« File-moi au moins à boire ! »

En guise de réponse le mendiant reçut une brindille sur le visage qui, ne désirant pas la recevoir dans l'œil, l’obligea à fermer les yeux.

« Si tu l’ouvres encore une fois, je vais faire en sorte de ne plus entendre ta voix ! » Lâcha celle qui avait visé le malheureux.

Assise sur une branche, Mairu s’amusait à couper toutes les petites branches qui étaient à la portée de ses mains pour les balancer sur l’homme qu’elle avait attaché à un arbre en contrebas. Non seulement elle n'avait aucune envie de le nourrir mais en plus il osait lui réclamer des victuailles sans la moindre politesse. Pas un petit "s'il vous plaît", ou mieux, un "je vous en prie" qui aurait pu peut-être la faire céder.

Voilà deux jours que son infortune l’avait amené dans la Forêt de la brume de Mizu no Kuni où elle s’ennuyait ferme. Après l’avoir sauvé d’une mort certaine, qui aurait pu très bien être précédée de son humiliation, Shinda Michiki l’avait déposé dans un cabanon, qui se trouvait pas loin de sa position actuelle, alors qu’elle s’était endormie durant le trajet. À son réveil, elle s’était retrouvée dans cette forêt, qu’elle avait deviné rapidement le nom à cause de la brume qui n'y disparaissait jamais, avec comme seul compagnon celui même qui l’avait agressé et menacé de viol. La Natsumi se demandait pourquoi le Shinda avait épargné le chef de la bande des vauriens qui l'avaient brutalisé mais surtout pour quelle raison il l'avait laissé à ses côtés. Pour qu’elle puisse se venger certainement. En tout cas, là était la seule supposition que la jeune femme avait retenue mais la vengeance n’a jamais été une chose qui la guettait. Même la mort de son grand frère, qu’elle avait pourtant aimé plus que son être, n’avait pas fait germer cette idée dans ses esprits. Malgré ce fait, elle ne désirait pas cependant libérer le chenapan car elle ne tenait pas à ce qu’il commette un nouveau crime ; sans compter le fait qu’il pourrait très bien revenir se venger d’elle.

Le nécromancien lui avait laissé une lettre lui disant qu'il reviendrait dans deux jours, c'est-à-dire aujourd'hui. Elle aurait pu l'attendre bien au chaud dans la hutte mais elle n'avait tenu que dix minutes avant que ses jambes ne l'amenèrent dehors où elle se sentait mieux. Elle n'avait aucun doute quant à la capacité du Shinobi de la retrouver alors elle avait décidé de l'attendre ici.

Mis à part qu’elle s’amusait à lui balancer des projectiles qui ne lui feraient pas bien mal, la Natsumi ne maltraitait pas, du moins physiquement, son ancien agresseur. Elle l’avait attaché loin de sa nouvelle habitation, exposé aux changements climatiques jour et nuit. Elle ne comptait pas épargner la vie du bandit mais elle ne tenait pas à le tuer elle-même, ainsi, vicieusement, elle le laissait en proie à la faim et à la déshydratation qui finiraient certainement par l’achever ; du moins si aucun animal sauvage ne le mangerait pas avant. Une mort bien plus cruelle que de lui accorder le coup de grâce rapidement mais la Natsumi n’a jamais été tendre avec ses ennemis et le fait d’être devenue une humaine standard n’avait pas changé ce point de son caractère.

Ayant épuisé le branchage qui était à sa portée, de ses ongles, la Nastumi arracha sans délicatesse une poignée de mousse qui couvrait la branche où elle était perchée, enfin de s’en servir comme nouveau projectile. N’importe quel être éclairé se demanderait si elle n’était pas dérangée, voyant son acte insensé mais lorsqu’elle s’ennuyait, son âge mental régressait dangereusement.

Après avoir visé trois fois le visage de sa cible, qui gardait à présent tout le temps les yeux clos pour ne pas recevoir de la poussière dans l’œil, Mairu suspendit son geste, au son des branches qui craquèrent. Elle se hissa alors rapidement plus haut, tout en guettant la direction d'où provenait le bruit suspect. Était-ce lui ou bien une simple bête sauvage ? …

Le nécromancien releva les lunettes sur l’arrête de son nez alors que son pas calme l’amenait plus loin dans les bois. Une main dans la poche, il continuait sa route sereinement. Les environs étaient encore sous le joug des légendes courant à propos du maître de la petite maison qui se trouvait à quelques pas d’ici. Ryûku avait toujours eu le talent de se faire des amis. A tel point qu’il s’était arrangé pour être connu de tous. Le meilleur moyen pour un nécromancien d’être tranquille. La preuve étant qu’il avait pu développer ses compétences et élargir son savoir au fil des années. Héritage que portait maintenant le Shinda.

Il avait commencé ses nouvelles recherches il y a peu. Le fait d’être revenu il dans l’ancienne demeure de celui qui l’avait initié aux arcanes de la Nécromancie avait réveillé en lui sa volonté de reconquérir un pouvoir incommensurable. Son sourire fendit son visage nettement avant de disparaître deux pas plus loin. Il se laissait automatiquement guider par sa perception des alentours. Deux présences humaines et quelques animaux se baladaient dans cette partie de la forêt. Des espèces qu’il reconnaissait sans exception.

Surtout les deux humains. L’un et l’une ne se trouvait plus qu’à quelques mètres lorsqu’un loup vint barrer la route du Fossoyeur. Ayant senti l’animal arrivé, il s’était préalablement arrêté pour mieux observer la réaction du canidé. Ses babines retroussées n’indiquaient rien de bon. Les verres améthyste soutenaient le regard glacial du loup qui semblait affamé. Seul, il ne devait plus être qu’un pauvre maraudeur chassé de sa horde. Il n’avait que la peau sur les os. Aussi le Shinda en vint à regretter son geste. Il se rassura en se disant qu’il faisait ça pour le délivrer. Le scalpel termina en plein thorax et la bête fit demi-tour pour tenter de fuir la douleur.

Il ne fallut que quelques pas toujours aussi sereins pour rejoindre la dépouille de l’animal. Il était venu s’échouer non loin de l’arbre où se trouvait la jeune fille qu’il avait sauvé il y a de ça quelques jours. Le pauvre loup s’était effondré sur le flanc. S’agenouillant à ses côtés, Michiki déposa sa paume sur sa blessure alors qu’il expirait ses dernières bouffées d’air. Il sécréta un poison infectant la plaie pour accélérer le processus. Aussi cruel qu’il pouvait paraître, il s’assurait juste que son trépas se ferait sans plus de douleur. La lame avait tapé dans un endroit stratégique rendant la blessure fatale directement. Les derniers mouvements de cage thoracique se soldèrent par un relâchement subit des muscles. Le Fossoyeur put alors récupérer son scalpel qu’il essuya ensuite grâce à un chiffon destiné normalement à ses lunettes.

La Natsumi devait l’avoir vu procéder. Pourtant il ne s’en inquiétait pas. Lui qui pouvait ressentir n’importe qui arrivant dans la zone, il se sentait en toute sécurité. Il prit même le temps de sceller le corps du canidé. Mais il ne le fit pas en silence. Au moment où il reposa un genou à terre, il déplia son parchemin vierge en même temps qu’il ouvrit la bouche :

- Bonjour à vous. Vous semblez avoir récupéré depuis la dernière fois.

Son regard s’éleva légèrement au-dessus de ses verres. Il observait le corps ficelé autour de l’arbre de celui qui avait tenté de profiter de la jeune fille dépourvue. Il ne leva pas plus la tête pour autant. Il la savait présente. Ses yeux vinrent juste fusiller le malheureux prisonnier déjà tétanisé d’être à nouveau en présence du Fossoyeur. Puis ce dernier observa finalement son interlocutrice :

- Je vois que votre cadeau vous plaît !

Du haut de son arbre, cachée parmi le feuillage, la Natsumi vit un loup s'échouer sous son perchoir, un scalpel planté au niveau du thorax. L'ayant déjà vu utiliser cet instrument comme arme, la jeune femme ne mit pas bien longtemps pour identifier l'auteur de cet acte qu'elle trouvait assez cruel. C'était l'œuvre de celui même qu'elle attendait.

Mairu savait que le coupable de la mort de la pauvre bête aurait pu se contenter juste de la faire fuir, même si celle-ci l'avait attaqué, mais au lieu de cela, il avait opté pour une solution radicale. Chose qui, bien qu'elle n'y adhèrerait pas, ne l'étonnait même pas. Elle avait assez fréquenté des shinobi pour savoir que la plupart n'étaient pas des tendres. Réalité qui ramena à l'esprit de la Natsumi la question qui ne cessait de la hanter ces deux derniers jours : pourquoi le Shinda s'était-il montré si complaisant envers elle qu'il ne connaissait même pas. Son acte bienveillant n'aurait pas étonné la jeune femme si elle ne sentait pas émaner du nécromancien une aura qui n'appartenait pas à un être qu'on pourrait qualifier de bienveillant. Pourtant, il l'avait sauvé par deux fois en seulement quelques heures avant de lui trouver un abri ici dans la Forêt de la brume.

Comme pour confirmer définitivement la certitude, l'homme fut son apparition et ce, pour se jeter sur sa victime. Dès qu'il commença à procéder à son rituel macabre, la Natsumi détourna le regard.

« Me plaît ? ... Disons plutôt qu'il m'occupe pendant que je vous attendais. »

Descendue sur la branche où elle était assise initialement, Mairu fixa le prisonnier, qui était tétanisé par la peur, tout en balançant tour à tour ses jambes suspendues dans le vide. La jeune femme ne ressentait aucune pitié, ni de la haine envers cet homme qui avait pourtant tenté de la violer puis surement de la tuer. Il semblerait que son cœur n'était pas aussi faible que cela finalement pour ne pas fléchir face à la vision plutôt pitoyable du captif. Son armure de glace, celle qui la protégeait des sentiments futiles tels que la haine, la colère ou encore l'amour, n'avait peut-être pas fondu complètement.

Alors que Michiki s'attelait à son travail de tripoteur de cadavre, Mairu reprit sa tâche de lancer de la mousse sur le captif. Après avoir envoyé deux projectiles qui n'avaient pas raté la cible, la jeune femme suspendit son geste, la main armée d'une poignée de mousse poussiéreuse et les yeux rivés sur le Shinda toujours occupé. Puis, elle ouvrit sa main pour lâcher son projectile bien futile sur le nécromancien comme pour attirer son attention mais en réalité, elle désirait juste le faire chier car lorsqu'il releva enfin la tête, une nouvelle mousse lui tomba sur le faciès.

« Vous comptez faire quoi de cet homme ? » Demanda enfin la Natsumi d'une voix calme, comme si elle cherchait à se défiler face à son acte bien puéril …

Il avait à peine terminé son ouvrage auprès du cadavre animal qu’il sentit quelque chose lui tomber sur la tête. Quelque chose d’assez mou d’aspect touffu. Et lorsqu’il releva entièrement la tête, il se prit une poignée de mousse cueillie et jetée par les soins de la Natsumi. Etait-elle vraiment sérieuse de l’accueillir ainsi ?! Il en avait tué pour moins que ça. Il épousseta les restes de végétation sur son épaule et se redressa finalement.

La demoiselle grimpée sur sa branche balançait ses jambes dans le vide, au-dessus de son jouet justement. Le malheureux devait vivre un calvaire depuis quelques jours. Attendre son triste sort dans l’impuissance, voilà quelque chose qui devait vous rendre fou à lier. Mais ce ne serait pas le nécromancien qui lui jetterait un regard de compassion pour l’épauler dans son malheur. L’homme avait pleinement méritée sa place ici. Il avait de la chance ceci dit car s’il n’y avait pas la Natsumi, il aurait fini autrement. C’est juste que ça ne rentrait pas dans la lignée des objectifs du Fossoyeur.

Il fit abstraction du geste infantile de son interlocutrice pour passer à la suite, en espérant ne pas avoir besoin de répondre à sa manière. Son regard vint capter les yeux rubis de la demoiselle pour répondre à sa question sur le sort de l’homme :

- Ce que je compte en faire ?! Moi, rien. Vous par contre c’est une autre affaire.

Etant donné qu’elle restait sur son perchoir pour le moment, Michiki profita de ses talents de manieur de la terre pour former un siège à large dossier ancré dans le sol. La création de terre et de roche lui fournissait une assise suffisamment confortable pour discuter à loisir.

- Je n’ai pas l’habitude d’épargner des vies. Celle-ci fait exception car je me suis mis un instant à votre place et je pensais que vous seriez ravi de pouvoir prendre revanche sur les misères qu’il souhaitait vous infliger.

Il plongea une main dans sa poche pour ressortir un nouveau scalpel flambant neuf. Et il fit jouer la lumière sur le plat de la lame et pivota l’outil chirurgical de façon à ce que la tâche lumineuse vienne frapper les yeux du prisonnier. Il les cligna très légèrement, gêné par ce petit éclat. Ce qui eut pour simple effet de faire sourire légèrement le nécromancien. Il était un grand enfant quand il le voulait. C’est juste qu’il avait son humour bien à lui. Il cessa de jouer avec la lame pour finalement la jeter d’un geste vif et assuré sur sa cible.

L’outil se planta à deux millimètres de l’oreille. L’homme relâcha brutalement tous les muscles de son corps. Il avait dû penser y rester. Mais ce ne serait pas au Shinda de porter ce coup. L’arme étant maintenant plantée dans le tronc, il la désigna de la main tout en continuant de parler et de regarder Mairu :

- Votre vie de shinobi vous manque peut-être, ne serait-ce que pour ôter une vie misérable. Je vous ai fait ce cadeau dans ce but. Afin de prendre votre revanche sur cette infortune qui vous a frappé et vous aidez à avancer. Une belle manière de conclure une vie de shinobi.

Secrètement, Michiki espérait aussi que ce meurtre permettrait de réveiller les instincts de tueuse de la jeune fille. Il pouvait très bien en faire une alliée par la suite. Avec un peu de formation, il pouvait la faire devenir plus forte après tout. Ce serait à la fois un test pour elle et pour Michiki. Dans son cas, cela lui permettrait de constater quelle genre de femme il avait aidé. Et surtout de voir si ce sauvetage pouvait lui faire gagner quelque chose au final.

Malgré son absence de chakra, la Natsumi ressentait clairement l'aura menaçante qui émanait du nécromancien et qui s'intensifia lorsqu'il leva la tête, au point que la jeune femme se demande s'il allait la tuer alors qu'il se redressait, après avoir balayé la mousse qui était restée sur son faciès.

Ses yeux sanguins le fixant sans se dérober, étrangement Mairu ne ressentait aucune peur face au shinobi qu'elle soupçonnait pourtant être capable de la supprimer sans la moindre hésitation. Ce qui ramena, une fois de plus, la question à son esprit : pourquoi donc l'avait-il épargnée ?

L'homme usa d'une technique pour pouvoir se positionner au niveau de la Natsumi qui le regardait faire avec une certaine nostalgie. il n'y a pas à dire, pouvoir manipuler les éléments était vraiment pratique. S'il y avait bien une chose qui lui manquait actuellement, c'était la facilité de pouvoir faire certaines choses grâce au ninjutsu. Instinctivement, la jeune femme regarda ses deux mains, alors que ses pieds avaient cessé de se balancer. Il lui manquait aussi de tenir ses armes faites de cendres, élément qu'elle avait été capable de manipuler. Pouvoir qu'elle avait en commun avec son défunt grand frère et le fait de ne plus être capable de l'utiliser lui donnait le sentiment de s'éloigner encore plus de l'être qu'elle continuait de chérir même mort

L'ex-kunoïchi ferma ses mains puis cessa de les contempler pour se concentrer sur les paroles de son interlocuteur qui était à présent perché au même niveau qu'elle. N'aimerait-il pas être regardé de haut ? Se demanda la jeune femme intérieurement, tout en continuant de l'écouter.
Elle avait bien raison : le Shinda avait laissé le captif en vie enfin de lui offrir l'opportunité de se venger de la misère qu'il lui avait fait gouter.

« Je vois ! Fit Mairu, après avoir abandonné son perchoir, en sautant sans hésitation sur le sol malgré la hauteur. Il serait bien ingrat de ma part de ne pas accepter le cadeau que mon sauveur m'offre si gentiment ! » Poursuivit la jeune femme tout en se dirigeant des pas tranquilles vers le prisonnier qui trembla de plus en plus face au regard bien glacial qui lui offrait la Natsumi.

Sans crier gare, la jeune femme envoya un violent coup de pied latéral dans la poitrine du captif qui laissa échapper un cri de douleur. L'ex-kunoïchi enchaina ensuite des coups de poing, visant toujours le même endroit, prenant le prisonnier pour un sac de frappe. Elle continua ainsi à alterner les coups qui démontraient que, malgré la perte de son chakra, elle était toujours capable de frapper convenablement. Elle avait été après tous une maitresse en taïjustu. Le combat à mains nues était donc sa spécialité. Le martyrisé finit par cracher du sang qui gicla sur le visage de la Natsumi mais qui poursuivit son acharnement jusqu'à démolir totalement la case thoracique du prisonnier incapable de se défendre.

Ce fut seulement lorsque la victime eut le cou qui se lâcha pour laisser suspendre misérablement sa tête, signe qu'il avait rendu l'âme, que la jeune femme cessa de le frapper.

« Ai-je assez fait honneur à votre offrande ? Questionna la Natsumi sans se retourner. Je ne sais pas pourquoi vous m'avez sauvé mais j'ai une dette envers vous alors je suis prête à céder à vos caprices macabres. Je voudrais cependant que vous sachez que je ne prends aucun plaisir à verser le sang d'un être mais je n'hésiterai pas à le faire pour ma survie et maintenant si vous me l'ordonner afin de m'acquitter de ma dette ... Si vous permettez, je vais prendre un bain ! »

Sans attendre l'accord du nécromancien, la Natsumi se dirigea vers la rivière où, après s'être débarrassée de tous ses vêtements, elle se jeta littéralement, malgré la froideur de l'eau, pour laver le sang qui la souillait. Puis, le dos au rivage, elle examina de nouveau ses mains, étonnée de ne sentir aucune émotion alors qu'elle venait de s'acharner gratuitement sur un homme sans défense. Elle qui pensait avoir changé aurait-elle finalement toujours le cœur entièrement gelé ? Elle avait pourtant versé tant de larmes lorsque le renégat s'était acharné sur elle et lorsqu'on avait tenté de souiller son corps, son cœur s'était affolé.

