An 5, été,


26 juillet,

Je marche dans cette forêt depuis des jours. Des jours à errer sans croiser la moindre trace d'habitants. Mis à part la jeune Kaguya que j'ai croisée voilà cinq petits jours. Moi qui pensait que me rendre au beau milieu de la forêt du pays de l'Eau pourrait me faire faire quelques rencontres... Je commence à croire que les lieux sont plus fuis par la population que le désert lui même. Et pourtant, j'ai eu l'occasion de faire quelques rencontre au milieu des étendues de sable... Seulement quelques unes, oui. Mais c'est toujours plus que le nombre de personnes que j'ai pu croiser en ces lieux jusqu'à maintenant. Pas la moindre trace de présence humaine. Tout au plus, quelques manifestations animales. Et encore. Le nombre d'oiseaux que j'ai vu s'envoler jusqu'à maintenant est inférieur au nombre de doigts sur une seul de mes mains... C'est dire si les alentours sont désertés par le monde. Seuls les plantes et les arbres sont encore présents. Même si je dois admettre nourrir des doutes pour certains, dont l'apparence est complètement décharnée, voire mourante.

Je continuais alors à marcher. Marchant dans l'espoir de trouver les portes du village caché de la Brume. J'aurais aimé pouvoir y pénétrer, ne serait-ce que pour assouvir ma curiosité. J'aurais voulu voir comment était constitué leur village, de quoi était faite la vie des habitants... Ce genre de choses, tout simplement. Mais après des heures, et même des jours de recherches, je commençais à me lasser. Je commençais à me dire que tout cela n'était guère intelligent. Plutôt vain même. Que plutôt que de venir ici, il aurait mieux valu que je me dirige vers le village des nuages, Kumo. S'il existait un clan capable de manipuler la glace dans la région, je savais qu'il en existait un là-bas capable de jouer avec la lumière... Oui, j'aurais du me diriger vers le pays de la Foudre plutôt qu'en ces lieux. Certes, je n'aurais pas fait certaines rencontres, mais j'en aurais fait bien plus en terme de nombre...

C'est pendant que je retournais cette pensée dans ma tête que j'entendis un son derrière moi. Je me tendais, prêt à agir, avant de me rendre compte qu'il s'agissait d'une goutte d'eau venant de chuter. Je fermais les yeux, soupirant, avant de m'arrêter de nouveau. Je venais de percevoir un autre son. Un craquement. Je tournais la tête dans la direction du bruit, scrutant les parages. Rien de spécial en vue. Je me rapprochais tout de même, scrutant le brouillard à la recherche d'indices. C'est en regardant le sol que je cru comprendre. Des traces de pas félines. A mon sens, un chat sauvage, ou même domestiqué, venait de passer par là. Un chat ou un autre félin, au vu de la taille des empreintes. Il devait sûrement s'agir d'un animal plus important au vu de la taille et de l'enfoncement de ses pattes.

Je relevais alors la tête, observant les alentours. S'il y avait un tel animal dans le coin, il devait sûrement y avoir quelque chose susceptible de l'intéresser dans les parages. Soit un village, soit son maître dans le cas d'un animal domestiqué, soit... Moi, dans le cas d'un animal sauvage affamé. Je fermais les yeux, réfléchissant un instant. Comment procéder désormais ? Devais-je suivre les empreintes pour vois où elle menaient ? Et s'il s'agissait d'un piège ? Ou s'il s'agissait d'un animal sauvage particulièrement féroce ? Je réfléchissais à cela quelques secondes, avant de finalement redresser la tête, avec pour résolution de suivre les traces de cet animal... Ce que j'aurais fait, si un autre craquement sinistre n'étais parvenu jusqu'à mes oreilles...

Le faon est seul au milieu de cette clairière. Et il semble inquiet. Il tourne la tête à droite et à gauche, frappe le sol de ses petits sabots alors qu'il pousse quelques couinements ... Sa mère n'est pas revenue, elle qui ne se séparait de lui qu'un de très rares occasions, pour toujours revenir ... Sauf cette fois. Le pauvre petit animal était déboussolé, ne savait pas quoi faire. Heureusement qu'une pense à ses tourments. Et qu'elle va bientôt les faire disparaître à tout jamais. Quelle aimable demoiselle je fais !

Les feuillages bruissent, alors que j'agis. Le faon détecte le bruit anormal et tourne la tête en ma direction. Pour se paralyser, l'espace d'une seconde. Le temps de voir mes pupilles dorées. Et il avait fui. Car sa vie en dépendait. Malheureusement, il était tombé sur la Prédatrice.

Mes pieds foulaient de façon presque aérienne l'herbe, on pourrait presque croire que je flottais sur celle-ci. Mes jambes étaient fortes, entraînées depuis ma naissance ... Pour ce dessein. Pour la gloire de la Grande Chasse. Il ne me fallait que quelques secondes avant d'arriver sur lui et de bondir, griffes sorties, mes iris palpitant d'excitation. Alors que j'attrapais la jambe arrière de la proie, stoppée en pleine course. Qu'elle tente de se débattre, de s'échapper de ma poigne de fer. Ses yeux croisent les mieux, ils s'agrandissent sous la terreur. Et tout se finit en un coup de croc.

C'était propre, net, sans cruauté. Une bête ne méritait pas de souffrir. Contrairement aux humains.
Que les tourments éternels les prennent.

