« Vous n’êtes pas sérieux ?!
─ Oh mais voilà qu’elle montre les crocs la binoclarde ! »

Encore une fois moquée, Azuni ne manqua pourtant pas de rester sur ses positions et sur ses petits talons. Elle fixait avec une telle insistance son supérieur que ce dernier fut surpris de voir que pour une fois elle ne se laissait pas faire. Intrigué et secrètement comblé, le Colosse se remit en position dans son fauteuil.

Sa secrétaire remit ses lunettes en place et tenta même de faire un pas assuré en avant. Elle tenait ses papiers des deux bras, signe qu’elle mettait une barrière entre elle et son interlocuteur, bien décidée à lui faire entendre raison.

« L’accès au Mont Infinité a été fermé il y a plusieurs années, et c’est bien pour une raison ! Il est trop dangereux !
─ Bah c’est clair que si les gens tentent d’atteindre le sommet avec des talons comme les tiens…
─ Je suis sérieuse ! Pourquoi vouloir le rouvrir ? »

Il soupira, voyant bien qu’elle tenait bon. S’il était pressé que le Mont Infinité soit de nouveau accessible, c’était parce qu’il ne voulait pas que le futur Conseil décisionnaire lui mette le moindre bâton dans les roues. C’était une décision lourde de sens, que certains mettraient longtemps à comprendre. Le Colosse se leva, et ses deux mètres de muscle légers mais bien présents et dessinés remirent Azuni dans un état de stress.

« J’en ai assez des examens de fillettes avec des QCM sur l’angle à choisir pour enfoncer un kunaï dans le trouduc de l’ennemi. Tu sais, ces examens où dès qu’on veut relever un peu le niveau on fait combattre les jeunes entre eux, se disant qu’un nul qui gagne contre un autre nul mérite d’être promu. Ceux où on quand on voit que certains y laissent leur peau on se dit "ah bah tant mieux au moins y aura eu du spectacle".
─ Mais…
─ Y a pas de mais ! Passer ces examens en commun avec les autres villages c’était s’abaisser à leur niveau, et laisser aléatoirement le jugement et l’organisation à des gens qui le méritent pas. T’inquiètes pas, j’ai ordonné des travaux que je dirigerai pour les deux premières étages. Mais la montagne va symboliser notre volonté perpétuelle à nous dépasser pour chercher à protéger les nôtres. Et pour le côté perpétuel du machin, j’pense qu’on est bon… »

Il esquissa un sourire.

« … vu que personne n’a réussi à arriver au sommet du Mont Infinité. »

***

Et quelques jours plus tard, c’en était fait. Les travaux étaient en cours et c’était le Régent qui les dirigeait. Forcément, l’ancien membre du Satoru sous l’ère du Shodaime connaissait bien cette montagne dont l’existence était restée secrète pour la plupart des ninjas. Certains en avaient même fait un petit mythe urbain. Mais non, le Mont Infinité existait bel et bien.

Au sud du village, en traversant quelques centaines de mètres dans les montagnes, il y avait ce mont en cascade. Deux étages préliminaires avant le vrai pic dont personne n’avait jamais pu voir ni atteindre le sommet. Certains avaient essayé de le gravir – comme Aomine – mais personne n’avait réussi. D’autres avaient, lors de la fondation de Kumo, tenté de voler jusqu’en haut, mais passé une certaine altitude ils étaient soit pris d’un froid extrême, soit en manque d’oxygène.

Mais plus que l’aménagement des deux premiers étages, c’était bel et bien le rendez-vous avec Hashiru, le deuxième moine de Kumo, que le Colosse attendait avec impatience.

Le moine était arrivé. Difficile de faire plus « moine » que lui d’ailleurs. Pourtant, les deux hommes avaient l’enseignement de Maskine en commun, même si cela restait un secret plutôt bien gardé par le Colosse qui malgré sa réputation de grand combattant, n’a pas eu de missions en équipe depuis longtemps. Voilà pourquoi contrairement à celui qui venait d’arriver, le Régent n’était pas connu comme quelqu’un maîtrisant la Lumière de Maskine. Et c’était loin d’être quelque-chose de dramatique…

« Fuka, c’est ça son nom ? Je le verrai quand il sera en état. Tu l’amèneras à mon bureau, j’imagine que le mieux est de te le confier en attendant. »

Il avait déjà lu un rapport sur ce qui s’était passé avec le Shûkai. L’idée de la délégation était bonne, ou en tout cas l’intention l’était, mais l’évènement avait vite viré au drame. Le Patriarche se mêlait donc désormais du système mondial, et il était du côté de la Nation. Si Kumo s’apprêtait à se détacher de plus en plus officiellement de l’Ordre ninja, cela ne voulait pas dire que le village allait basculer de l’autre côté. Non, il y avait du bon et du mauvais partout. Mais il fallait avant tout se concentrer sur Kumo et les Kumojins.

Deux des trois Shûkaijins y avaient trouvé la mort. Mais dans la version évoquée autant sur papier qu’à l’oral, il y avait quelque-chose qui gênait Aomine, et il préférait en parler dès à présent. Pourquoi attendre ?

« Le village a besoin de stabilité, et cela passe par plusieurs choses. L’héritage qu’Hôritsu nous a laissé est grand, la recomposition des grades et les départements nous ont mis sur de très bons rails. Mais il faut continuer et s’entraider. Si le Daimyô m’a nommé, c’était pour éviter que le village ne sombre. Alors pour éviter que ton département ne sombre, je te nomme Ministre. »

Il avait finalement opté pour une méthode de parlotte un peu plus particulière. D’abord la nomination, puis ensuite les questions. Si Hashiru était venu en tant que pur gradé de Kumo, il était désormais Ministre et de nouvelles responsabilités lui incombaient. Modifierait-il sa version des faits pour autant ?

« Concernant ce qu’il s’est passé avec la délégation de l’Empire, il y a quelque-chose qui me chiffonne. Je connais la force de la Lumière de Maskine, donc la tienne, et le dossier de Kamikaze le désigne comme un puissant ninja. Mais si l’Empire a pris une telle ampleur, ce n’est pas grâce à une armée de shinobis de bas étage. Alors je vais être direct… »

Détournant son regard du Mont Infinité, le Colosse de deux mètres regarda le nouveau Ministre dans le blanc des yeux. Entre moines, entre Kumojins, entre supérieur et soldat…

« … comment peuvent-ils avoir perdus deux de leurs trois shinobis là-bas, alors que vous êtes revenus tous les deux sans la moindre blessure inquiétante ? »

Autre chose évidente : en tant qu’ancien moine qui ne faisait plus partie de l’ordre officiel de Maskine, Hashiru représentait forcément une hérésie aux yeux du Patriarche.