Je pousse un bâillement digne d'un ours et me lève de mon lit alors que les premiers rayons du soleil transpercent la brume éternelle de Kiri. Le travail d'aujourd'hui consiste à enquêter sur un drame écologique frappant les pêcheurs d'une région voisine. Je ne suis pas expert en économie mais il est de notoriété publique que moins la chasse est bonne, plus le peuple à faim et doit payer au prix fort les denrées alimentaires en question. Entre nous j'ai toujours préféré le poulet au poisson mais là n'est pas la question. Mais trêve de plaisanteries. J'ai bien conscience que ces histoires nuisent à la prospérité du village et au bien-être de nos concitoyens. Ceci-étant, je me presse, réalise ma douche en un temps record et me prépare avant de quitter mon domicile. Une fois mes affaires en ordre, je me rends au point de rendez-vous indiqué par les autorités locales. Là-bas je rencontre la Kosobayui. Yu est – pour changer – ma partenaire de mission pour la journée et les suivantes si d'aventure notre enquête s'étale sur la durée.

« Aucune idée. »
Ça au moins, ça a le mérite d'être clair. Je ne suis pas océanologue jusqu'à preuve du contraire et la vie marine ne m'intéresse pas le moins du monde. De nous deux, c'est la jeune femme aux yeux bleus l'experte en vie animale ; pas moi.
« Je m'attendais à ce que tu sois plus informée que moi sur ce genre de choses. »
J'ai beau ne pas être totalement stupide, je pense être en quelque sorte « les bras » de notre duo là où Yu est censée représenter la tête.
« Le mieux est encore de voir la tête des poissons. Si c'est un empoisonnement, cela risque de se voir. Non ? »

J'imagine que la réponse à ma question est oui. Nous partons à la rencontre d'un pêcheur et lui demandons de nous présenter sa récolte du jour. Les trois quarts de la marchandise pêchée est impropre à la consommation tant les animaux récoltés ne sont pas conformes aux normes. Je me saisis d'un kunai et procède à une dissection des plus barbares. Pour le côté poétique, on repassera. Je perfore quelques organes au passage mais peu importe. Je veux voir le tube digestif – ou l'équivalent chez cette espèce de poisson – de la bestiole étudiée.
« Tu vois quelque chose ? »
Aucune substance colorée suspecte. Je n'ai pas l'impression que le poison ait été empoisonné au mercure ou à je ne sais trop quelle autre composé toxique. Ça se serait vu. Le tube digestif de l'animal est étrangement vide. Il est peut-être mort avant d'avoir été péché par manque de matière première ou d'oxygène au sein même de l'écosystème ?

D'après les observations de la brune, les poissons sont morts de faim. Ça explique pourquoi le tube digestif de l'animal disséqué est vide de matière organique. Je me gratte le menton et lâche sobrement un :
« Ça se tient. »
Je passe outre toutes les données biologiques et descriptions que m'a données Yu. En effet je pars du principe qu'elle connaît mieux le sujet que moi et, à ce titre, estime que tout ce qu'elle a mentionné plus tôt est véridique. J'ai plus ou moins écouté ce qu'elle a dit et cela se tient. Si encore ça ne faisait pas du tout sens, j'aurais éventuellement songé à lui signaler mais dans le cas présent il n'en est rien.

« Très bien. Donc ce qu'il faut étudier, ce n'est pas la mort des poissons en elle-même mais la disparition des crustacés. Formidable. Comment fait-on ça ? Hum. »
Je réfléchis à la question que j'ai moi-même posé. Puisque la chute de la production n'est qu'un dommage collatéral de la chute de la population de crustacés, il nous faut aller étudier ces derniers. Pour ce faire, le mieux est encore de prendre une combinaison de plongée et d'aller voir par nous-même de quoi il en retourne sur place. Je fais part de cette idée à ma partenaire qui acquiesce de la tête.

Nous prenons alors congé de ce pêcheur et demandons aux gens compétents de nous prêter de quoi pénétrer les eaux sans risque. Un homme visiblement connaisseur de la mer et de ses environs nous offre son aide, moyennant finance. L'individu en question nous confie combinaison et bonbonne d'oxygène. Il y a des shinobis en ce monde qui n'ont pas besoin de tout cet attirail car ils maîtrisent le Suiton mais ce n'est malheureusement pas mon cas. À noter que ce n'est visiblement pas celui de Yu non plus puisque la demoiselle accepte volontiers la bouteille à oxygène. Tout de noirs vêtus, nous nous apprêtons à plonger dans l'eau trouble qui entoure le village.
« Prête ? »

La question est rhétorique et je n'attends pas la réponse de la demoiselle pour me laisser tomber à l'eau. Bien bien bien. Nous y voici. Cherchons ces crustacés. Seul problème ; Où sont-ils ? J'observe la Kosobayui avec attention et la suis. Les poissons sont peu nombreux, les prédateurs aussi. Ca ne devrait pas être difficile de trouver ces trucs. Mais pour cela encore faut-il savoir à quoi sont-ils censés ressembler.

Nous rejoignons les profondeurs marines et tentons d’en apprendre plus sur ce qui a causé la disparition de ces poissons. D'après les dires de la jeune femme il faut s'intéresser aux crustacés. Ce sont eux la clé de ce mystère. Je fais confiance à Yu. La Kosobayui est définitivement plus renseigné et plus érudit que moi, au moins en ce qui concerne ce sujet. Ma partenaire de mission et moi cherchons des crustacés afin de les étudier plus longuement. Cependant notre binôme a le plus grand mal à mettre la main sur ces créatures aquatiques.

Nous nous enfonçons toujours plus en profondeur. La lumière se fait rare à mesure que nous avançons et les crustacés ne sont pas plus présents ici qu’ailleurs. Je crois qu’il est inutile de poursuivre notre petite excursion sous-marine. C’est la disparition en grand nombre des crustacés qui a entraînée la mort de ces populations de poissons, nous en avons la preuve. Reste à savoir quelle est la cause de cette disparition soudaine. Pour en apprendre plus je pense que le mieux est de regagner la surface et d’enquêter. Parler aux pêcheurs, fouiller des bateaux ; tout cela va plus nous renseigner à mon sens que de rester ici devant le fait accompli.

Nous poursuivons notre bonhomme de chemin à la recherche d’indice, sans grand succès. Je m’apprête à faire signe à la Kosobayui de rentrer quand une colonie de crustacés conséquente apparaît. Eh bah. Enfin. Cela nous en aura pris du temps.

C’est la première fois de la journée qu’il nous est possible d’observer une telle concentration en crustacés. Cette colonie est sans aucun doute une des dernières à avoir survécu à ce « je ne sais quoi » qui détruit la faune locale. Je m’avance afin d’effectuer quelques prélèvements et vois un crustacé me passer entre les doigts. L’animal quitte son habitat naturel et semble remonter à la surface, attiré par une force inconnue. Plusieurs de ses congénères le suivent et nous faisons de même Yu et moi. Le prélèvement attendra. Je suis sûr que ce que nous allons en trouver cette population nous sera utile.

Là où nous allons, la lumière est plus présente. Je peux à nouveau voir sans plisser des yeux. Les crustacés s’arrêtent et se dirigent désormais vers l’ouest. Nous sommes seulement à quelques mètres de profondeur et ici tout est plus clair, pour nous autres plongeurs comme pour les éventuels pêcheurs à la surface. Les animaux poursuivent leur route et s’agglutinent à un objet sphérique fait de métal. J’imagine que ce dernier envoie des ondes, secrète des substances ou réalise je ne sais trop quelle action permettant d’attirer à lui ces crustacés. Je fais signe à Yu d’effectuer quelques prélèvements. Pour ma part, je vire ces animaux de là et m’empare de l’objet à l’étrange pouvoir attracteur. Il nous faut l’étudier lui aussi. Ceci-fait, nous quittons le domaine aquatique et regagnons la terre ferme.
« Ce truc est totalement illégal. Et ça ne m’a pas l’air d’être issu d’une production artisanale. »

Cet objet est trop sophistiqué pour être l’œuvre de trois clampins amateurs de pêches. Il y a une entreprise ici qui commercialise cette chose et je soupçonne qu’elle le fasse dans le dos de l’état.

Formidable. Yu a des bases en mécaniques et en ingénieurie, des bases en anatomie animale, des bases en commerce, des bases en gestion d’auberge et d’autres encore en arts shinobis. Au moins on comprend maintenant pourquoi elle n’excelle dans aucun des domaines cités plus tôt. Quoiqu’il en soit, je l’écoute avec attention et hoche la tête à intervalles réguliers de sorte à lui faire remarquer que je suis toujours.

Des ondes … De l’infrarouge … Des batteries internes … Des impuretés. Je comprends chacun de ces termes séparemment mais mis ensemble et agencé comme tel, j’avoue ne pas comprendre leur portée. Quoiqu’il en soit, à défaut de pouvoir me faire mon propre avis sur la question, j’écoute celui de ma partenaire et fais confiance à la Kosobayui. Cette dernière fait mention d’une grande entreprise capable de pêcher abondamment grace à de « nouveaux procédés » technologiques. Je n’ai rien contre la science mais mise entre les mains de mauvaises personnes ; celle-là ravages nos côtes et tue la faune locale. Cette histoire d’armée et de grande firme me dépasse. Il semblerait que nous ayons mis le doigt sur quelque chose de gros ; peut-être même d’un peu trop gros pour nous.

« J’aimerais pouvoir le faire, oui. Ceci-dit nous ferions peut-être mieux de rentrer. Notre mission n’est que de rang C et ce truc là m’a tout bonnement l’air de nous amener dans des eaux plus sombres que celles que nous avions à explorer initialement. »
L’ordre stipule que nous devons mettre le doigt sur le problème et le régler. Je doute qu’il nous soit possible, compte-tenu des circonstances, de faire fermer l’entreprise en question cependant nous avons bien réalisé notre enquête et les conclusions de cette dernière incriminent clairement certains acteurs locaux dont la société dont fait mention Yu. C’est aux hauts-gradés de s’occuper de la partie « baston » et « dementalement », pas à nous. Car bien que cela m’agace : Je ne suis encore qu’un Genin.

Il se fait tard. Aucun bateau ne pourra nous rapatrier à Kiri et je suggère que nous passions la nuit à l'auberge. Nous rentrerons demain au village de la brume. La Kosoabyui et moi louons deux chambres dans un établissement appelé : « Le Cube » et entreprenons de nous reposer. C’est cependant sans compter sur l’intervention d’un inconnu qui, sur les coups de minuit, force la serrure de ma chambre afin de me liquider. Je me lève en trombe et lui tord le bras avant qu’il n’ait le temps de faire quoi que ce soit. Son cri alerte Yu qui se trouve dans la chambre d’à côté et plusieurs autres voyageurs épuisés.
Certes, nombreuses sont les personnes qui veulent ma peau mais je ne crois pas être venu à de nombreuses reprises dans ce petit village. Ceci-étant, j’aurais du mal à m’être fait des ennemis ici. À moins qu’il nous ait suivi et souhaite nous faire taire. Il est vrai que Yu et moi avons appris des choses pouvant nuire à bien des gens ici. Il n’est pas impossible qu’il travaille pour la fameuse entreprise que mentionnait le Genin de la brume plus tôt dans la journée.

Yu éloigne les curieux tandis que j’essaie de comprendre ce qu’il s’est passé. Pourquoi ce gus nous a-t-il attaqués au juste ? J’hausse les épaules, pousse un soupir et dévisage l’individu. C’est de loin le plus mauvais assassin qu’il m’ait été donné de voir depuis un bon moment. Je suis presque déçu de voir qu’on ait osé envoyer pareil incompétent pour me tuer. Certes je ne suis pas une légende vivante dans le monde ninja mais respectez moi un minimum tout de même ! Le commanditaire aurait pu trouver mieux ! Encore que … Sur le papier, l’assassin avait pour simple tâche de tuer des genins. Il ne s’attendait peut-être pas à trouver quelqu’un de mon niveau ici et a été pris de court.

Yu tente de soutirer des informations au criminel mais celui-ci refuse et se contente de pousser un grognement. Qu’il refuse de parler n’a rien de surprenant et la Kosobayui m’invite à utiliser mes « compétences ». Je tourne machinalement la tête et mon regard croise celui d’un voyageur inquiet. Si je le torture, il va nécessairement gémir, hurler et saigner. Salir la chambre ou l’hôtel et faire peur aux clients n’est dans mes intentions. Par conséquent la meilleure chose à faire dans le cas présent est encore de quitter les lieux en traînant avec nous notre nouvel ami.
« Il semblerait oui. Mais pas ici. »

Je traine l’assassin dans ma chambre, l’installe sur une chaise, le ligote et le bâillonne. J’ouvre ensuite la fenêtre, me saisis de l’objet sur lequel est assis le gus et saute. J’atterris sur mes deux jambes, chaise en main et attends ma partenaire de mission. La jeune femme ne tarde pas à me suivre. Nous quittons le quartier résidentiel et rejoignons bientôt les abords du village en toute discrétion. Nous ne suivons pas le sentier principal et rejoignons une voie peu empruntés par les voyageurs. C’est ici que je vais accomplir ma sombre besogne.

Accolé à un arbre, l’assassin me voit retirer mes gantelets métalliques et commence à paniquer. Il sue à grosse goutte en me voyant sortir de ma pochette ninja plusieurs kunais et senbons. Je prends une bonne inspiration, colle une aiguille à sa cornée et lui retire ce bout de tissu faisant office de bâillon.
« C’est bon. C’est bon. Ne le faites pas. L’association de pêcheurs Mizaraki au nord-est de la ville. Ce sont eux qui m’ont embauché. Pitié. Ne le faites pas. »

… Eh bah. Ça a été rapide. Je n’ai même pas eu à lui enfoncer mon aiguille dans l’œil. C’est presque décevant. De mon temps, les assassins – même amateur – tenait plus longtemps. Ce n’est donc pas une multinationale imposant qui a engagé ce monsieur mais une simple association. J’imagine qu’ils utilisent l’appareil illégal que nous avons trouvé plus tôt et sont « les grands gagnants » de cette histoire. Je décolle l’aiguille de l’œil du monsieur, le fais taire et me tourne vers ma partenaire. Nous pouvons rentrer chez nous demain et informer nos supérieurs de la situation ou bien nous pouvons tenter de voir ce qu’il en est et quel lien a cette association avec le problème.