Je soupirais de plaisir, mâchant la chair tendre, alors que d'un revers de la main j'essuyais ma gueule souillée de sang. Mais c'était un effort inutile. La crasse et les effluves vitales me tâchaient grandement, après tout, cela faisait presque une semaine que je n'avais pas retrouver la civilisation. Me laissant tomber sur l'herbe fraîche, je me gratte négligemment le ventre avant de me permettre un loooong bâillement. J'avais fait assez d'activité physique pour aujourd'hui, temps de faire une sieste ! Je le mérite ! Oh oui !

Petit sourire en coin, voilà que je m'allonge, en bâillant une nouvelle fois. Mes yeux sont clos, alors que je profite de la brise légère. Mais voilà que je me redresse, rapidement. Presque en position de garde. Une odeur humaine. Le vent m'avait amené un relent humain, pas si éloigné que ça ...

J'hésite. Et pourtant, voilà que silencieusement, je me déplace à travers les bois pour voir ce qu'il en est. Pas pour un geste désintéressée, oh ça nan ... Mais si je vous disais à quoi je pensais, vous trouveriez cela ... Un peu, ahem, sale ... J'en rirai presque, mais qu'importe. Tout d'abord, le trouver. Et après ... On verra, si on s'amuse avec. Ou si on en fait autre chose.

Je le vois, mais lui ne me voit pas. Je profite de l'effet de surprise. Si j'en crois mon odorat ... C'est un félin qui attire son attention. Sauf que ce n'est pas le bon, remarquais-je avec un grand sourire. Cela dit ... Je craque une branche, juste devant moi. De telle façon à ce qu'il comprenne que quelque chose qui n'est pas animal est derrière lui. Et c'est avec un grand sourire, que je l'accueillais d'un signe de la main, mes pupilles félines palpitant d'une curiosité un brin malveillante.

- Oh bah tiens ... On est ... perdu ..?

Ma voix se voulait chaleureuse, mais il y avait quelque chose de faux dedans.
D'autant plus quand on voyait mes vêtements lacérés, et mon visage souillé de sang.

Un bruit. Un craquement. Un son. Une voix. Une voix au timbre étrange. Une voix presque... Dérangeante. Je me retournais, pour finalement la voir. Cette jeune femme, à la silhouette élancée. Aux courbes félines, au regard perçant. Son regard... Voilà ce qui avait capté mon attention, et ce... Presque au premier instant, oui. La première œillade fut dirigée vers le sang dégoulinant sur son visage, souillant son corps et ses vêtements tout bonnement lacérés. Puis mon regard se redirigea vers ses yeux. Des yeux brillants, à l'éclat féroce. J'aurais cru regarder une bête sauvage droit dans les yeux. Un prédateur, aux pulsions meurtrières, aux envies de meurtre. Elle me faisait penser à ces fous. Ces fous de batailles, parasités par la haine et la soif de vengeance. Tous ces individus que j'avais croisés, et qui auraient voulu tomber en entraînant le monde avec eux. C'est ce à quoi son regard me faisait penser, même si son attitude se voulait... Accueillante ?

Non, même pas. Son aspect physique à lui seul était un avertissement. Non pas qu'il fut désagréable, mais. Son sourire ensanglanté, son visage barbouillé de sang, et ses frusques en lambeaux n'étaient en rien avenants. Ils ressemblaient d'avantage à un avertissement, un signal d'alerte. Mais la fuite n'était pas à mon programme. Et même si elle avait parue prête à me tuer, je pense qu'en aucun cas je n'aurais fait demi tour. Certes, je connaissais déjà ce genre de profil psychologique. Toutefois, elle était différente dans sa similitude avec ces fous furieux.

Quelque chose la différenciait de ces pauvres hères, dont la raison avait été éparpillée aux quatre vents. Je ne pouvais encore dire quoi, un simple regard ne me permettant pas encore de tout analyser. Mais une impression, plus proche d'un instinct, me dictait qu'elle n'était pas comme tout le monde... Et plus je la regardais, plus je trouvais son physique assez disparate. Il y avait quelque chose en elle que je n'avais encore croisé chez aucune femme. Sa vue me faisait penser à quelque chose. Mais je n'aurais guère su dire quoi pour l'instant. Ce n'était encore qu'une impression naissante. Un doute flottant, légèrement présent. Un doute qui allait se confirmer. Mais je me contentais de la regarder, inclinant légèrement la tête pour la saluer.

« Il semblerait plutôt que ce soit vous qui soyez perdue, n'est-ce pas ? Que fais donc une jeune femme en ces lieux, et surtout avec un tel accoutrement ? Seriez vous donc blessée ? »

Question totalement inutile. Je savais bien que ce sang ne provenait pas d'elle. Elle n'avait aucune blessure, aucune plaie apparente. Et même si elle s'était mise à cracher du sang, si cela avait été en telle quantité, elle ne se tiendrait pas ainsi. Ce n'était pas elle la victime. Elle avait plutôt le rôle de l'agresseur dans tout ceci... Mais pourquoi ? Et comment aurait-elle pu se couvrir de sang ainsi, à mains nues ? Car non, elle ne portait aucune arme. Et il était impensable qu'elle aie pu en cacher une sous ses lambeaux de vêtements. Alors la question demeurait. Et je restais là, dans l'incertitude de sa réponse, animé par la curiosité, malgré cette pointe d'appréhension naissante.