C'est peut-être mieux ainsi, finit par conclure la jeune femme avant de plonger entièrement dans l'eau glaciale …

Alors que la scène de violence intense battait son plein sous son regard attentif, le nécromancien arborait un léger sourire. Il regrettait de ne pas avoir rencontré cette jeune fille lorsqu’elle était kunoichi. Elle devait être une combattante incroyable. Avec son tempérament, elle ne devait pas être tendre avec ses adversaires. Comme elle le prouvait ici par son acharnement à ôter cette vie à la force de ses mains.

Le malheureux fut battu jusqu’à ce que la dernière étincelle de vie ne quitte son enveloppe charnelle. Le Fossoyeur ressentit clairement cette vie s’éteindre pour offrir à son compte une recrue supplémentaire dans ses rangs. La demoiselle s’était alors arrêtée de frapper dès lors qu’il avait succombé. Elle maîtrisait donc son acharnement. Ce qui n’en était que plus intéressant. Un être qui a le plein contrôle de ses accès de violence est plus redoutable de qui y cède facilement sans les maîtriser. Elle ne se retourna même pas vers son interlocuteur lorsqu’elle prit la parole.

Elle n’était pas qu’un simple soldat aveugle. Elle reconnaissait la dette qu’elle devait au nécromancien mais elle lui précisa bien que c’était uniquement par cette condition qu’elle avait accepté d’ôter cette vie. Ce n’était pas une chose qui lui ressemblait annonça-t-elle. Le nécromancien en prit bonne note. Il allait lui répondre lorsqu’elle formula une curieuse demande. Elle n’attendit d’ailleurs pas son avis pour se diriger vers la rivière à proximité pour prendre un bain. Eclaboussée du sang de sa victime, elle devait vouloir se purifier de son acte de tuerie. Michiki ne s’y opposa pas.

Il prit place à côté du point d’eau. Il s’était levé de son siège pour pouvoir se placer contre un arbre, tournant le dos à la scène de nudité qui se déroulait derrière lui. Ce genre de spectacle n’évoquait rien en lui. Il avait entraperçu une part de l’intimité de la jeune femme. Mais sans effet. Il ne s’était jamais intéressé aux relations entre vivants. Son curieux rapport avec la Mort semblait l’avoir rendu insensible à de tels plaisirs charnels. C’était assez curieux en soit. Il n’avait jamais été confronté à cela mais la sensation de justement ne rien ressentir l’étonna. Pourtant il n’y prêta pas plus d’attention pour le moment. Avant de se déplacer, il avait pris soin de détacher le malheureux cadavre de ses liens pour l’animer et lui donner un ordre simple.

Le pantin de chair revint aux côtés de son maître après quelques minutes. Il était allé jusqu’au cabanon où était hébergée la jeune Natsumi pour y récupérer une serviette. Le Shinda lui reprit l’objet des mains pour l’accrocher à une branche à sa sortie de l’eau. Après quoi le cadavre disparut dans un rouleau d’invocation à la ceinture du nécromancien. Michiki perçut du mouvement derrière lui. La Natsumi avait terminé sa baignade. Il put donc reprendre la conversation qu’elle avait laissée en suspens en s’absentant.

- Sachez que je n’avais là aucun plaisir macabre à vous pousser à cela. Vous étiez libre de refuser. Je me suis juste mis à votre place et j’aurais aimé pouvoir rendre justice si j’avais subi la même chose que vous. Par conséquent je prends note de ne plus vous mettre dans de telles situations si la tuerie gratuite vous répugne.

On ne pouvait pas tous être originaires du pays de la Brume Sanglante. Ce qui rappela une ancienne interrogation qu’il s’était posé lors de son absence et qu’il s’était promis de poser lorsqu’il reverrait l’ex kunoichi :

- Je ne vous l’avais pas demandé au fait mais d’où veniez-vous avant tout cela ? Vous défendiez un village ou vous agissiez pour votre compte ?

Une simple curiosité de sa part qu’il s’était étonné ne pas avoir plus tôt.

La jeune femme émergea de l'eau glaciale quelques secondes plus tard en claquant des dents. C'était la première fois qu'elle plongeait entièrement dans cette rivière où elle se contentait, jusqu'à présent, de ne laver que son corps. Pour ses cheveux, elle faisait, habituellement, chauffer de l'eau. Elle savait que, même pour un être loin d'être sensible au froid comme elle était, plonger la tête dans une eau aussi froide serait bon pour attraper un bon rhume. Chose qu'elle avait complètement oubliée dans son empressement pour nettoyer le sang qui l'avait souillé.

« ATCHOUM ! »

La Natsumi se précipita en dehors de la rivière, tout en s'étreignant vainement de ses bras et s'arrêta devant une serviette suspendue à une branche, non loin de ses vêtements. Un sourire presque invisible s'esquissa sur le faciès, habituellement si inexpressif de l'ex-kunoïchi, puis elle arracha l'objet pour s'essuyer en commençant par ses cheveux.

« Merci, » fil la jeune femme à l'attention du nécromancien qui se tenait juste à quelques mètres de sa position, le dos tourné vers elle.

Attentivement, la jeune femme écouta le shinobi tout en continuant de s'essuyer sans chercher à se cacher. La pudeur était une chose qui lui était complètement étrangère. Tout comme un homme nu ne lui faisait rien, être vue sans rien ne la dérangeait point.

« Il y a quelques semaines encore j'étais une kunoïchi du village caché de Kumo. Lieu où j'ai atterri il y a plusieurs ans de cela, en voulant trouver le corps de mon grand frère. Objectif que je n'ai pas réussi à atteindre, fit la Natsumi d'une voix complètement détachée comme si le fait d'avoir échoué dans sa quête ne l'affectait point. Puis-je en savoir un peu plus sur mon ange gardien ? » Se permit de demander Mairu qui terminait de se rhabiller.

Elle qui, jusqu'à présent ne s'intéressait à la vie de personne, désirait connaitre celle de ce Shinda Michiki. Aurait-elle finalement changé ou bien c'était juste parce que cet homme avait fini par titiller sa curiosité ? Question à laquelle la jeune femme ne pouvait répondre.

« ATCHOUM ! … Si cela ne vous dérange pas, j'apprécierai grandement qu'on continue cette conversation au chaud … À moins que ... cela ne vous dérange pas de me réchauffer ? » Conclut la jeune femme à voix basse, comme si elle avait honte de ses propres propos, tout en reposant sa tête sur le dos du nécromancien.

Le geste était venu naturellement mais ne lui était point habituel. C'était la première fois qu'elle cherchait à se rapprocher d'elle-même d'un de ses semblables. Était-ce parce qu'elle avait entièrement confiance en cet homme qui lui avait sauvé la vie, offert un abri, tout en se montrant si attentionné envers sa personne ?

« Pourquoi vous montrez-vous si attentionné envers moi ? Qu'est-ce que vous attendez de moi ? »

Enfin, elle avait réussi à poser les questions qui la titillaient depuis le départ du nécromancien, après l'avoir déposé dans cette forêt. En quelques minutes, elle venait de coller quatre questions à Michiki. Un vrai record dans la vie de la Natsumi …

Un soubresaut nerveux agita à la fois son nez et son œil. Avait-il bien entendu ? Pas de doute possible en effet. Il s’agissait d’une ancienne Kumojin. Cette information l’obnubilait tellement qu’il laissa passer une première question sans même réagir.

Venait-il de sauver une ressortissante de Kumo de son triste sort ? On dirait bien. Il ne pourrait plus se regarder dans une glace après ça. Parmi tous les villages shinobis de ce monde, et les pays neutres existants, il fallait qu’il soit tombé sur une ex-kunoichi du village qu’il abhorrait par-dessus tout. Il serra des dents à l’idée de son acte. Il n’en serait pas là aujourd’hui s’il avait posé la question plus tôt. La Natsumi avait bien de la chance. Mais elle ne risquait pas d’être éternelle. Il leva son bras, devinant le sceau qu’il avait au poignet, camouflé derrière le tissu de sa chemise. Il referma le poing et ramena sa dextre contre son flanc alors que la demoiselle s’était rapprochée. Elle avait maintenant sa tête posée sur son dos et avait prononcé d’étranges mots.

Il fit volte-face pour la regarder droit dans les yeux. Quelle curieuse déclaration. Qu’il la réchauffe ? Qu’entendait-elle par-là ? Fut un temps encore où il manipulait le Katon et pouvait créer des brasiers à loisir. Mais il avait tellement poussé sa maîtrise du Dôton et l’avait tellement utilisé qu’il était maintenant incapable de former d’autres affinités. C’était comme si ses autres natures de chakra avaient fusionnés avec la Terre. S’il tentait de faire appel à cette part de Suiton qu’il ressentait profondément enfouie, il en sortait de la boue et une terre incroyablement résistante, presque de la roche, lorsqu’il faisait appel à son chakra jadis de nature Katon. Une curieuse réaction de son corps qu’il n’avait pas cherché à comprendre. Le Ninjutsu avait encore ses secrets que l’Homme ne pourrait jamais percer.

Toujours est-il que sa curieuse demande ne lui évoquait pas grand-chose. Il lui avait déjà amené une serviette par l’intermédiaire de son pantin. Il ne pouvait pas faire plus. Mais puisqu’elle semblait disposée à discuter et qu’elle avait froid, il accepta son invitation initiale à rentrer au chaud. Sur le chemin, elle lui posa de nouveau des questions qu’il gardait pour plus tard. Ils arrivèrent dans la cabane où le Shinda utilisa son briquet pour enflammer les bûches dans la cheminée. Il se releva suite à cette action en se tournant vers son interlocutrice :

- C’est tout ce que je suis capable de faire pour vous réchauffer.

