Au détour d'un quartier reculé... ft Mamoru Ryuuketsu

Un frisson. Froid dans le dos. Un goutte d'eau. Ploc. Ploc. Ploc. Le plus dur de la saison. Cette année avait un hiver horrible, meurtrier. Dehors, la pluie tombait à grosse goutte, frappant les carreaux d'une certaine force pour ensuite faire la course le long des vitres. Une faille dans la toiture, une goutte furtive, une mélodie terrifiante. Ploc. Ploc. Ploc. Le silence, rien d'autre. La seule lumière de la pièce : une bougie fumante, à la cire gluante, à l'odeur enivrante. Assise en tailleur, un coup de vent et l'esprit sortait de mon corps. Sombre et noir, pas tout à fait opaque, pas tout à fait transparent, il flottait dans l'air. Hochement de tête à droite, le monstre vire à droite. Hochement de tête à gauche, le monstre vire à gauche. Tête au centre, le monstre est face à moi. Il m'observe, je l'observe : symbiose inespérée. Je tends mon bras, il tend le sien, je touche son doigt. Toc. Toc. Toc. Nouvelle mélodie. On toque à ma porte. La bougie s'éteint. Mon corps se lève, encore déstabilisé par l'esprit qui me reflétait comme un miroir.

- Bonjour, z'êtes bien Mamoru Reiko ?
- Et vous qui êtes vous ?
- Mission de rang C en collaboration.

Et il s'enfuit après m'avoir donné le parchemin enroulé. Chouette je vais enfin sortir de chez moi. Je bug sur le mot collaboration. Je suis pas trop friande des duos, ça finit jamais bien et je l'ai déjà observé à plusieurs occasions, mais je me plains pas, le village me fait confiance et me donne des missions, c'est déjà bien. Advienne que pourra. Je m'assoie en tailleur près d'une fenêtre. La lumière reflète le papier. Je lis, en silence. Vous êtes appelés dans un quartier assez reculé d'Iwagakure pour y résoudre ... un meurtre sordide. Il ne s'agit en effet non pas d'un seul assassinat, mais bel et bien de la tuerie d'une demi-douzaine de personnes ! Elle sont été retrouvées mortes dans une grange abandonnée depuis un bon moment, éventrées, leurs tripes répandues sur le sol de paille. Bien entendu, tout le monde est horrifié par l'événement, et vous avez tout intérêt à résoudre cette affaire le plus vite possible pour garantir la sécurité du village. Un sourire se forme sur mon visage. J'aime cette mission, glauque et excitante, merci l'kage.

Dehors le ciel est gris, le vent souffle, la pluie tombe. Je ne crains rien sous mon sugegasa, du moins je ne pense rien craindre. Derrière moi, le chat noir que j'ai adopté me suit. Enfin, il s'est autoproclamé être mon compagnon. Il est affectueux, plutôt attachant, peut-être bon à manger, je ne sais pas. Je soupire et me demande sur qui je vais tomber, le nom était pas marqué. J'espère tomber sur un gars ou une fille sympa, tout sauf un intello ou un qui s'croit supérieur. S'il vous plait. Je ne pense plus et mes yeux se rivent sur le ciel gris, une belle succession de teinte, j'adore cette couleur. Il n'y a plus que quelques gouttes, pas des cordes, juste de quoi rester humide. Enjoy. Je marche, je marche, je marche. J'hésite entre deux rues, un tournant, une direction. J'arrive finalement au point de rendez-vous. J'suis bien dans un quartier reculé et y'a bien une grande et sombre grange abandonnée à la porte grinçante devant moi. J'ouvre, le battant crie, mon duo est peut-être déjà arrivé. L'odeur du sang m'attire.

Je me prélassait dans l'obscurité relaxante de mon ermitage, tenant compagnie aux parasites pullulant les recoins les plus sombres de cette résidence lugubre et infecte. Ils l'envahissaient à mon insu, attirés, me semble-t-il, par l'odeur méphitique de chairs humaines putréfiées. La putréfaction des cadavres humains, décorant mon humble demeure, rendait compte de l'état famélique volontaire, dans lequel je me suis empêtré, que je qualifierais de cercle vicieux : la satiété, pour un hématophage, ne dure qu'une fraction de seconde, n'étant pas suffisamment robuste pour obstruer la résurgence de l'insatiété douloureuse et bestiale. J'ai été animé alors par l'envie de détourner cette malédiction s'abattant sur moi, cette insatiété continuelle, d'où mon réflexe de me réfugier dans la douceur des ténèbres. Ce qui était en soi une aberration : l'immoralisme, inhérente au monde des ténèbres, m'exhorterait à l'acceptation de cette bestialité, que m'a gratifié les divinités démoniaques ; me remettant, paradoxalement, sur le droit chemin du démonisme. Il en résulte que le scepticisme, qui s'est manifesté, a été oblitéré par mon immersion dans le monde des ombres ; cela a été, à vrai dire, une source d'inspiration et de motivation. Ce qui fut à l'origine d'un désir incompressible de goûter à la saveur d'un sang frais, innocent et pur : ma bestialité remonta à la surface, cette bête sanguinaire enfouie au plus profond de mon être reprenait vie, de fait.

J'avais alors érigé une réflexion personnelle en maxime : « sortir de l'obscurité pour mieux obscurcir les restants de luminosité dans un monde voué inéluctablement à l'abjection ». Je n'étais alors qu'un accélérateur du processus, impatient de la submersion du monde dans la noirceur des ténèbres, un retour aux origines de l'humanité : il faut dire que ce qu'on appelle le bien est une maladie morale, une gangrène, qui empêche l'humanité de retrouver ses véritables origines. En conséquence de quoi, dévot de l'immoralisme que je suis, je pris l'initiative de faire des prédications dans le monde extérieur, tout en tenant compte du devoir que j'ai à l'égard de l'empire, puisque je me suis engagé militairement. Ces prêches religieux devront alors attendre, le devoir militaire étant prioritaire. Cependant, ce serait mentir à moi-même que d'occulter mon désir ardent qu'il y ait une conjonction entre l'ordre de mission et devoir religieux. Pour clarifier les choses, j’espérai un carnage, des abominations perpétrés par des humains, conscients de leur nature démoniaque initiale, leur genèse horrifique. C'est effectivement une source d'espoir, cependant je serais contraint, contre mon gré, de mettre fin à leurs bonnes actions. Pour l'absolution de ce péché, je devrais les rendre la pareille : mal pour mal, voilà un compromis.

Un des coursiers de l'Empire m'apostropha, se livrant au briefing de l'action militaire qui m'a été ordonnée. Nécessairement, j'étais comblé par l'horreur et l'épouvante, que connotait l'ordre de mission, en plus d'être accompagné par une consœur militaire. Par delà l'excitation que j'éprouvais, l'identité de ma partenaire m'intriguait, de sorte que j'étais en train de spéculer sur sa personnalité, son physique. Mais, me basant sur des stéréotypes féminins, j'étais persuadé qu'elle serait peureuse, craintive, sursautant, tremblotant, du fait de ces abominations : elle est susceptible d'alourdir mon fardeau. De nature à anticiper les événements imprévisibles, il fallait, dans mon double jeu, que j'incarne un gentleman, qui serait en mesure d'être l'épaule pleureuse de la jeune dame, médusé par l'omniprésence d'organes humains dans une salle ensanglantée. De fait, il est évident que je suis contraint de dissimuler cette noirceur qui me façonne. Il s'en suit que je partais en direction du lieu de départ de la mission, où stationnait ma coéquipière.

Un trajet assez fastidieux mais dont l'échange de regards avec ma coéquipière faisait effet de compensation. Les préjugés sur lesquels je me suis basé s'est effondré à l'instant où je lorgnais son accoutrement peu banal et le charisme qu'elle dégageait. Non loin de caractériser une certaine forme de fragilité exacerbée, elle donnait l'impression d'une femme dominante, celle que l'on décrivait, dans les mythes, plus diabolique que le diable lui-même. Ce serait alors une ridiculisation, une humiliation que de faire mon gentleman face à une femme fatale, ce qui débuterait mauvaisement nos relations. Je décidais alors de rester moi-même, de ne pas jouer un double jeu, de ne pas m'aliéner mais de manifester cette bestialité qui me constitue.

« Je décèle en vous une part d'ombre, une face cachée horrifiante, qui a, sans aucun doute, attiré mon attention. De là, j'ai fais le lien entre votre personnalité et la mission qui m'a été donné. Vous êtes celle qui est la plus apte à enquêter sur une affaire abominable et abjecte. Ainsi, je me présente, Mamoru Ryuuketsu, ou l'hématophage. Hum… Parlez moi de vous. J'aurais bien aimé que l'on prenne un verre, mais un travail de longue haleine, éprouvant, nous attend. Je précise d'ailleurs que c'est surtout l'excitation que j'éprouve à l'égard de cette mission, qui m'amène à vous poser cette question : Par quoi débutons-nous ? »

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