Mutine, provocante, et surtout, menaçante. Ou du moins, elle se voulait l'être. Je continuais à l'observer, sans pouvoir me détacher de ces pupilles surréalistes. Ces pupilles transcendaient l'entendement humain. Et je pensais savoir pourquoi. Je n'aurais pu l'affirmer, mais j'en avais la conviction, quelque part au fond de moi. Ainsi, je me contentais de la regarder, écoutant ses paroles, dont le timbre m'apparaissait petit à petit assez différent de tout ce que j'avais pu croiser jusque là. Ce n'était qu'un détail bénin, une différence infime qu'il aurait été peu aisé de déceler. Mais je ne pouvais me caler que sur sa voix, et ses yeux. Je n'avais que ces deux indicateurs pour déterminer si elle mentait ou si elle était vraiment sincère. Et à mesure que notre échange avançait, ce n'était que plus visible. Elle n'était pas là pour m'aider, bien au contraire. Ses intentions auraient pu être n'importe quoi, mais elles n'étaient en rien bienveillantes. Je me contentais alors d'arquer un sourcil alors qu'elle m'informait des nombreux dangers présents dans cette forêt, croisant les bras alors qu'elle semblait s'amuser de ma réaction précédente concernant son habit. Que je jugeais, soit dit en passant, et malgré qu'il n'aie rien de désagréable, toujours fort mal adapté à l'endroit, même après sa remarque moqueuse.

Je la laissais avancer tandis qu'elle continuait. Je ne prêtais guère attention à ses paroles, remarquant plutôt sa démarche. Son pas avait quelque chose de spécial. Le balancement de ses hanches était plus... Félin qu'autre chose. Quand à ses mains... Elle semblait être pourvues de griffes. Je ne les avaient qu’entraperçues, mais c'est ce qu'il m'avait semblé. Je la regardais s'avancer encore un peu, observant ses mains pour tenter de confirmer ce qu'il m'avait semblé voir. Et j'avais raison. Des griffes. Avec ces pupilles, et cette façon de se mouvoir... Mes doutes s'effaçaient peu à peu, mais il n'y avait encore aucune réelle certitude à avoir. C'est alors que je fis attention à ses paroles, sortant de mes pensées. Des étrangers qui ne seraient jamais revenus ? Je souriais tranquillement en l'entendant dire.

Bras croisés, je me contentais de me rapprocher, finissant de couvrir le peu de distance qui nous séparait. Je souriais légèrement, répondant à sa provocation par un calme olympien. J'approchais ma main de son visage, pour aller récupérer une goutte de sang dégoulinant de son menton. Du bout de l'index, je recueillais le liquide rougeoyant, avant de le porter à mes lèvres. Je fronçais les sourcils, levant la tête alors que je réfléchissais. Je fis alors demi tour, me creusant la cervelle. Pour finalement claquer des doigts, la réponse à mon interrogation me parvenant enfin.

« Je sais. Mammalia. Cetartiodactyla. Ruminantia. Cervidae. Un individu encore jeune. En somme, un faon. »

Je me retournais alors vers elle, l'air confiant, pour ajouter quelques mots à ma déduction.

« Je serais vous, je rangerai ces griffes. D'autant que je n'aimerais pas avoir à abîmer une jeune Gekei. En particulier un si joli minois. »

Je lui renvoyait sa provocation, n'ayant absolument pas écouté ce qu'elle racontait à la base. Je n'avais pas grand chose à craindre, elle était seule, et je pouvais tout à fait la gérer si les choses dégénéraient... Mais je voulais voir si elle savait garder le contrôle de ses nerfs ou non.

La folie est-elle d'être homme à la peau de bête, ou d'être bête à la peau d'homme ?

Il n'avait pas peur de moi, ou si c'était le cas, il réussissait à le cacher très bien. C'était typique des humains. Inconscients, arrogants, orgueilleux, jusqu'à leur perte, aussi pathétique soit-elle. Ils étaient aveugles, si aveugles ... Et celui-là devait l'être d'autant plus. Il était seul. Dans un pays étranger. Face à une personne hybride du félin. Et il ne ressent aucune peur. Même, il va jusqu'à me provoquer. Il franchit la distance nous séparant, vient me toucher le visage et y recueillir une goutte de sang. Et le voilà finalement à étaler sa science. A me menacer, même. Enfin, ce n'était pas une menace. Un conseil de sa part. Il savait ce que j'étais visiblement, et mon engeance ne l'inquiétait pas.

Ça me donnait des envies de meurtre.

C'est pour ça que je me suis contentée de le fixer, silencieuse, en répondant d'une voix sans émotion aucune, ayant pourtant l'accent de rage froide.

- Pourquoi n'avez-vous pas peur de moi ?

Je penchais la tête sur le coté.

- Vous êtes seul, dans un pays étranger, face à un être des plus dangereux. Pourquoi ne me faites vous pas le plaisir d'être terrifié ? De fuir, sangloter, implorer à genoux ... Dites moi ..?

La frustration se ressentait dans mes derniers mots. Je n'étais pas un chaton, au contraire ! J'avais plus de la tigresse que du petit animal que l'on souhaite serrer dans ses bras. Et pourtant, la réaction était toujours la même. On me prenait de haut. On se moquait de moi. Jamais, jamais on ne me prenait au sérieux.

- Il m'arrive d'avoir peur, à moi aussi. Tout le temps, parfois jamais. Mais je ressens le sentiment. Alors, pourquoi vous et les gens de votre espèce, ne me faites pas le plaisir de faire de même ..?

C'était injuste, au fond. Et il paierait pour ça.

