Je me remets encore de mes aventures avec Otoke, et me voilà convoquée par le pouvoir. Comme s’il ne me manquait que ça dans la vie pour être heureuse, une chaine supplémentaire. Que me veut-on ? Bah, de toute façon ce n’est pas comme si j’avais mon mot à dire. Le bureau du Raikage. Ou régent. Ou je ne sais pas quoi. Peu importe. J’obéirais. Je ne peux qu’obéir. Combien même l’envie de cracher au visage, de me débattre, de lutter, de chercher une nouvelle liberté me traverse l’esprit encore et encore… Mon corps n’est qu’une machine qui obéit aux tortures de mon père. A ses enseignements. A sa folie. Même mort il arrive à me hanter encore, même si depuis que j’ai presque perdu la vie lors d’un entraînement, j’arrive à rester calme. La douleur compense et me permet de me focaliser sur elle – me voilà qui parle comme si j’étais Shigeru. C’est tragique. Il faudra que je le harcèle pour qu’il fasse quelque chose, mais à côté… Je ne sais plus quoi penser. Les idées s’enchaînent à nouveau, me traversent, mon esprit entier est porté par un surplus de désirs, d’informations, d’ordres, de comportements prédéfinis. Non. Je dois rester calme.

Calmement, j’attends devant le bureau jusqu’à ce qu’on me demande d’entrer. Ai-je fais quelque chose de mal ? Non, rien qui n’ai laissé des témoins en tout cas. Je me pose trop de question. Il n’y a rien d’anormal à ce qu’un ninja du village soit convoqué par les dirigeants, ne serait-ce que pour obtenir une mission ou autre chose. Mon corps ne laisse en rien transparaître mes émotions, une fois de plus – il n’est là que pour obéir, comme dissocier de ce que je peux bien penser. Etais-je différente autrefois ? Je ne m’en rappel pas – ce n’est certainement pas à cette femme que je vais demander, plutôt mourir. J’inspire calmement alors que mon tour arrive, je pousse la porte et mes pensées s’effacent l’une après l’autre. Le pouvoir est en face de moi. La malédiction qui hante mon corps et mon esprit. L’incarnation de ce qui a fait ce que je suis. Pourtant, je reste de marbre. Je suis aux ordres, tel un chien prêt à se mettre au sol et remuer la queue si on me le demande. Sans faire trop de zèle, j’incline ma tête en signe de respect, me demandant si je dois sourire ou non.

« Senritsu Hak, Régent-sama. Vous m’aviez convoquée. »

« Maître, Senritsu Hak est arrivé, dois-je le faire monter maintenant ?
─ Naaaaan te tracasse pas, j’l’ai convoqué pour qu’il admire un peu les nouveaux tapis dans l’entrée ! »

Azuni la conseillère s’éclipsa avant même que le Régent puisse en rajouter une couche. Une fois la porte fermée, le Colosse ne put s’empêcher de ricaner. Puis il pensa rapidement à sa rencontre.

Senritsu Hak, un Chûnin qui avait eu le privilège d’être épargné de toute la barbarie de Suna. Un bon élément dans l’ensemble, surtout parce qu’Aomine n’avait pas trop fouillé son dossier. Et puis avec les renseignements plus ou moins remis à zéro lors de l’investiture du Rokudaime, on pouvait se satisfaire d’avoir des informations fiables sur tout, à défaut d’avoir plein de choses fausses.

Sa convocation était due à plusieurs raisons, mais il y en avait une qui sortait par-dessus le reste. Mais peut-être qu’elle ne serait pas la bonne personne pour ça, après tout, rien de mieux qu’un entretien pour en être sûr. Aomine ne pouvait pas laisser son idée fleurir dans les mains de n’importe qui…

« Régent ? Ah bah ouais on a déjà du te mettre au courant… Assieds-toi. »

Installé quant à lui dans son fauteuil, il n’eut pas de mal à amener ses bras jusqu’au-dessus de son bureau. Son regard était d’une agressivité dont on n’avait pas peur, mais dont on était plutôt… respectueux. On sentait que c’était lui le dirigeant. Et si on voyait très bien que ce n’était pas l’intello de service, il en imposait par d’autres aspects que sa simple prestance physique.

Il sortit une feuille de parchemin vierge, et la mit face à lui. En cherchant dans l’un des tiroirs, il finit par s’équiper d’un crayon de papier.

« Au vu de tes capacités et de ton grade de Chûnin, je t’informe que tu es nommée dans le département Renseignements et Espionnage. J’espère qu’à défaut d’être satisfaite de ce choix, tu comprends les raisons de cette décision. »

Il aurait pu directement aller au point suivant. Mais il préférait laisser du temps à la jeune femme pour assimiler l’information. Et c’était l’occasion d’en apprendre un peu plus sur elle.

« Tu maîtrises le Genjutsu, mais est-ce que tu peux m’en dire un peu plus ? J’veux dire, quelles sont tes capacités ? »

C’était quelque-chose de crucial, en réalité. Même si dans le ton ça ne semblait pas si important…

Son attitude me révulse. Non, elle me donne la nausée même. Il a le pouvoir, non ? Pourquoi agit-il de façon tellement… Non. Non. Non. Non. Non. Non. Pourquoi ? Il me tutoie comme si j’étais sa chose. Il me regarde avec cet air imposant sans inspirer la peur. Si je le croisais dans la rue, sans savoir qui il était… Je dois avouer que ça me plaît, quelque part – tu parles, il doit être encore plus rigide que le précédent. Et si je lui laissais sa chance ? De quoi est-ce que je parle même, j’existe pour lui obéir. Je hoche la tête et m’assoie quand il me le demande, mon corps réfléchissant presque plus vite que ma pensée une fois de plus. C’est viscéral. Je suis incapable de désobéir. Je suis condamnée à étouffer. Je détaille chacun de ses mouvements, sans savoir pourquoi – s’il m’attaque, je n’oserais même pas réagir sans en avoir l’ordre. Cette aura de malheur qui est inhérente à son autorité m’empoisonne mais elle a au moins l’avantage de me permettre de trier mes pensées.

« Oui. »

Je n’ai pas à être ravie de ses choix. Je n’ai pas à les contester. Seulement à les comprendre – il est très clair là-dessus. Me voilà donc officiellement assignée au département d’Otoke et de Raito – ils vont être… ravis. Ils ont intérêt en tout cas, sinon je risque de leur passer dessus. De toute façon, c’est le choix le plus logique. De toute façon, je n’ai pas à me poser de question, seulement accepter tout ce qu’on me dit sans être capable de contester. Mes capacités ? Pourquoi veut-il les connaître ? Je ne suis pas une menace, il n’a pas à obtenir ce genre d’informations sur moi. Ou alors… Pourquoi moi, Papa ? Pou… Non. Mon cerveau trie de façon bien trop efficace les souvenirs, entre la douleur à mon flanc et le regard perçant de l’animal en face de moi – il a l’air plus sauvage encore qu’Otoke, j’aimerai tellement voir sa rage !

« Les informations du village sont infaillibles. Je peux faire beaucoup selon ce qui est nécessaire. Torturer quelqu’un dans un flot infini d’illusions pour obtenir les informations précieuses. »

Même sans illusion lorsque l’humeur y est, mais il doit s’en douter.

« Immobiliser une cible dans un monde illusoire et l’achever en silence avec mon corps à corps – surtout si elle est incapable de se défendre contre le Genjutsu. Enfin… Je dirais être douée pour éviter le combat, m’infiltrer. Me faire passer une pour une autre – ou un autre, modifier mon comportement et l’adapter à mon interlocuteur, feindre la femme docile, la femme ivre, l’homme. Endormir la méfiance, inspirer la confiance – quitte à éliminer les gens qui commenceraient à avoir des soupçons. C’est… Intuitif de comprendre le comportement et les réactions des gens quand la majorité de votre talent au combat dépend de savoir utiliser ces éléments. »

Je n’ai pas l’audace de lui faire une démonstration. Tout au plus, il peut le demande si cela l’intéresse tant, mais c’est quelque chose de vulgaire que je fais pour arriver plus rapidement à mes cibles. Le Régent n’en est pas une. Je ne lui demande pas si ma réponse le satisfait, c’est son problème – il m’a ordonné de lui énoncer mes capacités, je l’ai fait. Pourquoi ? Je verrais bien en temps voulu.

Nan mais c’était vraiment une demoiselle empoisonnée, elle. Et dire qu’il aurait pu la trouver mignonne s’il n’était pas Régent. Franchement, les mots qu’elle utilisait et surtout le ton qu’elle employait donnaient la chair de poule à son interlocuteur. Aomine n’était néanmoins pas mécontent de pouvoir compter dans les rangs du département Renseignements et Espionnage quelqu’un qui rentrait aussi bien dans le rôle. Ouaip, elle était faite dans le moule la Senritsu Hak !

Aomine lui était donc en train d’effectuer quelques tracés sur la feuille de parchemin qu’il avait déroulée devant lui. Le crayon de bois bougeait encore et encore, mais ça ne semblait pas gêner le Régent pour poursuivre la conversation. Et tant mieux, car cette dernière allait prendre un tournent décisif plus vite que prévu.

« Bon, t’es pas du genre à faire de fantaisies hein ? C’est tant mieux. Car la mission que je vais te confier va te demander de maîtriser au mieux tes capacités. C’est une mission de rang B. »

Il s’arrêta de crayonner, puis regarda le résultat. S’il laissa échapper un rapide rictus, il poursuivit rapidement en écrivant avec soin des choses vers le bas de la feuille de parchemin.

« Je soupçonne fortement trois shinobis de l’Ordre ninja, deux Konohajins et une Sunajine, d'avoir assassiné le Rokudaime Raïkage. Et je vais te demander d’enquêter sur celui qui m’a paru le plus… gradé ? En fait j’en sais rien. Bref, tiens… »

En retournant le parchemin, la jeune kunoïchi put y trouver un croquis assez… médiocre. En effet, aussi bien le portrait général que le visage laissaient à désirer. Et nul doute qu’avec ce genre d’idées, même les portraitistes les plus doués du village seraient incapables de dresser un vrai portrait-robot.

Heureusement, il y avait quelques informations écrites en lettres manuscrites. Taille environnante, cheveux longs et roux, jeune homme plutôt mince, Konohajin. Voilà tout ce que le Bakushô semblait savoir sur celui-là.

« C’est sur lui que tu vas enquêter. Par contre, tu le feras dans l’enceinte du village, en interne. Il est encore trop tôt pour approcher Konoha. Je suis sûr qu’en interrogeant les Kumojins qui sont partis à l’Examen tu pourras obtenir des pistes. »

Il lui sembla devoir préciser quelque-chose d’importance. Ce qui justifia donc qu’il reprenne aussitôt.

« Cette mission est importante, car sans une confirmation extérieure, je ne tiendrai jamais pour acquis ma version. Je n’ai ni peur de péter la gueule à ce rouquin ni d’une guerre avec Konoha. Par contre ce qui me ferait grave chier… »

Son regard insista sur Senritsu Hak.

« … c’est de commettre une erreur. »

Spoiler:

La Rage du Régent. Si ce n’est qu’une mission de rang B potentiellement ennuyante, cela reste un ordre direct que je vais exécuter. Un ordre simple, concret, qui porte en lui et dans son explication une grande partie de ce qui le créé et de ce qu’il implique. Ce n’est pas l’équilibre que je préfère – trop peu de secret, énormément de retombées possibles. Toujours est-il qu’enquêter là-dessus… Mes yeux fixent et parcourent le dessin médiocre qui m’a été passé – je n’ose pas le commenter car expliquer au régent à quel point il dessine comme un enfant de deux ans ne fera rien de bon, surtout qu’il s’en rend compte lui-même. Ou alors, il a un gros problème d’égo et ça sortira à un moment ou à un autre, certainement le pire possible – j’espère être là ce jour-là pour le voir. C’est un délice. La rage du Régent m’a été offerte : je peux la canaliser, la retourner dans les sens que je veux et l’utiliser à mon avantage. Tellement de potentiel que je vais gaspiller en répondant bêtement aux ordres. Faire une erreur le ferait chier. Je comprends absolument – je serais son erreur si je viens à être erronée, je n’ai le droit qu’au succès. De toute façon, je ne compte pas faire autre chose que réussir.

« D’accord. Vous aurez mon rapport dès que je serais en mesure de le fournir. »

Je ne relève rien de ce qu’il m’a dit, me contentant d’acquiescer avec une expression neutre. C’est la seule chose qui compte dans ce travail, de toute façon, d’être capable de donner des résultats – et je sais d’avance que j’en aurais, quitte à devoir franchir les frontières très étroites du cadre de travail qui m’est imposé. Poser des questions supplémentaires sur ce que je dois faire est stérile, je le sais parfaitement. Le pragmatisme de mon esprit devant cette mission parvient en quelque sorte à me terrifier, un plan exact se dessinant progressivement dans ma tête et me montrant le chemin à suivre. S’il y avait d’autres choses à savoir, il me l’aurait certainement déjà dit. S’il y avait des conditions particulières supplémentaires – encore des laisses, encore des chaînes – il me l’aurait déjà dit également. Je comprends le pourquoi. J’ai le comment. Un joli rapport figurera bientôt sur son bureau, permettant à sa rage de croître et de se libérer progressivement. L’ennui dans le village va peut-être cessé avec le retour des troupes et cette créature animale au pouvoir.

Il n’est qu’instinct et que sincérité, ne prétendant rien et ne cachant rien – il insulte quand il veut insulter. Une sauvagerie proche de celle d’Otoke, doublée d’une culture humaine nettement plus grande. Orienter cet homme pourrait peut-être faire céder mon ennui… Mais ce sera pour une autre fois. J’ai un ordre à réaliser. D’un mouvement normal, je me lève et le fixe droit dans les yeux – je pourrais l’enfermer à ce moment précis dans une illusion où nous hurlerions chacun nos noms respectifs, mais je m’abstiens. Je ne suis que sa chienne après tout.

« Sur ce, à moins que vous n’ayez d’autres instructions à me transmettre – je vais commencer. Un délais n’est pas souhaitable. »

HRP: