Son esprit était tellement tourmenté que la douleur de son bras ne l’affectait presque plus. Non, il était tellement occupé à réfléchir qu’il en avait presque oublié le fait qu’il s’était tranché l’avant-bras. Mais parfois, son esprit s’évadait pour ne penser à rien d’autre qu’à… Kuchibashi. Depuis longtemps, Tsumei pouvait parfois être d’un calme spirituel et d’un silence parfait : même sa lame qui cliquetait parfois dans son esprit n’était plus là. Plus que jamais, le Karasu était seul, et c’était ainsi qu’il volait au-dessus du Pays de la Foudre, à dos de sa majestueuse chouette blanche.

Jamais il n’avait regretté ce qu’il avait fait, et ce qui venait de se passer ne faisait pas exception. Il avait fait tout ça pour le village ; pas pour lui. Il avait fait tout ça pour le monde entier ; pas pour toucher Konoha. Mais après sa rencontre avec Obli, il avait pour la première fois perdu. En une action, le Furyou avait fait ce qu’il pouvait y avoir de pire à faire à l’encontre du Raïkage. Ce dernier s’était préparé à mourir, à perdre la mémoire, à être désorienté… mais jamais à voir Kuchibashi partir. Hormis un tel monstre comme ce Furyou, qui aurait pu croire que la seule faiblesse du Yondaime Raïkage soit son épée ? Personne, hormis peut-être Kentaro Hattan.

Il repensa à la suite de son plan lorsqu’il aperçut le village caché des Nuages au loin. Etrangement, c’est aussi à ce moment-là que sa blessure se manifesta à nouveau. C’est avec un grincement de dent qu’il atterrit à dos de sa chouette à l’entrée du village, sur le Sentier Perdu. Quelques gardes se hâtèrent d’aller s’occuper du Raïkage, surtout lorsqu’ils virent sa blessure. On lui rapporta tout ce qu’il s’était passé avec le Furyou messager, mais bien entendu, personne n’avait pour l’instant le temps de donner des détails.

Et Yamanaka Meia, est-elle là ?

On lui répondit que oui. Tsumei poussa un léger soupir, puis se mit en marche.

Bien, préparez-moi un rapport sur ce qu’il s’est passé. Je vais faire soigner mon bras à l’hôpital, mais faites d’ores et déjà venir la Konohajin dans mon bureau.

La mission de Zennosuke et d’Hasaki devait être terminée. Soit cela avait été un échec, auquel cas ils ne rentreraient pas. Soit au moins l’un d’eux rentrerait très bientôt. Et là, la victoire serait totale.

Spoiler:

Suite à l'attaque, le conseil, malgré l'absence du Raikage et du conseiller de la défense de Kumo, avait rapidement ordonné l'état d'alerte. Les mesures, étant privé de deux principaux responsables hiérarchiques, devinrent draconiennes. Sans aucun doute, l'assemblée ne souhaitait pas annoncer plus de mauvaises nouvelles qu'elle en avait déjà. Et pour ce faire, bon nombre de Jônin avait été réquisitionné en effectif supplémentaire pour assurer la sécurité. C'est ainsi que Yoko se retrouvait sentinelle en chef, continuant de rager sur les faits récents : elle n'avait même pas pu voir le Furyou. Et par extension, ni l'exterminer, ni l'empêcher de fuir. Cela la mettait dans une humeur massacrante, elle qui ne souhaitait que se venger de cette race qui lui avait fait tant de tord. A la Kadoria par la mort de son défaut fiancé, comme à la petite fille qui traversait soudainement ses pensées ; Tsukiyo Koemi, qui avait connu une scission meurtrière au sein de son clan par l'apparition soudaine de serviteur. La veuve et l'orpheline vivaient désormais avec le poids de leurs fardeaux. En pensant que leurs maux trouvaient les mêmes origines, cela ne lui donnait que plus envie de châtier l'espèce humanoïde à la puissance dévastatrice.

Mais la balafrée était bloquée ici, à la place de prendre en traque les despotes. Désireuse de les prendre en chasse, son souhait s'extériorisait dans son regard, lorsqu'elle regardait vers l'horizon. Au loin, une silhouette ailée se dessina. Elle devint blanche en s'approchant, et on pouvait remarquer qu'une personne la chevauchait. Aux portes, on criait que le Raikage et sa chouette étaient de retour, d'une voix rassurée et festive. On alla très vite à sa rencontre. Lassée par sa tâche de garde en chef, Yoko descendit tranquillement les escaliers avant d'arriver aux pieds des imposantes portes du Sentier Perdu. S'approchant, la blonde écarquillait des yeux lorsqu'elle se rendit compte qu'il manquait un bras au Raikage. D'un pas plus pressé et rythmé, elle se dirigeait droit vers son supérieur avec l'intention ferme de l'emmener à l'hôpital. Que ce soit de grès ou de force. La Kadoria userait même d'un sceau de gravité à l'encontre du Karasu si nécessaire. Lancée dans sa charge, elle sortit une première syllabe qui passa apparemment outre l'ouïe du kage de Kumo. Les ordres et l'annonce de ce dernier avait stoppée net l'intervention de la Jônin, qui se ressaisissait comme elle le pouvait :

B-Bien Maitre Raikage ! Ils seront sur votre bureau dans les plus brefs délais. Je vous y accompagne.

Au moins, elle s’assurait qu’il se ferait bien prodiguer les soins. On n’est jamais trop prudent avec le dirigeant du village, qui voyait son agenda toujours bien remplis. Escortant celui-ci, la Kunoichi s’était placée légèrement en avant du côté du bras manquant. Ecarter les passants dans la rue était donc devenue sa nouvelle fonction temporaire. Heureusement que cela ne devait pas durer.. Mais l’état de l’ombre de la foudre était inquiétant. Il était souffrant et éreinté. Et son regard avait.. Changé. Yoko notait ce dernier détail important ; un événement crucial s’était déroulé. En conséquence de quoi, elle ne décrocha aucun mot tout le long du trajet. Arrivés à l’hôpital, le duo y entra avant de demander une chambre à l’abri des regards. La balafrée surveillait le couloir avant de fermer la porte, puis s’assit dans un coin, sur une chaise, en fixant le Karasu. En pointant du doigt le membre fantôme, elle demandait avec gravité et sérieux :

C’est quoi ça ? Nous sommes en guerre contre Konoha ?

La veuve voulait avoir des réponses, profitant du temps qu’un ninja médecin arrive. Elle ne savait pas encore, a quel point elle était loin de la vérité.

Spoiler:

Parmi tous les visages à la fois familiers et perdus, c’est celui d’une kunoïchi qui monopolisa plus ou moins l’attention du Raïkage. Elle semblait avoir pris les choses en main et c’était une bonne chose. Tsumei n’avait pas envie d’attendre : que ce soit à cause de sa condition physique ou mentale, aussi bien qu’avec les enjeux actuels. Plus vite il en aurait terminé avec l’hôpital et la rapide lecture du dossier de l’attaque, plus rapidement serait clos le dossier Sabakyô Seitô. Heureusement que tout avait fonctionné, et que la dame de Konoha était bien arrivée et surtout restée. Mais pour l’instant c’était une autre jeune femme qui accompagnait le chef des Nuages. Une gradée à coup sûr, du clan Kadoria.

Ce n’est qu’une fois arrivé à l’hôpital qu’il retrouva le prénom de son interlocutrice ou plutôt accompagnatrice principale. Yoko, qui s’assit tout simplement dans la chambre, indiquée discrètement par les médecins, alors que le Yondaime restait debout. Alors que la Jônin soumettait l’hypothèse d’une guerre avec Konoha, et qu’elle voulait naturellement être fixée à ce propos, l’Ombre se mit torse nu malgré toute la difficulté que ça impliquait de le faire avec une main. Il dévoila naturellement un corps aux muscles légèrement mais parfaitement dessinés, cachant presque le bandage ensanglanté et rapidement fait d’un bras gauche coupé en deux. Ses yeux se posèrent sur la blessure, puis sur les pupilles de la jeune femme.

Tu parles de ça ? C’est rien, ça pique juste un peu.

Loin de lui l’idée de se vanter. Au contraire, il souffrait de façon conséquente, voire même inquiétante. Mais lui savait que c’était normal : il n’avait été que rarement blessé aussi violemment. Shinobi de l’Ombre du Shodaime, il avait agi dans l’ombre et même s’il avait été de nombreuses fois torturé, il s’était bien souvent évité des blessures graves grâce à ses tours de passe-passe et son habileté d’esprit.

Et puis c’était lui-même qui s’était infligé cette blessure : il savait que c’était pour la bonne cause. Si cela ne changeait en rien sa douleur physique, son moral lui s’en réconfortait.

Et toi, ça va ? dit-il d’un ton le plus naturel possible, alors qu'il s'asseyait enfin sur son lit.

Yoko avait posé des questions… Mais on ne lui avait pas répondu. Pourtant, elles étaient légitimes. Son dirigeant s’en était allé à Konoha, et en revenait avec une partie de lui-même, condamnée. De plus, le Karasu ne semblait pas cacher sa blessure, néanmoins il semblait ne pas l’assumer. Comme s’il pensait avoir quelque chose à prouver, c’était étrange. Mais de là a ignorer les faits, refuser de répondre et cacher une fois de plus la vérité ? Cela faisait ronchonner la balafrée. Les Raikages avaient-ils si peu confiance en elle ? Un vif excès d’indignation prenait place en la Kadoria. Elle était Jônin depuis même la création du village, donnant son appui inconditionnel pour celui-ci, avait combattu dans la guerre qui les avait opposés à Kiri, et était devenue veuve durant l’affrontement à Hai no kuni, son amant s’étant fait ôté la vie.

N’était-ce pas suffisant comme implication, comme sacrifice ? Son regard se durcissait, et ses poings se refermaient. Toutefois, l’aristocrate fut soudainement désamorcée, alors que l’Ombre de la Foudre prenait un repos sans doute mérité, lui demandant comment se portait-elle. Cet intérêt inattendu et impromptu, allié au tutoiement du Raikage la laissait perplexe. Il avait ce secret que de la laisser dans l’embarras, elle qui accordait énormément d’importance au respect, lui laissant la sensation qu’il essayait de se rapprocher d’elle pour pénétrer son esprit. Et même si c’était vrai, il était de son devoir que de lui répondre.

… Comme une veuve qui ne peut encore se venger…

La trentenaire venait de fuir le regard en prononçant cette phrase, pesée par le silence, en ayant fait pivoter son corps. Juste le temps de retrouver ses esprits, et sa détermination qui allait de paire. La Kadoria se relevait, abandonnant la chaise dans un coin de la scène. Elle se dirigeait vers son supérieur avec force, plaquant ses mains de chaque côté de celui-ci sur le lit, approchant son front du sien. Cette fois, c’était elle qui essaierait de lire en Tsumei :

Ça pique juste un peu ? Vous avez un bras en moins Raikage-sama ! Ne me faites pas croire de telle absurdité ! Pourquoi tenez-vous tant à ne pas vouloir dire la vérité ? Qu’est-ce que tout cela signifie ?!? Ne nous prenez pas pour des pions, nous autres shinobi, avons le droit de savoir pour quoi nous nous battons !

Le Karasu avait-il espéré s’en sortir en considérant Yoko comme une idiote ? En lui dissimulant une vérité, en lui mentant, alors que son bras rappelait à chaque seconde qu’une autre réalité existait. Son corps était chaud, son organisme répondait aux souffrances de la lésion. La veuve réalisa que cela faisait une éternité qu’elle ne s’était pas retrouvée si proche d’un homme. Elle recula d’un pas, se surprenant elle-même à cette pensée, sans lâcher du regard son interlocuteur. La balafrée était allée loin dans ses propos, elle le savait. Elle accepterait sa sentence. L’insubordination n’était pas dans ses habitudes, cela devait d’autant plus surprendre le kage du village. Seulement, Karasu Tsumei était un homme peu connu, mystérieux pour tous, et qui manquait cruellement de partage avec ses ninjas, malgré tous les efforts qu’il semblait développer. Il restait ce qu’il avait toujours été : un shinobi de l’ombre.