Premier souvenir : Dans le sang.

« Alors tu l’as finalement tué ? »

L’homme avait marché sans hésiter dans la maison, lieu d’un massacre qu’il redoutait. Face à lui, un jeune homme lui tournait le dos. On l’appelait tous Tsuhiro, mais pour le Barbare, il méritait un autre nom. Mais il avait encore le temps d’y réfléchir. Pour l’instant, il fallait gérer le choc que l’adolescent d’à peine treize ans devait probablement ressentir. Après tout il venait de tuer… son père.

« Il le fallait. »

Tsuhiro se retourna mais son regard frôlait le sol et n’alla jamais en direction du tyran de son village. Il se contenta de sortir en s’essuyant les mains éclaboussées du sang paternel. Hoto, qui régnait sur le village civil depuis quelques temps maintenant le laissa partir et le regarda, sachant que s’offrir les pleins services de ce jeune homme aux pouvoirs si particuliers n’était plus qu’une question de temps.

Avait-il pu imaginer que cet enfant de treize ans irait jusqu’à tuer son père ? Non. Mais dès que certains de ses soldats lui avaient rapporté que le père, Toshiro était devenu extrêmement violent avec sa femme, Omira, il avait jugé que le mieux serait de prévenir le principal concerné. Mais l’adolescent était allé bien plus loin que prévu…

Le gamin aux cheveux blonds resta dehors toute la nuit, et les gardes le virent immobile pendant de longues heures à fixer le ciel. Hoto au lever du jour alla le rejoindre les bras croisés derrière son dos.

« C’était courageux de ta part, de tuer ton père pour venger ta mère.
─ Ce n’était pas une vengeance. Il devait simplement payer pour ce qu’il avait fait. Et c’était aussi pour me protéger : s’il a été capable de frapper à mort ma mère, il aurait fini par le faire avec moi.
─ Tu es jeune, mais la Grande Guerre a fait de toi un jeune homme digne. Mais la personne que tu as tuée, c’est ton père. »

Pour la première fois, Tsuhiro posa son regard sur celui du dictateur de son village. Il était intrigué, et tout de même un peu perdu. Et au fond, il n’avait plus grand monde à qui parler. Son

« Que voulez-vous dire ?
─ Ton père n’aurait jamais crû que tu le tuerais. S’il s’en était douté, jamais tu n’aurais gagné. Tu es encore faible.
─ Vous allez me proposer de m’apprendre à devenir plus fort, c’est ça ? C’est un peu trop prévisible.
─ Non. Je veux faire de toi un homme. »

Tsuhiro s’esclaffa. Hoto fut quant à lui surpris de voir ce gamin de treize ans lui rire au nez, mais ne put s’empêcher d’esquisser un sourire.

« Vous avez été expulsé du village il y a de ça des années, et vous êtes revenus avec une armée pour le reprendre de force. Vous êtes un tyran qui n’hésite pas à tuer même vos hommes de main qui prennent trop d’importance. Alors comment puis-je vous faire confiance ?
─ Ah mais je ne t’ai jamais demandé ça. Ne fais confiance à personne, surtout pas à moi. »

Le tyran sortit de sa poche un kunaï et s’amusa à le faire pivoter entre ses mains. Il était d’une habilité déconcertante, mais c’était surtout la situation qui perturbait un tantinet le jeune blond. Mais dans un dernier tour sur elle-même, l’arme pointa son manche vers Tsuhiro.

« Tu as des pouvoirs singuliers, m’a-t-on dit. Sois à mes services et…
─ Et je n’aurai pas la gorge tranchée ?
─ C’est vrai que c’est une méthode que j’affectionne, mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Sois sous mes ordres et un jour, qu’importe si tes adversaires s’y attendront ou pas… tu gagneras. »

Fébrilement l’adolescent empoigna le kunaï. L’homme qui lui faisait face esquissa un sourire qui sonnait extrêmement faux et présentait une certaine impatience.

« Bon, tu vas me la présenter cette particularité ?
─ Oui, monsieur. »

Tsuhiro avait perdu sa mère et tué son père en deux jours d’intervalle, mais il était déjà en train de penser à autre chose. Il n’oubliait pas non mais il ne souffrait presque déjà plus. Né au cœur de la Grande Guerre, les batailles et le fait que leur village soit gouverné par ce tyran d’Hoto avait forcé l’enfant à s’attendre tous les jours à ce que ses parents meurent. Et aujourd’hui, maintenant que c’était chose faite, il ne ressentait presque rien. Le futur inattendu qui s’ouvrait à lui avait pris le dessus.