- Chais pas. Mais si tu te met à genoux et que tu m'implores, je ré-étudierai ta question. Et tu sais quoi ? Si tu excelles dans ton rôle je t'offre quelques informations pour te récompenser.

Mon visage se tordait pour esquisser un sourire plus ou moins convainquant. A vrai dire je ne possédais plus la force de contracter tout mes muscles. Le ninja à mes côté ne sembla pas apprécier ma plaisanterie et esquissa un geste du poignet. Aussitôt le fouet enflammé claqua et une douleur perçante me coupa le souffle. Une longue bande de chair s'ouvrit jusqu'à l'os tandis qu'une secousse envoya mon corps contre le poteau auquel il était attaché. La chair de mes poignets se déchira un peu plus au contact du fer impitoyable de mes menottes. J'étais pendu comme un saucisson. La chaîne qui me retenait était fixée à un crochet en haut du poteau et mes orteils frôlaient le sol poussiéreux de la cours. Les vacances en salle de torture, y'à que ça de vrai. On vous met à moitié nue et on vous bat jusqu'à ce que vous avouiez le SEUL crime de la ville dont vous n'êtes pas responsable. Comme si je m'amusais à brûler des bâtiments en pleine nuit. Je tuais, je frappais et je mutilais volontiers mais bon dieu jamais je ne jouais avec le feu. J'étais une tueuse pas une pyromane de bas-étage. Enfin bref. Mieux valait que je me taise si je ne voulais pas finir avec la tête à plusieurs mètres du corps.

Du sang coula le long de mes cuisses et derrière mes mollets, avant de goutter le long de mes pieds. Des larmes se frayèrent un chemin à travers la sueur sur mes joues malgré que je tente de les refouler. La lune semblait me jeter un regard d'amusement tout là-haut. A moins que ce ne soit les étoiles ? Mon esprit s’égarait dans des méandres tortueux. J'avais perdu le compte des coups de fouet. Dix-huit ? Je n'en étais pas totalement sûre. La douleur m'avait fait m'évanouir une fois ou deux, sombrant dans l'apaisement et l'oubli. Mais une bassine d'eau froide ainsi que des potions aux senteurs âcres m'avaient réveillé. Apparemment il était mal vu de dormir pendant sa séance de torture dans ce pays. Le ninja au masque noir se pencha vers mon visage et essuya une larme qui coulait le long de ma lèvre de sa main gantée. Un peu plus et je le mordais. Et si jamais il retentait de me toucher je lui crachait un glaviot imbibé de sang sur sa belle tunique. Cela me vaudrait sûrement une punition mais je m'en moquais un peu. Dans mon état actuel je pouvais me permettre tout les luxes avant de mourir. Mon bourreau prit la parole d'une voix qui se voulait douce.

- Dis moi tout et ton supplice sera fini. On te tranchera uniquement les deux mains et on te marquera au fer. Si tu t'obstines à te taire je peux faire en sorte que ce supplice dure toute une semaine, voire un mois. Avoue donc.

Une idée idiote mais séduisante me traversa l'esprit. J'esquissais des mouvements de mes lèvres sans chercher à prononcer des mots distincts. Le ninja s'approcha pour mieux entendre et me fis signe de répéter. Je pris donc une profonde inspiration comme pour parler et souffla quelques onomatopées. L'homme se pencha davantage jusqu'à ce que son masque soit à quelques centimètres de mes lèvres. Haha quel débutant. J'ouvris les yeux et me servit de mes dernières forces pour lui donner un généreux coup de boule. Il recula sous le choc, et sûrement la surprise, avant de pousser un rugissement de colère. Il fit une multitude de signe et le claquement du cuir qui volait lui répondit aussitôt. Mon dos s'enflamma ; la douleur assombrit le monde jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que des images et des sons flous. Je me laissais paisiblement porter par cette sensation de dérive et d'abandon. Soudain des vapeurs nauséabondes attaquèrent mes narines et la réalité me revint au galop. J'essayais tant bien que mal de me soustraire au médicament en rejetant la tête en arrière et en cabrant le dos mais rien n'y fit. Une vague d'eau froide m'engloutit et un frisson roula sur ma peau. Ma vision émoussée se revint par saccade et je pus admirer le poteau sous mes yeux. Sympa la vision avant de mourir. Le ninja jura et me frappa d'un coup de poing en pleine mâchoire. Un truc de tapette à côté du fouet vraiment.

- Si le fouet ne te délie pas la langue je vais devoir changer de méthode. Que dirais-tu d'un truc moins sanglant ? Le pilori me semble approprié.

Un garde se précipita pour défaire la chaîne du crochet. Lorsque les menottes furent détachées, j'eus l'impression que mon corps pesait des tonnes. Mes jambes flageolante ne me portèrent guère plus de quelques secondes et je m’effondrais donc tout naturellement au pied de mon bourreau, face contre terre. Épic victory. Ce dernier me saisit le visage et me força à relever la tête. La lune dessinait des contours argentés le long de son masque. Ses yeux flamboyaient de rage et de plaisir contenus. J'avais cette face de psychopathe quand je torturais des gens ? J’espérais bien que non.
L'ombre de plusieurs hommes me tomba dessus et des doigts me saisirent par les épaules, appuyant sur les plaies. Ils me trainèrent sans prendre la peine de me soulever. Pendant ce temps je me remémorais les évènements qui m'avaient conduit en ce lieux.