Le nécromancien avait beau être un redoutable shinobi, il n’en demeurait pas moins un triste novice dans les relations entre humains vivants. Son rapport très étroit avec la Mort l’avait éloigné de bien des penchants d’une vie normale. C’était donc avec pure innocence qu’il avait répondu à cette remarque étonnante. Venait donc les réponses aux questions plus…épineuses.

- Pour reprendre là où nous nous en étions arrêtés, je ne saurais quoi répondre précisément à votre première question. Tout dépend ce que vous voulez savoir à mon propos à vrai dire.

Ce qui réglait le « Qui est-il ? » :

- Quant à ce qui m’a amené à faire tout cela… Pour être honnête je l’ignore. Je n’ai jamais rien fait sans contrepartie et il est vrai que pour le coup, je ne sais que demander.

Le mensonge transparaissait dans sa tête. Quiconque le connaissait un minimum voyait venir la subtilité de cette conversation :

- Si ce n’est la raison de votre présence ici. Une « ex-kunoichi » de Kumo qui croise ma route, c’est rarement fruit du hasard, quand on connaît l’amour réciproque existant entre votre nation et moi-même.

Le ton s’était raffermi. Il était plus dur, plus sérieux, mais surtout plus incisif.

- Disons donc pour commencer que vous allez m’expliquer en quoi consiste votre mission à mon sujet, sans quoi je me verrais dans l’obligation de vous éliminer.

Un cadavre avait déjà quitté l’enceinte restreinte de son rouleau d’invocation pour venir sur le terrain et se diriger vers la porte qu’il bloqua. Il resta ensuite stationné devant et attendit les ordres de son maître. Ce dernier ne quittait pas des yeux celle qu’il avait pourtant sauvée. Tout ceci n’était donc qu’un jeu d’actrice. Impressionnant cela dit. Elle avait finement joué son rôle et il avait manqué de se faire prendre au jeu. Mais il rétablirait bien vite cette supercherie grossière.

Un nouveau cadavre surgit de sa ceinture pour se placer face à lui. Déposant une main sur l’épaule du corps en décomposition, il y appliqua un sceau avant que le pantin de chair n’entame une marche silencieuse mais funeste vers la Natsumi. Michiki fit quelques pas en arrière avant de reprendre :

- Vous êtes douée. Vous avez bien failli me berner. Mais voyons voir si vous saurez vous débrouiller contre ce sceau explosif. La charge éliminera la personne dont il sera le plus proche. soit vous m’avez menti et vous saurez vous protéger d’une mort horrible, soit cet endroit se verrait arrangé avec le plus grand goût dans des teintes vermillon.

La réaction du nécromancien face à ses réclamation et déclaration ébranla la Natsumi malgré son impassibilité impériale. Pour la première fois, Mairu expérimenta le sentiment de la déception. En une fraction de seconde, elle sentit son cœur se serrer. Incommodité qui ne perdura pas cependant bien longtemps et qui ne troubla point la placidité, presque inébranlable, de son visage, ni le voile dénué de lumière de son regard. Le sentiment de mal être s’était effacé aussi rapidement qu’il s’était manifesté mais là était une preuve que son cœur n’était pas totalement gelé.

Dans la cabane, debout face à Michiki, l’ex-kunoïchi garda la tête baissée, ne désirant pas le défier du regard. Chose vraiment inhabituelle venant de la Natsumi qui ne se pliait que devant ceux à qui elle était supposée obéir.

Attentivement, la jeune femme écouta les accusations du Shindi à son égard. Elle ne releva la tête que lorsque l’homme avait cessé de parler alors qu’un cadavre s’avançait vers elle, menaçant de la faire exploser avec lui.

« Je comprends tout à fait votre méfiance à mon égard mais croyez-moi, je ne vous ai pas manipulé et je ne cherche point à vous nuire. Je l’avoue, on m’a enseigné à manipuler les gens afin d’arriver à mes fins mais jamais je n’ai usé de ce stratagème à votre égard. Notre rencontre n'était que pur hasard. J’ai été sincère avec vous mais il ne dépend que de vous de me croire ... Vous m’avez sauvé la vie par deux fois. Vous m’avez offert un toit alors que je ne savais pas où aller. Je vous serai éternellement reconnaissante pour ce que vous avez fait pour moi ... J’ai été une kunoïchi de Kumo, là est une vérité que je ne veux pas vous cacher mais aujourd’hui je ne suis même plus une kunoïchi mais une simple humaine incapable de manipuler du chakra. Une faible femme qui ne peut même pas se battre pour sa propre survie. Un bien pathétique être qui ne sait pas quoi faire de sa misérable vie, alors, si cela peut vous soulager, je vous offrirai volontiers cette vie que vous avez sauvée ! »

Sur ses derniers mots, la Natsumi écarta ses bras en guise de soumission totale ; prête à se laisser saisir par le patin explosif sans faire preuve d’aucune résistance.

Sans réellement s’en rendre compte, la Natsumi venait d’exprimer à haute voix ce qu’elle pensait de sa propre personne. C’était comme si elle venait de se confier au nécromancien qui cherchait pourtant à la détruire. Sa confidence, involontaire, avait révélé qu’elle avait une bien piètre estime d’elle-même. Mais n’était-ce pas normal venant d’un être qui n’avait jamais cherché à briller ?

Les bras en croix, le regard rivé, sans se dérober, dans celui du Shinda, la jeune femme ne ressentait aucune émotion particulière. Seul un grand vide régnait en son for intérieur. Malgré la gravité de sa situation, elle n’avait pas peur, elle n’était pas triste ni même en colère. Elle acceptait tout simplement sa destinée même si c’était de mourir ici.

Même si elle le désirait, l’ex-kunoïchi ne pourra pas s’échapper face à Michiki. Une évidence qui ne l’aurait pas empêché cependant de se débattre jusqu’au bout car elle était de ceux qui se battaient jusqu’à la fin mais la jeune femme n’avait aucune envie de batailler contre le Shinda, à qui elle était prête à offrir sa vie qui, pour elle, lui appartenait de toute façon ...

Suite à ses mots, l’ex-kunoichi fut entourée d’une très légère brume. Le cadavre, qui avait jusque-là avancé vers elle et qu’elle avait accueilli les bras ouverts, s’en était retourné dans son lieu de résidence. Le parchemin à la ceinture du Shinda était de nouveau plein. Il n’avait pas eu besoin d’être à proximité pour le faire revenir. Une simple quantité de chakra très minime et son pantin était revenu dans sa collection, emportant avec lui le funeste sort destiné à la Natsumi.

Lorsque la fumée d’invocation se dissipa, Michiki se trouvait proche de son interlocutrice. Mains dans les poches et le regard figé vers l’horizon, il était maintenant à son niveau, épaule contre épaule. Sans même tourner la tête, il s’adressa à elle :

- Je veux bien vous croire. Néanmoins à l’avenir ne vous exprimez pas ainsi devant moi. Vous avez beau avoir eu un passé de Kumojin, je n’accepte pas qu’on se lamente de la sorte, encore plus lorsqu’il s’agit de soi-même. Vous avez montré une force d’esprit remarquable jusque-là et je le respecte. Mais ne gâchez pas tout par de si futiles avis sur votre personne. Ce n’est rien de personnel mais ça a le don de me titiller.

Les choses étant clairement énoncées, il franchit les quelques pas le séparant de la porte d’entrée où son deuxième cadavre attendait lui aussi bien sagement. Il connut le même sort que son camarade. L’autre s’était retrouvé à quelques centimètres de Mairu. Si le sceau sur son épaule avait été un vrai, il aurait emporté la demoiselle dans une explosion. Michiki avait attendu le bon moment pour le rappeler afin de s’assurer de la sincérité des propos de celle qu’il avait sauvé. Il lui était difficile de se faire à cette idée. Il n’était pas réputé pour ce genre d’actions et il en était encore surpris. Toujours incapable de répondre à cette fameuse question du « Pourquoi ? ». Ce qui lui rappela leur conversation de base où elle avait tenté d’en apprendre un peu plus sur lui.

La révélation de sa condition de Kumojin avait légèrement interrompu le fil de la discussion mais maintenant que ce « détail » était réglé, ils pouvaient continuer à loisir. Peut-être serait-elle énervée à l’idée d’avoir été ainsi traitée. Michiki ne saurait le dire n’étant pas non plus un grand expert des relations sociales. Son caractère de soldat pouvait en faire quelqu’un de très bourru et d’autres fois il adoptait l’habit de quelqu’un de très subtil, voire de très fourbe. Sûrement ses compétences en nécromancie qui le rendait comme ça et faisait de lui un parfait renard.

Etant maintenant physiquement seul avec la Natsumi, il prit place sur une chaise à table et se laissa enfin aller. Ses épaules s’affaissèrent légèrement alors qu’il s’accordait un peu de détente. Il passa une main dans son cou un peu endolori par la tension accumulée des derniers jours. Les préparatifs pour Kiri et ses responsabilités le taraudaient jour et nuit. Pour une fois, il s’accordait un moment de détente. Il se dirigea donc vers un meuble où il savait rangée la théière du vieux qui habitait ici avant. Il prépara la décoction qu’il mit à chauffer au-dessus du feu avant de finalement se remettre à table avec deux tasses. Il passa ses deux mains sur le visage avant de les ramener contre sa poitrine et de se reculer sur le dossier. Il observa son interlocutrice :

- Qu’est-ce que vous vouliez savoir à mon sujet du coup ?

Un être qui tentait de lui faire comprendre qu’elle valait mieux que ce qu’elle pensait de sa propre personne. Le Shinda n’était pas le premier à lui avoir sorti des remarques de ce genre, mais, contrairement avec les aux autres, elle était presque une inconnue pour Michiki. Bien qu’elle se sentait étrangement proche du nécromancien, ils ne se connaissaient après tout que depuis quelques jours mais elle ne doutait point de la sincérité de ses paroles.

« Dites-moi simplement ce que vous voulez bien me dire sur vous, » lâcha Mairu tout en allant récupérer le tellière que le Shinda avait mis au feu et qui se mit à siffler, signifiant que son contenu était prêt à être servi.

Avec précaution, la jeune femme déversa du liquide fumant dans la tasse posée face au shinobi errant avant de faire de même avec celle qui lui était destinée, puis, elle alla reposer le récipient près du feu avant de revenir vers la table. Au lieu de s’installer elle aussi, de son regard éternellement placide, Mairu fixa le Michiki qui lui paraissait fort exténué. Des pas rassurés, elle se plaça derrière l’homme puis, tout doucement, elle lui enleva ses lunettes.

« Vous permettez ? Lâcha la jeune femme alors qu’elle reposait déjà la paire de verres sur la table, sans attendre l’accord de son possesseur, avant de presser ses pouces sur les tempes du Shinda pour un massage circulaire. Je ne suis pas très douée pour ce genre de chose mais essayez tout de même de vous détendre. »

Elle qui, depuis dix ans, n’avait jamais pris l’initiative de prendre soin d’un être - animal comme humain - se retrouvait à tenter de soulager un homme de sa fatigue. Ceux qui avaient connu la kunoïchi froide et distante qu’elle avait été, seront sans doute offusqués de la voir ainsi en train de masser un être qu’elle connaissait à peine. La Natsumi avait-elle donc changé ? Surement. En tout cas, pour une fois depuis la mort de son grand frère, elle désirait se rapprocher d’une personne. Sans doute parce qu’elle considérait le Shinda comme son ange gardien, après être venu à son secours et lui avoir témoigné d’attention sans savoir qui elle était réellement. Peut-être que depuis toutes ces années, elle qui s’était isolée dans son armure de glace n’attendait qu’un être en ce monde lui témoigne une complaisance sincère pour se libérer de sa prison glaciale.

À l'époque, où elle servait Kumo, Zennosuke était la seule personne qui lui avait témoigné un semblant d’attachement mais la jeune femme avait toujours pensé qu’il faisait cela perce qu’il était son sempai. Malgré cette pensée, Mairu avait cependant tenté de s’ouvrir au Seki mais elle n’avait jamais réussi à s’exposer entièrement à lui.

« Amenez-moi avec vous ! »

Les mots qui s’étaient échappés de ses lèvres sans son contrôle, figèrent les mains de la Natsumi, alors qu’elle s’attelait à présent à masser la nuque de Michiki.

« Désolée ! » S’excusa-t-elle d’une voix gênée, comme si elle venait de commettre un acte d’une maladresse sans nom, avant de se précipiter s’assoir en face du Shinda qu’elle évita de regarder.

Machinalement, elle attrapa sa tasse, d’où s’échappait toujours une fumée épaisse, pour descendre des gorgées de son contenu mais elle se brûla la bouche. Surprise, elle se pressa de reposer le récipient sur la table mais qui se renversa. Du liquide brulant s’écoula rapidement sur ses cuisses, l’obligeant à se relever pour s’essuyer. Se rendant compte de sa maladresse digne d’un enfant, la Natsumi s’excusa, une fois de plus, auprès de Michiki avant de se précipiter en dehors de la tanière. Elle s’enfonça dans la forêt en courant, désirant fuir son désarroi, ou plutôt du Shinda face à qui elle n’arrivait plus à rester l’être imperturbable qu’elle croyait être.

Assise à même le sol, le dos adossé contre un arbre, les jambes ramenées contre sa poitrine, Mairu se demandait ce qui lui arrivait. Son cœur la lacerait et elle ne comprenait pas pourquoi.

N’arrivant pas à résoudre le mystère, elle entoura ses jambes repliées de ses bras puis reposa son front sur ses genoux, cherchant à s’apaiser, tout en se disant qu’elle était tout bonnement ridicule. Michiki était surement en train de la prendre pour une parfaite idiote ...

La jeune femme se montrait d’une compagnie très agréable. Elle qui s’était interrogé sur le Shinda, elle lui signifiait maintenant qu’elle ne souhaitait savoir que ce qu’il accepterait de dire. Une attention qui toucha le nécromancien. Il y avait peu de personnes qui se montraient aussi mesurée dans leur curiosité. Une politesse qui l’apprécia. Il commença même à se surprendre du côté agréable qui se dégageait de l’instant. Il savoura le thé bouillant qu’elle venait de lui servir. Et alors qu’il portait le récipient à ses lèvres, sa vision se troubla légèrement. Ou en tout cas vit-il plus clair sans l’éternel filtre violet qui voilait son regard. Ses lunettes venaient d’atterrir sur le bois de la table suite à une manipulation méticuleuse de la Natsumi qui entreprit par la suite de lui masser les temps.

Toujours aussi étonnant, Michiki se prit au jeu de ne pas répliquer. Le mouvement circulaire décrit procurait un certain bien-être malgré le fait que la demoiselle s’excuse de sa maladresse. Elle l’invita tout de même à tâcher de se détendre. Pour qui connaissait le nécromancien, c’était déjà chose faite. Jamais il ne s’était laissé aller ainsi. Un thé et une présence féminine pour le masser. C’était chose rare. Pô lui-même n’en reviendrait pas. À vrai dire, toute personne ayant croisé sa route au moins une fois resterait bouche-bée devant un tel spectacle. Un cadre qui délia la langue du Fossoyeur pourtant si austère d’habitude :

- Eh bien que dire mise à part que je suis né sur ces terres et que j’y ai grandi. J’ai été autrefois un shinobi de la Brume mais je suis maintenant un vulgaire mercenaire maintenant à la recherche d’un contrat juteux.

Il n’évoqua pas sa position privilégiée au sein du Shûkai. Non pas parce qu’il se méfiait. Pour une fois, il agissait ainsi par respect pour elle et parce qu’il ne souhaitait pas se montrer comme quelqu’un avec de lourdes responsabilités, comme étant quelqu’un d’important se moussant dans son opulence. Il souhaitait juste rester le plus simple possible maintenant qu’il avait une meilleure idée de qui lui massait la nuque.

Alors qu’il allait reprendre, un élan sembla animer Mairu. Elle lui demanda dans la précipitation de l’amener avec lui. Ce après quoi elle s’empressa de s’excuser et de retourner à sa place pour y boire son thé. Mais elle manqua de se brûler et elle renversa sa tasse sur ses cuisses. Elle fut debout en un rien de temps, tout comme le Shinda prêt à aider, mais elle s’enfuit quasi immédiatement, quittant la maisonnée. Il fallut un moment à Michiki pour reprendre sa place. Il restait sous le choc et assez étonné de cette scène à laquelle il venait d’assister. Il n’avait pas eu le temps de tout comprendre que tout était déjà fini. Il passa une main dans son cou, là où se trouvait tout à l’heure les mains de la jeune fille. Alors qu’il reprenait ses verres sur la table, le spectre d’une ancienne amie s’imposa à lui.

Le corps de sa senseï, celle qui l’avait recueilli suite au décès de ses parents, venaient de faire son entrée dans la pièce. Elle marcha d’un pas calme vers la place de la jeune fille et s’écorcha le pied sur un débris de porcelaine cassée. Mais la blessure se résorba d’elle-même comme si de rien n’était. L’Edo Tenseï offrait ce petit avantage à qui était ressuscité par ce biais. Aussi, Kazumi semblait ne jamais avoir souffert des traces de la Mort qui l’avait emporté trop tôt. Elle posa un regard bienveillant sur son ancien élève qu’elle gratifia d’un sourire :

- Elle est mignonne. Pour une fois que quelqu’un d’autre s’occupe de toi.

Michiki resta silencieux à fixer ce qui se trouvait devant lui, même si son regard restait vide. La jeune femme connaissait ces yeux et ne se perdit pas à d’embarrassantes explications avec le Shinda. Maîtresse de ses pensées et de ses mouvements, elle sortit du cabanon de son ancien ami lui aussi décédé pour retrouver la jeune fille. Plongé dans sa solitude, le Fossoyeur en profita pour rassembler les restes de la tasse s’étant écrasée au sol avant de se poser devant l’âtre de la cheminée, l’air pensif.

Il ne fallut pas longtemps à Kazumi pour trouver ce qu’elle cherchait. Perdue au milieu des bois, la Natsumi s’était comme recroquevillée sur elle-même. Aussi la senseï de Michiki s’évertua à arriver le plus délicatement possible mais tout en se faisant assez remarquer pour ne pas surprendre la pauvre petite. Lorsqu’elle fut assurée qu’elle avait été repérée, elle leva une main bienveillante pour se signaler tout de suite :

Spoiler:

- Tout va bien ne t’en fais pas ! Je suis une ancienne amie de Michiki.

