Plus le temps passait, plus j'avais du mal à savoir si Onpu jouait à la perfection le jeu que Meteora lui avait proposé et dont il avait vraisemblablement fixé toutes les règles du jeu, ou s'il était vraiment devenu comme lui. Je commençais à comprendre pourquoi les légendes urbaines dont il faisait l'objet avaient fini par voir le jour.

Après quelques secondes de malaise supplémentaires, Iji toussa un coup, ouvrit le placard qu'On' lui avait indiqué, attrapa la salière, s'assit en tailleur, la fit glisser sur la table vers notre luthier national, le tout sans quitter Kenji des yeux, et en conservant un silence à moitié contrôlé.
La porte de la chambre, quant à elle, n'avait pas bougé. Ninigi était toujours dedans. M'étais-je faite du soucis pour rien ?

- Mhh... je vois. L'homme masqué était donc Kyoshi Rei, le Kazekage. Merci Iji.

Cette fois-ci, tout le monde le dévisagea, moi la première. Je compris en un éclair qu'Iji venait de lui communiquer les informations par télépathie, et qu'il venait volontairement de les répéter à voix haute.

- T'étais... vraiment pas obligé...

- Voyons, ne dis pas de bêtises. Il reste du cari, prends-toi une assiette.

- Je ferai sans, merci.

- Maman...

Iji, terrorisé et pourtant courageux comme jamais, saignait de la lèvre. A bout de souffle, il luttait bien davantage que On' pour maintenir Meteora en place.

- Onpu, je peux le sonner, ça me prendra même pas mudra... C'est pas parce que c'est un Furyou ou je sais pas quoi que mes jutsus ne marcheront pas sur lui !

- Pas la peine.

Pendant l'assaut de Kenji, le blondinet s'étant mis sur son chemin, j'avais eu tout juste le temps. Cela m'avait pris une fraction de seconde pour dégainer la fiole dans ma tunique, une autre pour la décapsuler au pouce ; Suiton à l'appui, quelques mouvements de doigts m'avaient suffi pour guider son contenu hors de la fiole et l'enduire sur l'acier du couteau de cuisine.
Il n'était pas humain, mais c'était bien un humain qu'il incarnait. Immortel ou pas, la lame l'avait pénétré et le poison allait le paralyser. Je pus me fier à On' pour la suite ; la conversation avec Iji l'avait distrait, mais il avait su anticiper la réaction de Meteora suffisamment à l'avance pour l'empêcher de lever le doigt sur un cheveu de Ninigi. Il s'en était fallu de très peu, cela dit.

Alors qu'il gesticulait comme un démon, retenu par les deux garçons, je m'emparai de l'enfant d'une main et préparais une autre fiole de l'autre, contenant une lotion bien plus chimique que la précédente. J'étais prête à lui fourrer toute entière dans la bouche et la laisser imploser entre ses dents ; j'aurais apprécié le spectacle du verre lui traversant les joues et le doux son de l'acide détruisant sa gorge de l'intérieur, mais j'étais trop préoccupée par la sécurité de Ninigi pour me permettre une telle fantaisie.

Makka ? Quoi, encore elle ?
Je pus lire une étincelle d'excitation dans le regard de On'.

- Un paquet-cadeau d'une Sennin comme toi et moi. Celle-qui-foudroie, qui-voyage, ou peu importe quelle étiquiette tu lui as collé... mais je plaide coupable, je ne sais rien.

Il relâcha son emprise sur Kenji. Plus besoin de le retenir, mon venin s'en chargeait.
Iji l'imita, non sans appréhension. Ses yeux, remplis de points d'interrogation, se tournèrent finalement vers le dos de Ninigi.

- Oh purée...

- Oui.

- Et vous sav...

- Non, fis-je sèchement en dévisageant Meteora comme pour lui arracher des réponses qu'il ne nous donnerait jamais.

Pourtant, Onpu semblait satisfait. Il avait appris à se contenter de peu avec lui, et ces quelques mots avaient suffit pour illuminer sa soirée. Car il savait désormais que son fils adoptif était en lien étroit avec le monde cauchemardesque des Furyou. Cela aurait du l'effrayer, l'emplir d'inquiétudes et d'angoisses sur l'avenir de Ninigi et son rôle à jouer dans cette sombre hiérarchie de démons, et je ne pus me résoudre à pénétrer son esprit pour m'assurer que c'était bien le cas.
Sur le moment, il avait juste l'air satisfait. Comme après un bon repas.

- Je vais faire chauffer de l'eau, déclara-t-il simplement en enjambant ce qu'il restait de la table et du repas répandu sur le plancher.

Je baissai mon bras puis rangeai ma fiole, reculant avec Ninigi dont les pleurs avaient évidemment rompu le silence depuis quelques dizaines de secondes. Je le berçai tant bien que mal, le ramenant tranquillement dans la chambre.

- Il aurait été abandonné quelque part au pays de l'Herbe, ajouta On' en remplissant la bouilloire pendant que je m'éloignais. C'est là que Kurohime l'a trouvé. Vous vous connaissiez tous les deux, je crois.