Chaque shinobi digne de ce nom passe une part importante de sa vie à entrainer son corps afin de le rendre prêt à faire face à n'importe quelle situation dans laquelle son quotidien difficile le mettra. Certains sont ainsi capable de courir aussi vite que le vent, d'autres ont la force d'un colosse capable de soulever des montagne. Pour autant, l'exercice physique ne fait pas tout : un bon ninja prépare aussi son âme au combat. En effet, à quoi sert d'avoir le pouvoir de déchirer la terre et fendre les cieux, si lorsque l'on se retrouve acculé par le stress et la peur, l'on perd toute contenance ? Comment peut-on espérer mener à bien ses objectifs quand la pression brouille les capacités d'analyse et que la crainte paralyse les muscles ? Comment protéger ce à quoi l'on tient si les nerfs lâchent dans l'échec ? La force en elle-même n'a de valeur que si l'âme sait s'en servir de façon optimale et en toutes conditions. Un célèbre adage que personne n'ignore le précise bien : '' un esprit sain dans un corps sain. ''

Dans le cas de Natsuki, prétendre qu'il était sain d'esprit revenait à dire que l'on pensait de façon clair après consommation importante de produit non licite. Shinobi exemplaire au sein de clan à la discipline d'airain, il était connu pour se montrer capable de résister à toute forme de pression, à toutes pensées parasites susceptible de perturber son jugement. Comme plongé dans une transe de bataille, son visage n'était plus que le reflet du néant lorsqu'il combattait, ses yeux une vitre donnant sur une coquille vidée de sentiments et de vie. Un état qui lui avait valut le surnom du Céruléen, un être capable de tuer sans la moindre palpitation l'ensemble de son clan si la nécessité de son devoir le stipulait. Certains prétendaient qu'il avait cela dans le sang, d'autres pensaient que là était la concrétisation de ses méditations intensives. Ses parents seuls peut-être savaient à tort ou à raison que le Céruléen n'était qu'un mécanisme de défense, la manifestation résultant d'une vie de shinobi et d'attentes de la part du clan.

N'importe comment, Natsuki s'est retrouvé un jour au pied du mur. Il pensait avoir un esprit aussi solide que son corps, capable de tout encaisser : tout a volé en éclats en un seul instant. Malgré sa courte vie passée à s'entrainer, et ce depuis qu'il était capable de mettre un pied devant l'autre, malgré son nombre incalculable de séances passées à renforcer ses nerfs, il fut engloutit impuissant lorsque la malédiction de son sang se réveilla et dévora son âme. Le temps d'une nuit, il avait sombré, changé en un passager embarqué dans une entité vouée à semer la mort et la destruction, animée de la haine la plus primaire. A matin, lorsqu'il avait reprit connaissance, il avait réalisé combien il vivait dans l'erreur, et que son existence ne sera plus jamais la même : il était devenu un monstre.

Sans qu'il ne puisse le contrôler, il vivait en permanence avec une brûlure dans les veines, des pulsions qui irrémédiablement le poussaient à vouloir tuer, aussi naturel que le besoin de respirer. Il avait beau faire appel à toute sa volonté, réfréner des désirs macabres, il sentait qu'il perdait pied. Il pouvait presque voir sa conscience s'étioler doucement, cernée de toutes parts par cette entité en lui qui luttait pour prendre le contrôle de ses muscles, et l'emprisonner à nouveau dans sa propre chair où il devenait un spectateur impuissant à travers la brume rouge sang qui emplissait ses yeux du carnage dont était capable l'Autre. Un poison froid compressait son cœur dans un cruel étau, alors que chaque jour, malgré ses efforts, il perdait ce qu'il lui restait d'humanité. La fin de son histoire devenait préférable à ses métamorphoses fortuites au cours desquelles l'entité qui le possédait corps et âme ne se satisfaisait même pas du chaos qu'elle déclenchait, peu importe l'intensité du carnage. Il a pourtant trouvé la force de continuer.

