C’est le dernier bac avant le début de l’hiver, le dernier avant la terrible saison qui scelle yuki no kuni du reste du monde extérieur pour quatre longs mois. Je regarde l’embarcation qui tangue contre les quais d’un œil inquiet, si cela avait été moi qui prenais cette embarcation jamais je n’aurais eu cette angoisse, mais là c’est mon fils que je laisse seul prendre le bateau. Une part de moi tente alors de me rassurer, je l’ai bien entrainé, il est fort, ce n’est pas un shinobi qui sortirai de l’école, non il a vu et vécu des choses que peu d’enfant de son âge ni même d’adultes ont pu vivre. Mon instinct maternel lui me crie de ne pas le laisser partir, le laisser seul dans ce monde pour neuf mois voir un an. Je ne sais pas dans combien de temps les choses se seront calmées, mais je sais que les prochains mois seront dangereux pour lui et tant que je n’aurais pas contacté konoha pour négocier son éventuel entrainement il ne sera pas en sécurité avec moi.
Alors qu’il regarde la mer grise, agitée d’une légère houle, je m’approche de lui et lui donne une bourse pleine de ryos, presque tout ce qu’il me reste de ma dernière mission. Dans mes plans initiaux il ne devait partir avec aucun sous, mais mon cœur a encore pris le dessus sur ma raison :

-Tiens cela devrait te permettre de tenir quelques mois, après il faudra te débrouiller tout seul, je sais que tu y arriveras ne t’inquiète pas !

Il prend la bourse d’un geste calme et mesuré, avec cette légèreté qu’il a toujours eu. Son père tout craché ! Il me lance un petit sourire pour me montrer qu’il n’est pas inquiet, à moins qu’il n’ait compris que la personne la moins sereine d’entre nous d’eux c’était moi. Emmitouflé dans sa fourrure, il la range, après quelques manipulations précautionneuses, dans une petite poche de sa doublure, puis se tourne vers moi sachant pertinemment que je n’ai pas fini mes recommandations de mère :

-C’est la dernière étape de ton entrainement, du moins celui que je te donne depuis que tu es en âge de marcher, passer plusieurs mois seul en autarcie, à survivre sur le continent. Celui-ci prendra fin lorsque les nouvelles neiges tomberont ou plus tôt, si tu t’en sors mieux que prévu. Sache que je ne serais pas là pour te protéger ni pour te surveiller, si tu es attaqué tu ne pourras pas compter sur moi

Un matelot sur le quai fait un appel rapidement couvert par le vent d’est qui passe au travers des collines entourant la baie. Je regarde à nouveau mon fils qui se tourne en direction de l’esquif, une boule me comprime le ventre et le cœur, j’aimerais tant le tenir dans mes bras une dernière fois, mais les émotions ne doivent pas prendre le pas sur la raison, qui sait qui peut nous voir sur ce port ? Je ne veux pas le mettre en danger…

-Va, je te retrouverais promis, si tu passes ce test sans encombre bien sûr. Ce sera la consécration de tant d’années d’effort.

Il me regarde un instant avec ce regard qui me reste parfois si étranger, me rappelant celui de son père. Je n’ai jamais su s’il traduisait de la tristesse, du mépris, de l’amour, de la gêne ou bien un mélange de tout cela à la fois mais il m’a toujours mise mal à l’aise, me renvoyant à mon incompétence pour le comprendre et m’occuper au mieux de lui. Oui je n’ai jamais voulu qu’il subisse tout ce que je lui ai fait subir, mais c’est ce monde qui m’y force. Je ne veux pas qu’un matin il se retrouve seul car je ne serais plus là pour l’aider et qui soit face à un danger dont il ne pourra se soustraire.
Il court subitement vers moi et avant que je n’ai le temps de le repousser, il est déjà en train de m’enserrer, avant de me dire :

-Maman, ne fais pas de bêtises sans moi…

Un frisson me parcours en entendant ces mots, il a déjà tout compris, je ne peux malheureusement lui promettre une telle chose. Déchirée dans un tel moment je ne sais quoi faire, les larmes me montent aux yeux, je les retiens comme je peux en clignant frénétiquement des paupières. Je me retire de son étreinte doucement, ne pouvant lui dire des remontrances pour son action, je lui dis juste :

-Pars où tu rateras le bateau.

Il se recule alors dans un demi-sourire et s’élance vers l’embarcation. Après quelques minutes celle-ci déploie ses voiles et quitte le port, ballotée par les vagues et la houle qui s’engouffre dans la baie. Une larme coule long de mes joues, je me demande ce que je viens de faire et surtout ce que je vais devoir faire désormais…