« C'la voisine du dessus ! » La porte s'ouvrit juste assez pour laisser passer une petite tête toute ridée. La vieille à laquelle appartenait cette tête me regarda rapidement de haut en bas, aller-retour, et avec la même expression mi méfiante mi curieuse que la première fois. Dès que ses pauvres yeux usés m'eurent reconnue, son attitude changea du tout au tout et elle devint soudainement beaucoup enjouée. Cette vieille-là, de surcroit ma voisine, était l'une des personnes que j'affectionnais le plus à Suna. Elle avait toujours des histoires loufoques à raconter, des bouts de gâteaux à partager – comme j'avais toujours un appétit sauvage – et surtout elle avait du temps à perdre pour la grande enfant que j'étais. Elle aurait pu être ma grand-mère ; sauf que j'connaissais pas la mienne, donc c'était facile de le supposer. Enfin, tout ça pour dire qu'elle et moi entretenions de bonnes relations et que ce jour-ci, comme toutes les semaines depuis mon arrivée à Suna et dans ce quartier, je prenais sa liste de course que j'allais faire, profitant d'une sortie. Elle ne m'avait jamais rien demandé, je m'étais pointée volontairement après avoir remarqué quel pénible effort c’était pour elle. Je n’étais pas paliophile pour autant, hein – j’préférais m’occuper des enfants, en fait (:rire:).

‘Fin v’la, après ce petit crochet par chez elle, j’étais finalement sortie. Je n’aimais pas rester dehors trop longtemps ces temps-ci. Les gens me semblaient trop tristes, trop misérables. Nous n’étions que peu de temps après l’attaque sur le village et même si je n’avais pas vraiment connu l’avant, voir l’après me minait le moral. Je servais à quoi moi, au milieu de tout ça ? Rien, je devais faire comme tout l’monde, suivre autant que possible, et attendre. Rien qu’à cette idée, un bâillement m’échappait. J’aurais bien demandé, si j’avais été égoïste, à ce qu’on m’envoie ailleurs, pour une mission très lointaine. Chez les payous de Kiri, par exemple, de l’autre côté de la mer… Mais qui se serait occupé de ma vieille ? Qui aurait fait le singe devant les enfants du quartier ? Nan, et puis je n’étais décidément pas faite pour rester seule et voyager loin de mon chez-moi, même si je passais depuis plusieurs années mon existence dans la solitude.

A force de blablater intérieurement, j’avais pris des rues un peu n’importe comment et je me retrouvais maintenant au beau milieu de nulle part. Je ne connaissais pas l’endroit, je ne savais pas d’où je venais et j’avais plutôt l’impression de m’être quand même sacrément éloigné de ma zone habituelle de circulation. Ce n’était pas faute d’avoir de la mémoire ou le sens de l’orientation, mais d’une je n’avais prêté aucune attention à là où je posais les pieds et de deux il me restait bien les trois-quarts de la ville à découvrir. Dans ces moments on regrette un peu d’avoir la négligence de regarder un jour le plan de sa ville – mais c’était une chose que j’avais essayé une fois seulement, et qui m’avait vite découragé car les gars qui avaient imaginé l’agencement des rues devaient être shootés. J’errais alors quelques minutes dans le coin, à la recherche d’une indication. Mais j’avais plutôt l’impression de m’enfoncer que de trouver une sortie. Et puis avec mon air de vraie paumée, si ça se trouvait je ressemblais encore plus à une touriste que d’habitude… Oh. God, why. Alors je m’apprêtais à, fatalement, me mettre en quête non plus d’un chemin mais d’une personne.

J’avisai rapidement une personne, prise sur le tas, comme il fallait bien trouver quelqu’un. Bon en vrai, elle n’était pas vraiment prise au hasard, parce que mon regard allait naturellement vers ce qu’il y avait de plus voyant. Dans le genre, s’il y avait des grands roux costauds habillés façon Moyen-âge, ça tombait forcément sur eux, voyez ? Bref, j’interceptai ladite personne, la saluai chaleureusement et me lançai.

« Vous savez où on est ? » Question idiote numéro un. C’était surement le stress de devoir parler à un inconnu, dans un quartier inconnu, entouré de gens inconnus. Ou alors c’était cette sale impression que j’avais d’être une touriste dans mon propre pays… « Non, oubliez ça, vous ne savez pas plutôt comment on fait pour revenir du côté de… Enfin, vers la prison. »

Et tout en disant cela mon visage abordait une expression de profond abattement. Quoi, j'avais quelqu'un à aller voir là-bas ? Mouarf, si ce n'était que ça. J’habitais entre le centre-ville et la prison. On m’avait même dit un jour que c’était plus précisément entre le cimetière et la prison, mais comme je n’ai jamais cherché à savoir où était le cimetière je ne savais toujours pas si c’était une blague ou pas. J’aurais pu trouver une indication plus joyeuse aussi, mais c’était le premier lieu significatif qui me passait par la tête. Il me passait des choses très étranges par la tête des fois. Enfin, j'allais pas en faire étalage maintenant, ça aurait été de mauvais goût. Même si je ne résistais pas à l'envie de partager une autre de mes questions - idiotes - avec l'inconnu :

« Et vous n'auriez pas une garette ? »

Moi, fumer ? Non mais je sentais bien qu’il faudrait s’accrocher pour continuer cette journée. Et ceci venant conclure ma série de questions, je restais plantée là. Comme une fleur, pleine d’espoir et… Enfin, voilà.