Spoiler:

Le coup partit avant que je ne puisse me défendre et m'envoya au loin. Je fit un roulé-boulé pour éviter de me fracturer un os en retombant sur les pavés irréguliers et me redressais rapidement. Je ne pensais pas que le garde du corps soit aussi rapide. A l'origine je devais uniquement exécuter le dirigeant du magasin. Maintenant j'allais devoir faire un extra. Tant pis ? Non tant mieux ça faisait longtemps que je n'avais pas pu tuer des innocents et ça me manquait franchement. Déchirer le voile de l'innocence avec mon épée, leur faire ravaler leur pureté feinte et enfin leur arracher le cœur. Une goutte de sang perla de ma bouche et me tira de mes pensées. Je l'essuyai rapidement avec le dos de sa main et me mis en garde. Un vieil adage me vint à l'esprit: « une bonne nuit peut durer éternellement, mais une mauvaise peut durer plus longtemps encore ». Oh oui, ils allaient comprendre qu'il ne valait mieux pas offenser les partisans. Je fis face à mes deux adversaires, Bargo et Yorga. Les deux anciens ninjas corpulents portaient des tatouages identiques à l'épaule. Deux moitiés d'un même anneau. Ils s'étaient battus attachés l'un à l'autre sur les champs de bataille comme binôme et aujourd'hui ils servaient de nounous à un riche commerçant. Ce dernier marchandait des objets plus ou moins légaux dans tout le pays ainsi que des informations aux villages. Ces derniers temps il s'était révélé plutôt bavard sur les actions de différents sympathisants à la cause de Makka et nous avait donc contrarié. Il méritait amplement sa mort.
Yorga tripota les perles en ébène tressées dans une de ses mèches couleur de boue. Ces bijoux reproduisant l'enseigne de la boutique qui l'employait comme gardien. A ses cotés, Bargo se mit à aboyer :

- On veut pas qu'les femmes inconnues viennent traîner dans la boutique. C'est mauvais pour ses affaires et ça distrait les vrais clients.

Les yeux plissés, je restais planté au milieu de la rue, sachant qu'il valait mieux éviter de protester. Je m’accroupis sur le pavé comme pour présenter des excuses tandis que les cieux sombres se mettaient à cracher une bruine sombre. Il ne s’agissait pas d'une averse plaisante, purificatrice, comme pendant une bonne tempête mais davantage d'une sorte de brouillard qui emprisonnait la chaleur et les bruis. Le plus grand des ninjas serra le poing et un gargouillis s'échappa de sa gorge. Un rire. Les deux hommes s’avancèrent. J'allais être leur distraction de la nuit. Enfin c'est ce qu'ils croyaient ces deux abrutis.
Une joie sadique brûlait au cœur de ma poitrine tel un feu qui refuse de s'éteindre. Quand bien même il n'en restait que des braises, elle était toujours là. Toujours prête à renaître.
Yorga tendait un bras dans ma direction pour m'attraper par les cheveux. Erreur fatale. Je m'écartais en pivotant et frappais simultanément avec mon bras droit. Le coup de coude en arrière percuta sauvagement l’arête du nez de la brute ; le cartilage brisé sous l'impact libéra un flot de sang. Puis le talon de ma botte s'enfonça dans la partie supérieure de son abdomen. Le souffle coupé, ses jambes se dérobèrent sous lui. Il bascula en avant, vers moi, les bras tendus et le visage crispé dans un masque d'incompréhension. Bargo profita du court laps de temps où j'étais en train de me relever pour refermer ses doigts sur mes épaules et il m'attira contre lui.

- Je te tiens ! Je vais t'arracher les vêtements et crois moi tu vas me supplier pour que je te tue quand j'en aurais fini toi. Tu finiras...

Sa tirade fut interrompue par un claquement sec tandis que je me transformait en nuage de lame de vent. La tête du géant se décolla du reste de son corps et fut éjectée à quelques mètres de là. Le tronc s’effondra pesamment sur le sol. Une flaque de sang se forma à l'endroit où devrait être la tête de l'homme. La situation venait de changer radicalement. Le ninja à terre s'immobilisa quelques secondes puis s'écarta lentement. La peur, animale, se reflétait dans ses yeux. S'il croyait pouvoir fuir maintenant il se trompait lourdement : je n'abandonnais jamais de proie. Le hurlement de l'homme se fit entendre, ponctué de temps en temps de craquement sordides. Enfin un silence pesa lui succéda. Je m'attardais quelques instants pour admirer mon œuvre. Sa propre mère ne l'aurait pas reconnu maintenant que j'en avais fini avec lui. Il ne me restait donc plus qu'à aller le petit marchand qui devait sûrement se terrer au fin fond de son échoppe. Je franchis le battant en bois en sifflotant et me dirigeais vers l'arrière boutique. Un sourire fleurit sur mes lèvres. J'avais vraiment le meilleur métier du monde.


L'homme était prostré par terre. Il déroulait frénétiquement un parchemin de ses mains tremblantes. Je n'attendis pas qu'il finisse et le frappais violemment en pleine tête. De toute évidence il comptait signer un pacte d'invocation histoire d'appeler un allié. Quel idiot. Vu son niveau il n'aurait même pas pu faire appel à un monstre du niveau d'un genin. J'avais même des doutes quand au fait qu'il connaisse les signes incantatoires. Il avait probablement du l'acheter contre une somme coquette et espérait sûrement le revendre le double. Pitoyable. Dans tout les cas la personne qui cherchait cet objet ne mettrait jamais la main dessus. Je saisit l'homme par la gorge, le souleva à quelques centimètres du sol et plongea mon regard dans le sien.

- Quel animal ? Et quels mudras pour l'invoquer ? Si tu me dis la vérité je jure de t'épargner. Je mettrai le feu à ta boutique et je dirais à mes amis que tu es mort et que ton cadavre est en cendre.

Je mentais bien évidement. Je comptais uniquement récupérer la Kushiyose avant de le tuer. Si la bestiole me plaisait je me contenterai de lui briser la nuque. Dans le cas contraire je l’éviscérais lentement. Cependant pour ne pas me parjurer complètement je mettrais le feu à son échoppe. Parfois il faut savoir tenir ses promesses.

Spoiler:

Maintenant que j'y repensais c'était bien moi la responsable de l'incendie qui ravageait actuellement une partie de la ville. Je m'étais montrée imprudente en prenant trop de temps pour assassiner le commercial. Les gardiens de la ville avaient été ameutés par le bruit et m'avaient trouvé là, dos au magasin en feu. Puis avec mes vêtement tachés de sang, mon visage tuméfié et mon air rayonnant en plein milieu du massacre je devais avoir la tête du parfait coupable. Mais bon ce n'était pas une raison pour vouloir me mutiler ainsi. L'un des hommes qui me traînaient me saisit par le poignet et sortit une petite clé en fer de sa poche. Je me cambrais de toutes mes forces pour tenter de résister mais ce dernier me retira mes menottes tout de même. Il voulait commencer par me broyer les os de la main. Pas les mains ! Comment vais-je faire mon boulot si je ne peux plus composer de signes ? Même si mon bourreau semblait tirer plaisir à me voir me faire battre je ne pus m'empêcher de me débattre. Je ne craignais pas que la douleur.
J'étais hélas trop faible pour résister. Deux assistants me saisirent le bras et me forcèrent à poser le poignet sur le billot. Mon bourreau me regarda en silence quelques secondes, comme s'il attendait que je le supplie ou que j'avoue, puis il saisit un petit marteau non loin de là. Il le leva bien haut et l'abattit sans hésitation sur sa cible pâle. Je sentis l'onde de choc remonter dans mon bras, passer par mon épaule et atteindre ma poitrine, immédiatement suivi par une vague de douleur insupportable. Aveuglante... Bien pire qu'un coup de fouet. Je me cambrais et hurlais, le visage tourné vers la lune. Puis quelque chose de relâcha tout au fond de moi. Le sang qui s'écoulait de ma main brisée forma des symboles sur le billot en moins d'une seconde. Quelque chose de sombre s'extirpa de mon corps par ma paume en miettes, siphonnant toute mon énergie. Mais vision s'éclaircit un peu. Je ne voyais que la lune, mon corps toujours cambré et un monstre qui se formait dans une colonne de fumée noire, tranchant avec la nuit. Cherchez l'intrus.
Des cris retentirent autour de moi. La fontaine d'obscurité monta très haut et me priva de mes dernières forces. Je m’effondrais donc une nouvelle fois dans la boue. Le nuage prit forme, relié par un noir cordon ombilical à ma main, comme un nouveau né encore relié à sa mère. La douleur diminua rapidement. J'essayais de bouger, de m'enfuir en rampant au loin mais mon genou gauche ne se plia pas et l'autre fut long à réagir. L’apparition qui me dominait me jeta un coup d’œil emplie de pitié, ou de honte. Je ne savais pas trop interpréter les mimiques des lézards géants. Son coup se tendit vers moi et il me saisit à l'aide de ses longues dents en forme de poignards incurvés. Des projectiles enflammés se dirigèrent soudainement vers nous. La bête sombre, aussi grande qu'un cheval, se plia sur ses pattes et bondit quelques mètres plus loin vers un mur haut de plusieurs mètres. Puis elle grogna une sorte d'avertissement et tout devint noir.


Je repris doucement conscience, des embruns salés et le doux brouhaha de la mer me berçaient paisiblement. Bientôt un ninja du nom de Haru vint me voir et me saisit dans ses bras pour m’emmener à la source d'eau chaude la plus proche.

Spoiler: