Kawa fut plus dure à quitter qu'elle ne l'avait escompté. Peut-être que le désert de Kaze, visible depuis le pont du bateau quittant Higata, lui rappelait trop ce qu'elle avait perdu pour savourer pleinement la caresse de l'air marin sur sa peau cuivrée. Ou peut-être encore que Saori a commencé à s'attacher à Kurebasu, véritable condensé de cultures et de bizarreries. Il est vrai qu'il est difficile de s'ennuyer dans la mégalopole et que chaque jour passé à la découvrir fut aussi amusant que dangereux. Mais la perspective de nouvelles découvertes compensa rapidement la nostalgie. D'autant plus qu'aux yeux de la noiraude se limiter à une seule terre est presque une faute considérant les vastes merveilles que le monde est en mesure d'offrir.

Pourtant cette fois-ci ce n'est pas son Tengoku ou le désire expresse d'aventure qui a poussé la jeune femme a rejoindre Yû no kuni par la mer. Ho bien sûr elle garde espoir que ce voyage lui permette de concilier tout ceci mais c'est avant tout pour le Sikari qu'elle officie aujourd'hui. Et si d'ordinaire elle est réfractaire - et le mot est faible! - à l'idée de poursuivre des proies vivantes il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de ramener un cadavre. Voir plusieurs vu que sa mission consiste à retrouver une certaine Shôna Freya ainsi que le corps d'un samouraï. La première a disparu dans ce pays qu'elle s'apprête à découvrir. Peut-être est-elle encore en vie?

Fort heureusement la noiraude peut compter sur le réseau d'espions du Sikari pour obtenir les informations qui lui manquent encore. Elle n'est ainsi pas seule même si la mission principale lui revient. Quant à savoir ce qui motive le ou la commanditaire de tout ceci... Chacun à ses raison! Il ne lui appartient pas de juger. La jeune femme se contente d'espérer que c'est bien à un cadavre docile qu'elle sera confrontée et non pas à une Kaguya ayant volontairement décidé de disparaître. Mais avant d'en avoir le coeur net il s'agit avant tout de savoir ou l'intéressée se trouve.

Pourquoi l'a-t-on choisie, elle? Saori a bien quelques ersatz de réponse mais aucune certitude. Peut-être que le fait qu'elle ne soit pas considérée comme une criminelle ou plus simplement recherchée dans le Yuukan lui assure une relative liberté d'action. Ou encore que le Sikari souhaite vérifier qu'elle mérite bien sa place dans l'organisation. Quoi qu'il en soit l'enfant de Kaze ne se plaint pas: elle a ainsi le loisir de découvrir d'autres cieux. Et peut-être même rencontrer de nouvelles personnes. Car c'est bien là-dessus qu'elle compte pour parvenir à mettre la main sur sa cible.

Ainsi donc une certaine Kaguya Nokoa et une autre femme du nom de Mikudo semblent avoir été en contact avec Freya. Et d'après les informations que l'organisation de chasseurs de prime possède déjà il semblerait que ces deux sources d'informations potentielles se trouvent encore dans le pays. Elles pourraient être la solution à ce problème, celles qui permettent de retrouver la fameuse aiguille dans la non-moins fameuse botte de foin. Reste à exploiter cette piste...

"Merci pour tout!" glisse-t'elle au capitaine du vaisseau qui se trouve désormais à quai. "Le voyage fut des plus plaisants!"

Si l'on excepte une violente tempête qui manqua de peu d'envoyer la nef par le fond. Suffisamment violente pour que la jeune femme envisage de rentrer par la terre ferme. Mais dans l'ensemble l'équipage ainsi que les autres passagers se sont montrés sympathiques. Et puis ils n'ont pas été confrontés à une rencontre avec les pirates. Les choses auraient sans doute pu être pires si le hasard avait décidé de se montrer un brin plus fallacieux.

La noiraude pose le pied sur le sol de Chiheinsen, la ville portuaire se trouvant au centre du pays. Une situation géographique plutôt avantageuse pour débuter des recherches. L'endroit, centre névralgique du commerce maritime de Yû, favorise le brassage d'informations. Reste à trouver celle qui permettra de dénouer cet épineux problème. Pourtant Saori ne compte pas faire du porte à porte et écumer chaque bar de la cité alors qu'il lui suffit de laisser faire l'appât du gain.

C'est ainsi qu'après un repas frugal - aux frais du Sikari - elle commence à afficher aux endroits qui conviennent diverses affiches sur lesquelles elle indique rechercher Nokoa et Mikudo ainsi que toute information à leur sujet. Le tout en promettant une forte récompense, évidemment. Elle omet cependant de préciser le but de cette démarche, se contentant de signer de son prénom et d'indiquer l'endroit où on pourra la trouver. À savoir à l'extrémité de la plus longue jetée du port.

