Lost in the Mist ~ [PV : Yujiro]

Lost in the mist...

En cette heure matinale, une brume épaisse enveloppait entièrement la vaste île dans son manteau opalescent. Imperturbable, elle se moquait du zéphyr boréal dont le souffle léger ne faisait qu’amoindrir la température ambiante ressentie. Il provoquait quelques remous à la surface de la grande étendue liquide, qu’on avait déjà connue moins paisible. Les clapotis de l’eau et les murmures du vent étaient les seuls éléments troublant le silence régnant sur cette scène.

S’étendant à perte de vue, la plage de galets ternes était presque totalement épurée de toute forme de vie macroscopique. Seule une âme perdue errait sur ce désert de pierre. Marchant au hasard, un jeune adolescent regardait la mer avec une profonde nostalgie. Il semblait se moquer de la fraîcheur environnante. Vêtu uniquement de noir, il semblait faire son deuil. En réalité, Yukimura (car tel était son nom) témoignait d’une double résignation concédée à la mort. La première, et la plus ancienne, était le troisième anniversaire de la disparition de son premier amour. Engloutie par la fureur de l’océan, celle-là même provoquée par l’un des êtres les plus démoniaques que le monde ait vu, la jeune fille pour laquelle le cœur du jeune Samui avait battu avec exaltation avait disparu à tout jamais. Ce deuil, dont la douleur s’atténuait peu à peu au fil des années, n’en restait pas moins attristant pour le shinobi. Quant au second, il était beaucoup plus récent. En effet, la bataille s’étant déroulée au pays des cendres avait été le triste théâtre de nombre de morts absurdes aux yeux de Yukimura. La guerre, la misère,… Tout cela n’avait pas de sens. Pourquoi tant de gens devaient-ils mourir par la faute d’un groupuscule de personnes étant appelées les grands de ce monde ?

Pour une raison qui lui était inconnue, le jeune Kirijin stoppa son errance. Il fit face à l’océan. Ce grand bleu lui était à la fois source d’admiration et de crainte profonde. Il pouvait tantôt se montrer fascinant, tantôt exploser dans une fureur sans égale. Cette lunatique entité restait pourtant l’un des éléments représentatifs principaux du village caché de la brume ; les quatre petites vaguelettes symboliques en étaient la preuve.

Comme pour démystifier ce géant, Yukimura se saisit d’un galet. Il prit soin de le choisir oblong, lisse et plat, ce qui représentait la meilleure extension spatiale pour l’activité à laquelle il allait se livrer. Il contempla pendant quelques secondes la petite roche qu’il avait entre les mains, comme fasciné par le travail de lissage que les éléments avaient appliqué dessus. Soudain, comme pris d’un accès de violence subite, il expédia la caillasse sur l’eau. Elle y fit un, deux, trois… et ce qui dût être le quatrième ricochet fut l’engloutissement par une vaguelette avide.
Souhaitant réitérer l’expérience, le garçon ramassa un deuxième galet. Alors qu’il était sur le point de le jeter, il lui vint une idée. Pourquoi ne pas combiner ce passe-temps avec une occasion de mettre à profit ses talents de shinobi ? Il déposa le caillou là où il l’avait ramassé, et fit une série de sceaux étranges indéchiffrables pour un non-initié à l’aide de ses mains. Il reprit ensuite la pierraille et, concentrant toute son attention dessus, il la balança. Le galet fit nettement plus de ricochets, près d’une bonne vingtaine, s’arrêta quelques secondes à la surface de l’eau, comme s’il ne voulait pas retourner à l’océan, avant de couler inexorablement. Ce prodige n’était pas dû à un lancer exceptionnel, loin de là. Le secret de ce nombre anormalement élevé de rebonds s’expliquait par les arcanes du clan auquel appartenait le garçon. Capable de transformer l’eau en glace, le garçon avait jugé opportun de « tricher » sur le nombre de ses ricochets en solidifiant la surface sur laquelle le caillou rebondissait. Tout qui eut été attentif à la scène eut sans doute remarqué le bruit légèrement différent lorsque la pierre entrait en contact avec l’eau.

S’abaissant pour faire un troisième lancer, Yukimura ressentit une alerte se propager tout au long de son corps. Quelqu’un approchait. Cette personne ne semblait pas vouloir camoufler sa présence, et n’avait sans doute pas d’intentions hostiles. Se retournant vers la source du trouble de la quiétude qu’il recherchait, le jeune Samui put rapidement apercevoir une silhouette encore légèrement voilée par le brouillard. Qui pouvait donc bien être cet être ?

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L’Éclairé avait cette sensation étrange que tout écrivain digne de ce nom connaissait ; le sentiment que quelque chose d’ineffable s’esquissait dans son âme, dans son esprit. Insaisissable et occulte, cette intuition latente se languissait en notre sein ne demandant qu’à être précisée. Quelle merveilleuse chose que ce phénomène, si nous étions capables de l’appréhender, de s’en emparer, nous serions en mesure de, frénétiquement et naturellement, traduire ce concept en une formidable œuvre d’art, instantanément. Là était le vice de l’art ; constituer des merveilles en l’espace d’une seconde, ou alors donner naissance à un art bancal, né de l’élucubration dont nous serions éhontés.

