« ‘Man, ‘man regarde ! Regarde c’que j’ai trouvé! ».

L’intéressée releva le nez de son ragout aux carottes duquel émergeaient quelques bouts de navets, attestant son expertise et ses talents culinaires. Rien n’était meilleur que des navets, de quoi vous nourrir suffisamment correctement pour pouvoir passer le plus rude des hivers. Décembre approchait et bien que rien n’annonçait un hiver plus enneigé que d’habitude, il valait tout de même mieux faire le plein de fibres, et ce n’était certainement pas l’une de ses voisines qui diraient le contraire.

« Quoi ? Encore des navets ? ‘tin c’est dégueu ! ».

Le gamin initialement rentré en trombes avait posé son paquet sur la table et s’était approché de l’énorme casserole, un air dégouté sur l’visage. Il devait certainement se demander pourquoi sa mère continuait à appeler ça un ragout de carottes, alors qu’elle mettait plein de trucs dégueulasses dedans qui gâchaient le gout de son aliment préféré.

« Rufus, ce n’est pas en mangeant que des carottes à longueur de temps que tu grandiras. Pour ça il faut manger le plus de légumes possibles. Regarde-moi, tu es tout maigrelet à force de manger que ça. Ce n’est pas comme ça que tu passeras l’hiver. ».

Voyant son fils en train d’essayer de plonger l’une de ses pattes dans la marmite, la mère armée de la cuillère en bois frappa vivement la patte qui s’était visiblement égarée, son courroux doublé alors qu’elle s’aperçut de la saleté qu’il avait fait rentrer dans la maison.

« Et tu oses goûter alors que tu es crotté comme pas possible ! Va te débarbouiller et met la table, ton père et tes frères et sœurs ne devraient plus tarder. ».

« Mais ‘man !!! ».

Impossible de rétorquer, le regard autoritaire qu’elle lui lança eut tôt fait de le convaincre de se diriger au trot vers l’évier. Mais alors qu’il faisait demi-tour, il eut la chance d’entendre sa trouvaille se manifester d’elle-même, de quoi obliger sa mère à faire attention.

« Ouu-Ouiiiiiiin… ».

Alertée la mère regarda alors la table et le paquet précédemment laissé par son fils. Passant du bébé à son fils, elle fronça les sourcils avant d’aller prendre le petit bout de chou dans ses bras, défaisant les langes du garçonnet de ses paluches toutes douces.

« Aga ? ».

C’était un petit homme qui la regardait maintenant avec un grand sourire. Il n’avait visiblement pas aimé se faire ignorer mais maintenant tout allait mieux. Prenant l’une des pattes de la géante à l’aide de ses petits bras, le poupon entreprit de sucer avec assiduité l’une des griffes usées par le labeur. C’est à cet instant que la lapine décida d’adopter irrémédiablement ce petit être qui avait atterrit chez elle comme par miracle, et ce quand bien même il n’appartenait pas à son peuple.

* * *

« Rhoo t’es nul ! C’tout c’que tu peux faire l’sans-poils ?! ».

Goguenard à souhait, Rufus dont le pelage était blanc comme neige gambadait devant son puiné, fier de ses puissantes pattes musclées qui lui assuraient une victoire assurée sur son jeune frère. Il grandissait rapidement. Plus rapidement qu’eux en tout cas. Cela faisait maintenant six bonnes années depuis qu’il l’avait trouvé dans la forêt, abandonné, trônant sur un tronc d’arbre. Il avait attendu encore et encore pour voir si on allait venir le chercher, et au fil des jours ‘pa et les autres membres de la fratrie avaient essayé de savoir si personne ne pleurait la perte d’un enfant humain dans le coin. Mais rien. C’était ‘Man qui avait proposé à ‘Pa qu’ils l’adoptent, et ‘Pa s’était pas fait prier deux fois. Ils pouvaient pas l’remettre là où il l’avait trouvé lui. C’était pas leur genre. Et malgré le fait qu’ils n’appartenaient pas à la même espèce, il s’était surpris à le considérer au fil du temps comme un vrai membre de la famille Rabbit… Les poils, les oreilles, et les dents en moins.

Dans l’voisinage ça avait jasé un moment … Et puis tout l’monde s’y était habitué au fur et à mesure. Faut dire qu’il avait l’chic pour se faire apprécier des gens. Et bien que la vallée n’ait pas pour habitude de côtoyer les humains, et qu’au contraire c’était un interdit suprême d’en guider un jusqu’ici, ce p’tit gars avait réussi à passer outre toutes les règles. C’te chanceux. Du coup, il pouvait profiter des meilleurs carottes du monde. Fallait dire mine de rien qu’c’était un peu la spécialité d’la famille eh ouais. Parce que même s’il ne voulait pas devenir fermier comme les autres, il reconnaissait qu’son père et sa petite troupe avaient du talent.

« Taïauuuuuut ».

Qu- ? Plaqué au sol, Rufus qui avait ralenti inconsciemment s’était vu rattrapé par ce sale morveux qui avait réussi à lui attraper les pattes au point de le faire tomber. Plein d’surprises décidemment !

« C’qui qu’est nul l’avec-poils hein ? Tes pissenlits j’vais t’les faire manger par la racine moi ! »

Eclatant tous les deux d’un rire fraternel, l’ainé frotta avec énergie les cheveux noirs du gamin. Non mais où est-ce qu’il avait appris ce genre d’expression sérieux ? Ah oui, de lui ahah.
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Spoiler:

« Toi, c’est quoi cette bedaine ! Toi redresses-toi ! Toi arrête de bouger, tu t’es cru où ! Et toi … »

Secouant sa grosse tête barrée d’une cicatrice qu’il avait gagné en combattant et qui lui avait fait perdre l’un de ses deux yeux, d’où le cache de borgne qu’il affichait, il la pencha juste devant son visage, le jeune Iroh pouvait sentir sa lourde haleine, mais ce n’était pas pour autant qu’il reculait, regardant fixement devant lui.

« Si j’mets la main sur celui qui m’a fichu des recrues pareilles… »

Le militaire lapin se redressant et recommençant à patrouiller dans les rangs, Iroh alors âgé de treize ans frappa discrètement du coude son frangin qui ne faisait plus que deux têtes de plus. S’il s’était désigné pour rejoindre les rangs de l’armée c’était avant tout pour lui. Car même s’il admirait les grands guerriers du peuple qui était devenu le sien, il rêvait également de partir à l’aventure et de découvrir par lui-même ce monde des humains, cette histoire de shinobis. Mais chaque chose en son temps. S’il voulait pouvoir se faire une place dans le monde, il devait d’abord apprendre à devenir fort, il devait d’abord prouver sa valeur. Et pour ça, l’armée semblait le lieu parfait. C’était Rufus qui le lui avait proposé. Lui aussi avait toujours rêvé gloire. Il se doutait un peu que c’était plus pour faire tomber toutes les lapines du quartier sous son charme qu’autre chose, cependant il ne le lui avait jamais dit qu’il l’avait grillé.

« Au cours des prochaines mois je vous entraînerai. Regardez bien autour de vous. La moitié aura déjà abandonné avant la fin du premier mois. Vous pensez être des soldats ? Vous en êtes encore loin ! Aucun d’entre vous ne durerait plus d’une minute sur un vrai champ de bataille. Particulièrement toi l’humain. »

Index pointé dans sa direction, le jeune Iroh fronça les sourcils à l’image du vieil instructeur. S’il croyait qu’il abandonnerait comme ça… Son père et sa mère étaient peut-être de simples cultivateurs mais il ne leur ferait pas honte.

* * *

Spoiler:

« J’te jure Mamma j’reviendrai. C’est juste que … C’est pas chez moi ici quoi. Enfin si mais j’me sens comme … attiré par l’reste du monde. J’ai envie de voler d’mes propres ailes. »

Toute la fratrie était là, même Rufus, armé jusqu’aux dents. Cela faisait trois ans qu’ils combattaient ensemble, et rien ne les avait jamais arrêtés. Ils avaient su se faire un nom tous les deux, et avaient réussi à faire honneur à la légion. Mais il arrivait un moment dans la vie de chaque homme où celui-ci devait se remettre en question. Et il n’avait pas fallu longtemps à Iroh pour lui rappeler ses envies de voir du pays. Pas déserteur pour un sous, il avait clairement fait valoir son désir de partir, et notamment sa différence par rapport aux autres. Cette différence avait toujours été un point fort, et malgré le fait qu’ils l’avaient formé, ils n’avaient pu faire autrement que de le laisser s’en aller en accord avec leurs anciennes lois.

« C-C’est tout ce que tu prends ? Tu sais, on est en automne, peut-être tu pourrais attendre le printemps pour… »

« Non j’t’assure. Si j’arrive pas à partir maintenant, je partirai jamais. J’te promets il m’arrivera rien. Est-ce que j’ai déjà pas tenu une de mes promesses ? J’t’écrirai, j’passerai de temps à autre. J’t’assure tout ira bien. »

Serrant la vieille lapine dans ses bras, le garçon fit également ses adieux à son père et à ses frères et sœurs, en finissant pas Rufus.

« Bon c’est l’grand jour… Fais gaffe à tes fesses maintenant que j’suis plus là pour veiller sur toi… »

Il avait l’air bien sérieux aujourd’hui contrairement aux autres fois.

« Oui… Attend. T’sais qu’j’suis pas un mordu de lecture… Mais quand tu m’as dit qu’tu comptais partir j’ai un peu fouillé par-ci par-là. Et… J’ai trouvé quelque chose. »

Invoquant un rouleau qui faisait la moitié de sa taille, le lapin l’ouvrit devant lui. Le document était vierge. A quoi bon sortir un rouleau sur lequel rien n’était inscrit ? Allez savoir.
« Ah ouais je vois… Non en fait non. C’est vraiment ça que t’as trouvé ? Y a rien dessus hein. »

Rufus fronçant les sourcils, le garçon se tut, prenant son air le plus sérieux possible.

« Y a rien dessus … encore, plutôt. J’ai appris que les humains dans ton genre ont l’habitude de faire appel à des animaux ninjas comme ils les appellent. Des animaux capables de réfléchir, parler, combattre quoi. Comme nous en fait. Ça mon grand, c’est un rouleau d’invocation. »

Ne voyant pas trop où il voulait en venir, le seul humain du groupe l’empressa de continuer, curieux. Est-ce que …

« S’tu croyais que t’allais partir à l’aventure sans moi tu t’goures… Mais t’sais que j’peux pas partir comme ça, que j’ai des responsabilités et tout. Par contre… Si t’es en une mauvaise posture j’veux qu’tu m’invoques. Hésites pas. J’veux pas qu’il t’arrive quoiqu’ce soit, et comme ça j’pourrai toujours servir de relais entre toi et la famille. »

Dubitatif, le garçon hésita un moment avant de poser la question fatidique.

« … Mais t’en as parlé au général ou à quelqu’un d’autre … J’risque pas de t’poser de problème si j’t’invoque alors que t’es en plein de milieu de quelque chose ? Genre une bataille ? »

Le lapin blanc rigolant bien fort d’un coup l’ébouriffa comme il l’avait toujours fait.

« Qu’est-ce tu t’inquiètes pour moi, c’est toi qui part pas moi ! Et puis … J’en ai d’jà parlé ouais. Il voit là l’occasion d’faire connaître le bon peuple des lapins en dehors de ses frontières, et m’a même proposé des p’tits gars pour participer à cette histoire de pacte. Bon chaque chose en son temps hein mais bon ... En tout cas il a bien précisé par contre que si tu nous faisais honte, il t’retrouverait et te ferait la peau, mais bon tu l’connais. »

Souriant à son tour, le garçon recueilli par les lapins suivit les consignes de son frère. Son premier Kuchiyose. Finalement ils pourraient bel et bien partir à l’aventure tous les deux.