Cette nuit a été l'une des plus longues de mon existence. Et que dire alors de cette journée partagée entre souffrances et spasmes? Un expert du clan est venu ausculter le sceau ce matin. Non pour m'apprendre ce que je sais déjà mais plutôt pour vérifier qu'il est suffisamment solide. Le Bijuu a été scellé à la hâte. Mais sa prison semble solide. Sa seule faiblesse pourrait bien être... moi. Je suis constamment recouvert d'une pellicule de sueur et mon corps pratiquement nu brûle d'un feu interne qui semble insatiable. Mes muscles se crispent et se détendent sans aucune logique et provoquent des spasmes incontrôlable. J'ai l'impression que mon corps s'est retourné contre moi. Que l'ennemi ne vient plus seulement de l'extérieur mais également de l'intérieur désormais...

La main de Setsu tient constamment la mienne. J'aimerais pouvoir dire que c'est d'un quelconque réconfort mais il n'en est rien. Je sais qu'elle s'inquiète et qu'elle se sent également impuissante. Les différentes drogues ou calmants n'ont plus le moindre effet. D'une manière ou d'une autre Shukaku les dissipe. Je suppose qu'Il tient à ce que j'endure sa haine. Ma cousine, elle, cherche encore une explication scientifique à tout ceci. Et moi pendant ce temps j'ai l'impression qu'on me passe constamment d'un volcan en éruption à une banquise glacée. Je ne prends même plus la peine de retenir mes râles de douleur. J'en viens même à envisager le pire: demander à Setsuna de m'achever. J'ai même réfléchi aux arguments qu'il faudrait que j'emploie pour qu'elle cède. Mais si mon corps est meurtri, ma fierté, elle, reste bien présente. Pour l'instant j'ai repoussé cette option. Pour l'instant...

*Arrêtes... S'il-te-plaît...*

La seule réponse que j'obtiens est une vague de souffrance qui me vrille le corps méthodiquement. Je ressens le plaisir qu'il prend à agir ainsi. C'est dans sa nature après tout. Si ce qu'on dit sur Shukaku est vrai alors ce Bijuu est un vrai sociopathe qui se complaît dans la destruction. Et la seule chose qu'il peut détruire en l'état actuel des choses, c'est moi. On dit que des animaux qu'on enferme peuvent s'agiter pendant des semaines avant d'accepter la servitude. Qu'en est-il de lui? J'ai toutes les raisons de m'inquiéter. D'autant plus que mon état ne semble pas aller en s'améliorant.

Les portes s'ouvrent en grand et deux gardes pénètrent dans la pièce. Presque aussitôt suivi d'une demoiselle à la chevelure blonde que je reconnais au premier coup d’œil. J'ai longtemps désiré son corps mais aujourd'hui je n'ai pas la force de savourer ce spectacle à sa juste valeur. Tout juste celle de me redresser sur mon lit et réveiller Setsuna par la même occasion. Cette dernière lève la tête et se rend compte de la situation en émergeant de son demi-sommeil.

"Tu peux nous laisser s'il-te-plaît? Tsukiko et moi avons à parler..."

Elle passe son regard de l'un à l'autre avant d'approuver et quitter l'endroit. Cette discussion était prévisible. Mais sa teneur est bien évidente. Est-ce qu'elle m'en veut? Probablement. Ai-je été trop loin? Certainement. Vais-je devoir payer le prix de ce qu'elle pourrait très bien estimer être de la trahison? Toute la question est là justement. Que compte-t-elle faire de moi? Nous avons beaucoup de choses à nous dire elle et moi. Et je ne suis pas dans les meilleures conditions pour lui faire face...

"Et bien... Félicitations!"

Je fais bien évidemment référence à son poste de Daimyo. Je le pense sincèrement, n'en doutez pas. Mais ce n'est sûrement pas un luxe que de lui rappeler qu'elle me doit en partie le fait d'être sur le trône aujourd'hui. Je caresse le sceau qui défigure mon ventre. Ou plutôt qu'elle le doit à... nous!

« Le mettre dans un bain d’acide ? L’enfermer dans un sarcophage de sable ? L’envoyer valser dans le ciel pour voir comment il s’étale sur une dune ? » Tsukiko énumérait toutes les manières possibles et imaginables d’handicaper à vie le handicapé social qu’elle nommait affectueusement Kawaguchi Kira. Il a fallu qu’une simple semaine pour qu’il prenne bien vite ses grands airs, et commence à abuser de ses talents sur les civils, en les humiliant. Certes, un voleur était un criminel, mais c’était d’un jugement dont il avait besoin, et non de deux jambes brisées à vie. Cependant, toutes ses idées s’envolèrent lorsqu’elle arriva dans sa chambre, et vit l’état dans lequel il se trouvait.

« Ce n’est pas bon ». Rien n’était bon. Le fait de ne pas connaître les effets d’un Démon dans une prison de chair, le fait qu’il loge dans le corps d’un parfait idiot, le fait qu’à tout moment il pouvait être en danger ou mettre la Capitale en danger. Il suffisait seulement d’approcher pour sentir déjà les effluves de la fièvre du blond. Elle fit un simple signe de main pour que les gardes de la Capitale s’éloignent, en quittant la pièce, tenant la garde à l’extérieur.

- Merci beaucoup, se contenta-t-elle de dire modestement.

Tout en parlant, elle avait pris une bassine d’eau et un chiffon afin d’éponger – assise – le front du garçon. Elle était extrêmement calme, et maîtresse d’elle-même, tout l’opposé de Kira.

- Que t’arrive-t-il ? demanda-t-elle, avec une sincère inquiétude. Le sceau devait tenir plusieurs années solidement mais, si l’état de Kira était ainsi aujourd’hui, qu’allait-il se passer « plus tard » ? Plus que jamais, il était temps de prendre les choses en main avec le garçon, avant que tout ne soit trop tard. J’ai eu de multiples rapports à ton sujet, en l’espace d’une semaine.

Elle se tut à nouveau, jaugeant le garçon.

- On raconte que l’on n’est malade que si l’on a un mal en notre âme.

Elle se tut, encore. Elle n’avait pas hurlé mais son regard dur, et sa voix bien trop neutre exprimaient clairement une colère froide. Pour un esprit et un œil avisés, c’était une source de danger nouvelle dont il fallait grandement se méfier. Si Kira avait un tantinet d’esprit, il comprendrait qu’il venait de franchir une limite de Tsukiko, et qu’il s’engageait dans une voie de non-retour.

- Apprécies-tu Ichibi ? demanda-t-elle avec une fausse innocence.

Elle n’avait clairement pas fait cette remarque inutilement, ni posé stupidement cette question. Déjà elle se mettait en garde pour le moindre mouvement brusque du jeune homme. Elle avait peut-être gagné un titre noble, mais elle n’en oubliait pas ses origines Shinobi. D’ailleurs, le dernier événement – et les récentes visions qu’elle avait – semblaient débloquer toujours plus de chakra, toujours plus de « techniques ». Quelque chose clochait en elle, à croire qu’elle portait également un démon en elle. Est-ce que l’arbre-mère l’aurait maudit ? Est-ce que les « Malédictions » pouvaient exister ? Si un Jinchuriki existait, pourquoi pas la magie vaudou …

C'est de... l'inquiétude que je perçois dans sa voix? Où simplement mon esprit qui me fait croire ce que je voudrais croire? Toujours est-il que le comportement de Tsukiko ne s'accorde pas avec celui que j'anticipais. J'imaginais les meubles voler, le sable s'accumuler au fond de mon gosier ou une gifle retentissante venant s'écraser sur ma joue. Voir plusieurs. Mais certainement pas à ce qu'elle prenne place à mes côtés et m'éponge le front. Cependant elle reste mesurée, neutre. Et je la connais assez pour savoir que ça n'annonce rien de bon. Surtout après ce que j'ai fait. Est-elle blasée? Résignée? Ou estime-t-elle simplement que je ne suis pas en état pour recevoir une correction digne de ce nom?

J'imagine très bien les rapports dont elle parle. Il faut dire que je ne me suis pas vraiment fait oublier ces derniers jours. Mon état s'est stabilisé quelques temps et j'en ai profité pour découvrir l'univers de la capitale. Et me voilà à nouveau cloué au fond de ce lit. Avec une cousine Daimyo qui va vraisemblablement me demander des comptes. Ce n'est qu'une question de minutes. Il s'agit maintenant de profiter de ce calme avant la tempête.

"Il ne faut pas croire tout ces rapports tapés par des bureaucrates en manque de sensations folles..." je m'autorise un pauvre sourire tout en me redressant davantage. "Et comment crois-tu que je me sente avec cette saloperie dans le torse?"

Mal, évidemment. J'ai l'impression que Shukaku va jaillir de ma poitrine à tout instant. Et chaque coup qu'il porte contre les barreaux de sa prison me vrille le corps. Je sers le poing comme si ça pouvait m'aider à supporter la douleur. Et la phrase de Tsukiko au sujet du lien entre les maladies et l'âme ne m'aide pas vraiment. Qu'est-ce qu'elle cherche à me dire? Que je suis une sorte de psychopathe? Que mon esprit s'obscurcit? Si c'est le cas elle devrait me remercier. Nous sommes les deux facettes d'une même pièce. Elle a besoin de moi au moins autant que j'ai besoin d'elle.

La discussion prend un nouveau tournant lorsqu'elle me demande si j'apprécie Ichibi. J'écarquille les yeux et un rire aussi irrité qu'amusé quitte mes lèvres sèches. Il est cependant bien vite étouffé par une quinte de toux et une nouvelle vague de souffrance. Il ne semble pas apprécier cet instant de légèreté. D'une certaine façon la présence de Tsukiko l'irrite. Je le sens. Il n'a pas oublié qu'elle s'est dressé contre lui. Et qu'elle la blessé. Et quelque chose me dit que le Tanuki à la rancœur facile...

"Comment je m'entends avec lui?" je répète cette phrase d'un air absent tant elle me semble surréaliste. "Ho et bien... On est de vrais larrons en foire. À ceci près que cet enfoiré essaie de me détruire de l'intérieur pour retourner foutre la merde dans mon désert! Et que j'ai un peu de peine à l'idée de partager mon corps avec un putain de clébard géant!"

Je croyais qu'Il était un Dieu. Que mes prières lui parvenaient. Je sais à présent que ce n'est pas ma foi qui l'a poussé à attaquer Suna. Juste un égo démesuré et un désir instinctif de semer le chaos et la destruction. Sa puissance me fait peur. Et je la respecte. Mais je n'ai que du mépris pour ce Bijuu qui s'est laissé enfermer comme un chiot en manque d'expérience. Oui, c'est mon désert! Et c'est mon corps! Qu'Il aille se faire foutre! Si je dois mourir, alors soit. Mais je lutterai jusqu'au bout pour défendre ce qui est mien!

Je lève la main et essaie de caresser la joue de ma cousine mais elle se retire et mes doigts rencontrent le vide. Je soupire mais la comprends. Nos relations n'ont jamais été excellentes mais ont tendance à se dégrader ces derniers temps. La faute à qui? À moi, j'imagine. Mais si nous ne partageons pas la même vision des choses elle sait que j'agis pour l'intérêt du clan. Nous choisissons simplement différents chemins pour ce faire.

"Suis-je ton prisonnier?" allons droit au but! "Cette Samouraï, Yaeko... Elle me suit pratiquement tout le temps! Et l'attention toute particulière que les gardes m'accordent ne m'a pas échappée..."

Cette idée m'est insupportable. Fusse-t-elle ma Daimyo et ma cheffe de clan, il est hors de question que Kawaguchi Kira soit privé de sa liberté. Je me battrai pour elle tout comme Shukaku le fait pour la sienne. Un animal en cage fera tout pour s'échapper. Elle le sait. Sauf que pour le coup elle ne devrait pas seulement en gérer un. Mais bien deux...