Pourquoi. Bonne question. Pourquoi n'avais-je peur ? Pourquoi n'étais-je effrayé ? Je suis sur que nombre de questions de ce types remplissaient sa tête en ce moment même. Il était vrai que la situation ne m'était en rien favorable. Il est vrai que rien ne m'avantageait en ce moment. Ou du moins c'est ce qu'elle croyait. Il y avait bien un point où je dominais. Sur le plan psychologique, elle ne pouvait tenir la comparaison. Elle était trop sûre d'elle dès le départ. Et désormais qu'elle se voyait confronté à une résistance, sa façade s'effritait. Elle passait de la demoiselle qui se voulait suave et dangereuse à l'enfant frustré et capricieux. Et en cela, elle ne pouvait prendre le dessus sur moi, c'était tout simplement impossible. Je soupirais. Pourquoi n'avais-je pas peur en ce moment ? Tout simplement parce que la situation ne l'exigeait pas. J'avais déjà croisé nombre d'individus. De véritables monstres de puissance et de destruction. Des êtres à la puissance des centaines, voire des milliers de fois supérieure à la sienne. Alors le fait même qu'elle se définisse comme un être dangereux ne pouvait que me faire sourire.

« Sais-tu au moins ce qu'est la peur ? Non. A l'évidence ce n'est pas le cas. Tu as beau la ressentir, tu ne peux la définir. »

Je fermais les yeux. Comment lui expliquer. C'était la question qui me trottait en tête. Si toutefois il existait un moyen de réaliser une telle chose. La peur était un ressenti primal. Primaire. Présent en chaque individu vivant. Capable de resurgir à tout moment. Pour certains, la peur n'est qu'une application de la mort. Il ne s'agit de rien d'autre que le rejet de cette mort. Les gens ont peur pour de nombreuses raisons. Et lorsque l'on observe ces raisons, toutes se rejoignent. Toutes se regroupent. Et toutes ne sont que des dérivées d'un élément. D'un fait. La Mort. Et en cela, les hommes craignent l'inévitable. Ils craignent la course du temps. La dégénérescence de la vieillesse. La perte de leurs capacités. L'inégalité des chances définie depuis leur naissance. Les Hommes ont des raisons d'avoir peur. Mais et moi. Pourquoi en aurais-je ? Qu'ai-je à craindre du temps ? Rien. Les blessures ? Nenni. La vieillesse ? C'était suffisamment clair. Mais elle n'aurait pu comprendre.

« Je ne pense pas que tu sois en mesure de saisir tout ce qu'est la peur. Tu ne pourrais comprendre les raisons pour lesquelles la peur me tord le ventre. »

Car il en existe malgré tout. Oui. Il m'arrive d'avoir peur. Il m'arrive de craindre pour moi. Pour le monde. La peur est présente lorsque les pages de l'Histoire se tournent, pour en entamer une nouvelle. Toutefois, elle ne peut pas comprendre. Elle qui n'est qu'une Gekei. Elle qui n'est encore qu'une enfant. Un nourrisson à l'échelle de ce monde. Un grain de poussière à l'échelle de l'Histoire.

Il me met sur les nerfs, ce petit rat méprisant.

Ne pas savoir ce qu'est la peur ? Et alors ? Je ne sais pas ce que c'est ! ET ?! Est-ce que le paysan a besoin de savoir ce qu'est une lame pour comprendre que si ça le touche, ça le tue ?! Il me prend de haut, mais ça lui servir à quoi quand je vais le tabasser ? Quand je lui casserai le moindre de ses os ? Ah ouais, les gens savants ! Ça sait parler ! Mais qu'est-ce que ça fait quand ça reçoit un poing dans la gueule ?! BAH RIEN ! Mais avant, soyons civilisée. Je lui adresse un magnifique sourire, mes traits tordus par une rage qui peine à se contenir.

- En fait, j'en ai strictement rien à faire, de pourquoi tu peux pas ressentir la peur ...

Je pose mes mains sur ses épaules, ferme les yeux, alors que je le renifle.

- ... Je veux juste que tu la ressentes ...

Je l'attire contre moi, dans ce qui aurait pu être une embrassade passionnée.

- ... Et à défaut, tu ressentiras au moins la douleur.

Je lui mettais un gros coup de boule, violent. Avant d'écraser mon genou contre son ventre. Contempler sa souffrance à venir, ça suffisait à me faire exulter de plaisir.

La mort, je sens la mort planer sur nous. Et elle me rend toute chose.

La violence. Les instincts les plus primaires. Voilà pourquoi je considère les Gekei comme une branche de l'humanité à part entière. Une branche bien plus vicieuse. Beaucoup les pensent comme étant des bêtes sauvages, des animaux stupides. Toutefois... Pour moi, ils n'étaient que des Hommes. En bien plus retors. Bien plus imprévisibles. Et en cela, peut être même supérieurs. Ou moins à plaindre. Eux qui savaient encore user de leurs instincts pour survivre, pour vivre même. Contrairement aux Hommes, ces être faibles, rongés par leurs pensées et leurs sentiments. Je fermais les yeux, la laissant agir à sa guise. Ressentant les chocs. Encaissant les coups. Sans toutefois réagir d'une quelconque façon. Je la laissais agir, avant de finalement me redresser, mon flux de chakra circulant dans mon corps, effaçant les blessures mineures qu'elle aurait pu laisser, comme des bleus et autres contusions. Aucune trace de blessure, ni même de douleur.

Je me contentais de sourire tranquillement, lui passant une main dans les cheveux, que je caressais simplement, comme je l'aurais fait avec un petit chaton. Comme avec un petit félin, sans grande importance. Sans même y prêter vraiment attention. Je regardais aux alentours, me demandant si on avait pu entendre ses éclats de voix... S'il y avait eu quelqu'un d'autre que nous aux alentours en ce moment même, c’eut probablement été le cas. Mais non. Personne. Je m'adressais à elle d'un ton évasif, continuant à scruter les alentours, moi qui croyait avoir perçu quelqu'un d'autre aux alentours.