Elle s’agenouilla ensuite pour se mettre au niveau de Mairu et lui présenter ses iris si particulières. Si l’Edo Tenseï était un jutsu permettant au corps ressuscité de se reconstituer, il avait la facheuse tendance de rendre les yeux très sombres. Si la Natsumi était familiarisé avec cette technique, elle en reconnaîtrait la signature. Pourtant, le noir remplissant la partie traditionnellement blanche n’empêchait pas d’apprécier la teinte jaune chaleureuse qui se dégageait de ses grands yeux. Gratifiant d’un sourire sincère la jeune fille, elle reprit la parole :

- Tu ne préfères pas retourner au chaud ? Tu vas attraper froid ici et il serait obligé de revenir te chercher. Il a beau être un peu spécial, il a bon fond tu sais. C’est un garçon charmant et adorable.

Là encore, très difficile à croire lorsque l’on connaissait le Nécromancien de Kiri.

Un garçon charmant et adorable, là était justement peut-être le problème.

Mairu n'était plus habituée à recevoir de la bienveillance d'autrui alors, voir Michiki se montrer si prévenant envers elle, qu'il connaissait pourtant à peine, perturbait au plus au point la Natsumi.

N'étant pas une idiote ni un enfant, Mairu avait fini par comprendre ce qui lui arrivait mais son être refusait d'admettre que là était la réalité. Elle savait la cause de son trouble en présence du nécromancien. Elle était tout simplement en train de tomber amoureuse de son sauveur et ange gardien. Idée qu'elle tentait de rejeter mais peut-on seulement ignorer ce genre de sentiment ? Elle aimerait bien le savoir mais n'ayant jamais éprouvé une telle émotion auparavant, elle ne pouvait répondre à cette question. Et si elle étouffait ce qu'elle ressentait, ce sentiment indésirable finirait-il par disparaitre ?

« Je n'ai pas froid, finit par lâcher la jeune femme, toujours recroquevillée. Elle s'était retenue d'ajouter qu'elle avait juste mal au cœur. Est-il comme ça avec tout le monde ? Je veux dire, est-il toujours aussi gentil avec tout le monde ?
- Non pas avec tout le monde. D'ailleurs la plupart des personnes le prend pour un être qui n'apprécie ses semblables qu'en état de cadavre. D'habitude, il se montre plutôt froid mais s'il a décidé d'être différemment avec toi, sans doute qu'il ne te considère pas comme un danger pour lui. Je pense même qu'il t'apprécie vraiment. Je ne l'ai jamais vu prendre soin de quelqu'un comme il le fait avec toi … J'en suis presque jalouse, conclut la morte ramenée à la vie d'un ton affable malgré son dernier propos.
- S'il m'apprécie tant que ça pourquoi n'est-il pas venu me parler en personne ?
- Malgré l'apparence, c'est un garçon timide, tout comme toi j'ai l'impression. »

Après un court silence, durant lequel Mairu avait fini par se calmer, la jeune femme décida de se relever enfin.

« Merci, » fit la Natsumi au fruit de l'Edo Tenseï avant de se diriger des pas lents vers la cabane pour y trouver Michiki près du feu.

« Désolée d'être partie de la sorte, fit Mairu, à peine avoir franchi le seuil de la porte. Je ne sais pas ce qui m'a pris, mentit-elle, mais je vous promets que ça ne se reproduirait plus … Comment vous sentez-vous ? Vous devriez peut-être vous reposer ! … Avez-vous décidez de partir aujourd'hui ? »

Tout en l'accablant de questions, la Natsumi fuyait le regard du nécromancien par peur qu'il puisse lire en elle. Qu'il puisse découvrir ce sentiment qui naissait en elle à l'égard de cet homme et qui n'était peut-être pas réciproque. Elle avait peur qu'il la rejette si jamais il apprenait la vérité. Si seulement, elle pouvait détruire cette émotion qu'elle aurait préféré ne jamais ressentir car il l'empêchait d'être sincère comme elle le désirait envers le Shinda ...

Le Shinda fixait distraitement le feu dansant dans l’âtre de la cheminée. Ses pensées happées dans les Limbes, il songeait à la situation actuelle. Il se retrouvait logeur et sauveur d’une ex-Kumojin dont le comportement incompréhensible le laissait plus que perplexe. Et cette sensation très particulière qui l’avait fait baisser sa garde le temps d’un léger massage. Tout ça ne lui ressemblait pas. Il en était presque chamboulé. Il savait garder un contrôle de lui-même en toute circonstance et la surprise se devait d’être bien dosée. Très difficile à faire dit comme ça. Mais l’habitude et l’entraînement avait fait de Michiki un être rompu à cet exercice.

Assis à proximité du foyer, il se pencha à peine pour venir chercher une bûche supplémentaire posée à côté pour l’enfourner ensuite dans le brasier qui reprit de plus belle. Le ballet infernal l’hypnotisait pour le laisser face à ses songes. Une torpeur interrompue par l’arrivée de son invitée qui revenait de la forêt. Kazumi semblait avoir fait ce qu’elle voulait. Il ressentit sa présence et son âme apaisée d’avoir aidé cette jeune demoiselle. Restée dehors, le cadavre de son ancienne senseï disparut sous les ordres de celui maître de son corps. Il ressentit sa présence sur son flanc, dans l’un des rouleaux à sa ceinture qu’il tapota discrètement alors que la Natsumi s’excusait pour sa réaction d’il y a quelques minutes et se souciait de l’état du Shinda. Ce dernier agita une main devant lui pour la rassurer :

- Ne vous en faites pas ce n’est rien. Et je ne suis pas pressé non plus mais si la fatigue vous emporte je peux vous laisser. Je ne serais pas loin de toute façon je reste au pays pendant encore un moment.

Mécaniquement, il tourna sept fois la langue dans sa bouche avant de dire une ânerie pouvant le compromettre. Il n’avait pas évité le sujet de sa fonction ici pour tout griller maintenant. Son esprit éluda les parties compromettantes pour en ressortir quelque chose correspondant à sa version des faits précédente :

- J’ai encore quelques contrats qui m’occupent ici voyez-vous. Aussi je ne sais pas encore pour combien de temps j’en aurais. C’est tout le charme d’une vie de vagabondage.

Il avait prononcé cette dernière phrase en l’accompagnant d’un léger sourire pour étayer ses propos. Même si pour une fois, il n’éprouvait pas une grande fierté à lui dissimuler cette vérité. Mais l’Empire n’avait pas bonne réputation comme toujours et, comme tout à l’heure, il ne tenait pas à étaler sa fonction ainsi. Cela ressemblerait à de la vantardise, de la poudre aux yeux. Chose dont il n’était pas particulièrement friand. Surtout dans ce genre de contexte le déchargeant de toute responsabilité quelconque. Il n’y avait ici que Shinda Michiki conversant avec Natsumi Mairu, la sœur du défunt Haru.

- Et vous quels sont vos projets ? Que souhaitez-vous faire maintenant ?

Michiki se rendit compte naïvement qu’il venait de se contredire lui-même. Une bourde causée par une étourderie passagère. Lui qui venait de l’assurer qu’il ne s’éterniserait pas si elle avait besoin de repos, il s’installait en relançant la conversation. Il se redressa et agita de nouveau sa main comme pour effacer ce qu’il venait de dire :

- Euh pardon excusez-moi je ne vais pas vous embêter avec ça si vous souhaitez vous reposer !

L'amour a ses raisons que la raison ignore. Voilà exactement ce que la Natsumi expérimentait actuellement. Voilà dix ans que son cœur ne s'était pas emballé ainsi. La dernière fois qu'elle avait senti celui-ci s'affoler c'était lorsque le désespoir avait fait naître en elle une rage qui l'avait poussé à vouloir tout détruire lorsqu'elle avait appris la mort de l'être qu'elle chérissait le plus. Ce jour-là, animée par une rancœur contre le monde entier, elle avait massacré des hommes qui n'avaient rien à voir avec le décès de son grand frère mais qui avaient eu juste le malheur de l'importuner au mauvais moment. Elle s'était acharnée sur les malheureux pour se vider de son irascibilité et lorsqu'elle avait réussi enfin à se clamer, elle avait fixé ses mains souillées par le sang des innocents sans ressentir la moindre émotion. Son cœur avait comme cessé de battre. Depuis lors, sur les champs de bataille, elle s'était battue et avait tué tel un patin au service de Kumo. Aucune volonté ne l'avait poussé à prendre part à une bataille mais elle y avait pris part parce que là était son devoir en tant qu'une kunoïchi d'un village caché. Et à chaque victoire remportée, elle n'en puisait aucune satisfaction car elle avait juste accompli sa tâche. On pouvait l'assimiler à un parfait soldat dénué de tout sentiment. Aucun ennemi - même redoutable était-il - n'avait réussi à faire naitre en elle la peur qui semblait avoir déserté sa personne comme tous les autres sentiments : joie, regret, compassion ... Depuis ce jour, plus rien n'avait réussi à raviver son cœur glacé, du moins jusqu'à aujourd'hui.

« Vous pouvez rester aussi longtemps que vous le désirez. C'est chez vous ici après tout et … ça me fait plaisir d'avoir un peu de compagnie ... Je vais préparer le diner. »

Mairu s'attela à préparer le repas qui était composé des brèdes l'astron et un lièvre qu'elle avait chassé la veille. En quelques jours, l'ex-kunoïchi avait réussi à s'adapter à sa une nouvelle vie dans cette forêt qui, malgré le côté bien lugubre, recélait des animaux et des plantes sauvages comestibles.