- Dis-toi que ce clébard, c’est toi. Aussi enragé l’un que l’autre et aussi limité en vision du temps …

Elle fut bien vite interrompue par des coups violents aux portes, et par une voix qui semblait appeler d’urgence la « Daimyo ». Elle se contentait d’arquer les sourcils, lançant un regard par la fenêtre : il se faisait tard. Et une telle nouvelle, à une telle heure, n’était pas une bonne chose. Elle soupira déjà, accepta que la personne entre, et que cette dernière lui confie une missive envoyée de Suna, d’un membre du clan Kawaguchi. Elle intima au passager de quitter la pièce, décacheta la chose, et commença sa lecture.

Très vite, à une allure fulgurante, Tsukiko devenait la personnification même de la Colère. Ses joues viraient à un rouge bien adorable mais qui mettait que davantage en avant le feu et la lueur meurtrière de son regard, ses mains tremblaient que très légèrement en crispant toujours plus la missive et son corps était si raidi qu’il semblerait que rien ne pourrait la briser à cet instant-là. Enfin, dernière et ultime manifestation de sa colère, c’était cette poussière toujours plus intense dans la pièce : les murs se craquelaient et se lézardaient malicieusement.

- Comment … ?

Tout d’abord, c’était un murmure effaré. Et puis, soudainement, ce fut un cri qui emplissait la pièce. Les gardes à l’extérieur n’osaient nullement entrer. Ils restaient devant la porte, droit comme des piquets, en lançant des regards des plus anxieux vers les murs.

- COMMENT A-T-IL PU OSER FAIRE CA ? répéta-t-elle, en explosant que davantage ses cordes vocales à chaque répétition. IL A TOUT DETRUIT !

Elle finit par lancer la missive sur le lit, ouvrit avec férocité la porte et ordonna à ce que le Chambellan et les Conseillers de la Capitale se réunissent d’urgence, dans la seconde même et qu’elle refuserait tout retard ! Sur ces mots si « tendres », elle claqua la porte, et se retourna contre Kira qui aurait pu avoir le temps de lire la missive.

- Ne dis rien sur ma décision d’avoir essayé de faire confiance à ce … à ce … lâche ! A ce connard !

O grand jamais, ô grand jamais, elle n’avait insulté Kioshi. Elle avait toujours été critique, mais jamais insultante. Et aujourd’hui elle l’était, prouvant à quel point l’ancien maître avait franchi un pas dans l’erreur … Une erreur irréparable : celle de mentir pour protéger une potentielle criminelle, en mettant au plus bas toute son honnêteté et son honneur dans l’affaire. Il avait tenté de la protéger mais hormis la faire passer pour une menteuse stupide, il n’avait rien fait. Et il avait protégé la meurtrière de Zanshi ! Il avait osé le faire …

- Oniri qui disparaît, Yami kidnappée et Kioshi qui la poursuit … C’est une blague. Une parfaite supercherie … Un complot, ce n’est pas possible, finit-elle par dire en s’asseyant, en se prenant les cheveux dans les mains.

Tsukiko avait également demandé la copie de la liste des victimes trouvées. Oniri n’était pas dans la liste.

- Le choix logique, à moins que je ne trouve un autre profil, est Kibo, fervent adorateur du Shukai, ironisa-t-elle en persiflant. Tu disais haïr ma façon de gérer. Soit heureux Kira, je vais mourir… Je vais mourir. Et tu auras le clan pour toi ! Et si ce n’est pas Kibo, qui me dit que l’autre profil me sera un peu favorable. Kioshi, qui était mon maître, m’était déjà un tantinet hostile hahaha …

Que Kibo n’ose pas lui faire croire que l’Empire allait être de bons conseils avec lui, que l’Empire allait dire de ne jamais – ô grand jamais – tuer le Daimyo qui va s’immiscer dans les affaires en prenant un peu de pouvoir politique. Elle allait être une entrave à la liberté et à l’idéal de paix dans l’esprit du Kibo, un esprit surement influencé par le Shukai.