Ce travail quelque peu ingrat terminé, elle rejoint donc le lieu en question. Elle y descelle une chaise longue ainsi que divers bouquin et de l'eau fraîche. Le temps de prendre place sur la première, de choisir l'un des seconds pour l'aider à passer le temps et avoir savouré une gorgée de la troisième, la jeune femme se contente d'attendre. La soif de ses congénères pour l'argent fera sûrement le reste. Tout du moins l'espère-t-elle...

Info:

Je ne pensais pas devoir attendre aussi longtemps pour être honnête. Il se peut que j'aie quelque peu surestimé l'emprise qu'avait l'appât du gain sur mes congénères de ce pays. Ou alors sous-estimé leur capacité à faire bloc face à une étrangère. Je ne sais pas grand chose de cet endroit après tout... Mais il semble certain que les ryos seuls ne suffiront pas à m'apporter les informations nécessaires dont j'aurai besoin pour retrouver cette Freya. Pour peu qu'il reste encore quelque chose à trouver. Le temps dévore les cadavres au même titre que les souvenirs ou les regrets.

Mais je ne suis pas pressée... Ce n'est pas comme si nous étions à un jour ou deux près. Et puis j'apprécie ce bord de mer et les doux rayons du soleil qui caressent ma peau. Sans parler de l'excellent bouquin qui parle des légendes reliées aux différents Bijuu qui ont foulé ce monde. C'est tout simplement passionnant. En tout cas bien assez pour patienter sans que le temps ressemble à de l'ennui. Des heures passent ainsi jusqu'à ce que la nuit reprenne ses droits et étende son ombre sur l'immense étendue d'eau. Peu après c'est la terre qui tombe aussi sous son joug implacable.

Je décide alors d'aller plonger une tête dans l'eau encore réchauffée par les vestiges de l'astre solaire qui est avalé gentiment par l'horizon pendant que mon repas cuit. Je ne suis pas très fruits de mer mais je me contenterai des spécialités locales pour ce soir. Me voici donc à nager le long d'un récif que je devine à peine dans l'obscurité. Et ce qui devait se produire se produisit: une douleur le long de ma cuisse m'indique que j'ai frôlé d'un peu trop près cette "beauté" apparente. Je remonte ainsi à la surface et m'accroche aux premiers rochers qui délimitent la jetée.

Je suis tellement occupée par la plaie qui déverse du sang sur ma peau et le sceau que je m'emploie à y déposer que je ne remarque par la présence d'une paire de jambes dans mon champ de vision. Jambes qui, une fois mon attention captée, se font remonter de mon regard jusqu'à ce que je découvre deux jeunes femmes. Sont-elles porteuses d'indices dignes de ce nom? Ou est-ce simplement le hasard qui les a menées jusqu'ici? À la façon dont elles m'observent en retour je crois que le doute n'est guère permis. Mais alors que je m'apprête à les questionner, le duo prend les devants:

"Il paraît que tu nous cherches?"

Le ton est accusateur et méfiant à la fois. De mon côté je n'en espérais pas tant... Voici donc, je suppose, les deux personnes que j'espérais rechercher. Il faut croire que mes affiches ont fait leur oeuvre au-delà de mes espérances. J'observe encore un instant Nokoa et Mikudo avant de venir à leur hauteur tandis que des sceaux libèrent un à un mes vêtements qui apparaissent directement sur mon corps. Un autre, placé dans le creux de mes reins, renforce ma peau et le rend aussi résistante qu'une armure. Il vaut mieux être prudente...

"En effet, oui..." dis-je en me baissant pour saisir une brochette de poisson. "Vous avez faim?"

Le résultat? L'une des femmes shoot dans le reste de mon repas et balaie les cendres encore fumantes dans le vent. Et bien voilà qui annonce la couleur...

"Dis nous ce qui nous vaut un tel intérêt de ta part!"
"Vous auriez pu me le demander simplement. Inutile d'appuyer vos propos par une telle... démonstration! Ça ne vous rend pas plus crédibles, vous savez?"
"Et ceci?"

Cette fois-ci c'est une lame que la plus petite des deux jeunes femmes extirpe de son fourreau. Une preuve qui ne fait que confirmer qu'elles souhaitent placer ce qui pourrait être considéré comme une conversation sous le signe de la violence. Tout l'inverse de ce que je désire, moi. Il semble nécessaire de mettre certaines choses au point dans l'espoir que la situation ne dégénère pas trop rapidement.

"Toujours pas, j'en suis désolée!" je m'autorise un léger sourire. "Laissez-moi satisfaire votre curiosité: si je suis ici c'est pour offrir à celle qui fut votre cheffe une sépulture décente, digne du nom qu'elle portait. C'est ma mission! Et je la mènerai à bien, soyez-en assurée. Je préférerais cependant pouvoir compter sur votre aide plutôt que sur votre désir de me mettre des bâtons dans les roues. D'autant plus que tout le monde y trouverait son compte..."

Les deux femmes échangent des regards tandis que je reprends place sur ma chaise longue. Un signe d'assurance feinte qui les fera peut-être réfléchir à deux fois avant de me planter. Et si nous devions en arriver à de telles extrémités alors je leur montrerais que la médecine défensive n'est pas aussi inoffensive que ce que l'on peut croire.

"Dis-nous en plus..."
"À la bonne heure!"

Cette conversation aura bel et bien lieu en fin de compte. À mon grand soulagement...

Les tractations ont duré plus longtemps que l'Eisenin l'avait escompté. Bien plus longtemps! Aussi le soleil est déjà en train d'étendre son emprise sur l'océan et les terres qui le délimitent lorsque des poignées de mains scellent l'accord. Saori n'avait pas imaginé que ces deux femmes seraient si dures en affaire. Non seulement elles ont obtenu le droit de l'accompagner - ce qui, en soit, est plutôt une bonne chose - mais également une somme conséquente de ryos. Mais dans la mesure où cet argent n'appartient pas à la noiraude mais au Sikari, ça ne lui a pas coûté grand chose d'accepter les demandes de celles qui suivaient Freya. Reste à espérer qu'Emi acceptera de concéder les sommes dues...

Plus que le récit de la mort de Freya c'est surtout le manque de regrets exprimés par les deux femmes qui étonne la chasseuse de prime. Peut-être que ces derniers ont été enfouis par le temps ou tout simplement que leur maîtresse ne valait pas qu'on s’apitoie sur son sort. Que ce soit l'un ou l'autre, l'Eisenin s'en moque. Ce qui compte c'est qu'elle sait désormais où sa cible se trouve. Et qu'elle pourra bénéficier de l'aide de deux guides pour atteindre l'endroit indiqué. Ce qui ne sera vraisemblablement pas de trop puisqu'il s'agira de trouver le cadavre sous des tonnes de débris. Voilà qui risque de lui coûter pas mal de temps. Et l'éloigner d'autant plus de ses propres recherches à Kawa.

"Tenez, avalez ça!" dit-elle en leur tendant trois pilules dont une qu'elle avale elle-même. "Ça chassera la fatigue de votre organisme. Comme après une bonne nuit de repos, en somme... Ce qui nous permettra de nous mettre en route immédiatement!"

Le fait qu'elle ait elle-même goûté aux dites pilules doit jouer dans la décision des deux autres qui acceptent d'obtempérer. Il n'est jamais très bon de tromper son corps de cette façon mais... ce qui ne tue pas rend plus fort. Avec ce petit coup de fouet artificiel la journée sera prolifique et ne sera ainsi pas perdue dans une quelconque chambre d'hôtel.

"Si vous connaissez un endroit où nous pouvons acheter des chevaux à un prix correct, je suis preneuse!" ajoute-t-elle.

Fort heureusement - et par un merveilleux hasard - il se trouve que les deux femmes connaissent bien la ville. Quelques poignées de minutes plus tard c'est donc sur le dos de montures d'un certain âge mais encore vaillantes que le trio quitte la ville pour rejoindre ce qui fut autrefois un temple aux dimensions dantesques. Et un cadavre qui pour une raison inconnue à visiblement de la valeur pour une personne dans le Yuukan. Reste à espérer qu'il y ait quelque chose à trouver. Entre les insectes et le temps, la décomposition d'un corps peut être extrêmement rapide...

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La tâche ne sera pas aisée. Saori s'en rend compte dès qu'elle pose le regard sur les gravas dont certains atteignent des dimensions impressionnantes. La seule chose qui semble avoir été en partie épargnée est la tête d'une statue qui devait bien mesurer une dizaine de mètres autrefois. Ce qui lui servait de visage est fissuré en plusieurs endroits et plusieurs partie s'en sont détachées suite au choc de l'éboulement. Mais l'avantage c'est qu'il servira de point de repère. La noiraude pose ainsi pied à terre et soupire sans vraiment s'en rendre compte.

"Autant chercher une aiguille dans une botte de foin..." lâche-t-elle en aparté avant de se tourner vers ses... équipières? "Plus tôt nous commencerons, plus vite nous aurons terminé!"

Et c'est sûr cette phrase pleine de bon sens et imprégnée d'une logique certaine que la noiraude s'approche de la tête de la statue, se demandant brièvement ce qu'elle est sensée représenter. Il semble rapidement évident que les deux autres femmes sont plus à même de déblayer des gravas qu'elle. Mais Saori ne se démonte pas et se contente d'avaler une autre pilule, à la couleur différente de celles qu'elle a distribuées quelques heures plus tôt. De quoi amplifier sa force. Ses connaissances en taïjutsu feront le reste.

C'est ainsi qu'elle commence à s'acharner sur les plus gros débris à l'aide de ses poings ou de ses pieds, les réduisant en cendre ou les envoyant tout simplement valdinguer en bas de cette colline artificielle. Combien de temps faudra-t-il? Trouveront-elles seulement quelque chose? Que faire sinon espérer...