Le Shinobi faisait nerveusement les cents pas dans son appartement, s’évertuant à saisir ce feu-follet spirituel qui l’obnubilait depuis quelques heures déjà. Cette pièce sombre et où régnait un désordre total n’était pas réellement propice à l’expression d’un art juste et délicat. Ainsi donc, le débonnaire prit la décision d’aller là où ses jambes le mèneront. Il saisit sa tunique couleur ébène et l’enfila. Dans cet accoutrement, d’aucuns auraient pu avoir la fausse impression qu’il appartenait à l’aristocratie, tant la manufacture de ce manteau était minutieusement ouvragée et exhalait le faste. Il n’en était rien. Ses parents, couturiers de leurs professions, lui avaient confectionné ce joyau d’esthétisme avant de le récompenser de s’être enrôlé dans les forces armées comme ils l’avaient instigué. Ils savaient à quel point cela lui était inconfortable de prendre part à ce système dont il ne cautionnait ni le fonctionnement ni ses rouages. Quoiqu’il en soit, si Yujiro venait à revendre cette veste, il pourrait sans nul doute payer son loyer pour les deux prochaines à venir. Ce vêtement recouvrait l’entièreté de son corps, le galbe seyant à merveille ce dernier. Sa surface reflétait la lumière, lui donnait un aspect luisant. La boutonnière était liée par un filigrane d’or, teinte que possédait aussi les délicates épaulettes.
Le Hyôsuke prit avec lui un rouleau de parchemin et une plume. Il chérissait cet ustensile anachronique, et le bruit qui émanait du contact entre la pointe et la surface rêche. Il prit la porte et déambula dans les rues du village.

Ses pas l’avaient guidé jusqu’au rivage. La brume nébuleuse l’avait enveloppé de sa douce étreinte. Il aimait le clair-obscur de cet endroit, le silence ambiant, la sérénité qui s’en dégageait. Un environnement propice à la réflexion et à l’art. De plus, cette étendue d’eau semblait s’étendre jusqu’aux confins du monde était lourde de sens et de symbolisme. Il en aimait l’ambivalence, la dualité. L’eau, constituant un élément nécessaire à toute vie, pure, lustrale, expiant les péchés, allégorie de la naissance et du renouveau. L’eau, symbole de frénésie, incoercible et sauvage ; ôtant la vie et avalant toute âme sur son passage. Oui, il allait définitivement pouvoir parfaire son œuvre ici. Il s’accroupit et dégaina sa plus belle arme ; sa plume. Un bruissement, un clapotis le sortit de sa torpeur. Il en chercha l’origine. Aux abords de l’eau se tenait un homme, performant quelques lancés de galets assez réussis. Impavide, il s’approcha du quidam, ne pouvant le voir précisément, tant la brumaille était dense.

« Yô. »

Fit-il simplement, attendant de voir pour quelles raisons l’individu se tenait-là. Étranger ou autochtone, il ne pouvait le savoir.

Un spectre ? Un ermite ? Une âme en peine ? Qui diable était-ce que cette personne s’approchant ? Si elle eut été mal intentionnée, elle aurait sans doute déjà pris les devants. Les sens toujours en alerte, Yukimura se permit une très légère détente musculaire. Fixant toujours des yeux l’étranger, il put entendre très distinctement un

« Yô. »

Si peu évocatrice fut cette élocution, les nerfs du jeune genin se détendirent nettement plus. La voix était grave, c’était donc un représentant de la gent masculine (si ce n’était pas le cas, le Samui aurait mieux fait de prendre ses jambes à son cou). À mesure qu’il s’approchait, l’homme arborait des traits de plus en plus distinguables. Le premier élément sur lequel se portèrent les yeux du genin furent le bandeau que portait le désormais supposé shinobi. Avec soulagement, il constata que les symboles gravés sur celui-ci étaient identiques à ceux gravés sur le sien, et n’étaient aucunement rayés de quelque manière que ce soit, signifiant que l’individu était un compatriote qui de surcroît n’avait pas déserté le village. Cela garantissait théoriquement la sécurité du jeune Samui, qui se rendit compte soudain que sa méfiance l’avait rendu muet. Pour ne pas paraître totalement rustre, il regarda l’inconnu dans les yeux et lui répondit :

« Bonjour. »

Maintenant, il pouvait détailler son interlocuteur. Légèrement plus grand que lui, il semblait plus âgé. Il possédait des cheveux de couleur identique à celle de Yukimura. Ses yeux sombres semblaient être occupés à faire exactement la même action que celle que le genin effectuait à l’instant. Lui aussi vêtu de noir, la scène devait ressembler de loin à un pittoresque enterrement.
L’individu ne semblait pas plus loquace que celui à qui il s’était adressé, si bien que le silence s’installa pendant quelques instants. Tels des lions, les deux protagonistes se fixaient l’un l’autre, essayant de soutirer le plus d’informations possible à ce que laissait transparaitre l’apparence. Ne souhaitant pas paraitre impoli une fois de plus, Yukimura détourna les yeux pour les porter vers l’océan. Ramassant un caillou distraitement, il le jeta une fois de plus dans la gueule du grand bleu. Deux ricochets. Une des plus piètres performances qu’il eut jamais accomplies. D’un air las, il se tourna à nouveau vers l’arrivant, lui demandant :

« Puis-je vous demander ce qui vous amène ici ? Et… Quel est votre nom ? »

Ayant essayé que cela ressemble le moins possible à un interrogatoire, le Samui fut tout de même insatisfait. Ses maudites gènes lui gelaient-elles donc jusqu’à sa chaleur humaine ? Il espérait tout de même que l’homme n’en fusse point offensé. Il ramassa deux cailloux, et, d’un geste habile, les projeta encore sur l’océan. Il se concentra sur la trajectoire de l’un d’entre eux. Celui-ci fit encore une vingtaine de ricochets avant d’aller rejoindre ses camarades au fond de l’eau, tandis que l’autre n’en avait fait que trois. Encore une fois, il avait usé de son artifice pour augmenter sensiblement le nombre de rebonds. Il avait tenté d’être discret afin que l’homme ne remarque pas la glace se formant en dessous de chaque point d’impact du galet, la faisant se former sur une surface la plus petite possible et la faisant disparaître rapidement.