« Alors, le petit accès de rage de mademoiselle est-il terminé ? »

J'hésitais à la gratter derrière l'oreille, dans une scène qui aurait pu être d'un burlesque tel que n'importe qui l'aurait cru exagéré. Je l'imaginais en train de ronronner sur le coup. Mais ce n'était pas le cas, et j'avais toujours une demoiselle en rogne contre moi, prête à me frapper à tout moment. Mais je l'ignorais, faisant comme si elle ne représentait aucun danger pour moi. Ce qui était, en soi, le cas. Elle n'aurait pu me faire grand mal en ce moment même. Alors je pouvais bien me permettre de jouer un peu avec elle. Je m'accordais quelques minutes, l'attirant à moi à mon tour, mais pour la serrer dans mes bras cette fois. Et ce faisant, je déposais dans son dos un sceau que j'avais à l'instant enfermé dans ma paume. Un sceau destiné à se déclencher au moindre claquement de doigt, pour l'immobiliser. Je souriais alors à nouveau, m'adressant à elle en la regardant cette fois.

« Je doute que la douleur soit la meilleur façon de s'exprimer mais soit... Je peux concevoir ce comportement un peu frustre. »

Je souriais d'un grand sourire, à la fois moqueur et amusé. La pauvre, pauvre petite. Elle allait encore s'énerver. Et elle allait se trouver dans une telle situation... Si j'en avais eu le temps, je l'aurais plainte. Mais pas maintenant. Pas cette fois.

Il ne semblait pas avoir mal. Pourtant, j'avais frappé justement pour qu'il ressente beaucoup de douleur. Je haussais un unique sourcil, confuse. Je le regardais de haut en bas, alors qu'il se désintéressait de moi. Et ce fut à moi de ressentir, pour la première fois depuis longtemps, une étrange sensation de crainte me prenant l'estomac. J'avais frappé beaucoup de gens. Certains avaient subis, certains avaient esquivés, certains avaient contrattaqués. Ceux qui subissaient ne répliquaient pas, généralement. Ils attendaient la mort bien docilement. Mais, il y en avait certains qui souffraient, se redressaient, et engageaient l'affrontement avec un ressentiment nouveau.

Mais il n'y en avait aucun, jusque là, qui avait subi et qui m'avait soudainement ignoré.

Je veux dire ... Je lui ai fait mal, c'est obligé ! Obligé que ses os aient tremblé sous mes frappes, que ses nerfs aient hurlé de douleur ! Juste ... J'ai du mal m'y prendre, voilà ! J'allais le rouer de coup, le tabasser, lui arracher la langue, lui crever les yeux ! Et après, juste après, quand il me suppliera d'arrêter, je me sentirai satisfaite !

Pff, t'es trop con ... Tu te serais contenté de pleurer quand je t'ai enchaîné, rien de tout ça ne serait arrivé ...

J'étais pleine d'une nouvelle résolution, mes peurs envolées. J'avais juste à insister un peu plus quand je le cognerai, c'tout !

Mais là, voilà qu'il commence à me caresser les cheveux. Je suis stoppée en plein élan, choquée. Et voilà qu'il me parle comme on le ferait avec une petite fille capricieuse. Il continue en me prenant dans ses bras. Mes pupilles se rétrécissent sous la colère. Je tremble, tremble de rage. Comment ose-t-il m'humilier ..? MOI ?! Sur un ton froid, je chuchotais.

- J'vais t'faire regretter d'être née, connard.

Et j'abattais mon unique point, chargé d'une haine vertueuse, sur son sale petit visage condescendant.

J'encaissais de nouveau. Paroles se voulant blessantes. Inconsidérées. Actes stupides. En cela se reflétait à merveille l'animal en elle. Je fermais les yeux, reculant légèrement suite au choc. La colère l'aveuglait. Mais quelque chose n'allait pas. Quelque chose rodait dans les parages. Un danger quelconque. Mais malgré tout présent. Je redressais alors la tête, alors que mon cartilage nasal reprenait forme, de lui même, sans un mouvement de ma part. Sans qu'un geste ne soit fait. Sans qu'une goutte de sang ne tombe. Pauvre petite chose. Si hargneuse. Si arrogante. Et pourtant si ignorante. Je lâchais un soupir de fatigue, ne la regardant même plus.

Je l'écartais alors violemment, la poussant sur la droite, alors qu'un homme surgissait de derrière un arbre. Un homme au regard fou. Aux yeux exorbités. A l'air hagard. Un pauvre hère perdu, démuni, et dont l'esprit avait été touché par la folie. Etaient-ce les privations qui lui avaient fait tel effet ? Ou bien la perte de ses camarades de route. Ou un mélange de tout cela. Qu'en savais-je. Cet homme n'était plus un Homme. Il n'était qu'une bête stupide, une arme à la main. Et je le laissais frapper. Je laissais sa lame transpercer mon torse, alors qu'il me regardait de ses yeux vitreux. La folie illuminait ses iris. Et je me contentais de le dévisager, feignant la surprise et la douleur. Lentement, je portais une main à la lame enfoncée dans mes chairs. Lentement, comme mortellement blessé. Comme un homme dont la dernière heure aurait du venir. Mais la suite, quel mortel aurait pu l'imaginer...

J’agrippais le métal, l'empêchant de retirer sa lame. J'attrapais alors son cou de ma main libre, l'étouffant. Réaction typique. Scène maintes fois vécue. Il lâcha son sabre pour m'empêcher de l'étrangler. J'en profitais alors pour retirer la lame de mon torse, la retournant dans mes mains pour lui ficher entre les deux yeux. Je le repoussais alors d'une légère pression, retirant la lame ensanglantée. Pas une blessure ne me marquait. Pas une cicatrice apparente. Simplement le souvenir de cette scène surréaliste. Et cette pauvre enfant que je venais de jeter sur le côté. Je me contentais de lui adresser un regard en coin. Un regard oblique. Chargé de lassitude, de désillusions.

« Apprends donc à te contrôler. Ta colère t'aveugle trop aisément. Quand à regretter... Il y a bien longtemps que je n'y pense plus. »

Je fermais alors les yeux, laissant l'arme tomber à terre, lascivement. Presque lentement. Je soupirais. Il n'y avait rien à tirer de cette enfant. Rien sinon une confirmation. Je pensais les Hommes stupides. Arrogants. Aveugles. Et tel était bien le cas. Et ce pour tous. Même les hybrides. Même les erreurs. Même les êtres tels que moi. Ou elle.

J'ai senti ma frappe dans le corps de l'imprudent. Mais j'avais beau y avoir mis toute ma force, c'était inutile. C'est comme si il ne l'avait pas sentie. Et c'est une frustration encore plus grande qui me prenait. Peut-être devrais-je lui déchirer la gorge, tout simplement. Le tuer, voilà tout. Il ne pouvait pas ressentir la souffrance, mais je doutais qu'il soit immunisé contre la mort causée par décès. Si je tranchais ses artères principales ... Il se viderait de son sang, et j'aurai ma petite victoire futile. Mais ce n'est pas parce qu'elle ne représentait rien à l'échelle de ce monde que pour moi elle manquait de sens.

Il me défiait. Il me provoquait, avec son attitude et ses paroles. Et une ne peut se permettre de laisser un quelconque humain se dresser contre ma personne.

Je suis Nodoka, Gekei libre, fille de Naoko des Marécages. L'esprit de la Grande Chasse m'habite, et les Ancêtres suivent mon pas.

Alors j'vais lui déchirer la gorge d'une grosse morsure, et c'tout.

Mais au moment où je me décidais, voilà que j'étais jetée sur le coté d'un mouvement violent. Surprise, il me fallait quelques secondes pour me redresser et constater la situation : Il y avait un homme apparu de nulle part qui s'était jeté sur nous, et qui avait chargé l'inconscient qui se jouait de moi depuis de lourdes minutes. Et il se débrouillait bien, n'avait pas besoin de moi. Et finissait par l'exécuter promptement. Et il continua d'agir comme si cette scène n'avait eu lieu. Le regard qu'il me posait dernièrement, accompagné de ses derniers mots, m'emplirent d'une rage froide.

- Tu sais rien, pauv' tâche. J'me casse, t'en vaux pas la peine.

Ouais, je décidais de me casser. Mais alors que je me retournais, je me suis juste contentée d'ajouter un truc.

- Mais la prochaine fois que j'te croise, j'te frapperai pour tuer. Retiens bien ça.

Car il n'y a qu'une chose que les bêtes telles que moi acceptent : La force.

Je souriais. De ce petit sourire. Ce sourire sardonique. Ironique. Moqueur. Je l'écoutais, elle et son ton rageur. Elle n'avait donc vraiment rien de spécial. Rien d'exceptionnel. Rien qui ne puisse m'intéresser d'un quelconque façon. Alors je n'avais rien à tirer d'elle. J'aurais pu la supprimer. J'aurais pu exaucer la dernière volonté de cet homme. Je ne l'aurais pas laissé mourir seul. Je lui aurais donné un peu de compagnie pour son dernier voyage. Mais je ne suis pas un monstre. Elle est encore jeune.

Si jeune. Et si ignorante.

Je pensais à voix haute. Et pendant ce temps, elle partait. Ou faisait mine de partir. Seulement, je n'en avais pas fini. Pas encore. Et je riais. D'un rire clair. Moqueur. Elle était amusante malgré tout. Probablement était-ce la seule chose qu'elle avait pour elle. Et je continuais. Je continuais à jeter mes piques. A m'amuser de ses réactions puériles et indécentes. Elle n'était vraiment qu'un animal. Et rien d'autre.

Tu peux aussi reconnaitre que tu es impuissante. De toutes façons, tu n'as pas ce qu'il faut pour me tuer. Personne à ce jour n'a réussi. Une jouvencelle à peine sortie du berceau ne le pourra pas.

Je haussais les épaules. J'avais eu la dent dure. Le ton acerbe. Mais ce n'était qu'une vérité parmi tant d'autres. Une vérité blessante. Tranchante. Comme un couperet. Une lame de rasoir. Et elle ne pouvait s'esquiver. Elle ne pouvait ignorer mes mots. Je ne comptais pas repartir ainsi. Je comptais bien m'amuser encore un peu avant. M'amuser à ses dépens. Je m'installais alors sur une souche. Je l'observais. Quel pathos. Si arrogants. Tous. Tous autant qu'ils sont. Arrogants, mais faibles. Impuissants. Incapables. Nés pour mourir. Rien d'autre.

La faiblesse des Hommes est si affligeante... Alors que devrais-je dire de celle des animaux ?

Faiblesse physique. Mentale. Tu souris. Tu t'attends à la voir faire volte face. A vouloir te tuer. Tu sais qu'elle ne fera pas la sourde oreille. Ce genre de comportement, tu l'as déjà croisé. Tu l'as déjà observé. Et tu l'as déjà supprimé. Parce qu'ils étaient stupides. Arrogants. Inconscients. Incapables d'imaginer que de sous la surface pouvait surgir un dragon. Un dragon séculaire, capable de tuer à tout moment. Et ce, selon son bon vouloir. Alors... Que pourrait faire un chaton ?

Je m'étais arrêtée sous les paroles de l'inconscient. Et j'avais ouvert grand les yeux, choquée pour le coup. Ses propos ... Était il sérieux ? Pensait-il vraiment ce qu'il disait ? Puis il avait pas l'air si vieux au fond ! Alors à quoi il joue là ?! Il fait son malin parce que ses nerfs ont tous explosés et donc qu'il ressent pas la douleur ?! Je devrai vraiment le tuer, au fond. Mais j'en avais pas envie. Je voulais m'amuser avec lui, et bon ... Parti comme c'était, j'allais juste me contenter de le frapper de façon sourde et aveugle, et quand il baignera dans son sang, juste là, je reprendrai conscience. Ce qui enlèvera tout le plaisir à la chose.

Je m'étais retournée, lui jetant un regard en biais. Puis je lui avais demandé, tête penchée sur le coté.

- T'es vraiment qu'un naze, si t'as toujours pas compris.

Au fond, c'était limite risible. Marrant, à quel point il état sûr de lui.

- J'étais venue pour m'amuser avec toi, mais t'es pas joueur. Si je reste avec toi, tu vas sortir avec les tripes à l'air. Tu devrais t'estimer chanceux, et arrêter de jouer avec ma patience.

J'étais plus calmée sur le coup. Et tout ce que j'avais dit, c'était pas de vaines menaces. Je pensais tout ça réellement, et ce n'était plus sous l'effet de la colère que les paroles étaient lâchées. Il pouvait me prendre au sérieux, ou pas. Peut-être pas, ce genre d'individus sont généralement trop méprisants pour se rendre compte des réalités.

- J't'ai frappé comme une humaine, vu que t'es rien d'autre qu'un humain. Mais si tu m'obliges à frapper comme une Gekei, t'auras plus la possibilité de causer et de faire tes petits sermons. T'as pas ce qu'il faut pour m'occuper, et t'as à peine ce qu'il faut pour m'agacer.

J'affichais un grand sourire, suffisant. T'es rien face à moi, mec. Mais va me chercher, que je mettrai à exécution mes menaces avec grand plaisir. J'suis une Gekei, une Gekei libre. Et contrairement aux mecs comme toi, on parle pas pour rien dire.

Oh. Surprise. La voilà qui se met à répliquer. Et je ne peux que sourire. Ah. La fraiche candeur des nouveaux-nés. Qui pensent être le cente du monde. Qui pensent être supérieurs aux autres. Et qui ne sont rien. Je riais de nouveau. Encore une fois, elle m'amusait. Incroyable comme ces petits riens peuvent changer le cours d'une journée. Car, soyons franc, elle n'était qu'une de ces petites choses si insignifiantes. Si inutiles. Et pourtant amusantes. Divertissantes. Je la regardais, attendant tranquillement qu'elle finisse son petit discours. Son petit discours hargneux et se voulant violent.

Les enfants aprennent si vite... C'est bien, tu as intégré le concept de la provocation. Mais là, on appelle ça du plagiat.

Tout en parlant, je malaxais mon chakra. Je jouais avec. Je le fis circuler dans mon corps, suivant un schéma particulier. Je commençais alors à rajeunir. A vue d'oeil. Je devins rapidement un jouvenceau. Ou du moins, j'en pris l'apparence. Un jeune homme sorti de l'adolescence. Je souriais toujours. Et je continuais à parler.

Ne me parle pas du concept de patience. Une enfant comme toi ne sait pas de quoi il est question. Après tout, qu'est-ce que la contenance d'une enfant devant la longévité des siècles ?

Je changeais alors mon flux de chakra. Je le laissais affluer différemment, changeant de nouveau d'apparence. Du jeune adolescent, je passais au vieillard à la barbe grisonnante et assez fournie. Je caressais cette dernière distraitement, tout en la regardant. La fierté. L'orgueil. Qu'était-ce face au temps ? Rien. Juste des folies. Des folies auxquelles chacun se raccroche. Dans lesquelles chacun cherche un sens à son existence. Et ce n'était rien, sinon risible.

Mais au final... Tu n'es qu'une Gekei. Juste une petite sotte. La fierté, oui. C'est bien beau. Mais tu es incapable d'agir. D'exécuter tes menaces. Tu es juste un animal, comme j'en ai vu mourir à travers les siècles. Et nombres d'entre eux étaient éminemment plus sages que toi.

Je terminais en reprenant mon apparence normale. Je finis par me relever. Elle allait réagir. Attaquer. Et je l'y invitais. D'un geste de la main, je lui intimais d'attaquer. Et ce faisant, je plaçait furtivement un sceau dans mon autre main. Elle allait déchanter. Elle frapperait. De toutes ses forces. Mais elle n'en tirerai rien. Rien sinon des blessures.

J'avais froncé les sourcils. Irrécupérable, décidément. Il parlait, il parlait, il parlait encore et encore. Pour ne rien dire. Pour être futile. Ses paroles s'envoleront avec le vent, et personne, pas même moi, ne m'en souviendrait. Les paroles de quelqu'un d'aussi insignifiant ne m'atteignaient pas, plus. A un moment, elles avaient réussi. Mais c'était juste de l'agacement ajouté à ma frustration. La frustration de ne pas arriver à accomplir ce que je m'étais promis d'accomplir. Ca m'avait rongée, mais juste pendant quelques courtes minutes. J'étais rétablie, sûre de moi, définitivement pleine d'arrogance et d'orgueil.

Et vous savez quoi ? Ca me plait d'être comme ça.

De pouvoir regarder les gens comme celui qui se trouve en face de moi, et de pouvoir le considérer comme ce qu'il est, moins que rien. Il n'est rien de plus qu'un arbre dans une immense forêt. Et ce n'est pas parce qu'il se trouve devant moi que pour autant j'oublie les bois qu'il cache. Je ne trouvais pas mon plaisir avec lui, je le trouverai avec un autre. Voilà tout. Alors, il pouvait continuer de parler, il pouvait faire ses tours de passe-passe ... Ca n'avait plus d'importance.

- T'es résilient, mais t'as toujours pas compris. C'est pas de la provocation, c'est juste la vérité.

Je ne souriais même plus.

- J'ai pas besoin de prouver quoi que ce soit.

Je m'approchais de lui, calmement, de ma démarche assurée. Tout dans mon attitude montrait que je ne le craignais pas. Que je n'avais aucun doute, aucune hésitation. Que ses paroles étaient creuses, finalement. Il devait avoir peur. Moi j'aurai peur, si j'étais lui. De me voir moi, avancer comme je le faisais, vers lui. Et me voilà face à lui. Je dardais mes pupilles félines dans les siennes. Me levais sur la pointe des pieds, pour déposer un baiser sur sa joue. Une unique caresse de mes lèvres, avant de m'éloigner, sans même jeter un regard en arrière.

- T'es marqué. Et si tu sais pas ce que ça veut dire, bah ... J'te souhaite juste de plus recroiser mon chemin.

Le clan Gekei a beaucoup de traditions qui remontent à la nuit des temps.

L'une d'elle concerne ses femelles. Lorsqu'un mâle, Gekei ou non, en arrive à un point de non-retour, nous déposons un baiser sur sa joue. Pour lui signifier qu'à la prochaine rencontrer, il n'y aurait que la mort qui nous séparerait.

Le baiser de la mort. Que je venais de lui appliquer.

Il ne me suivait pas, je pense. Mais je m'étais éloignée, silencieuse comme un prédateur se doit de l'être.
Me perdant à travers les arbres qui n'arrivaient pourtant pas à cacher la forêt.

Je fermais les yeux. Alors elle quittait les lieux. Dommage. Je soupirais, passant un doigt sur ma joue. Je savais ce qui venait de se passer. Ce qu'elle venait de faire. J'avais déjà croisé cette coutume auparavant. Chez d'autres Gekei. Ces animaux. Quelle barbarie. Quelle coutume bestiale. Bestiale et sadique. Marquer un individu. Pour lui signaler son envie de le tuer. Et le tout de la façon la plus ironique qui soit. D'un baiser. J'aurais pu cracher de dégoût. Mais ma condition ne me permet pas de tels affres. Et je me contentais de la regarder s'éloigner. Dommage. Dommage petite. Si tu étais restée, tu aurais connu la peur. La peur primale. La peur de se trouver face à un adversaire bien supérieur. Supérieur à tel point que tu n'aurais pu répliquer. Et bien plus dangereux que n'importe quel animal. Un adversaire que tu ne pourrais blesser. Et que tu ne pourras probablement jamais toucher. Je sais bien qu'un animal aux abois est dangereux car capable de tout. Qu'un Homme est la bête la plus dangereuse qui soit. Mais là, ce n'était qu'un stupide melting-pot de ces deux espèces. Ce n'était pas une finalité. Juste une erreur. D'autant que j'ai dépassé la condition humaine depuis longtemps. Il y a longtemps que je ne crains plus les bêtes apeurées.

Je soupirais alors. C'en était fini de cette conversation creuse et lassante. Non pas qu'elle aie pu me faire perdre un semblant de temps. Mais c'en était devenu lassant. Répétitif. Tout juste bon à figurer en ces pages. Cet événement aurait du être consigné en tant que souillure. Il aurait du ne pas figurer sur ce papier. Mais j'ai décidé de l'y consigner malgré tout. Pour montrer, de nouveau, la bêtise, l'arrogance, et l'inconscience des Hommes. Des Hommes, et par-là, des semi-Hommes. De ces bêtes de somme tout juste bonnes à figurer dans des zoos. Car après tout, L'esprit humain a toujours enchaîné les erreurs. Alors que devrait-on dire de l'esprit animal ?

Tu arrêtes ta lecture. Tu en as assez. Tu passes tes doigts sur ta joue, machinalement. Quelle petite sotte. Que fait-elle donc ajourd'hui ? Probablement est-elle en train de dilapider son temps en futilités de tout genres. Bah. Quelle importance. Dans quelques siècles, elle ne sera que poussière. Et son souvenir la suivra dans les méandres de l'oubli. Car tu le sais. Tu es seul. Seul face à l'avenir. Seul devant la promesse de l'éternité. Et tu n'as rien à faire. Tu n'as qu'à espérer. Qu'un autre te rejoigne. Que quelqu'un puisse voir ce monde comme tu l'as vu. Et te comprenne. Partage ta vision des choses. Qu'un individu exceptionnel puisse venir rompre cette monotonie atroce dans laquelle tu es depuis si longtemps enfermé... Et non. Etre un hybride ne suffira pas. Tu regardes ton ouvrage, avant de te décider à le ranger. Etre humain ne suffira pas. Il y a une condition bien particulière. Et tu le sais pourtant. Tu es seul. Seul au monde à avoir atteint cette condition...