Le diner préparé, le Shinda et la Natsumi se mirent à table alors qu'un silence pesant s'était installé entre eux. Mairu qui jusque-là cherchait toujours à fuir le regard de Michiki, le fixa enfin alors qu'il était assis en face d'elle, de l'autre côté de la table.

« J'espère que vos projets aboutiront sans trop d'encombre. Privée de mon chakra, je ne suis qu'une faible femme mais si jamais vous avez besoin de mon aide, vous savez où me trouver. »

Par ces quelques mots, la Natsumi venait de répondre à la question que le nécromancien lui avait posée concernant ses projets : elle n'en avait aucun. Elle comptait rester dans cet abri où il l'avait déposé, du moins jusqu'à ce que l'envie de partir la gagnera. Chose qui n'effleurait aucunement son esprit présentement.

Le repas terminé, la jeune femme débarrassa la table puis fit la vaisselle. Elle cherchait à s'occuper pour ne pas trop penser à la présence de Michiki qui, tout en lui faisant plaisir, lui serrait le cœur. C'était tellement douloureux de contenir ce sentiment qu'elle ressentait pour cet homme. L'envie de tout lui déclarer la tenaille mais elle avait peur de le faire fuir.

La Natsumi maudissait ce qu'elle ressentait au point qu'elle avait envie de s'arracher le cœur.

Pourquoi donc son cœur s'était remis à battre ? Il était tellement plus commode de ne pouvoir rien sentir.

Une assiette se brisa sur le sol alors que la Natsumi cherchait à la ranger.

« Désolée ! » S'empressa-t-elle de s'excuser tout ramassant les morceaux de l'objet cassé.

Dans sa fébrilité, Mairu se coupa un doigt qui se mit à saigner rapidement. Elle fixa un moment sa blessure - dont la douleur était bien moindre par rapport à celle de son cœur - puis elle retomba sur ses jambes repliées alors qu'elle baissa la tête pour cacher son visage.

« Pourquoi ? Pourquoi ressens-je ce sentiment insupportable ? Lâcha-t-elle tout en portant sa main blessée au niveau de son cœur, se souillant avec son propre sang. Elle releva ensuite la tête pour fixer le nécromancien. Pouvez-vous m'arracher ce cœur qui me fait trop mal ? … Je n'en peux plus ! ll me rend maladroite et me serre de l'intérieur. Je ne veux plus le sentir ! »

Au lieu d'assumer ce qu'elle ressentait et décaler son amour à Michiki, Mairu était en train de rejeter ce sentiment qui lui était devenu trop insupportable. Sa douleur, seul le nécromancien pouvait l'en soulager, d'une façon ou d'une autre …

La Natsumi s’improvisa femme au foyer en proposant à son sauveur de préparer le dîner. Il semblait ne pas la déranger. Elle se réjouissait d’ailleurs d’un peu de compagnie. Le commun des mortels semblait y attacher de l’importance. La solitude leur pesait. Le Shinda avait du mal à comprendre. Il n’était jamais vraiment seul vu les « compagnons » qu’il trimbalait partout avec lui mais il ne les considérait plus vraiment comme des personnes malgré leur passé d’êtres vivants.

Après quelques instants à s’affaire aux fourneaux, la jeune demoiselle servit une assiette à Michiki qui l’observa retourner à sa place. une fois installée, il lui accorda un bref hochement de tête ainsi qu’un léger sourire en coin.

- Merci, dit-il simplement.

Ils mangèrent tous deux dans un silence omniprésent qui fut néanmoins rompu par l’intervention de Mairu. Elle lui souhaitait la réussite pour ses projets. Il ne les avait pas détaillés pour ne pas vanter sa position au sein de l’archipel. Mais même en ignorant leurs natures, l’ex-kunoichi semblait se soucier de leur bonne réussite. Michiki ressera légèrement ses mâchoires lorsqu’elle recommença à se dénigrer. Il décida de ne pas relever cet élément, ou en tout cas de ne pas lui faire remarquer. Elle lui témoignait tout son soutien et ne manquerait pas de l’aider comme elle le pouvait selon ses dires. Une attention toute particulière qui interloqua le Shinda l’espace d’un instant avant d’en retourner à son souper.

Une fois les écuelles vides, elle entreprit de débarrasser, ne laissant le temps à son interlocuteur de l’aider. Elle devait être soucieuse de se rendre utile à quelque chose. Aussi il décida de ne pas la freiner. Sa situation si particulière ne devait pas être facile à gérer après une vie de shinobi. Il la regarda faire et se redressa lorsqu’elle fit tomber maladroitement une assiette. Il s’approcha pour l’aider à ramasser mais elle s’écorcha le doigt sur un tesson de porcelaine. Portant sa blessure contre elle, ses vêtements commencèrent à se nimber de quelques gouttes cramoisies alors que la pauvre jeune femme exprimait son mal-être à voix haute. Accroupi à son niveau, Michiki ne la quittait pas des yeux et l’écouta parler.

Elle semblait souffrir d’un mal intérieur qu’elle-même ne comprenait pas au point de demander au Shinda de lui arracher le cœur. Le genre de supplication qu’il adorait en d’autres circonstances mais qui ne le réjouissait pas plus que ça ici. Ce qu’il ne manqua pas de faire remarquer à la Natsumi :

- Arracher un cœur m’est chose aisée mais cela risquerait de vous faire encore plus souffrir que maintenant ! tenta-t-il de dire avec une pointe d’ironie.

Puis il se releva pour se saisir d’un torchon sur le plan de travail à côté. Il en déchira quelques bandes à mains nues afin d’en faire des bandages improvisés. Après avoir nettoyé la plaie sur le doigt avec un peu d’eau, il entreprit de délicatement enveloppé la blessure d’un linceul immaculé pour empêcher la plaie de s’infecter et de s’ouvrir au moindre mouvement. Alors qu’il serrait petit à petit l’étreinte de coton, il releva la tête légèrement pour capter le regard de la demoiselle et ainsi lui adresser quelques mots :

- Vous ne vous sentez pas bien ? Vous couvrez peut-être quelque chose. Ne me dites pas que vous vous êtes nourris des baies pourpres qu’on trouve dans ces bois ! Si c’est le cas ce n’est pas étonnant que vous souffriez ainsi.

Il termina de nouer le nœud du pansement avant de se replonger dans les rubis de la Natsumi en attendant une réponse de sa part. Il n’était pas expert dans les antidotes mais pouvait peut-être faire quelque chose pour la soulager de son mal. Seulement il ne réalisait pas qu’il n’y avait rien à voir avec la science ici. Seulement une notion bien plus forte qui lui échappait totalement.

Mairu baissa le regard, se dérobant ainsi à celui de Michiki, alors que l’hésitation de tout lui révéler l’étreignait.

La Natsumi se demandait si le Shinda n’identifiait réellement pas la vraie source de son mal-être ou s’il faisait exprès de ne pas la comprendre. Elle lui était difficile de croire que le nécromancien n’avait aucune connaissance sur la relation entre un homme et une femme mais elle reconnaissait pourtant que cela était fort possible. Elle n’était pas sans savoir que nombreux étaient des shinobi qui préféraient exclure de leur vie ce genre de relation qu’ils jugeaient bien frivole donc une réelle perte de temps. Elle-même avait pensé dans ce sens avant de se rendre compte de ces sentiments qui la poignardaient à cause cet homme alors qu'elle n’avait rien demandé.

L’amour avait fleuri dans son cœur qu’elle pensait pourtant ne pas être assez fertile pour que ce sentiment futile y pousserait. Le sentiment néfaste s’était imposé en elle telle une mauvaise herbe mais qu’elle n’arrivait pas à arracher. Comme une maladie qui se rependait, elle s'enracinait de plus en plus profondément au fur et à mesure qu’elle se rapprochait du Shinda.

« Je n’ai rien mangé de toxique, » finit par lâcher la jeune femme d’une voix désespérée. Merci pour le soin ajouta-t-elle tout en toisant de nouveau Michiki.

Il était si proche que le cœur de l'amoureuse s'emballait de plus belle, menaçant de s'expulser de sa case thoracique. Celui dont elle convoitait l'amour pouvait certainement percevoir les battements anormaux de ce muscle qui avait le don de la faire souffrir à sa guise.

Les ongles de la Natsumi griffèrent ses cuisses sur lesquelles ses mains étaient reposées alors qu'elle tentait de refréner son envie de se jeter sur le Shinda. Ne pouvant plus supporter cette souffrance que lui seul pouvait soulager, la jeune femme finit par céder au caprice de son cœur et se retrouva en faction de seconde blottit tel un enfant contre Michiki qui ne devrait rien comprendre.

La tête reposée contre la poitrine du nécromancien et ses bras lui ceinturant fermement la taille comme pour ne plus jamais le lâcher, une fois de plus, elle évita de le regarder dans les yeux.

« Seul votre cœur pourrait soulager le mien ! Finit par déclarer la Natsumi. Je suis vraiment navrée. Je n'ai pas souhaité vous aimer mais mon cœur en a décidé autrement ! Rejetez mes sentiments s'ils vous incommodent. Je ne vous en tiendrais pas rigueur car vous n'avez rien demandé … Pardonnez la faiblesse d'une femme que je suis ! »

Ceux qui la connaissaient seraient restés bouche bée ou même victimes d'une crise cardiaque s'ils voyaient la Natsumi, réputée avoir un cœur de glace, fondre de la sorte dans les bras d'un homme.

L'amour changeait réellement un être …

Le Fossoyeur ; adepte de la Nécromancie, ancien Kirjin et chef du Misuto, l’unité d’élite de Kiri la Sanglante où il avait été introduit par son senseï de l’époque ; se retrouvait en bien mauvaise posture et il n’aurait jamais eu l’once d’une idée qu’il s’agirait de ce type de contexte. Le genou à terre, il faisait face à cette femme qui avait l’air totalement perdue. Elle se plaignait d’un mal la rongeant de l’intérieur. Lui qui avait d’abord songé à la piste médicale, elle démentit sa théorie en lui assurant qu’elle n’avait rien avalé de toxique. Puis elle le remercia du pansement improvisé qu’il lui avait noué au niveau de sa blessure.

Ayant mis à mal sa déduction, il tâcha d’y remédier en essayant de dénicher une autre piste probable. Si ce n’était pas cela, ça avait sans doute avoir avec quelque chose de plus profond, sans doute psychologique. Puis il s’en voulut presque de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le traumatisme de tout perdre. Elle était passée du stade de shinobi à simple civile. Un tel sentiment d’impuissance devait forcément avoir des répercussions. Il y avait pensé la première fois qu’il l’avait croisé et il s’était posé la question sur le coup si elle n’en souffrait pas trop. Il avait été étonné de ses réactions. Agréablement surpris même. Il s’était fait la remarque qu’une telle force d’esprit cachait un fort tempérament et une femme très forte pour ainsi supporter un tel bouleversement. Mais à force de prendre sur elle, peut-être avait-elle craqué et c’était ici les prémices de cette perte de contrôle. Son raisonnement lui paraissait parfaitement logique. Comme une réponse à cette déduction silencieuse, elle fondit dans ses bras avant qu’il n’ait eu le temps de réaliser. Un peu maladroit, il la laissa sans lui rendre cette étreinte, trop surpris de cette réaction. Lui qui pensait avoir vu juste, elle démonta une nouvelle fois sa certitude.

Le problème semblait encore plus profond et pour le coup, il impliquait directement le Fossoyeur qui était à des lieues d’imaginer qu’il y était pour quelque chose. Il n’avait pas fait grand-chose. Qu’elle estime avoir de la reconnaissance pour lui passe encore mais il ne s’était pas rendu compte que de tels actes pouvait avoir une telle répercussion. Il se retrouvait donc avec une âme en peine « amoureuse » de lui. C’était comme ça que les gens disaient il lui semble. Bien embêté par la situation, il commença par ramener une main pour encadrer les épaules de la jeune femme. Ces derniers mots lui avaient une nouvelle fois attiré une crispation de la mâchoire. Qu’elle se dénigre ainsi ne lui plaisait guères. Aussi profita-t-il de sa position pour la saisir plus fermement et l’inviter à se relever. Il lui passa un doigt sous le menton pour lui faire relever la tête et planter son regard dans ses yeux :

- Il me semblait avoir été clair, ne vous dénigrez plus ainsi. C’est déjà une belle réussite d’en être arrivé là malgré ce qui vous est arrivé. Ne négligez pas votre force d’esprit. Vous ne devez pas réaliser à quel point vous êtes une battante.

Venait la question qui s’avérait épineuse pour lui. Il était de suite moins à l’aise. En même temps il n’avait jamais été confronté à pareille situation et il s’avérait maladroit dans ses choix et décisions. Il prit une main de la jeune fille pour la déposer brièvement sur sa poitrine à gauche.

- Pensez-vous réellement qu’il vous libèrerait de ce mal ?! demanda-t-il.

La Natsumi se contenta de baisser la tête, telle une gamine prise en faute, lorsque le Shinda lui fit remarquer pour la énième fois qu'il n'appréciait pas l'entendre se dénigrer mais c'était plus fort que la jeune femme. On pourrait croire que L'ex-kunoïchi manquait de confiance en elle mais en réalité, elle n'avait juste pas d'estime pour sa personne.

Lorsqu'elle était au service du village caché de Kumo, elle s'était contentée d'exécuter ses devoirs en tant que kunoïchi sans jamais chercher à briller mais sans pour autant s'effacer. Elle ne s'était jamais considérée comme un être utile, ni inutile. Telle une marionnette, elle avait exécuté les ordres qu'on lui donnait sans jamais broncher. L'ambition, était quelque chose qui lui était totalement étranger.

La Natsumi avait commencé à avoir une opinion sur son être seulement depuis que son chakra avait été scellé. Les désagréments qui avaient suivi la perte de celui-ci lui avaient fait vite comprendre la faiblesse de n'être qu'une simple femme sans aucun moyen de défense. Sans l'intervention du nécromancien, elle ne serait plus de ce monde depuis un moment. Était-ce d'ailleurs ce fait qui l'avait fait tomber amoureuse de cet homme ? Elle ne pouvait répondre à cette question. L'amour était un mystère que même ceux qui l'avaient déjà vécu plein de fois n'arrivaient pas à résoudre alors ce n'était pas elle qui l'expérimentait la première fois qui y parviendrait.

Un semblant de sourire s'esquissa le faciès de la Natsumi lorsque le Shinda posa une de ses mains au niveau de son cœur.

« Oui mais je ne veux pas vous imposer mes sentiments, » fit Mairu alors que, comme pour contredire ses propos, sa main glissa furtivement sous le haut entre-ouvert de celui qui venait de dérober son cœur.

Sans lui laisser le temps de répondre, la jeune femme se mit sur les pointes de pieds pour glisser son visage au creux du cou du Shinda. Tremblantes, ses lèvres y déposèrent un baiser avant de descendre plus bas pour en déposer un au niveau du cœur du Shinobi qu'elle convoitait. La Natsumi se redressa ensuite, plongeant son regard avide dans celui de Michiki alors que ses mains se mirent à défaire les boutons de la chemise de ce dernier. Silencieusement, elle lui communiquait son désir de vouloir plus que son cœur.

La Natsumi n'avait aucune expérience en amour mais elle laissait son cœur et son instinct d'une femme amoureuse guider ses gestes. Et ceux-ci la poussaient à présent à s'offrir à cet homme même s'il ne partageait pas ses sentiments tout en admettant le fait qu'il était en droit de la rejeter. Chose qu'elle était prête à encaisser car elle préférait cela que de le voir se forcer à l'aimer …

Ayant vécu la guerre, participé à la défection de Gogyou Makka en combattant le Shodaime Mizukage sous Edo Tenseï, affronté le Shodaime Raïkage, perdu des camarades au combat, parti en exil pendant presque quatre ans, ayant assassiné un Daimyô surprotégé et ayant mené les troupes impériales à Mizu no kuni lors de la conquête ; le nécromancien avait accompli bien d’autres choses mais il se retrouvait aujourd’hui sous le joug d’une nouvelle épreuve dont il ne savait trop se défaire.

Une femme qui semblait éperdument amoureuse. Par quelle arme pouvait-on combattre ce mal ? En arrachant le cœur comme elle lui avait demandé ? C’était un peu excessif. Michiki se retrouvait perdu face à cette situation nouvelle pour lui. Il n’avait jamais été approché de la sorte. Alors qu’elle lui répondait et glissait une main par le col entrouvert de sa chemise, il frissonna intérieurement de ce contact. Alors qu’elle glissa sa tête dans le creux de son cou, il put sentir le parfum de la jeune femme. Une fragrance naturelle pas désagréable qui le mit mal à l’aise. Elle se remit à plat sur ses pieds pour lui embrasser la poitrine et elle commença à déboutonner sa chemise.

Le réflexe fut immédiat, instinctif mais très mesuré. La main armée s’était levée très délicatement. Un scalpel invoqué par le biais d’un sceau tracé dans la paume de sa main. Un outil auquel il était habitué et qui avait beaucoup œuvré pour lui. L’utilisait-il à ce moment précis pour se tirer de ce mauvais pas ? Un moyen de se rassurer sûrement. Lui-même avait du mal à comprendre sa réaction. Les informations que lui véhiculait son cerveau se contredisaient. Il ne savait quoi faire, quoi dire. Comment réagir. Le Nécromancien de Kiri mis à mal par une simple femme à la beauté non négligeable. Si ses camarades de combat le voyaient, ils seraient hilares ou trop étonnés pour dire quoique ce soit.

Son geste avait jeté un froid. L’espace d’une seconde après il s’était décidé à prendre la parole :

- Pardonnez-moi. Un réflexe…

Puis aussi soudainement que son armement d’il y a quelques temps, il franchit les derniers centimètres séparant leurs visages pour déposer un baiser sur les lèvres de la jeune femme. L’instant fut court et il recula alors légèrement sa tête, lui-même trop surpris par ce qu’il venait de faire. Presque torse nu, il réalisait bien que la situation avait sûrement franchi un stade de…non-retour ? Mais il ne pouvait s’empêcher de se questionner encore une fois sur le pourquoi du comment. Il n’arrivait pas à expliquer son baiser alors comment expliquer cet amour naissant pour lui ?

- Ne pensez-vous pas que c’est notre relation qui fausse votre sentiment ? Le fait que je vous ai sauvé. Je ne suis pas celui que vous croyez vous savez. Il y a beaucoup de choses que vous ignorez à mon sujet.