Malgré le brouillard, le sol était sec. Le jeune shinobi s’assit donc sur le sol, repliant ses genoux et posant ses bras par-dessus. Ne se lassant pas de contempler l’horizon, comme y cherchant une échappatoire, il poussa un grand soupir. Le soleil se manifesta quelques secondes, illuminant la scène quelques instants, avant que sa lumière bienfaitrice ne se fasse à nouveau engloutir par les nuages ternes. Allait-il pleuvoir ? Ce n’aurait pas vraiment été étonnant. En plein automne, dans un pays où l’eau ne provenait pas uniquement de l’océan ou des rivières… Yukimura, par contre, n’avait pas la moindre envie de retourner dans ses appartements. Pleuvrait-il, venterait-il, il n’aurait pas bougé de là. Moins il était avec sa famille, mieux il se portait.

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Les deux hommes se regardaient en chiens de faïence, sans sourciller et sans mot dire. Tous deux se jaugeaient, se décryptaient, s’évaluaient. Force était de reconnaître que nos protagonistes avaient quelques similitudes physiques . L’inconnu arborait une crinière désordonnée, deux yeux sombres ainsi qu’un accoutrement qui l’était tout autant. Son faciès, où régnait une expression placide, flirtant avec la stoïcisme, occasionnait quelques vagues réminiscences au Genin. Ce visage ne lui était pas étranger, mais il ne savait plus le replacer dans l’espace-temps.
Après d’interminables secondes, son vis-à-vis articula un sobre bonjour. Une voix posée, ne laissant transpirer ne serait-ce l’ombre d’un sentiment. Le quidam fit volte-face et performa derechef un lancé de galet. Après un nouveau silence cérémonieux, l’homme articula une phrase emphatique visant à dévoiler la nature des raisons de la présence de l’Éphèbe en ces lieux, ainsi que sa dénomination. Hé bien, ne pouvait-il plus se ressourcer au sein de son pays sans devoir montrer patte blanche ? Yujiro jugea préférable de taire ses impressions et de simplement répondre à l’harangue de son interlocuteur.

« Je suis Hyôsuke Yujiro. Je suis ici afin de trouver de l’inspiration pour mes écrits. »

L’Éphèbe trouvait ce personnage assez guindé ; il s’exprimait avec une certaine grandiloquence et ne cessait de se détourner de son vis-à-vis. De surcroît, il n’était guère volubile. Et il s’attelait de nouveau à projeter ses pierres plates. À l’accoutumée, Yujiro n’était guère irascible ni acrimonieux, mais cela commençait tout doucement à le porter sur les nerfs. Il contempla un galet ricocher sur la surface de l’eau et aperçut quelque chose, fugacement. Une superficie tangible, translucide, ferme. Il observa, concentré, le second lancé. Cela se produisit encore. De la glace, à n’en pas douter. Parmi tous les Shinobis de Kiri, un seul clan était renommé pour sa maîtrise de la solidification de l’eau ; les Samui. Ce groupuscule ayant comme patrimoine ce fantastique gène symbolisait tout ce qui était corrompu et illégitime dans ce monde. Ces gens possédaient tout, dominaient tout. Ils vivaient dans l’opulence et dans le faste, étaient des guerriers à la puissance dantesque par la simple maîtrise du Hyôton et jouissaient d’une incommensurable influence politique. Tous les privilèges réservés à un unique lignage. Ceci expliquait au moins le caractère taciturne et pompeux de ce personnage.

« Tu fais partie de l’illustre famille Samui, n’est-ce pas ? »

Yujiro s’affecta à s’appesantir sur le mot ‘’ illustre ‘’ afin que son interlocuteur dénote le sarcasme qu’il voulait faire transparaître. Sa position d’écrivain éclairé l’avait fait se ranger du côté peuple, décriant farouchement tous ces travers du système qui font que les plus nantis ne font qu’engranger de plus en plus de privilèges non-mérités. C’étaient ces bourgeois, ces gens des hautes strates, qui faisaient pencher la balance dans le milieu diplomatique ; ils étaient l’origine et la source de tous les maux, de toutes les guerres, de toutes les vies galvaudées au nom d’une cause illusoire.

Hyôsuke Yujiro. Tel était le nom de l’inconnu. Aussi loin qu’il s’en souvint, le genin n’avait jamais entendu de tel nom. Tant mieux, cela devait signifier qu’il n’appartenait à aucun clan. Tout du moins, il n’était pas Kaguya, sans quoi l’endroit serait devenu malsain, conflit claniques millénaires l’obligeant. Il avait donc affaire à un roturier sans doute de l’espèce la plus agréable. Il disait rechercher l’inspiration pour ses écrits. Qu’était-il donc ? Rédacteur de rapports de missions ? Que diable pouvait bien inspirer l’océan, si ce n’est les êtres qu’il vous a pris ; ou encore cette plage insipide, si ce n’est la morosité du quotidien ?...

Le susnommé Yujiro observait le passe temps de Yukimura. Un éclair traversa ses yeux alors que la pierre effectuait son dernier rebond. Il jeta un regard perçant au énième lancer que le genin réitéra. Dès lors, une suite d’expression s’afficha sur son visage dans cet ordre : stupeur, compréhension, regard presque accusateur, mépris, expression neutre. Peut-être l’homme n’eut il pas voulu que cela se soit vu. C’est ce que le Samui pensa jusqu’à ce que Yujiro lui démontrasse l’étendue de son pouvoir de déduction en lui énonçant son nom sans que le garçon ne lui ait jamais dit. Par cette phrase, l’énergumène témoignait également clairement (mais implicitement) de ce qu’il pensait de cette généalogie. De la haine et du mépris, bien évidemment.

Yukimura poussa un léger soupir. Il s’efforçait de ne pas porter de marques distinctives de son clan sur lui, mais il y en avait tout de même une qui l’accompagnait partout, où qu’il aille et quoi qu’il fasse : son « pouvoir ». Le spectre glacial de sa famille avait encore frappé, et, une fois encore, il allait devoir se retirer afin d’éviter tout évènement disconvenant.

« En effet. Yukimura, membre de l’illustre clan Samui, enchanté. »

Tout comme son interlocuteur l’avait fait précédemment, le genin accentua le mot « illustre » afin que l’homme comprenne qu’il n’était pas le seul à penser de la sorte. Si lui-même, membre de cette famille, pensait de la sorte, il ne pouvait en vouloir à autrui. Peut-être cet homme avait-il été victime de l’attitude abjecte de sa famille ? Peut-être était-il un opposant direct, plus effarouché qu’un Kaguya ? En tout cas, ce dédain n’était pas infondé.

Décidant de faire un ultime lancer, Yukimura se releva. Se saisissant pour la dernière fois d’un galet, il ne se priva de démontrer son pouvoir : il gela carrément un étroit couloir sur lequel allait pouvoir rebondir son projectile. Après le lancer, il sentit un accès de fatigue l’atteindre. Geler de l’eau de mer n’était pas chose facile, que cela fusse l’œuvre d’une cause naturelle ou d’un celle d’un Samui. Jugeant qu’il avait bien fait de cesser cette activité, le genin vit sa piste de glace être peu à peu attaquée par l’eau de mer environnante, comme rongée par un terrifiant acide. Bientôt, elle ne fut plus qu’une filiforme apparition, avant de s’éteindre à tout jamais dans les flots.

Se tournant une bonne fois pour toutes vers son interlocuteur (si ce terme était approprié pour la discussion peu animée qu’ils échangeaient), le genin dit alors :

« Je suppose que vous n’appréciez pas cette lignée. Les Samui ont fait couler tant de sang rien que par leur nom ; même s’ils prétendront toujours n’avoir rien fait pour ça. C’est sans doute pour cela que tout le monde déteste ce clan, même certains d’entre ceux qui vivent en son sein… »

Surpris de s’être autant ouvert à un homme encore tout à fait inconnu, Yukimura se tut. Il fallait qu’il cessât de crier sur tous les toits à quel point il dépréciait son sang. De toute manière, il serait tout de même étiqueté, considéré comme un élément dans la masse. C’était un Samui, qu’il le voulût ou non, et cela serait toujours comme cela. Il n’en avait pas non plus honte, non, car il s’agissait plutôt d’une haine pour tout ce que cette famille représentait. Même changer de nom ou renier au plus profond de son âme l’appartenance à ce clan n’expirait pas ses crimes.

Comme pour chercher une réponse, Yukimura sonda le visage de l’homme qui se trouvait en face de lui. Il souhaitait savoir s’il n’avait vraiment aucune chance de sociabiliser avec un individu de ce genre.

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La sentence qu’articula Yushimura était elle aussi lourde de persiflage. Que désirait-il faire comprendre en agissant de la sorte ? Qu’il raillait à son tour Yujiro ? Ou bien que leurs opinions quant à cette lignée étaient similaires ? Il était trop tôt pour le dire. Peut-être l’Éphèbe avait-il été trop hâtif dans son jugement ? Peut-être le Samui était-il conscient et opposé aux agissements et prérogatives des membres de son clan ? Tant de questions sans réponse. Quand bien même, Yushimura ne pouvait renié son patrimoine génétique tant il ne pouvait se défaire de son emphase pompeuse et d’une outrecuidance que conjecturait le Genin. Il était assez inusité que ce genre de personnage, baignant dans l’aristocratie depuis sa naissance, ne contractait pas un égo assez conséquent.
Voilà déjà qu’il faisait démonstration de ses aptitudes en constituant un chemin de glace. Cherchait-il à éblouir le Hyôsuke ? Si c’était le cas, ses desseins n’allaient pas être exaucés car déjà sa création s’étiolait sous les assauts corrosifs de l’eau salée. Hé bien hé bien, ce n’était guère subjuguant. Yushimura fit face à notre protagoniste et l’harangua une nouvelle fois.
Le voilà fixé, ce jeune homme n’était point un partisan de son lignage. Nonobstant ce point positif, son discours était au demeurant bien trop chargé d’euphémisme ; la problématique était beaucoup plus profonde, beaucoup plus enchevêtré dans d’autres dimensions que celles des assassinats qu’auraient pu directement causés les Samui.

« Sache que je nous souhaite en rien dénigrer ta famille, mais la problématique liée à ta famille est plus conséquente que cela . De surcroît du sang dont ils sont entachés, les membres de ta famille sont au summum de tous les dimensions qui régissent ce village ; économique, politique et militaire. Selon moi, ils jouissent d’une influence dantesque et non-méritée. »

Bon, peut-être souhaitait-il dénigrer quelque peu cette famille. Néanmoins, les faits qu’il venait d’énoncer étaient tangibles et avérés. Les disparités sociales entre les différentes couches du peuple de Kiri demeuraient beaucoup trop importantes, et c’était en grande partie à cause de la haute bourgeoisie. Il relevait du devoir de Yujiro de les dénoncer. Peut-être allait-il trouver un allié au sein même de cette abjecte famille ? Peut-être que la verve dont avait fait preuve le poète allait convaincre son vis-à-vis du bien-fondé de ses positions ? Le Palladium s’agenouilla et sortit de sa sacoche une bouteille de Sake et deux Bentos – il emportait toujours de quoi se nourrir physiquement et ‘’ spirituellement ‘’ lorsqu’il partait en quête d’inspiration -. Afin de témoigner à son collègue l’absence d’hostilité de ses sentiments, Yujiro l’invita à se joindre à lui.

« Ca te dérange si j’en grille une ? »

Demanda-t-il courtoisement. Quand bien même il ne trouverait pas en Yukimura un allié politiquement engagé, il espérait au moins y trouver un être humain sain et sensé. Plus qu’un partisan, il désirait trouver un camarade. La solitude dans laquelle l’avait placé ses jugements et positions commençait à corroder sa pétulance.

Diable, comme cet homme s’exprimait avec élégance ! Même parmi les nobles qu’il connaissait, le Samui n’avait que très rarement entendu quelqu’un discourir avec tant de verve. L’habile était un maître jongleur avec les mots. On sentait comme une habitude et une aisance avec le langage peu communes. Il avait dit travailler sur des écrits. Peut-être n’était il finalement pas vraiment un rédacteur de rapports de mission, ou, le cas échéant, ses rapports devaient être des plus plaisants à lire. Mais cela était peu probable. Il devait sans doute effectuer quotidiennement quelque chose de plus profond, plus… artistique. Se put-il que cet homme fût écrivain, ou qu’il exerçât quelque profession de ce genre ?

Charmé par la forme, Yoshimura ne tarda pas à percuter sur le fond. Ainsi, la source de cette mésestime n’était-elle pas haine infondée ou dépréciation tendance. Non, ce que le shinobi reprochait aux Samui était leur mainmise sur toute l’infrastructure de Kiri, dans quelque domaine que ce soit. Et cette omniprésence accompagnée bien évidemment d’une situation relativement élevée pour chaque membre était aux dire de Yujiro injustifiée. Il n’avait pas tort sur tous les points, loin de là. Un contre-exemple vint cependant tout de suite à l’esprit du garçon, chose peu surprenante, tant les Samui s’en targuaient. Il s’agissait du mizukage défait et défunt, Mahan. S’il y eut un seul membre de cette famille qui eut mérité sa place, ce fût bien lui. Méritant sur le champ de bataille, il avait été nommé Mizukage par ses pairs, et pas uniquement des Samui. De fil en aiguille, cela avait amené les membres de sa famille à profiter de la situation pour occuper les postes haut-placés du village, et eux n’étaient pas le moins du monde méritants. Ceux-ci formaient le contre-contre-exemple qui poussa le garçon à n’émettre aucune objection. Après tout, cette allocution était tout à fait juste, de très rares exceptions mises à part, tellement rares qu’elles ne valaient pas la peine que l’on s’attarde dessus. Le genin se contenta d’un hochement de tête absent en signe d’approbation globale.

Déjà, l’heure avançait. Yukimura sentit que son corps réclamait pitance, malgré la faible quantité d’énergie que la marche jusqu’à la plage lui avait demandé. Comme s’il y avait eu transmission de pensée entre les deux êtres, Yujiro s’assit en pénétra sa sacoche en quête d’une chose qu’il sortit rapidement. Des vivres et un breuvage qui allaient le rassasier. Étonnamment, il proposa à son partenaire de se joindre à lui. Le Samui accepta avec un sourire reconnaissant. On pouvait rarement voir le visage du genin s’illuminer, mais quand cela survenait, celui-ci semblait ne plus être la personne du clan glacé auquel elle appartenait. Ce sourire laissait transparaitre l’espace d’un instant la véritable personnalité du garçon.

Alors qu’ils étaient en train de profiter du repas gracieusement offert par Yujiro, celui-ci demanda s’il pouvait en « griller une ». Tiens, le niveau de langage avait changé, songea le garçon avec amusement. Bien que n’ayant aucun proche consommant ce genre de substance, il avait déjà eu l’occasion de constater lorsqu’il avait fréquenté quelques bars à l’insu de ses parents que cette acariâtre fumée ne le dérangeait pas vraiment. Tandis que d’autres toussaient et se plaignaient à proximité d’un fumeur exerçant la raison de cette dénomination, Yukimura la respirait presque naturellement. C’est donc par l’affirmative qu’il répondit à la question, sans la moindre ambigüité ni fausse politesse.

Le protagoniste alluma donc sa cigarette. Alors qu’il inspirait sa première bouffée, l’extrémité du tube rougeoya, fascinant une fraction de seconde le genin. La volute de fumée recrachée ensuite l’intrigua. De manière tout à fait anarchique, celle-ci se répandait dans l’air, disparaissant progressivement en s’étendant en d’étranges formes.

Souhaitant en connaitre un peu plus sur cette nouvelle conaissance, Yukimura demanda alors :

« Dis-moi, Yujiro… Comment définirais-tu ta place au sein de ce village ? Je veux dire par là que tu sembles être indisposé par les membres de ma famille, et j'aimerais savoir ce qui te fait penser cela, bien que j'aie fait des conclusions relativement semblables de mon côté. »

Sachant la question ouverte, le genin ne précisa pas plus le fond de sa pensée. Il souhaitait que son locuteur puisse répondre librement à cette interrogation. Sans s’en rendre compte cependant, il l’avait tutoyé. Cela ne le frappa pas, même après avoir parlé…

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Après s’être rassasiés des savoureux mets qu’il avait lui-même préparés, Yujiro versa sa précieuse liqueur dans deux coupoles, dont une qu’il tendit au membre de la famille Samui. Qu’il se soit joint à notre protagoniste témoignait de la considérait qu’il concédait à l’harangue de l’écrivain, ce qui était en soi une bonne chose. Loin de s’être refermé à la suite de cette incisive critique, le jeune homme semblait presque enclin à en écouter davantage.
Étant donné qu’il aie reçu la bénédiction de Yukimura, le libre penseur coinça entre ses fines lippes l’un de ces tubes pernicieux qui le dévoraient de l’intérieur. D’une geste machinal, il craqua une allumette afin d’embraser sa clope. Le léger crépitement de la cigarette se consumant lui était si agréable à l’ouïe. Il inspira délicatement l’émanation toxique, l’engouffrant dans ses poumons afin qu’elle puisse y infliger ses ravages. Il libéra la fumée de ses entrailles, la contempla de façon songeuse. Il aimait la regarder s’étirer langoureusement, délicate et insaisissable.
Déjà, le Samui lui demandait de plus amples éclaircissements quant à son préambule. Ainsi donc, ses mots avaient réellement eu un impact sur le jeune homme, lui prouvant que sa famille possédait un versant occulte et corrompu. Cependant, Yujiro remarqua deux éléments fort intéressants et plaisants dans la question que venait de former son interlocuteur ; il l’avait appelé par son prénom et avait abandonné le cérémonieux vouvoiement au profit du tutoiement, ce qui seyait mieux à l’interaction en présence ; deux adolescents s’adonnant à une discussion profonde et intellectuelle.

« À ma connaissance, aucun Samui n’est dans les sphères décisionnels du village ou du pays, n’est-il pas ? Hors, c’est indubitable, ta famille pèse lourd dans la balance politique. Cela découle de son statut social et de sa prédominance dans les forces armées. Commençons avec l’aspect pécuniaire ; ton Clan est sans nul doute l’une de plus grosses fortunes de ces contrées, ce qui fait qu’ils ont leur mot à dire, de manière officielle ou non, dans les grandes décisions prises par l’État. Aussi, l’argent corrompt, ils peuvent acheter ou soudoyer certains hommes politiques véreux afin que leurs volontés soient faites. Ensuite, l’aspect militaire. Dans ce système, plus on gravit les échelons, plus nos privilèges, responsabilités et influence gagnent en ampleur. Or, il s’avère que la plupart des Samui sont des génies, n’ayant aucun mal à se hisser dans les plus hautes strates de la hiérarchie. Ainsi donc, leur avis est pris en compte par les sages et autres pouvoirs décisionnels du Village. Bien sûr, je n’ai pas dit que ton clan use de cette influence afin d’exaucer leurs desseins personnels, mais si cette autorité tombe en de mauvaises mains, cela pourrait causer d’énormes soucis. »

Yujiro se tut, laissant son homélie planer quelques instants dans l’air. Il espérait que sa verve fougueuse n’avait pas heurté Yukimura. Aussi, il avait le souhait que la véracité de ses dires soit avérée et non pas pure confection de son esprit emprunt d’empathie envers le peuple. Bien qu’il commençait à éprouver de la sympathie pour son collègue, il le trouvait au demeurant fort taciturne, ne livrant que peu d’informations sur son compte, préférant écouter et poser ça et là quelques questions.

« Tu ne parles pas beaucoup de toi ; quel genre de Shinobi es-tu, fais-tu plutôt partie des fervents fanatiques de ce village ou es-tu plutôt passif et tranquille ? »

Bien que Yujiro trouvait fort plaisant de partager ses positions politiques et jugements, il espérait conférer à la discussion une seconde dimension, qui serait plutôt axée sur les deux protagonistes, afin d’approfondir les connaissances et, pourquoi pas, qu’une amitié voie le jour entre ces deux jeunes gens que tout semblait opposer.

Ce genre de discussions, Yukimura n’en avait jamais eu. Enfin, il pouvait dire ce qu’il pensait réellement sans qu’on le prît pour un fou. Qui pouvait concevoir le fait qu’un être critique avec véhémence un groupe auquel il appartenait ? Seuls les êtres pouvant faire preuve de recul sur la situation en étaient capables. Et malheureusement ces individus n’étaient pas légion dans ce monde, loin de là. Pour une fois que le genin en rencontrait un, il n’allait pas laisser passer l’occasion.
Écoutant avec attention l’opinion de son camarade, le Samui sirotait tranquillement le saké offert. Il appréciait tout autant les paroles de l’homme que l’amertume de la boisson lui descendant le long du gosier. Les deux prirent d’ailleurs fin simultanément. Après quelques secondes de silence méditatif, le genin répondit :

« Non, tu as raison. Plus personne n’est censé être réellement détenteur d’autorité sur le village depuis la mort du Shodaime. Et il est vrai que malgré ce fait, notre clan continue à voir "miraculeusement" ses quatre volontés exaucées. Quant au côté militaire, je n’ai pas réellement d’avis. Certes, certain membres de ma famille jouissent d’un privilège non-limité dû à leur puissance, mais je suis moi-même une sorte de contre-exemple vivant. Je suis loin d’être aussi performant que mes pairs, mais sans doute est-ce à cause de mes opinions peu appréciées, ce qui les pousse à me mettre à l’écart de toute formation de leur part. Et tu peux dire qu’ils usent de leur influence pour accéder à leurs désirs, car c’est tout à fait vrai. Heureusement, ils sont loin d’être idiots ou malveillants –quoique…-. »

Après quelques secondes durant lesquelles les deux jeunes hommes, à moitié réflexifs, à moitié socialement maladroits (enfin, plus exactement pour Yukimura), Yujiro demanda à son compatriote de s’étendre un peu plus sur ce qu’il était réellement. Encore une fois, ce n’était pas quelque chose que l’on demandait tous les jours au Samui. Il pensa que sortir plus souvent du carcan clanique ne pourrait être que bénéfique pour lui. On pouvait le dire, le garçon n’avait pas des masses d’amis.

« Hé bien, je pense que pour un petit genin sans grande puissance, il est difficile de se faire réellement entendre. Cela l’est encore plus lorsque sa famille l’étouffe au point que l’on ne l’entende plus du tout. Je me positionnerais donc comme un orienté silencieux. Je ne suis pas fou, comme je dépends encore fortement de ma famille et que je ne gagne pas encore assez d’argent pour survivre, je préfère taire ma haine pour avoir de quoi manger tous les jours. Cela peut paraître lâche, je te le concède. Comme je suis diplômé depuis peu, on hésite encore à me confier des missions. Le peu que celles-ci me rapportent contribuent donc à mon choix, même si ce n’en est pas réellement un. Mais dès que j’en aurai l’occasion, je briserai ces chaînes. »

Le genin avait été sincère. Il espérait réellement pouvoir sortir de cette situation, mais les limitations matérielles dont il était la victime l’empêchaient à ses yeux de s’en sortir. Observant la réaction de son protagoniste, Yukimura nota un détail qui le frappa soudainement. Il semblait avoir déjà vu cet homme quelque part, mais il lui était impossible de se souvenir où et quand. Sa mémoire visuelle ne le trompant qu’en de très rares occasions, il se permit de dire ceci :

« Dis-moi, Yujiro… Est-il possible que nous nous soyons déjà croisés par le passé ? N’aurais-tu pas, par exemple, fréquenté l’académie ? »

Il ponctua sa phrase par un signe de tête en direction du bandeau de son collègue. Il était en effet très probable que les deux aient fréquenté le même établissement, ayant à peu près le même âge. De plus, il n’y avait pas trente-six académies à Kiri…

Spoiler:

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C’était un tout autre versant de Yukimura que voyait Yujiro se profiler devant ses yeux. L’être de glace avait abandonné ses sentences emphatiques et laconiques au profit d’un discours, où certes régnait toujours une certaine prestance – il ne pouvait renier son sang bleu – mais on sentait son intérêt et son côté humain percer à la lumière du jour. Sans nul doute était-ce là une des rares occasions où il avait l’occasion de faire fi des apparences guindées et pompeuses. La façade artificielle avait chu afin de laisser place aux propres ressentis et positions du Genin. D’une certaine façon, l’écrivain était assez fier d’avoir débusqué l’essence véritable de son compatriote aristocrate. Ce dernier semblait somme toute porter un regard critique et objectif sur le statut de sa famille. Certes, il n’avait pas eu la force de caractère nécessaire pour briser le cordon ombilical, mais pouvions-nous réellement l’en blâmer ? Tracer une croix définitive sur le faste et l’égide protectrice dont il était enveloppé afin de mener une vie marginale emprunte à la solitude ne devait pas être un choix aisé. Le Samui laissa échapper de pessimistes palabres quant à l’efficacité de ses talents, déclarant que l’on ne lui confiait guère d’importantes quêtes. Il semblait fataliste, comme si le destin ne lui avait interdit de vivre d’homériques épopées. Yujiro campait sur des positions antagonistes sur ce sujet-là. Selon lui, il ne tenait qu’à l’individu et à lui seul de tracer sa destiné. Il n’avait qu’à se prescrire un entraînement ardu et quotidien, afin de chaque jour cultiver son potentiel et ses talents.

« As-tu des objectifs? Souhaites-tu devenir plus fort afin de toi-même décider de ton chemin ou comptes-tu continuer à subir ? »

Le dessein de cet acerbe brandon était de bousculer, positivement, son nouveau camarade. Il ne tenait qu’à lui de briser ces chaînes. Quant à son parcours personnel, Yujiro, depuis quelques temps, avait compris que ses buts ne seraient atteints qu’en passant par un chemin sinueux. Il concevait que, pour pouvoir réformer le système comme il l’entendait, il devait user des travers et des vices du régime. Précédemment, le Guide avait mis en lumière qu’un Shinobi pouvait se forger une place influente et reconnue de par sa force et son habilité au combat. C’était par ce cheminement que le Hyôsuke comptait exaucer ses desseins. Il devait étendre sa renommée, asseoir sa domination par une dantesque et crainte suprématie militaire. Pour atteindre l’aube, il devait passer par l’ennui. Il devait faire preuve d’abnégation et de résolution afin de ne pas succomber aux tentations dont serait pavée sa route. Il devait demeurer Vertueux, dans l’intérêt du peuple.
Le libre penseur fut sorti de sa torpeur songeuse par une nouvelle question formulée par son camarade. Cette interrogation, Yujiro se l’était maintes fois posée dans son for intérieur. Le faciès du maître des glaces lui avait d’emblée sembler familier. Le Palladium avait en effet fréquenté l’académie, sans doute à la même époque que son vis-à-vis. D’ailleurs, il lui semblait avoir la vague et lointaine réminiscence d’un élève de la même promotion ayant vu le jour au sein de cette damnée lignée. Il n’y avait qu’un seul moyen de s’en assurer. Le regard perdu dans ses pensées , Yujiro posa sa question d’un ton lointain, nébuleux :

« N’aurais-tu pas assisté au passage à tabac d’un élève ? »

Il n’avait pas une souvenance claire et précise de cette scène mais il y avait une chose dont il était sûr ; il y avait eu un spectateur. Bien que cette mésaventure eut meurtri sa jeune âme, le Genin ne pouvait en vouloir au témoin impuissant de l’action ; quoiqu’il eut entrepris, il n’aurait pu changer le cours des choses.

La réaction de Yujiro par-rapport aux propos du genin fit retourner celui-ci dans son apathique mélancolie l’espace de quelques instants. D’un regard rapidement jeté sur sa vie, il se dit que "subir" était un verbe parfaitement usité. Il avait dû subir tout au long de son existence. Subir ce clan odieux. Sa destinée était-elle de rester pieds et poings liés à la situation dans laquelle il était en ce moment précis jusqu’à la fin de sa vie ? Être nanti sans pour autant n’avoir rien fait pour le mériter ? Ne pouvait-il tracer lui-même sa route ? Se séparer une fois pour toutes de son appartenance ?
Quant à ses buts, qu’étaient-ils ? Devenir le plus puissant parmi les shinobi ? Comme cela était banal, pensa-t-il. Mais dans ce cas, pourquoi désirait-il cela ardemment ? Pourquoi passait-il des heures à tenter d’affiner la maîtrise de son don ? Sans doute pour pouvoir être un minimum reconnu au sein du village. Ainsi, il finirait par avoir les moyens de vivre sans sa maudite famille. Seul, certes, mais plus heureux que ce qu’il n’était à l’heure actuelle. La mélancolie fut soudainement consumée par une ardente envie. Le genin se releva mentalement et se jura de devenir un combattant craint et respecté. Ainsi, il pourrait lui-même décider de son avenir. Il fit part de ses conclusions à son interlocuteur :

« Tu as raison… Je n’ai fait que subir. Mais désormais… »

Il porta son regard vers l’horizon. Rempli d’hardiesse et d’espoir, il dit alors :

« …je deviendrai plus puissant. Ainsi, au moins pourrais-je être libre. Enfin, libre de ma famille, veuilles-je dire. »

Yukimura n’était pas tout à fait sûr de la pertinence de ses paroles, mais il espérait en son for intérieur que cette détermination allait l’aider à atteindre ses objectifs. Et s’il n’y parvenait, et bien… rien ne l’empêchait d’aviser à ce moment là.

Après avoir posé la question sur l’hypothétique rencontre par le passé, le genin vit le regard de Yujiro s’assombrir, comme s’il ressassait de sombres pensées. Il demanda enfin si le garçon, lorsqu’il était toujours à l’académie, n’avait pas vu un élève se faire malmener. Évidemment, ceci était presque un spectacle quotidien à l’académie.

« Oh oui, cette académie était le théâtre de bagarres incessantes. Presque tous les jours, ne te souviens-tu pas ? Une fois, j’ai même vu un élève, qui, coincé par deux chuunins, s’était… »

Soudain frappé par une terrible constatation qui secoua son corps d’un frisson pernicieux, Yukimura revit la scène dans les moindres détails. Ces cheveux de teinte ébène… Ces yeux tout aussi sombres emplis de détresse… Cette voix… Il n’y avait pas de doute possible. La pauvre victime ce jour-là n’était autre que la personne se trouvant en face de lui. Yujiro Hyôsuke était cette personne qu’il avait vu se faire massacrer sans lui avoir porté secours. Longtemps, cette scène l’avait hanté ; mais cette fois-ci, ce n’était non plus de la hantise mais une véritable horreur et un profond regret qu’elle lui évoquait. Il regarda son compagnon d’un regard anéanti. Celui-ci avait déjà compris, au vu de son air sombre. Ayant tous les deux compris ce qu’il s’était passé ce jour-là, ils laissèrent un silence pesant s’installer. Finalement, le genin eut le courage -celui qu’ironiquement il n’avait pas eu par le passé- de dire :

« Yujiro… Je suis profondément désolé. Je n’aurais pas dû faire ce que j’ai fait. Maintenant, je comprendrai que tu ne veuilles plus poursuivre notre conversation. »

N’osant plus soutenir le regard de son interlocuteur, Yukimura porta une nouvelle fois son regard vers la mer. Aujourd’hui, il se sentait particulièrement lunatique. En quelques secondes, il avait changé d’état d’esprit général ; cependant, l’un d’entre eux semblait le poursuivre et revenir à chaque occasion : la tristesse.

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Lost in the Mist ~ [PV : Yujiro]

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