Tu respires lentement. Les flocons tombent drus. La neige recouvre rapidement le paysage de son manteau blanc. D'une blancheur éclatante, immaculée. A contrario, tu vois ces villageois se précipiter pour rentrer leurs affaires chez eux. Ces villageois à l'âme plus noire que le charbon. Tous ces individus pourris jusqu'à l'os. Attirés par le gain, les biens, et toutes ces commodités inutiles et exécrablement chères. Complètements pourris... Et dire que tu as dû tuer pour te procurer ce qu'autrefois, tous trouvaient en pleine nature. L'invention de l'argent a-t-elle vraiment été une bonne idée ? Tu te le demandes bien souvent. Mais, et même si cela n'avait pas existé, cela aurait-il empêché les hommes de se faire ainsi corrompre ? Tu en doutes. Très sincèrement, tu penses que même ainsi, tout aurait fini par basculer... Tu restes quelques instants planté là, les mains dans les poches, à regarder autour de toi, jusqu'à ne plus percevoir une âme dans les rues du village que tu t'apprêtais à traverser. Tu n'aimes pas la compagnie des gens. Tu franchis alors la porte du village, avançant à pas lent dans la couche de neige épaisse qui s'est déjà formée. Tu entends même les flocons crisser sous tes pieds tant le silence se fait pesant sur les lieux... Cette sensation de calme est étrange. Tu as vu les créations de la guerre. Tu as expérimenté les jouissances macabres du meurtre. Et à chaque fois, chaque fois que tu t'apprêtais à tuer, elle revenait, cette sensation. Cette sensation d'apaisement, comme si tu avais pris une légère dose de tranquillisant. Ce frisson imperceptible qui te disait que la mort allait encore frapper. Et ce pressentiment ne t'avait jamais trompé. Jamais. Pas une seule fois.

Un homme, seul dans la rue. Tu le regardes de loin. Tu calmes ta respiration. Tu regardes ta cible de loin. Et tu t'engages dans la rue, à sa suite. Silencieusement. Discrètement. Tu ressens ce léger frisson, ce courant d'air imperceptible qui te caresse la nuque. Tu serres le poing autour de ton arme, assurant une prise ferme sur cette lame courte. Tu avances encore de quelques pas. Puis, un éclair. Tu lèves ton bras avant de l'abattre quasiment aussitôt. Tu tranches la carotide, avant de reculer pour regarder ta victime basculer en avant et s'effondrer. Tu t'approches alors et le fait se tourner sur le ventre d'un coup de pied. Tu observes son visage. Il s'agit bien de ta cible. Alors ta mission est accomplie. Tu essuies ta lame sur les fripes de l'homme pas encore imbibées de sang, et tu repars, disparaissant dans une ruelle sombre.

Tu reviens alors à la réalité. Oui, à chaque fois que tu allais lever ton arme pour tuer, tu ressentais ce frisson. Alors pourquoi ? Pourquoi vient-il de se manifester ? Tu avais pourtant dit que tu ne tuerais plus par besoin ou par plaisir ! Tu t'arrêtes un instant, en plein milieu de cette place déserte. Tu serres les poings, tu lèves les yeux vers le ciel, et tu respires profondément. Cela n'arrivera pas. Il n'y a pas de fatalité. Tu vas cesser de semer la mort sur ton passage, tu te l'est juré. Tu secoues la tête, et tu reprends pied. Tu fixes la route droit devant toi. Et tu reprends ta lente avancée dans la neige, avant d'apercevoir quelques hommes regroupés. Tous sont armés. Tu les regardes un instant sans stopper ton avancée. Tu serres le poing, prêt à frapper pour défendre chèrement ta vie... Avant de te rendre compte qu'ils ne s'intéressent absolument pas à toi, surprenant même une bribe de leur conversation. Ils comptent donner la chasse à un tigre blanc chassant dans les montagnes. Tu passes à côté d'eux sans rien dire. Tuer un tigre ? Mais pourquoi diable ? Pourquoi tuer un animal qui ne leur a rien fait ? Tu as entendu les dires de ces hommes, il se contente de tuer quelques bêtes pour se nourrir. Et eux, que font ils ? Eux aussi tuent pour se nourrir ! Quelle bêtise. Bah, peu importe... Cela ne te concerne pas d'avantage. Tu n'es pas un justicier. Tu ne peux pas supprimer la bêtise inscrite dans les gênes des hommes. Alors à quoi bon ? A quoi bon risquer ta vie pour une bête ? Tu hausses alors les épaules de dépit, et tu passes la porte du village...

