Des fois, les gens, t’as juste envie de leur foutre une grande patate dans la face et de te casser.
J’étais pas Chuck Norris, malheureusement, et je manquais cruellement de crédibilité dans ce monde, en plus. Une femme mettrait une pêche à un gars ? Réponse évidente, émanant de la bouche d’un profond misogyne : jamais d’la vie, elles sont trop faibles, wesh ! Faibles ? Bof, les femmes avaient beaucoup de pitié pour les hommes, c’était tout. Trop, parfois. Ils s’imaginaient maintenant gouverner le monde, tranquillement. Mais c’parce qu’on les laissait s’amuser un peu. Comme un gosse qui barbotte dans l’eau. Bref. J’avais tout de même sérieusement envie de mettre une grande claque à quelqu’un là. J’m’explique. Je venais de rentrer du fin fond du trou du monde – Kumo, pour les intimes –, il y avait exactement 3 heures. Je serais bien allée me coucher immédiatement, histoire de récupérer de la passionnante mais non moins harassante mission que j’avais effectuée là-bas, sauf que la journée était déjà un poil entamée, et que je n’aimais pas trop être en décalage avec ma routine. Donc, pour me donner un coup de motivation qui me ferait tenir jusqu’à ce que je puisse toucher mon douillet matelas, je m’étais simplement rendu dans le premier établissement qui me venait à l’esprit. Un endroit assez fréquenté, et pour cause qui servait à peu près tout ce qu’on voulait. Je m’étais posée, joyeusement. Seule, aussi, parce que… Parce que, c’comme ça. Non, je ne suis PAS forever alone. Et là. LÀ. Un mec, genre p’tit rouquin-pas-vraiment-roux, qui m’aborde genre p’tit con-vraiment-con. Ya ya ya ! Voilà un candidat pour une baffe de bon matin !

Je vais arrêter l’alcool. Enfin, c’pas comme si j’avais un jour commencé, mais sait-on jamais. J’avais l’impression d’être une pile. Et encore, j’avais pas fini mon verre. A cette pensée, je le saisis et le vidai d’un trait. Mes yeux de nouveau posé sur le gars qui m’avait enquis de le rejoindre, je le considérais un instant. Bien sûr que j’allais venir à sa table, là n’était pas la question. Mais est-ce que j’allais avoir assez de calme pour tenir une conversation avec ce personnage qui à l’évidence avait une attitude tout à fait détestable. On m’avait habitué aux gentlemans et aux types cools. Pas aux connards. Je souris malgré moi. C’était précisément pour cette raison que je me levai et allai m’asseoir en face de lui.
Personnellement, je lui trouvais une bouille de gamin. Un gamin qui, vu ce qu’il venait de me dire, jouait aux grands. Tu t’ennuies, dégage au parc man, t’as pas l’âge pour les putes et la baston. En toute honnêteté, j’allais pas lui répondre ça, parce qu’il aurait été capable de me prouver le contraire. M’enfin, je le pensais néanmoins, et je savais que ça se ressentait dans mon attitude vis-à-vis de lui. Mon regard soutint le sien un instant, et il m’arrachait encore un sourire. Je pris alors la parole, un brin d’amusement dans la voix.

« Jenny, spécialiste embauchée pour éviter l’ennui des clients. Et toi mon chou ? » Je croisai les jambes et appuyai ma tête dans la paume de ma main, coude sur la table. Place au sérieux maintenant. Enfin, sérieux… Moi je m’amusais. « Non, vraiment, t’as pas l’impression de faire honte à ta maman, là ? Redescends sur terre, et comporte-toi en vrai homme, en gentleman. Tiens, en m’invitant par exemple ! »

Je levai la main gauche pour attirer l’attention du barman auquel je demandais la même chose que précédemment – ne me demandez pas c’que j’bois, j’en ai aucune idée mais j’le bois, et bien. Je sais que j’avais dit que j’arrêtais l’alcool, avant d’avoir commencé. Je le sais. Mais comme tous ceux qui disent qu’ils commencent un régime… Encore un dernier, et j’le fais. Promis. Pour en revenir au garçon, je guettais sa réaction sans en avoir l’air. J’avais été gentille pour le coup, il pouvait me remercier. Comme je disais toujours, si je choppais un jour mon gamin se comportant ainsi, il prendrait la rouste d’sa vie. Mais j’crois que je serais une mère dure, parce que j’dis toujours que j’vais foutre une baffe à mon gosse… Hum… D’un autre côté, on éduque sa famille comme on l’a été soi-même. Peace mum, j’dis pas ça contre toi, tu sais que j’t’aime. Même si j’aurais bien apprécié que tu m’aimes aussi. M’enfin, passons. Toutes ses pensées m’emmenaient sur un chemin dangereux, et j’allais finir par jouer à la maman avec ce p’tit garnement aux sales manières.

« En vrai, tu peux m’appeler Kitako. » T’as le droit, ouais, ouais, j’te jure. Ah, ah. Faut les mettre au pli un peu, les jeunes.