Si sa discipline de l'esprit ne l'a pas sauvé cette nuit-là, elle lui a permit de remonter la pente. Partant de sa dernière lueur de vie, éclat vacillant dans les ténèbres oppressants, il a refusé d'abandonner, et a combattu la nature même de ce qu'il était devenu. Il n'avait plus droit à rien, ni à l'espoir ni à la joie. Chaque sentiment qui naissait dans son cœur se voyait être aussitôt dévoré, pour ne laisser place qu'à la colère, la haine, et une soif inextinguible de sang. Une vie sans saveur qui n'était vécu que pour endurer et souffrir, jusqu'à ce que ce fil d'existence se rompt et ne libère tout ce qu'il s'efforçait de garder sous cloche. Natsuki avait éprouvé son esprit et ses nerfs plus que n'importe qui, il avait lutté à chaque seconde de sa vie pour ne pas sombrer dans les abimes de son âme désormais souillée.

Si aujourd'hui, après plus de sept mois de combat contre lui-même, il avait réussit à reprendre une vie à peu près normale, il portait toujours les stigmates de sa déchéance : jamais il ne redeviendra celui qu'il avait été. Même s'il avait apprit à exercer une certaine emprise sur son sang maudit, son contrôle n'en restait pas moins laborieux. Ses pulsions étaient toujours là. Sa volonté les avaient enchainé, mais elles étaient toujours là, à hurler l'échine courbée, à guetter l'instant d'inattention où elles pourront se soulever à nouveau, et renverser la tendance de soumission de façon définitive cette fois-ci. Une épée de damoclès dont Natsuki s'efforçait de renforcer le fil qui la retenait : le fil de sa volonté.

Les méditations du Nara tatoué revêtaient de nombreuses formes, mais toutes n'avaient qu'une seule finalité : contribuer à la stabilité de son esprit. Assit en tailleur dans le dojo de son clan, les yeux clos, il était justement au cours d'une d'entre elles, qui prenait la forme d'un affrontement. Un adversaire du passé qu'il avait combattu à l'aube de la guerre, et dont les réminiscences du duel qu'il simulait autrement constituaient une excellente base de travail.

Son esprit se projeta loin, coupant toute sensation de son corps et de l'extérieur comme s'il le quittait pour rejoindre une autre strate d'existence. Un paysage brumeux se dessina, et la terre se forma, parcouru de longs sillons creusés. Le ciel n'existait pas ici, il n'y avait qu'un brouillard sombre que même la lumière du soleil ne semblait pas pouvoir traverser. Pour autant, il faisait jour, et la visibilité était clair. Il n'y avait rien pour se cacher ici, pas de relief ni de point d'eau. Ni le vent ni le froid n'osaient se manifester dans ce décors désolé où seuls deux hommes se tenaient. D'un côté, Natsuki existait, dans sa tenue et avec son équipement de combat classiques. De l'autre, l'homme aux cheveux rouges que ses souvenirs avaient manifesté attendait.

Ici, dans ce lieu uniquement fabulé par le mental du Nara, Natsuki avait tous les pouvoirs, tous les droits et aucune limite. Mais la part rationnelle très poussée de son esprit bloquait toute divergence à la réalité, toute incohérence possible. Dans sa simulation actuelle, seul le '' vrai '' avait sa place.

Pour un affrontement imminent aussi réel que nature...

Son adversaire lui apparut comme plus vrai que nature, mais Natsuki ne s'en rendait déjà plus compte. L'incarnation de ses souvenirs avait déjà virtuellement échappé à son contrôle, tel un avatar dont les ficelles étaient tirées par un autre. Sa pensée s'était comme séparée en deux entités distinctes, sans communication de l'une à l'autre, sans possibilité de prévoir, fausser et rejouer les résultats. Loin de son corps, son esprit ne concevait plus la simulation, il s'était fermé pour percevoir comme réel ce qui l'entourait, qui il était et ce qu'il affrontait. Il n'était pas question de préliminaires ici, de menaces et autres dialogues sans substance. Seul le combat comptait, un duel impitoyable pour revoir et comprendre l'échec du passé, mais aussi pour affuter l'esprit face aux affrontements de l'avenir, dont le pire de tous l'amenait contre lui-même.

Les épaules du Nara s'affaissèrent, et le masque du Céruléen se forma. La vie s'éteignit dans ses yeux, et le néant se marqua sur les traits de son visage, où il n'y avait plus rien à lire. Ni colère, ni peur, ni compassion, un vide totale dans une âme qui n'était plus rien, si ce n'était l'instrument absolue de la cause qu'elle servait. Et aujourd'hui, dans cette arène irréelle, c'était la mort de l'autre. Sa chair se déchira, et certaines de ses os se brisèrent dans un craquement horrible, jusqu'à ce que deux excroissances poussent sous ses bras, en partance des côtes après avoir traversé les vêtements. Elles prirent très vite forme, et gonflant alors que le réseau vasculaire et musculaire s'étendaient, adoptèrent leur apparence finale : une paire de bras supplémentaires. Ces derniers n'avaient pourtant que l'aspect général d'humain. Couverts d'écailles sombres irrégulières, ils étaient nervés des mêmes tatouages présents sous les vêtements recouvrant les bras originaux, et les extrémités des doigts se voyaient pourvu de courtes griffes taillées en pointes. Natsuki n'haleta sous la souffrance et l'effort qu'un bref instant. Il connaissait cette douleur, laquelle restait toujours moins importante lorsqu'il s'agissait de créer à partir de son corps plutôt que de modifier, mais n'importe comment, il ne la ressentait plus qu'à peine, son cerveau ayant coupé ce genre de récepteurs. Dans la réalité, il répugnait à se servir des aptitudes que la malédiction de son sang lui offrait, car il considérait cela comme une porte d'entrée directe vers l'abandon de sa part d'humanité. Pour autant, il savait aussi que c'était en poussant son esprit vers l'extrême limite qu'il pouvait le rendre plus à même de résister davantage aux assauts permanents de son côté sombre dans la lutte pour le contrôle de son corps.

La métamorphose n'ayant pas duré cinq secondes, comme une génèse en accélérée, le Céruléen se lança aussitôt d'une course rapide. Son élan le fit plonger droit sur sa cible pied en avant, afin de lui couper ses appuies à l'impact et le faucher proprement. Il ne comptait pas lui laisser le temps de profiter de sa chute cela dit : prenant le contre-pied de sa charge, il se tenait déjà prêt à bondir sur lui dans l'autre sens en se déployant comme un ressort à l'aide de ses jambes maintenant fléchies. Il n'avait plus qu'à lui fondre dessus, le rabattre au sol de tout son poids, et le clouer à même la terre en le ruant de coups de ses quatre membres préhenseurs.

La fauche fut caduque, et la moisson n'apporta que de la terre alors que le nukenin s'échappa à l'attaque d'un bond puissant en arrière qui creusa la distance entre les deux adversaires. Pour l'un des deux, la récolte fut meilleure, puisqu'il tira de la terre-même deux cadavres décharnés dont les membres commencèrent à s'agiter lorsqu'un simulacre de vie les anima à nouveau. Natsuki ne les observait qu'à peine, prit d'une nouvelle convulsion. La métamorphose de son corps s'aggrava un peu plus, donnant brutalement naissance dans le bas de son dos à une impressionnante queue de cuir à l'aspect similaire à celui de ses bras supplémentaires. Articulée sur le mètre cinquante de muscles et d'écailles qui la composaient, de nombreuses aspérités la rendait propre à déchiqueter tout ce qu'elle frappait. Toujours plus de trous dans ses vêtements, et toujours moins de raison dans ses yeux. Petit à petit, ses pupilles disparaissaient pour laisser place à un regard que la folie frénétique gagnait. Le Nara lâchait progressivement la bride de ses pulsions, mais conservait encore la main dominante.

Le Céruléen reprit pieds à terre en même temps que les deux cadavres animés. Du menu fretin pour la soif de sang qui brûlait dans ses veines, rien d'autre. Une nouvelle course l'amena à réduire la distance bien trop importante qui séparait ses ennemis de ses poings. Une course droite, les quatre bras prêt à frapper aussi sûrement que le carreau d'une arbalète attend que la corde qui le retient ne le libère. Ce n'est pourtant pas qui ouvrirent le second round des hostilités. Glissé entre ses adversaires avec toute l'agilité dont il était capable, L'hybride se ramassa sur lui-même avant de libérer d'un bond une tornade meurtrière autour de lui. S'élevant au-dessus du sol, il tournoya comme une toupie avec une jambe levée à angle droit, distribuant à quatre reprises un coup rotatif sur quiconque restait à proximité de lui. A son attaque habituelle s'ajoutaient les ravages que causèrent sa queue emportée dans l'élan et fouettant furieusement l'air et les corps l'entourant. A peine réceptionné, il retourna à la charge : pas question de laisser son ennemi s'éloigner encore. Dans sa main droite se forma une bille d'eau bouillante grosse comme son poing qu'il lança sur le nukenin à l'aura rouge, De sa main gauche, il préparait déjà la même technique en prévision de la première esquive : difficile de plonger pour éviter lorsque l'on ne touche plus le sol.

Dans un cas comme dans l'autre, il l'attendait au tournant, prêt à se lancer sur lui d'une ruade pour le frapper de tout son saoul. Le corps-à-corps était son point fort, tout comme celui de son adversaire qui ne fera que gagner en puissance au fur et à mesure que le combat avancera : il fallait qu'il l'accule maintenant en profitant de son avantage sans lui laisser l'occasion de poser ses sceaux. Il savait à quoi s'en tenir, et surtout comment s'y tenir. L'envie de tuer avait beau le gagner progressivement, et ses pulsions meurtrières saturer l'atmosphère, il n'en restait pas moins encore parfaitement clair dans sa logique. La haine lui insufflait la force, son esprit l'exploitait efficacement.

Tant qu'il ne se laissait pas engloutir et dévorer par son propre pouvoir tout du moins.

Les deux sphères aqueuses volèrent successivement droit sur le nukenin. La première d'abord s'écrasa sur la main dressée en opposition, suivit de la deuxième qui se retrouva elle aussi interceptée. Leur but n'était que diversion cependant, Natsuki s'élançait déjà derrière, prêt à frapper. Une vague de mort le figea cependant une seconde, similaire à ce que lui-même émanait. Des pulsions meurtrières si denses qu'elles saturaient l'atmosphère en la rendant aussi consistante que de la mélasse. C'était comme percuter un mur de gelée, le laissant immobile un court instant après l'avoir traversé. Le Céruléen ne connaissait plus la peur en tant qu'émotion dans sa transe, mais cela n'empêchait pas pour autant son corps de ne pas en subir les effets. Son adversaire en profita pour fondre sur lui dans une attaque similaire à la sienne. Un puissant coup circulaire fouetta l'air dans sa direction. Natsuki y opposa en catastrophe en parade ses deux bras droits, sans succès. L'impact ne fut qu'à peine réduit, et le repoussa avec force en arrière. Le dos du shinobi tatoué se déchira durant son vol plané, et de sa chair s'arracha deux ailes immenses qui le recouvrirent entièrement. Changé ainsi en un véritable boulet de cuir, il se freina lourdement sur le sol, avant de sentir quelque chose s'abattre à répétition sur son bouclier organique. Les goules...

Le Nara se redressa en déployant avec force ses ailes, repoussant les deux cadavres animés loin de lui. Il n'avait pas de temps à perdre avec eux. C'était lui-même qu'il combattait, au travers de ses souvenirs du nukenin ardent, rien d'autre. Il pouvait aller encore plus loin, lâcher encore un peu de laisse à son sang. Il hurla, à vriller les tympans. Un cri primaire et bestial qu'aucun humain normalement constitué ne pourrait pousser. Un hurlement chargé de haine dans sa forme la plus pure, porteur d'une promesse de carnage et de destruction pour quiconque croiserait sa route. Un son qui donnait l'impression de se planter directement dans le crâne avec la force d'un couteau sans se donner la peine de franchir la barrière des oreilles au préalable. La naissance de ses cornes cachées sous ses cheveux – stigmates restants de sa première métamorphose jadis – poussa brutalement, s'allongeant jusqu'à former deux redoutables bois de cerf acérés.

Progressivement, le corps de Natsuki perdait en humanité pour se rapprocher de plus en plus vers le monstre qu'il était devenu, et auquel il avait refusé de s'abandonner complètement. Sous ses vêtements, des écailles commençaient à se répandre comme une flaque d'encre par endroits, recouvrant sa peau d'une pellicule rugueuse et irrégulière. Dans son esprit, la lutte devenait de plus en acharnée alors que les désirs meurtriers de son sang maudit gagnaient en liberté. Les résultats de ses entrainements se sentaient, mais jusqu'où pouvait-il retenir la frénésie qui s'accaparait son âme ?

Son hurlement s'éteignit finalement, pour laisser son écho résonner encore dans l'air sans que la source puisse en être déterminée. Le Céruléen s'en fichait éperdument, il voulait juste éprouver encore les limites de son esprit... et du sang... Il se propulsa avec force en avant, cavalant avec célérité sur ses jambes qu'une force nouvelle animait. Il fendit l'air en deux battements de cils, chargeant à nouveau droit sur le nukenin. Mais il bifurqua brusquement sans perdre d'élan avant de frapper. Ses ailes se déployèrent à nouveau dans son dos, et tels des gouvernails firent infléchir sa course dans les derniers pas. Plutôt que de front comme il avait déjà habitué par deux fois son adversaire, sa charge à la trajectoire finalement courbée l'amena à tenter d'empaler sur ses cornes le nukenin par le flanc gauche.

L'empaler, le soulever, et secouer avec force la tête pour déchiqueter chacun de ses organes.

Natsuki chargea pleinement son adversaire, dont le rude coup de corne lui entama les côtes. Mais le nukenin avait de la ressource, il s'y attendait quelque part. Il avait déjà ouvert deux Portes, comme le témoignaient les changements successifs dans son aura. A mains nues, il l'attrapa par les bois avec force pour stopper leur creusée meurtrière dans ses flancs, et s'efforça de les empêcher de tout ravager en s'y cramponnant quand il se vit littéralement soulevé du sol. Il n'était pas sans défense, mais il était d'avis du Céruléen que ce n'était qu'une question de secondes pour que le problème ne se règle. L'hybride allongea alors ses quatre bras, à la recherche des membres de son adversaire pour l'immobiliser. Sauf qu'avant qu'il n'y parvienne, un coup de paume le frappa en plein front, produisant instantanément une explosion répulsive. La détonation le fit à nouveau partir en arrière aussi certainement que si un bœuf l'avait percuté de front. La partie enfoncée de ses bois suivit naturellement son propriétaire dans sa retraite imposée après y avoir arrachée quelques lambeaux superficiels.

La réception en catastrophe l'amena quelques mètres plus loin, le crâne endolorie par la récente explosion dont il avait été victime. Sa chair était légèrement brûlée par endroit, mais ses yeux n'avaient pas été atteint. Le monde se faisait légèrement trouble autour de lui, mais pas encore assez pour taire son instinct. Deux éclats fusèrent droit sur lui sans qu'il puisse les identifier. Et cela ne lui importait guère : il ne songeait même pas à essayer de les éviter, quoi que c'était. Il branla avec force de la tête, tirant jusque dans les muscles de son dos pour agiter ses cornes devant lui en guise de parade. Le premier objet passa largement avant qu'il ne commence, et se ficha dans son poitrail, dont le sang ne s'écoula pas. Le second par contre, fut tout bonnement brisé quand les bois s'abattirent dessus. Des kunaï, songea le Céruléen alors que son second bras gauche arracha le projectile hors de la plaie pour le rendre à son propriétaire comme il se devait, lame la première.

Secouant encore la tête, il chassa les derniers troubles résultants du sceau détonnant et se campa sur ses positions, prêt à bondir... avant de se raviser, ou plus exactement de se figer dans le mouvement. Il ne le remarquait que maintenant, mais son adversaire avait ouvert une nouvelle Porte de sûreté. L'aura qui l'entourait devenait de plus en plus dense, tirant toujours davantage vers le rouge ardent. Le nukenin y mettait les formes pour garder l'avantage. Lentement, il prenait le dessus, en même temps qu'il détruisait son organisme dans l'entreprise, rendant son corps davantage vulnérable. Là où se créaient les failles, il fallait s'y engouffrer. Mais pas encore. Natsuki devait d'abord le pousser plus loin dans le déchainement de sa puissance, tout comme il devait lui-même libérer davantage de son pouvoir. Ses ailes le poussèrent en arrière, creusant cette fois la distance plutôt que de la combler. Les cadavres animés déambulaient toujours, mais ils étaient assez loin désormais pour ne plus constituer une menace tant que l'on ne le jetait pas sur eux à nouveau.

Ses mains labourèrent le sol dans un spasme à la réception. Ses doigts tremblèrent alors que la métamorphose s'aggrava encore, mais un seul instant. Le réseau d'écailles se prolongea encore, conquérant la peau du coude jusqu'aux ongles pour acheminer à chaque dernière phalange une griffe acérée avide de se nourrir de chair. Ses quatre bras étaient désormais en tout point commun d'apparence, tout comme ils effectuèrent deux par deux dans un synchronisme parfait une succession de mudras. L'air se modifia alors derrière le démon, pour prendre l'aspect incertain d'une nouvelle paire d'ailes immatérielles. Une trentaine de lames composées de vent pur s'impatientaient dans son dos, en constant mouvement comme si l'air était tranché en permanence. L'enchainement se termina par ses deux mains principales qui s'entremêlèrent l'une à l'autre pour pendre le long de son corps.

Et ce fut tout. Telle une gargouille, le Céruléen s'immobilisa, sa queue seule damant le sol dans un rythme régulier, unique signe d'une patience s'effilant. En cette instant, le contrôle de Natsuki était absolue, mais ce n'était qu'une soupape qui empêchait la pression de s'échapper : ouvert de gré ou de force, l'accumulation de rage et de vengeance décuplées par la douleur finira par faire sauter le bouchon dans une explosion redoutable. Le visage défiguré par la haine, sans même le moindre sourire témoignant d'un plaisir à répandre la mort et la souffrance, le Céruléen attendait. Il savait que le temps jouait autant avec que contre lui, et il comptait bien tirer sur cette corde jusqu'à ce qu'un des bouts cède. Ne restait qu'à savoir qui des deux était le plus solide : le corps du nukenin, ou l'esprit du Nara tatoué. Sa queue frappa encore.

C'était à la proie de venir vers son chasseur désormais.

En réalité, augmenter la distance qui le séparait du nukenin flamboyant ne l'avait rendu moins efficace. Mais Natsuki ne s'en rendit compte que plus tard, lorsque c'était déjà trop tard.

D'autres projectiles filèrent sur lui, lancés en une généreuse poignée qu'il repoussa d'une gifle dédaigneuse de l'aile, fouettant l'air devant lui. Le cuir épais les arrêta sans problème, alors le Céruléen reprit sa position d'attente. Mais il ne la garda pas longtemps. Une odeur de charogne vieillit, cuite et recuite par un soleil de plomb, lui agressa soudainement les narines. Il ne lui fallut qu'un instant pour en trouver l'origine, dont les effluves immondes étaient si concentrées par endroit qu'elles se matérialisaient sous la forme de volutes à la couleur abjecte. Jeter une bombe dans un volcan n'aurait pas fait autant d'effet. L'esprit de Natsuki ne chercha pas davantage à contenir la rage aveugle qui poussait sur la soupape : c'était une bataille qu'il ne gagnerait pas. Il fallait maintenant qu'il cherche à protéger son essence vitale pour ne pas qu'elle se fasse engloutir par le tsunami de ténèbres qui déferla dans son âme.

L'aura du Nara tatoué changea drastiquement, alors que les écailles sur son corps continuaient de le recouvrir et de s'épaissir. Son corps commença à prendre en volume, déchirant par endroit les vêtements dont les points de coutures sautaient. La douleur l'irradiait, d'une part à cause de ses blessures, mais aussi à cause de son organisme qui se réorganisait. Le cœur gonfla le premier afin d'assurer les besoins en sang grandissant, écrasant les poumons et la cage thoracique qui ne suivirent pas le mouvement tout de suite. La dernière lueur d'intellect dans ses yeux disparut, ne laissant plus que deux orbites blancs injectés de sang où se lisait le désir d'annihiler la Vie elle-même. Un regard qui promettait que la mort serait trop douce comme fin.

Natsuki en revenait à ses toutes premières métamorphoses, celles dont il ne maîtrisait presque rien, et qui survenaient de façon fortuite. Il n'était plus qu'un passager embarqué désormais, lueur dans la nuit luttant farouchement pour ne pas se faire emporter dans une déferlante guidée uniquement par une soif de sang, de mort et de destruction. Il avait éprouvé sa limite, maintenant il lui fallait se montrer capable de reprendre le dessus sur ses instincts bestiaux.

Les mains toujours liées, l'hybride monstrueux s'élança vers sa proie, débordant de rage primitive non contenue. Il ne fit que quelques pas avant de s'écrouler cependant. Il commença à suffoquer alors que ses voies respiratoires l'irritèrent violemment. Prit d'hémoptysie à chaque quinte de toux, le monde se troublait autour de lui, noyé dans le flot sanglant qui s'écoulait de ses yeux vides d'humanités. Du poison, comprit-il instinctivement. Il avait été empoisonné par les flasques qu'il lui avait été jeté, et qui tapissait son aile droite. Le corps donnait des signes de faiblesses alarmant, mais sa démence frénétique ne faisait que brûler davantage.

L'aile incriminée se décomposa, coulant par lambeaux sur le sol comme un cadavre en putréfaction accéléré. Et une tempête se leva. Une véritable tornade brassa aveuglément tout ce qui l'entourait, et déchira tout ce que ses rafales portaient par des vents cinglants s'abattant sans répit sur ses victimes, taillant en pièces tout ce qui avait eu le malheur d'être prit dans la zone d'effet. Un déchainement climatique qui cessa après une dizaine de secondes aussi brusquement qu'il avait début. Le monstre chercha dans le ciel de sa vision troublée si le corps de son adversaire avait été emporté, et se rua tant bien que mal dessus dans un dernier effort avant qu'il ne revienne en contact avec le sol. Il délia ses mains griffues qui s'abattirent sur lui à une cadence effrénée, chaque coup apportant une lame de vent flottante qui se décomptait de la réserve en suivant le mouvement des bras. Un ultime sursaut de force avant que son énergie ne l'abandonne, et qu'il paye le prix de ses efforts par une agonie véritable dans ses poumons. Il s'écroula, impuissant, alors que la métamorphose démoniaque se dissipait, révélant à nouveau son corps nu de toute carapace.

Il ne pouvait pas faire mieux sur le papier. Poussé dans les ultimes retranchements de sa haine, sa conscience parvenait à reprendre le contrôle sur le corps une fois épuisé, pour peu qu'elle existait encore. Il ne s'en jouait de rien pour qu'elle se fasse engloutir, et disparaisse à jamais. Natsuki avait de la route à faire encore, il le savait, autant sur le terme de sa malédiction que sur l'aspect technique. Tout au mieux là, il avait peut-être été capable d'emporter avec lui dans la tombe son adversaire.

N'importe comment, la simulation était terminée. L'imaginaire du Nara tatoué referma cette projection, dont l'image s'étiola doucement, comme une dune de sables soufflée par le vent.