Tu marches lentement le long du sentier enneigé. La prochaine ville n'est pas loin, tu ne dormiras pas à la belle étoile ce soir... Ce qui est assez pratique, puisqu'à voir la météo, ainsi que la température, tu aurais risqué ta vie... Enfin, au vu de tes finances, tu n'auras de toutes façons qu'une bête paillasse en guise de matelas, et un peu d'eau et de pain en guise de « repas »... Bah, ce sera suffisant. Et puis, tu sais ce que tu es. Tu n'es qu'un criminel, un vulgaire assassin. Alors, mérites-tu vraiment mieux que ça ? Tu en doutes. Oui, tu te vois d'un oeil sombre. Mauvais. Comme si tu te jugeais toi même, en te rabaissant, en te disant que tu ne vaux rien... Mais pourquoi une telle vision de ton ego ? Tu ne sais pas toi même. Peut être pour te rassurer. Parce que tu fuis. Tu fuis la mort, et pour éviter de la regarder en face, tu t'auto-flagelle ? Tu sais que tu es ridicule. Que tu es pathétique. Tu sais que cela ne servira à rien de détourner les yeux de la réalité. Mais tu as peur. Tu as toujours été seul. Tu avançais seul. Tu tuais seul. Et mourir seul t'effraie. Alors tu fuis les faits, en espérant que la mort ne te rattrape pas tout de suite, même si tu sais, dans un coin de ton esprit, que ce ne serait que justice... Et tu relèves la tête, sorti de tes pensées par un son de cor. Tu vois alors une silhouette courir à travers les quelques arbres parsemant le chemin. Et devant elle, une bête quadrupède qui fuit. Tu observes un peu la scène. S'agirait-il du tigre dont tu as entendu parler tout à l'heure ? Mais. Que. Tu saisis alors ton arme, et tu fonces, tête baissée. Tu cours, à toute vitesse, rattrapant le villageois. Tu le vois te jeter un coup d'œil effaré, alors que ta lame s'abat impitoyablement sur sa gorge. Tu t'arrêtes alors, regardant le tigre blanc stopper sa course.

Tu avais dit que tu ne tuerais pas, mais tu l'as fait. Ce frisson ne te trompait donc pas. Cette sensation est donc bien annonciatrice de mort... Tu fixes ta lame tachée de sang, te maudissant pour cet acte. Mais tu n'as pas su résister... Tu as vu cet éclat furtif dans les yeux du félin. Incompréhension, peur, et volonté s'y reflétaient... Et... Cela t'a rappelé quelqu'un. Toi. Oui, tu as vu toute cette incompréhension, ce besoin de réponse dans une fuite désespérée... Et ton corps a réagi comme par automatisme. Tu es allé l'aider, spontanément. Car peut être qu'au fond, tu pensais que si tu ne pouvais te sauver toi même, au moins, tu l'aurais sauvée elle, cette bête innocente... Tu la fixes quelques instants, avant d'essuyer ta lame sur la neige immaculée et de pivoter pour repartir. Mais une voix s'élève derrière toi, te figeant sur place.

Merci.

Tu te retournes alors, dévisageant l'animal. Non, tu ne rêves pas. Tu le sais. Tu viens de tuer, tu viens de détruire une vie, et cela, tu l'as bien ressenti. Alors non, cela ne peut pas être un rêve ou une illusion... Alors, tu restes là, à regarder le tigre, d'un air abasourdi. Ou plutôt, la tigresse. Car tes oreilles ne te trompent pas, il s'agissait bien d'une voix féminine... Mais, comment est-ce possible ? Tu te le demandes, n'osant même pas prendre la parole...

Et bien quoi ? Que se passe-t-il ?

Mais. Mais... Tu... parles ?

Oui, pourqu... Oh, attend, je vais t'amener à Rei, il va t'expliquer...

Rei ? Mais qu'est-ce que ?

Tu n'as pas le temps de prononcer d'avantage, elle est déjà à côté de toi, et pose sa patte sur ton pied, avant de créer un sceau au sol, vous téléportant dans un nuage de fumée. Tu rouvres les yeux, non pas en plein paysage de neige et de glace, mais dans ce qui ressemble à un temple... Tu écarquilles les yeux, regardant tout autour de toi. Tu ne comprends pas ce qui se passe. Tu es un peu perdu. Mais une voix grondante te sors de ton incompréhension...

MEIKA ! QU'AS TU ENCORE FAIT ?

Du calme Rei. Tu vas comprendre par toi même. Cet humain m'a sauvé. Je connais bien nos règles mon frère, mais celui-ci est différent. C'est peut être lui qui nous tirera de notre déchéance... Enfin, laisse moi t'expliquer. Tu sais bien que mon petit coin de chasse est mal famé, et que les Hommes me chassent comme du bétail. Mais lui, m'a sauvé, sans un mot, sans montrer la moindre émotion. Il a tué un de ses semblables pour me sauver. Tu comprends ça ?

Hum. Je vois. En effet, il est spécial... Toi ! Approche !

Tu regardes le tigre gigantesque dressé au centre de la pièce. Un tigre gris et noir, dégageant une aura de puissance écrasante... C'est donc lui Rei ? Tu restes quelques secondes paralysées, avant de te décider à avancer en direction de l'animal géant. Tu remarques le trône sur lequel il est installé. Et dire que tout a commencé par un simple passage dans un village de Yuki... Tout a évolué dans une direction totalement inattendue. Tu approches de quelques pas, tout en continuant à regarder l'animal... Impressionnant. Tant de puissance qui émane d'un seul être... Tu en restes sans voix. Et tu le fixe dans les yeux, lui qui semble te passer au crible de ses yeux, comme si il lisait en toi, qu'il regardait à travers ton corps, ton âme...

Hum... Je vois. Tu es intéressant petit. Je vois beaucoup de choses dans tes yeux... Je lis la peur, je lis la mort, je lis l'ennui, et beaucoup d'autres choses... Quel est ton nom ?

Je suis Kôtarô. Kôtarô Ryûjisai.

Très bien Kôtarô... Dis moi, sais tu ce que nous font subir les gens de ta race ? Ils nous maltraitent, ils nous chassent, ils veulent notre mort. Et pourquoi ? Parce que nous chassons. Nous sommes obligés de tuer pour nous nourrir, tel est l'ordre des choses ! Mais eux refusent tout ça, ils nous trouvent trop sanguinaires, ils nous pensent dangereux. Alors que nous ne faisons rien de mal, n'est-ce pas ? Nous nous contentons de vivre ! Et notre précédent maître nous considérait comme des outils. Alors c'en fut trop pour nous. Nous l'avons tué. Il nous méprisait, nous considérait comme moins que rien. C'est pour cela que nous nous sommes révoltés, nous voulions montrer aux Hommes que nous pouvions leur rendre la pareil. Nous aussi nous pouvons les tuer, nous aussi nous pouvons les abaisser plus bas que terre. Comprends tu tout cela ?

Oui... Je comprends bien. L'Humanité est pourrie. Les Hommes se croient tout permis, ils pensent avoir droit sur tout, être plus haut que chaque être vivant. Ils se méprisent même entre eux. Alors qu'au fond, ils sont ignobles. Ils sont tout simplement pourris. Par l'argent, le pouvoir, la jalousie... Et j'ai honte de faire moi même partie du genre Humain... Si je le pouvais, j'abandonnerais toute trace d'humanité en moi. Mais je n'arrive pas à me résigner à mourir... J'ai été mercenaire. J'ai du tuer pour survivre moi aussi. J'ai vu la folie de l'Homme. J'ai vu leur avidité, et à quel point ils les autres n'ont pas d'importance pour eux. Alors je vous comprend bien. Mais j'ai commis des crimes, alors si j'ai sauvé... Meika, c'est parce que je pensais pouvoir soulager un peu ma conscience...

Je vois. Que dirais-tu d'abandonner ton statut d'Homme ? Nous nous ressemblons sur de nombreux points. Alors voilà ce que je te propose. Devient notre maître et frère de sang. Nous sommes tous des tigres, alors notre racine génétique nous relie tous. Mais toi. Tu peux devenir des nôtres. Tu peux devenir notre maître. Toi, notre frère, nous te jurerons allégeance, contrairement à notre précédent invocateur... Qu'en dis-tu ?

J'accepte.

Tu as répondu sans une once d'hésitation, presque immédiatement. Tu sais ce que tu as fait. Tu sais ce qui t'attendrais si tu ne faisais rien. Alors, cette opportunité ne se présentera qu'une fois. Tu vas la saisir à pleines mains. Enfin. Enfin tu as trouvé des être qui te ressemblent. Ce ne sont pas des hommes ? Et alors ? Cela ne te préoccupe pas d'avantage. Si lui a pu lire dans ton regard, toi aussi tu as pu lire dans le sien. Et tu y a vu la solitude, la tristesse, le désarroi. Et tu le comprends. Tu as en quelque sorte, vécu une partie de ce qu'il a vécu. Le besoin de tuer pour survivre. Le mépris des gens à ton passage, toi, pauvre mercenaire... Et lorsque tu le vois, si puissant, mais pourtant si seul, tu te refuses à le laisser enfermé dans cette solitude. A les laisser seuls. Car il n'y a pas que lui. Ils ont eu le courage de se lever. De se révolter contre ceux qui les jugeaient. Alors, toi aussi, il est temps que tu relèves un peu la tête.

Tu vois alors un tigre roux apporter un plateau sur lequel sont posés un parchemin blanc, quelques bandages, deux calices et deux couteaux, alors que Rei commence à rapetisser, revenant à une tailler normale. Ce dernier prend alors un couteau, se tranchant une veine du bras au dessus d'une des coupes, la remplissant de quelques centilitres de sang, avant de se bander le bras. Tu accomplis alors le même geste. Tu prends alors sa coupe, lui donnant la tienne, que vous levez ensemble.

Très bien, reprenons les présentations. Moi, Rei Kongô, Roi des Tigres, t'offre aujourd'hui le destin de mon peuple, ainsi que mon sang. Kôtarô Ryûjisai, acceptes-tu mon don ?

Je l'accepte.

Tu le fixes dans les yeux, et ensemble, vous videz votre coupe. Vous voilà liés par le sang. Tu reposes alors ta coupe sur le plateau, tentant de t'habituer au goût du sang coulant dans ta gorge. Tu essaies de rester stoïque. Mais ce goût est vraiment atroce. Seulement, tu n'as pas le temps de faire de commentaire...

Tu vas peut être avoir un peu de mal à t'habituer à ce sang, puisqu'il est totalement différent du tiens, mais si tu es suffisamment fort, cela ira pour toi.

Tu le vois alors te prendre la main et te l'enduire du reste de sang dans la coupe qu'il vient de vider, pour te faire signer le parchemin. Ta vue se brouille, tu commences à vaciller. Mais tu l'as fait. Tu n'es plus vraiment cet ex-mercenaire vagabond. Tu es devenu Kôtarô Ryûjisai, frère de sang et maître des tigres de ce monde. Et tu ne les laissera pas tomber. Tu les mèneras au sommet, ensemble, vous montrerez aux Hommes leur erreur... Et sur ces quelques pensées, ta conscience s'efface, et tu sombres dans les ténèbres.

Tu ouvres les yeux, allongé sur un matelas étrangement confortable. Tu te redresses vivement, regardant autour de toi. Que ? Aurais-tu rêvé ? Hum... Non, tu le sens au fond de toi. Tu sens ce grondement au fond de toi. Ce grondement sourd et sauvage. Tel un tigre enragé. Non, cela s'est bel et bien passé. Tu t'apprêtes à te lever, voyant une jeune femme aux cheveux blancs entrer dans la pièce. Tu la regardes quelques instants, te demandant ce qui se passe... Mais tu ne fais pas de commentaire. Elle te devance et prend la parole...

Ah, tu es levé ?

… Cette voix... Meika ?

Et oui, c'est bien moi. M'occuper de toi sous ma forme animale n'aurait pas été pratique.

C'est un Henge ?

Oui, et il va falloir t'y faire, à partir d'aujourd'hui, nous sommes partenaires. Alors tu risques de me voir sous l'une ou l'autre de ces formes quand tu m'appelleras... Cela ne te dérange pas, "mon frère" ?

… Non, pas de soucis.

Oui, c'est vrai. Les choses ont changé. Et tu vas changer les choses pour eux. C'est un serment à toi même. Tu vas les aider à regagner leur place en haut de la pyramide du règne vivant. Peu importe le temps qu'il faudra. Peu importe le prix...

Meika (Forme Henge et animale):

Rei (ne pas prendre les ailes en compte) / Rei Henge: